Page:Zola - Vérité.djvu/583

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riches dessous mondains, destinés à d’étranges fêtes dont les pauvres filles rêvaient peut-être les secrètes et ardentes fièvres ; et ces deux cents petites lingères obscures n’étaient qu’une infime partie des tristes mercenaires exploitées, car l’ordre avait des maisons d’un bout à l’autre de la France, près de cinquante mille ouvrières travaillaient dans ses ateliers, lui rapportaient des millions, à peine payées, mal traitées et mal nourries. À Jonville surtout, le désenchantement venait d’être prompt, aucune des belles promesses ne s’était réalisée, l’établissement semblait un gouffre où disparaissaient les dernières énergies de la contrée. Des rafles enlevaient les travailleuses des fermes, les paysans ne gardaient plus leurs filles, séduites par le rêve d’être des demoiselles, de vivre assises, occupées à des travaux légers. Très vite d’ailleurs elles se repentaient, il n’y avait pas de corvées plus atroces, les longues heures d’immobilité, l’épuisement d’une application continue, l’estomac vide, la tête lourde, sans sommeil l’été, sans feu l’hiver. C’était un bagne, où, sous prétexte de charité, d’œuvre salutaire aux bonnes mœurs, se trouvait pratiquée la plus effroyable exploitation de la femme, la chair broyée, l’intelligence abêtie, des bêtes de somme dont on tirait le plus d’argent possible.

Et, à Jonville surtout, des scandales éclataient, une fille presque morte de froid et de faim, une autre devenue à moitié folle, une autre jetée dehors sans un sou, après des années d’écrasante besogne, et qui se révoltait enfin, menaçant d’intenter aux bonnes sœurs un procès retentissant.

Marc s’était arrêté sur la route, regardant la vaste usine, silencieuse comme une prison, morte comme un cloître, où tant de vies jeunes s’épuisaient, sans que rien chantât au dehors le travail heureux et fécond.

— C’est encore, dit-il, une force de l’Église, si simple,