Page:Zola - Vérité.djvu/582

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j’ai trouvé l’école d’une saleté d’écurie, on aurait cru que le ménage Chagnat y avait laissé passer toutes les bêtes de la contrée, et j’ai dû prendre une femme pour tout lessiver, tout gratter avec moi.

Geneviève était restée rêveuse, les yeux comme perdus dans ses souvenirs.

— Ah ! le pauvre Férou ! Je n’ai pas été toujours bonne pour lui et les siens. C’est un de mes remords. Et comment réparer tant de souffrances et tant de désastres ? Nous sommes si faibles, si peu nombreux encore. Il est des heures où je désespère.

Puis, tout d’un coup réveillée, souriante, se serrant contre son mari :

— Oui, oui, mon bon Marc, ne me gronde pas, j’ai tort. Il faut me laisser le temps de devenir sans peur et sans reproche, comme toi… Nous allons nous mettre à l’œuvre et nous vaincrons, c’est entendu.

Alors, tous les trois s’égayèrent, et Mignot qui voulut accompagner le ménage, en causant, vint avec lui presque jusqu’à Jonville. Là, au bord de la route, s’élevait un grand bâtiment carré, une sorte d’usine, la succursale du Bon Pasteur de Beaumont, promise lors de la consécration de la commune au Sacré-Cœur, et qui fonctionnait depuis des années. Le beau monde clérical avait mené grand bruit de la prospérité qu’un tel établissement allait déterminer sans doute, toutes les filles des paysans placées, devenues d’habiles ouvrières ; une moralité plus grande, les paresseuses et les coureuses corrigées désormais ; un mouvement d’affaires pouvant, à la longue, doter le pays d’une industrie. Le Bon Pasteur confectionnait spécialement, pour les grands magasins de Paris, des jupons, des pantalons et des chemises de femme, toute la lingerie fine de corps, la plus ornée et la plus délicate. Sous la direction d’une dizaine de sœurs, il y avait là deux cents ouvrières, qui, du matin au soir, se tuaient les yeux sur ces