Page:Zola - Vérité.djvu/751

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vie. Toujours nos pauvres cœurs saigneront, toujours nous les déchirerons dans des heures de passion exaspérée, malgré toute la santé et tout le bon sens que nous aurons pu conquérir. Et cela est peut-être l’aiguillon nécessaire du bonheur.

Un petit frisson froid avait comme pâli le clair soleil, tous sentirent passer en eux la grandeur triste de cet aveu de la douleur.

— Mais qu’importe ! continua-t-elle. N’ayez aucune crainte, grand-père, nous serons dignes et vaillants. Souffrir n’est rien, il faut seulement que la souffrance ne nous rende ni aveugles ni méchants. Personne ne saura que nous souffrons, et nous tâcherons même d’en être meilleurs, plus doux aux autres, plus désireux de diminuer sans cesse les causes de douleur qui existent par le monde… Et puis, grand-père, n’ayez aucun regret, dites-vous que vous avez fait votre possible, une tâche admirable qui nous donnera du bonheur humain tout ce que la raison peut en attendre. Le reste, la vie sentimentale, c’est l’amour de chacun qui le réglera pour son cas personnel, même parmi les larmes. Laissez-nous, François et moi, vivre, même souffrir à notre guise, car cela ne regarde que nous. Il suffit que vous nous ayez libérés tous les deux, que vous ayez fait de nous les personnes conscientes d’un monde du plus de vérité et du plus de justice possible… Et, puisque vous nous avez réunis, grand-père, ce ne sera pas pour empêcher une rupture dont le couple est le seul juge, ce sera pour nous donner à tous l’occasion de vous acclamer, de vous crier notre adoration, notre reconnaissance, en remerciement de votre œuvre.

Alors, toute la famille battit des mains, soulevée d’allégresse, comme si le soleil avait repris sa splendeur, glissant en nappes d’or par les hautes baies vitrées. Oui, oui ! c’était le triomphe du grand-père, dans cette classe où il avait tant lutté, où il avait donné au peuple de demain