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Page:Zyromski - Sully Prudhomme, 1907.djvu/158

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144 SULLY PRUDHOMME

L'analyse, qui a chassé le rêve, va éliminer la poésie, car la poésie meurt devant la vie qui se décolore. De plus en plus impitoyable, le poète applique les théories les plus dissolvantes sur la réalité du monde extérieur. Ce monde des phéno- mènes, avec l'éclat de ses apparences et l'har- monie de ses chansons, n'est qu'un « masque posé par notre sensibilité » sur l'univers. Le bleu dont on meurt parce qu'il est dans les prunelles est un mirage qui se dissipe dans le travail de la perception. La fantasmagorie des couchers de soleil s'écroule devant le savoir. L'azur d'un ciel de mai dont la vue insinue en nous « une joie à la fois immense et légère » est un leurre qui s'en va devant l'analyse spectrale et se dissipe dans ces « poussières de l'atmosphère qui colorent le firmament ». Ainsi tous les jeux de la lumière et de l'ombre, les reflets de l'aube et du cré- puscule , les splendeurs des soleils et l'éclat assourdi des voûtes nocturnes sont des mou- vements ondulatoires de l'éther : rien de moins, rien de plus.

Ce pouvoir d'analyse et de dissolution avait d'abord montré la fragilité de notre savoir, le mensonge de nos amours, le mirage de nos émo-