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Page:Zola - Vérité.djvu/651

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autrement vous n’avez rien de solide ni de décisif.. Il n’y était pas, puisque je l’ai vu sur la table, je le jure encore, devant Dieu !

Et il s’était approché de Marc, désordonné, sauvage, et il lui jetait dans la face ces cris où l’on sentait une sorte de provocation audacieuse, des vérités avouées effrontément sous la forme d’hypothèses, des mensonges masquant à peine l’effroyable scène qu’il devait revivre en d’affreuses délices démoniaques.

Marc, rejeté dans le trouble de son incertitude, voulut en finir, certain qu’il ne tirerait de lui rien d’utile.

— Écoutez, pourquoi vous croirais-je ? Vous venez me raconter une histoire, et c’est la troisième version que vous donnez de l’affaire… D’abord vous êtes d’accord avec l’accusation, le modèle vient de l’école laïque, vous n’y avez pas mis votre paraphe, et c’est Simon qui a imité ce paraphe, pour rejeter son crime sur vous. Ensuite, lorsque le coin portant le timbre, déchiré par le père Philibin, est retrouvé dans un dossier de celui-ci, vous sentez l’impossibilité de vous abriter davantage derrière le rapport stupide des experts, vous reconnaissez que vous êtes bien l’auteur du paraphe et que le modèle est sorti de vos mains. Enfin, aujourd’hui, poussé par je ne sais quel motif, vous me faites un nouvel aveu, vous me racontez comment vous avez vu le petit Zéphirin dans sa chambre, quelques minutes avant le crime, ayant sur sa table le modèle, grondé par vous et fermant ses volets… Réfléchissez, je n’ai aucune raison de croire que cette version est la dernière, et j’attendrai la vérité toute nue, s’il vous plaît de la dire un jour.

Le frère Gorgias, cessant sa promenade orageuse, s’était planté au milieu de la salle, maigre et tragique. Les yeux flambants, le visage convulsé d’un mauvais rire, il ne répondit pas tout de suite. Et il le prit sur un ton de moquerie.