Page:Zola - Vérité.djvu/68

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dans l’enfance, dans la primaire imbécillité. Avec Bongard, on descendait à la matière brute, incapable d’être juste, parce qu’elle ne savait rien et ne voulait rien savoir.

Marc prit à gauche, et après avoir traversé la Grand-Rue, se trouva dans le quartier pauvre de Maillebois. Des industries y empuantissaient la Verpille, toute une population ouvrière y occupait les rues étroites, aux maisons sordides. C’était là, rue Plaisir, que le maçon Doloir habitait un premier étage, quatre pièces assez grandes, au-dessus d’un marchand de vin. Et Marc, insuffisamment renseigné, le cherchait, lorsqu’il tomba justement sur un groupe d’ouvriers maçons, qui, venus d’une construction voisine, buvaient un verre sur le comptoir. Ils parlaient avec violence, ils discutaient sur le crime.

— Je te dis qu’un juif, c’est capable de tout, criait un grand blond. Il y en avait un au régiment, il a volé, et ça ne l’a pas empêché d’être caporal, parce qu’un juif, ça se tire toujours d’affaire.

Un autre maçon, un petit brun, haussait les épaules.

— D’accord, ça ne vaut pas grand-chose, les juifs, mais tout de même les curés, ça ne vaut pas mieux.

— Oh ! les curés, reprit l’autre, il y a du mauvais, il y a du bon. Et puis, les curés, c’est encore des Français, tandis que les juifs, les sales bêtes, ont déjà vendu deux fois la France à l’étranger.

Et, comme le second, ébranlé, lui demandait s’il avait lu cela dans Le Petit Beaumontais :

— Non, pas moi, ça me casse la tête, leurs journaux. Mais des camarades me l’ont dit, tout le monde le sait bien.

Les maçons, alors convaincus, firent silence, vidèrent lentement leurs verres. Ils sortaient de chez le marchand de vin, lorsque Marc, s’approchant, demanda au grand blond l’adresse du maçon Doloir. Et l’ouvrier se mit à rire.

— Doloir, c’est moi, monsieur, j’habite ici, ces trois fenêtres que vous voyez.