Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/94

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Certes, il n’y a là encore qu’une joie morbide, un sophisme, une victoire trompeuse du suicide sur la vie ; car, bien loin d’être un triomphe sur la destinée, celui-ci n’en est que la suprême déchéance. Mais cette erreur porte déjà en elle quelque sublimité. Par cette subite rentrée en scène de la volonté, la torture physique du système nerveux se transforme en phénomène psychique, la maladie du corps gagne l’intellect, la neurasthénie devient une déformation morale. Le conflit que la vie a fait naître dans sa personnalité se dédouble dans une certaine mesure. Il y a en lui deux éléments : l’un qui excite la douleur, l’autre qui la souffre : le tortionnaire et le torturé. L’âme veut divorcer d’avec le corps, s’arracher à ses tourments physiques :

Pour s’en aller vers les lointains et se défaire
De soi et des autres, un jour,
En un voyage ardent et mol comme l’amour
Et légendaire ainsi qu’un départ de galère ! [1]

Mais ces deux éléments demeurent liés l’un à l’autre : nulle fuite n’est possible, malgré le dégoût que le poète éprouve et qui l’adjure par

  1. « Là-bas » (les Bords de la route).