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22 SULLY PRUDHOMME

délire. Il juge et condamne ce qu'il y a de factice dans cette exaltation du sentiment. Dès ses pre- mières œuvres, sa sensibilité, au lieu dese répandre, se creuse. L'effusion désordonnée est remplacée par l'analyse émue.

Le poète n'est pas l'égaré, l'enthousiaste che- vauchant à travers les pays de la chimère. Sully proclame que le vrai poète sent en lui, avec une émotion sacrée, la présence d'un guide. Mais ce maître n'est plus la Muse, la Compagne mytholo- gique, ni le coursier impétueux de Mazeppa, ni l'être hallucinatoire et charmant qui enchantait Musset. Ce maître, infiniment exigeant, ordonne le respect d'un idéal, et le génie, au lieu de se répandre dans l'effusion du délire, devient la médi- tation du destin.

Ne craignons pas que Sully Prudhomme n'éli- mine l'ardeur en confondant l'inspiration avec la méthode. Autant que les romantiques, il a senti et exprimé la ferveur de cette vie intérieure, où dorment et s'exaltent, pour de nouvelles conquê- tes, les énergies qui ont fait le monde. Il a com- pris que notre personnalité véritable déborde notre personnalité consciente. Il a proclamé après Pascal que le cœur a des droits que la méthode ration-