Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

incorporés à elle. Les mots qu’ils profèrent ne sauraient l’exprimer. Ils en ont l’impression confuse, et dans les grandes villes ils sont comme des étrangers. Ils sont comme des barques échouées, poussées par les courants impétueux des sentiments nouveaux. Ils s’en effraient et n’osent les pénétrer. Ils acceptent bien de profiter du luxe et du confort que leur offre la vie moderne, avec les perfectionnements des arts et des métiers, et les améliorations de l’organisme social, mais, dans leurs poèmes, ils ne tiennent aucun compte de tous ces phénomènes qu’ils sont incapables de dominer. Ils reculent devant la tâche d’une transmutation de la valeur poétique, se refusant à l’émotion lyrique qui jaillit du monde nouveau. Ils se tiennent à l’écart. Ils fuient le présent et l’avenir, ces formes de l’éternel, pour se réfugier dans l’immuable. Ils chantent les étoiles, le printemps, le murmure invariable des sources, et la fable de l’amour ; ils n’abandonnent aucun des antiques symboles, et se confient aux anciens dieux. Ils ne poursuivent pas l’éternité jusque dans l’heure présente, dans la coulée du métal en fusion : ils se dérobent à cette forge, et ils grattent le sol froid du passé, comme s’ils voulaient toujours