Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/95

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contraste de sauver au moins une part de lui-même, en l’amenant à plus de pureté, de calme et d’élévation. Jamais, je crois, un malade n’a ressenti plus vivement l’horreur de sa propre personne, jamais un vivant n’a manifesté plus fortement sa volonté de parvenir à la santé, jamais ces efforts n’ont été plus douloureux que dans ce livre de révolte diabolique contre soi-même. L’âme dans sa douleur se trouve scindée. Au sein de la même personnalité, le bourreau et la victime engagent une lutte terrible l’un contre l’autre. « Se cravacher dans sa pensée et dans  son sang[1] », et, enfin, au paroxysme de la fureur « me cracher moi-même[2] », tels sont les cris de haine et du dégoût de soi ; cris épouvantables, cris déchirants. Comme sous un coup de fouet, de toute sa force cabrée, l’âme s’arrache à la pourriture, à la souffrance du corps ; mais cette séparation reste impossible, et la sentir telle est la dernière des tortures. Dans cet effort d’arrachement, voici que vacillent déjà les premières lueurs de la folie.

Jamais — à l’exception de Dostoïewski — aucun poète n’a plus profondément fouillé d’un

  1. « Vers le cloître » (les Débâcles).
  2. « Un soir » (les Bords de la route).