Page:Zola - Vérité.djvu/515

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modèle de l’école des frères, puisqu’on l’avait trouvé dans un de ses cahiers ; mais il ne savait rien autre chose, il ne pouvait rien dire. Enfin, un autre des anciens élèves des frères, Polydor Souquet, le neveu de Pélagie, la vieille servante de Mme  Duparque, parut à la barre et eut à subir, de la part de Delbos, une série de questions très pressantes sur la façon dont le frère Gorgias l’avait reconduit chez lui, le soir du crime, les incidents de la route, les paroles échangées, l’heure. C’était Marc qui avait conseillé à l’avocat de faire citer ce témoin, en lui disant la conviction où il avait toujours été que ce vaurien sournois d’hier, devenu un louche fainéant, domestique aujourd’hui dans un couvent de Beaumont, détenait sûrement une partie de la vérité. Delbos, d’ailleurs, n’en obtint avec peine que des réponses évasives, des regards de malice voilés de stupidité. Est-ce qu’on pouvait se rappeler, à tant d’années de distance ? L’excuse était trop commode, et le procureur de la République donna des signes d’impatience inquiète, tandis que le public, tout en ne comprenant pas l’insistance de l’avocat, s’acharnant sur ce témoin insignifiant, sentait pourtant dans l’air le frisson de la vérité qui passait, soupçonnée, fuyante encore.

L’audience suivante apporta une émotion nouvelle. Elle avait commencé par les interminables discussions des deux experts, les sieurs Badoche et Trabut, s’obstinant, contre le frère Gorgias lui-même, à ne pas reconnaître les deux initiales de son paraphe F G, dans lesquels eux seuls retrouvaient le paraphe de Simon, un E et un S enlacés, illisibles il est vrai. Pendant plus de trois heures, ils entassèrent les arguments, prodiguèrent les démonstrations, s’agitant à froid dans leur démence. Et le prodigieux était que le président les laissait aller, les écoutait avec une complaisance visible, pendant que le procureur de la République, affectant de