Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/96

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scalpel plus cruel ses propres plaies jusqu’à effleurer les nerfs à vif. Jamais peut-être — sauf dans Ecce Homo de Nietzsche — aucun poète ne s’est approché autant de l’abîme de la vie, pour se repaître de la sensation de son vertige, du sentiment d’un mortel danger. L’incendie des nerfs a lentement gagné le cerveau. Mais, en vertu de son dédoublement, L’autre est demeuré en éveil ; il a remarqué que l’œil de la folie le guettait ; il en a subi la lente attirance et l’inévitable magnétisme. « L’absurdité grandit comme une fleur fatale[1]. » Avec une terreur douce et mystérieusement voluptueuse, il a senti s’approcher l’Horrible. Depuis longtemps il s’était rendu compte que ce déchirement intime avait chassé sa pensée du cercle de clarté. Et, dans un superbe poème, il a la vision du cadavre de sa raison flottant au fil de la Tamise, et nous décrit ainsi cette fin tragique :

Elle est morte, morte de trop savoir,
De trop vouloir sculpter la cause,
..............
Elle est morte, atrocement,
D’un savant empoisonnement,
Elle est morte aussi d’un délire,
Vers un absurde et rouge empire.[2]

  1. « Fleur fatale » (les Soirs).
  2. « La Morte » (finale du volume : Poèmes, nouvelle série).