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Palmira/XXXII

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Maradan (3p. 130-141).


CHAPITRE XXXII.




Sans se faire annoncer, Palmira vit entrer dans son appartement Charles de Mircour, pâle, abattu, dans un état à faire pitié. Elle était trop malheureuse dans cet instant pour le gronder. Elle lui dit donc avec tristesse et bonté : Comment c’est vous, mon cousin ! Il lui répondit qu’il était le plus infortuné des hommes, obligé de se séparer d’elle, peut-être pour un an, une affaire de la plus haute importance exigeant à Saint-Domingue la présence de son père ou la sienne. Ce premier, encore affaibli de la grande maladie qu’il avait eue, ne pouvait entreprendre un voyage d’outre-mer. Il fallait donc que Charles se sacrifiât ; mais il interrompit bientôt son récit, pour exprimer l’étonnement qu’il avait éprouvé en rencontrant sir Alvimar sur la route de Paris. Je ne sais pourquoi, ajouta-t-il avec une sorte d’altération, son émotion était si visible lorsque je lui ai dit que je venais ici…, et je trouve Palmira dans l’abattement qui suit le désespoir, car, je m’y connais… Tout cela me rappelant d’autres circonstances me paraît fort étrange.

Vos remarques, lui dit avec hauteur Palmira, sont d’une insolence que je punirais par ma colère et mon mépris, si je ne vous connaissais pour un insensé. — Oh ! certainement, reprit Charles, je n’ai pas la modération, la douceur de sir Abel ; et je commence à croire qu’il est impossible de vous plaire en lui ressemblant si peu. Palmira, impatientée, voulut sortir de la chambre ; il se jeta à ses pieds en lui disant : Croyez-vous que je ne sois pas bien malheureux d’ajouter l’infernale jalousie aux autres supplices qui déchirent mon cœur ?

Elle lui demanda alors s’il venait pour la tourmenter. — Ô Dieu ! lorsque je ne puis rester avec vous que jusqu’à la fin du jour, m’embarquant après demain, moi, vous tourmenter ! Hélas ! je ne suis venu ici que pour vous combler de mes vœux, et vous assurer qu’un an, comme un siècle, et l’éternité, ne verront pas affaiblir mes sentimens pour vous… Je suis porteur aussi d’une lettre de notre excellente tante, madame de Saint-Pollin. Effectivement, il en remit une à Palmira. Tandis qu’elle en faisait lecture, Charles, se calmant un peu, la conjura de ne conserver nul ressentiment des soupçons qu’il avait osé lui exprimer, et qu’en ce moment il traitait d’absurdes. On finit par les lui pardonner, mais moins facilement peut-être que s’ils eussent été tout-à-fait sans fondement.

Ensuite Charles s’informa si sa cousine était contente de la maison Morsanes ; elle l’assura qu’elle avait tout lieu de l’être. Je crois leur crédit assuré, reprit M. de Mircour ; mais ils se lancent dans des entreprises qui les perdront, si elles ne les conduisent pas à la plus haute fortune ; et il est inquiétant de confier ses fonds à tant d’incertitude. J’en ai parlé à madame de Saint-Pollin : certaine de leur probité, elle ne veut pas me croire. Je voudrais bien que vous apportassiez plus de foi à mes observations.

Palmira répondit qu’elle devait partager l’opinion de sa tante, d’autant plus qu’elle entendait fréquemment vanter le succès des opérations de M. de Morsanes, et que, d’ailleurs, pour prix de ses procédés obligeans, elle n’irait pas lui retirer la gestion de sa petite fortune ; qu’au surplus elle croyait être dans les plus sûres mains du monde.

Charles le souhaita, en ajoutant qu’au fond il n’y avait aucun motif réel d’alarmes ; qu’il n’avait que des conjectures dont il avait cru devoir lui faire part. Mais que, si par malheur elles se réalisaient, il conjurait Palmira de se retirer près de sa tante, et qu’à son retour il se mettrait à la tête de ses affaires. Palmira sourit. Il continua vivement : Et la famille Saint-Ange n’est-elle pas votre débitrice ? n’avez-vous pas droit à différens héritages qu’elle a recueillis depuis que vous êtes née ? — Bon Charles ! je n’ai droit à rien ; demandez-le plutôt à madame de Mircour. — L’opinion de ma mère n’est pas celle de la majorité des êtres respectables qui seraient fiers de vous avouer pour être de leur sang.

Palmira le remercia, mais n’attacha pas la plus légère attention aux arrangemens qu’il voulait lui présenter, dans la crainte des évenemens. Dans cet instant madame de Morsanes parut, tenant à la main un billet de milord D…, qui la priait d’agréer les excuses et les regrets de deux amis qui étaient forcés de partir avant l’heure de pouvoir lui offrir leurs remercîmens de l’honorable réception qu’ils avaient trouvée chez elle ; mais, ajouta cette dame en appercevant M. de Mircour qu’elle connaissait déjà, voici un Français qui nous dédommagera de la perte de nos Anglais, quoiqu’ils soient réellement fort aimables, le plus jeune sur-tout ; comment l’appelez-vous ? — Sir Abel Alvimar. — Le charmant homme ! la belle figure ! quel ton doux et distingué ! comme il a chanté agréablement cette romance que vous avez accompagnée ! Touchante mélodie ! Ah ! je n’ai pas été surprise de voir couler vos pleurs.

— Vous pleurez, miss Delwine aux romances de sir Abel, répliqua Charles ; je ne vous croyais pas l’ame si tendre. Palmira lui lança un regard irrité. Madame de Morsanes, un peu étourdie de son naturel, ne s’en apperçut pas plus que de l’observation qu’avait faite Charles, et continua en disant : milord D… est parfaitement bien aussi, mais l’air si grave et si froid ! Oh ! j’aime bien mieux son ami ; et vous, miss ?

— Miss aussi, je vous assure, répondit Charles. Palmira, tout-à-fait mécontente, prit le bras de madame de Morsanes. Charles les suivit, bien triste de l’humeur que sa cousine lui témoignait, mais ayant toujours sur le cœur qu’elle eût pleuré à la romance chantée par Abel. Il chercha néanmoins à se réconcilier, et il n’y parvint que le soir.

Lorsque, pour la mille et unième fois depuis qu’il la connaissait, il fut rentré en grace, il lui demanda l’unique moyen de le faire résister au tourment d’une si longue absence. C’était une promesse bien chère qui calmerait ses souffrances. Oh ! ajouta-t-il, ne me regardez pas avec cet air dédaigneux, et assurez-moi que je vous trouverai libre à mon retour. — Soyez persuadé, Charles, votre absence durât-elle dix ans, que nul changement du genre dont vous le redoutez ne s’opèrera dans ma destinée. Cette déclaration que je ferais à toute la nature ne me lie en rien sans doute. — Hélas ! non ; mais me voilà bien plus tranquille.

Et il la quitta le plus tard possible, on peut juger avec quelle douleur, lui, qui gémissait de la longueur de la nuit lorsqu’après l’avoir vue le soir, il ne pouvait espérer de la rejoindre que le lendemain matin.

Cette visite inattendue avait un peu distrait Palmira ; mais, n’étant plus préoccupée par la présence tumultueuse de Charles, elle retomba dans ses vives agitations, qui ne la quittaient que pour faire place au plus profond abattement, deux extrêmes également insupportables. Elle sentit bien que le repos dont elle avait joui quelques instans était pour jamais troublé. Espérant cependant plus de calme en abandonnant les lieux où elle avait revu sir Abel, elle voulut absolument quitter le château de Morsanes, et retourner à l’abbaye de…

Elle y retrouva son appartement si agréablement rangé, les belles prairies sur lesquelles il donnait, ses livres, ses instrumens, mais non la paix, qui naguère répandait des charmes, sur ces différens objets.