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126 SULLY PRUDHOMME

Laissent les cœurs plus affamés; Les cœurs aimant jusqu'au martyre Ne sont jamais les plus aimés; Les yeux dont la douceur attire Sont, hélas! les plus tôt fermés; Ce qu'on a de plus tendre à dire Meurt dans les vœux inexprimés, Et les plus doux vers qu'on soupire Ne sont pas les plus renommés.

Ces vers nous révèlent les deux caractères de l'aspiration. Car toute aspiration comporte un élément de tristesse et un élément de joie. Aspirer, c'est tendre vers un objet qu'on désire : celui qui aspire souffre, puisqu'il est privé d'un bien qu'il convoite. Mais aspirer, c'est déjà entrevoir : on n'aspire pas à ce qu'on ignore et une aspiration ar- dente suscite une ferveur qui n'est pas sans ivresse. Il y a donc une aspiration mélancolique et une aspiration joyeuse : une aspiration qui est un aveu d'impuissance et une aspiration qui est une pro- messe de victoire. Ainsi le poète est tour à tour accablé et ravi, et son œuvre est l'expression nuancée et pathétique de ces mélancolies et de ces ivresses. En examinant d'abord les formes de sa mélancolie, nous constaterons qu'il a exprimé tous les motifs de la tristesse humaine, et que l'esprit d'analyse, ce mal issu d'Hamlet, est venu accroître encore son amertume.