Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/89

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Déjà, dans les Moines, le joyeux paysage à la Rubens s’était assombri, et dans le livre suivant : les Bords de la route, on dirait que la main grise des nuages s’est abattue sur le soleil. Ici toutes les couleurs qui peignent la vie sont éteintes ; nulle étoile ne resplendit dans ce ciel métallique aux reflets d’acier. Seule, la clarté froide et cruelle de la lune y coule parfois un sourire ironique. Ce sont là livres en accord avec les nuits livides pendant lesquelles les nuages enclosent le ciel de leurs ailes monstrueuses, le monde semble se rétrécir et les heures encerclent les choses ainsi que de chaînes glaciales et lourdes. Un froid intense est répandu sur cette œuvre. « Il gèle…[1] », tel est le début d’un poème, et ces lugubres syllabes reviennent comme sur la plaine sans limite le hurlement continu d’un chien. Le soleil est mort et les fleurs sont mortes. Les arbres et les marais même sont gelés en ces blancs minuits,

Et la crainte saisit d’un immortel hiver
Et d’un grand dieu soudain glacial et splendide.[2]

Dans sa fièvre, le poète rêve sans cesse de

  1. « La Barque » (les Bords de la route).
  2. « Le Gel » (les Soirs).