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LA MÉLANCOLIE ET L'ESPRIT D'ANALYSE 143

ce désaveu que notre pensée s'inflige lorsque, se mirant elle-même et ne s'appuyantque sur elle- même, elle reproduit les anathèmes d'Hamlet contre l'univers dédaigné. Comme tous ceux qui remplacent l'observation de la vie par l'étude de leur tourment, il se blessa aux exercices mélan- coliques. Même sa faculté d'analyse rendit sa tristesse plus meurtrière en dissipant les illusions qui rattachent l'ennui romantique à l'espoir. Car l'univers, qui offrait du moins sa beauté aux plus désemparés, est dépouillé, par l'analyse, des pres- tiges de son décor. Les mirages, où les choses se transfigurent, se dissipent, et la nature apparaît décharnée et muette :

Le masque se déchire et par lambeaux s'envole.

Une des sources de la poésie semble tarie et le poète assiste à l'évanouissement des formes où s'enroulent les broderies de la fantaisie et du rêve :

Depuis qu'en tous les corps on a vu la dépouille Des tissus les plus lins grossir sous le cristal, Le regard malgré soi les dissèque et les fouille, Des apprêts île la forme inquisiteur brutal.

Plus de hardis coups d'aile à travers le mystère, Plus d'augustes loisirs! le poète a vécu. Des maîtres d'aujourd'hui la discipline austère Sous un joug dur et lent courbe sou Iront vaincu.

(Prologue de la Justice.)