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BLAISE PASCAL

si ardemment recherchée, il en estoit si satisfait, qu’il y mettoit son esprit tout entier ; de sorte que, pour peu qu’il s’y occupast il y avançoit tellement, qu’à l’âge de seize ans il fit un Traitté des Coniques qui passa pour un si grand effort d’esprit, qu’on disoit que depuis Archimedes on n’avoit rien veu de cette force. Tous les habiles gens estoient d’avis qu’on l’imprimast des lors, parce qu’ils disoient qu’encore que ce fût un ouvrage qui seroit toujours admirable, neantmoins, si l’on l’imprimoit dans le temps que celui qui l’avoit inventé n’avoit encore que seize ans, cette circonstance ajoûteroit beaucoup à sa beauté : mais comme mon frere n’a jamais eu de passion pour la reputation, il ne fit pas de cas de cela ; et ainsy cet ouvrage n’a jamais esté imprimé[1].

Durant tout ce temps-là, il continuoit toujours d’apprendre le Latin et le Grec ; et outre cela, pendant et apres le repas, mon pere l’entretenoit tantost de la Logique, tantost de la Phisique et des autres parties de la philosophie ; et c’est tout ce qu’il en a appris, n’ayant jamais esté au college, ni eu d’autres maistres pour cela non plus que pour le reste. Mon pere prenoit un plaisir tel qu’on en peut croire de ce grand progrez que mon frere faisoit dans toutes les sciences, mais il ne s’apperçut pas que les grandes et continuelles applications d’esprit dans un âge si tendre pouvoient beaucoup interesser sa santé ; et en effet, elle commença d’estre alterée des qu’il eut atteint l’âge de dix huit ans. Mais comme les incommoditez qu’il ressentoit alors n’estoient pas encore dans une grande force, elles ne l’empeschoient pas de continuer tousjours dans ses occupations ordinaires ; de sorte que ce fut en ce temps là et à l’âge de dix-neuf ans qu’il

  1. Vide infra, p. 252–260.