Page:Zola - Vérité.djvu/699

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rassembler, ramener à lui l’attention de la foule innombrable. Et, d’une voix aiguë, puissante encore :

— Écoutez-moi, écoutez-moi, je veux tout vous dire ! Mais on ne l’entendit pas, on ne l’écouta pas d’abord.

Il dut jeter le même cri, à deux, à trois, à dix reprises, avec une énergie croissante, inlassable. De proche en proche enfin, on le remarqua, on s’inquiéta ; et, lorsque des anciens l’eurent reconnu, lorsque son nom eut circulé de bouche en bouche, dans un frisson d’horreur, un silence de mort finit par s’établir d’un bout à l’autre de la vaste place.

— Écoutez-moi, écoutez-moi, je veux tout vous dire !

Sous le grand soleil, accroché d’une main à cette grille, dominant les têtes, il continuait à faire de l’autre main des gestes véhéments, comme s’il eût coupé l’air à coups de sabre. Et, serré dans sa redingote usée, l’air desséché, tordu, avec sa face noire au grand nez d’oiseau de proie, il apparaissait terrible, comme un revenant du passé, dont les yeux se rallumaient des feux abominables de jadis.

— Vous parlez de vérité et de justice, et vous ne savez rien, et vous n’êtes pas des justes… Vous m’accablez tous, vous faites de moi l’unique coupable, lorsque d’autres ont péché davantage. J’ai pu être un criminel, d’autres ont voulu mon crime, l’ont couvert et continué… Et, tout à l’heure, vous verrez bien si je n’avoue pas bravement mon péché, comme au tribunal sacré de la pénitence. Mais pourquoi donc suis-je le seul ici prêt à me confesser de la sorte ? pourquoi donc l’autre, mon maître, mon chef, le tout-puissant père Crabot, n’est-il pas là, prêt lui aussi à s’humilier et à tout dire ? Qu’il vienne, qu’on aille le chercher dans la retraite prudente où il se cache, et qu’il se confesse devant les hommes, et qu’il fasse pénitence avec moi !… Autrement, je parlerai, je crierai son crime avec le mien, car Dieu est en moi, le plus