Palmira/XVII

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Maradan (2p. 98-108).


CHAPITRE XVII.




Tandis que cette scène se passait au dehors, il y en avait eu une autre dans l’intérieur. Madame de Mircour s’était rendue, enflammée de colère, dans son appartement en sortant de chez ladi Élisa. Elle y trouva son fils qui l’attendait en mourant d’impatience, et qui lui dit : Suis-je le plus heureux des hommes ? m’a-t-on accepté ? Vraiment ! je le crois bien ; on vous faisait là une belle grace ! Savez-vous bien quelle est votre belle Écossaise ? — Un ange certainement ! — Oui, un ange ! une insolente et audacieuse créature, je vous assure.

Elle ne veut donc pas de moi ? criait Charles, qui commençait à se désespérer. — Taisez-vous, extravagant ; écoutez-moi jusqu’à la fin. Un obstacle éternel vous en sépare : elle est bâtarde. — Que m’importe à moi ? mon amour lui tiendra lieu de tous les parens du monde. — Quelle idée ! Charles, quelle ignominieuse façon de penser ! Cette Palmira est fille de ladi Élisa et de mon frère Saint-Ange. — Elle est ma cousine ! c’est la fille de l’aimable ladi Sunderland ! Ô Palmira ! tu me deviens encore plus chère, et tu seras à moi. — Jamais, monsieur, jamais ! et sachez que votre âge ne vous laisse aucun moyen de vous déshonorer ainsi à volonté. Ce soir nous partons pour la France. — Vous, madame, si cela vous convient ; et moi je reste : je n’ai plus d’autre patrie que celle de Palmira. — Charles, qu’osez-vous dire ? — Une vérité, madame ; c’est que j’entreprendrai tout, plutôt que de renoncer à l’espoir, et au bonheur de ma vie.

Madame de Mircour s’emporta, le menaça, puis finit par le conjurer, au nom de sa tendresse, de se soumettre à la raison. — La raison, lui répondit-il, est de savoir braver de faux et odieux préjugés ; ainsi je me laisserai guider par elle.

Il s’échappa, et fut trouver milord Sunderland, déjà instruit par sa sœur ; il lui exprima sa passion, ses chagrins, de la manière la plus touchante, et le supplia de lui être propice. Milord l’assura qu’il eût favorisé son union avec une joie sincère ; mais il lui démontra l’impossibilité de ramener madame de Mircour, dont il était difficile d’ailleurs d’oublier la conduite outrageante ; puis, ajouta-t-il, vous connaissez assez miss Harville, pour penser que son ame élevée, susceptible, ne se ploiera jamais à l’idée d’entrer dans votre famille sans un consentement formel, et peut-être une réparation de l’indigne procédé qu’elle en a reçu. — Cela est juste, milord ; elle l’obtiendra, j’en suis certain. Ma mère est bizarre, ridiculement haute, mais elle m’aime beaucoup. Elle voudra conserver son fils unique, et vous la verrez réclamer, comme elle le doit faire, cette main si chérie.

Milord Sunderland lui demanda s’il était vrai que sa mère se préparât à un prompt départ. — Oui, milord, de même que moi à rester ici si vous me le permettez. Alors, ce premier l’engagea de ne pas braver ainsi sa famille, d’avoir la force de suivre madame de Mircour, assurant qu’il lui serait plus facile d’en obtenir ce qu’il desirait si ardemment. Soyez bien persuadé, continua-t-il, mon cher Charles, que mes vœux s’uniront à vos démarches : j’aimerais à vous confier le bonheur de ma charmante Palmira.

Ce ton sincère et affectueux ramena Charles à la condescendance que l’on exigeait de lui. Il promit donc de partir ; et, pressant les mains de milord sur son cœur, il le pria de l’accompagner chez ladi Élisa. Ils s’y rendirent sur-le-champ. Ses femmes dirent qu’elle était près de miss Harville, qui s’était trouvée excessivement mal. Cette nouvelle fut un coup de poignard pour Charles ; il en accusa sa mère ; il exagérait l’état de Palmira ; il était enfin au comble du désespoir.

Pour le consoler un peu, milord lui proposa d’aller, sous ses auspices, faire ses adieux à miss Harville. Par une faveur extrême, autorisée par ladi Élisa, M. de Mircour pénétra dans l’appartement de Palmira. Elle était couchée, horriblement fatiguée de la crise qu’elle avait essuyée ; mais le docteur Bolts avait déjà assuré que cela n’aurait pas la moindre suite.

Charles, en entrant, se jeta aux pieds de ladi Élisa avec une action vraiment touchante, la priant de ne pas haïr le nom de Mircour. — Non, Charles, lui répondit-elle, je ne verrai jamais en vous que le neveu de Saint-Ange. — Hé bien, au nom de cette mémoire sacrée, promettez-moi votre bonté, votre appui. Et vous, miss Harville, daignez me combler d’orgueil en me nommant votre parent, et en me faisant espérer un jour un titre plus doux.

Mon cousin, lui dit avec douceur Palmira, désarmée par son air affligé : Votre mère me l’a cruellement fait sentir, je ne dois unir à personne ma triste destinée. Recevez l’assurance de mes sentimens fraternels ; mais ne contrariez pas madame de Mircour, puisqu’en obtenant même son consentement, vous ne pourriez avoir le mien.

Charles fut accablé de cette décision. Il s’exhala en plaintes ; des larmes s’échappèrent de ses yeux ; il ne dissimula pas sa faiblesse. Oh ! si vous saviez comme je l’aime, disait-il, vous seriez persuadé que son cruel arrêt causera infailliblement ma mort. Milord Sunderland serra sa main. Élisa lui lança un regard où il puisa quelque espérance. Il se remit donc un peu ; et, après avoir répété plus de dix fois de tendres et douloureux adieux à Palmira, à ladi Élisa, il s’arracha d’auprès d’elles.

Milord le suivit. En rentrant dans l’appartement de ce dernier, ils y trouvèrent madame de Mircour, qui, avec un extrême embarras, venait prévenir milord qu’elle partait à l’instant même. Elle ne put s’empêcher de remercier ce noble et généreux hôte de tous ses procédés envers elle et son fils. Il lui répondit froidement ; mais il embrassa Charles avec une vive affection. Celui-ci, que la présence de sa mère ne contraignait pas, jura constance et amour à Palmira, même inflexible.

Suivez-moi, dit madame de Mircour avec humeur, je ne puis différer davantage. — Oui, madame, partons ; mais songez bien que mon cœur reste ici. En ce moment, sir Abel entra. Charles se jeta à son cou. Adieu, mon aimable ami ; parlez-lui de moi. Oh ! j’en fais la recommandation à la nature entière. Sir Abel, trop bon, trop sensible, pour se plaire dans l’affliction d’un homme dont il était secrètement rival, ne put cependant s’engager à remplir la mission dont on le chargeait, et se contenta de lui souhaiter tout le bonheur qui devait être la récompense d’un sentiment si pur et si ardent.

Madame de Mircour, dont le rôle était peu agréable en ce moment, prit son fils par le bras, salua ceux qui l’entouraient, et monta dans sa voiture pour retourner à Londres, et peu de jours après en France.