Paméla mariée

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Paméla mariée
Traduction par Jean-Augustin Amar Du Rivier.
Reymann (2p. --203).


PAMÉLA MARIÉE,
COMÉDIE
EN TROIS ACTES ET EN PROSE.
Représentée à Rome en 1758.

PERSONNAGES

Mylord BONFIL.

Myladi PAMÉLA, son épouse.

Le Comte d’AUSPINGH, père de Paméla.

Myladi DAURE, sœur de Bonfil.

Le chevalier ERNOLD.

Mylord ARTUR.

Monsieur MAJER, envoyé par le secrétaire d’État.

Monsieur LONGMAN, intendant de Bonfil.

Madame JEFFRE, gouvernante.

ISAC, valet de chambre.


La Scène est à Londres, chez Mylord Bonfil.
PAMÉLA MARIÉ,
COMÉDIE.

ACTE PREMIER.


Scène PREMIÈRE[1].

Myladi PAMÉLA, Mylord ARTUR.
Artur.


Allons, Madame, allons ; consultez votre prudence ; et qu’un léger obstacle ne trouble point votre félicité. Vous le savez ; quelque amertume accompagne nécessairement les grandes fortunes. Mais votre vertu vous donnera, à cet égard, de meilleurs conseils que la bouche du monde la plus éloquente.

Paméla.

S’il n’était question que de moi, j’opposerais ma constance aux revers de la fortune mais il s’agit de mon père, il s’agit d’une personne qui m’est cent fois plus chère que moi-même ; et le danger qui le menace me fait trembler.

Artur.

Mylord votre époux ne négligera rien, sans doute, pour combler vos vœux à cet égard.

Paméla.

Mais comment s’est évanouie tout-à-coup la douce espérance de voir mon père rentrer en grace ? Vous m’aviez cependant assuré vous-même que le pardon était obtenu que le roi avait daigné accorder le rescrit.

Artur.

Il n’y a pas le moindre doute à élever sur tout ce que je vous ai dit. Mais vous savez la disgrace du secrétaire d’état : cet infortuné ministre se trouve remplacé par un successeur infiniment plus sévère[2]. Il arrive d’ailleurs, par une combinaison fâcheuse d’événemens que l’Irlande et l’Écosse semblent vouloir se soulever de nouveau. On s’occupe à Londres des moyens d’étouffer la révolte dans son principe ; et le ministère consentira difficilement à expédier, dans une semblable conjoncture, la grâce d’un homme coupable du même délit.

Paméla.

Plus d’espoir d’obtenir le pardon de mon malheureux père !

Artur.

On aura plus de peine ; il ne faut cependant désespérer de rien. Votre digne époux compte des amis puissans ; j’unirai mes efforts aux siens, et avec le temps, nous obtiendrons enfin cette grâce désirée.

Paméla.

Puisse le ciel hâter cette heureuse époque ! Mon père est impatient ; je le suis autant que lui. Le séjour de Londres m’est insupportable à présent. Mylord mon époux, m’a promis de me conduire dans son comté de Lincoln ; mais tant que cette affaire importante ne sera point terminée, nous différerons notre départ, et il faudra, quoiqu’il m’en coûte, me résoudre à rester ici.

Artur.

Qui peut donc vous rendre si insupportable désormais le séjour de la ville ?

Paméla.

J’ai, depuis le peu de jours que je suis mariée, cent motifs de m’y déplaire.

Artur.

Peut-être votre époux ne vous témoigne-t-il pas aujourd’hui tout l’amour qui caractérisa ses premières démarches ?

Paméla[3].

Ah ! bien au contraire ! Son amour augmente de jour en jour. C’est une peine pour lui, que de s’éloigner de moi ; et moi, je le voudrais voir sans cesse à mes côtés. Mais je suis assiégée d’une foule de visites ; étourdie d’un tas de vains complimens. Plus d’une heure avant mon lever, l’antichambre se remplit de gens oisifs, qui, sous le prétexte honnête de me venir souhaiter le bon jour, viennent me fatiguer de leur présence. La bienséance veut que je les reçoive, et il faut, pour cela, que je me sépare de mon époux. Il me faut perdre des heures précieuses à m’ennuyer dans un cercle ; et si je témoigne quelque empressement à me retirer la gravité anglaise se déride, et trouve, dans ma conduite, la matière de quelques mauvaises plaisanteries. Plus tard, arrivent les Dames accompagnées de leurs Chevaliers : je n’en ai vu aucune encore se présenter avec son époux. On dirait qu’ils rougissent en public du nœud qui les rassemble. Mylord lui-même, Mylord qui a tant d’amour pour moi, craint également de s’exposer aux traits du ridicule s’il sort avec moi, ou s’il se trouve avec moi dans un cercle. Il faut que j’aille sans lui à la promenade ; deux fois déjà j’ai été au spectacle, privée de son aimable compagnie. Un tel genre de vie ne peut ni me plaire, ni me convenir. Je ne me suis point mariée pour jouir de ma liberté, mais pour trouver le bonheur dans la plus douce des chaînes ; et s’il est impossible de vivre à son gré dans une grande ville, je soupire après les douceurs de la retraite, et je préfère aux prétendus agrémens d’une vie tumultueuse, la compagnie de mon cher époux.

Artur.

Ah ! que la société des femmes serait charmante, si toutes pensaient comme vous, Madame ! Mais le contraire, hélas ! se voit trop communément.


Scène II.

Les Mêmes, ISAC.
Isac.


Madame ?

Paméla.

De quoi s’agit-il ?

Isac.

Je viens annoncer.

Paméla.

Quelque visite ?

Isac.

Oui, Madame.

Paméla.

Je vous ai dit cependant que je ne voulais recevoir personne ce matin.

Isac.

J’en ai congédié six déjà ; mais le septième ne veut pas s’en aller.

Paméla.

Et qui est-ce encore ?

Isac.

Le chevalier Ernold.

Paméla.

Celui précisément, dont la présence me fatigue le plus. Dites-lui, je vous prie, qu’il veuille bien m’excuser ; mais que je suis occupée, et que je ne puis le recevoir aujourd’hui.

Isac.

Cela suffit, Madame.

(Il va pour sortir, et rencontre Ernold, qui le heurte violemment : Isac sort.)

Scène III.

Les Mêmes, le chevalier ERNOLD.
Ernold.


Madame, je brûlais d’impatience de vous pouvoir présenter le bonjour. Je présume bien que cet étourdi de laquais ne vous a pas dit qu’il y a un quart d’heure que je fais antichambre.

Paméla.

Si vous aviez eu la bonté de patienter un moment de plus, ce même laquais allait vous dire que je vous suppliais de vouloir bien me dispenser, pour ce matin, de recevoir votre visite.

Ernold[4].

J’ai donc très-bien fait de prévenir sa réponse : je me serais privé, en l’attendant, du plaisir de vous voir. Je sais, moi qui ai voyagé, que les Dames sont un peu trop avares de leurs bonnes grâces ; et que, pour posséder une faveur, il faut souvent la dérober.

Paméla[5].

Je n’en accorde, Monsieur, ni par habitude mi par surprise. Quand un Cavalier me rend visite, je lui sais bon gré de la peine qu’il se donne : mais prétendre me forcer à le recevoir ! ce n’est plus un hommage ; c’est une marque formelle de mépris. Je ne sais comment interpréter votre conduite ; ce dont je suis bien sure c’est qu’elle me semble un peu hardie : et avec la même franchise qui vous a introduit ici sans mon aveu, je puis, je crois, prendre, à votre

exemple, la liberté de me retirer. (Elle sort.)

Scène IV.

Milord ARTUR, le Chevalier ERNOLD.
Ernold.


Ma foi, je n’ai trouvé nulle part de femme comme celle-là : c’est un caractère tout particulier… Oh ! si nous avions ici un certain poëte Italien que j’ai connu beaucoup à Venise, je suis sûr qu’il mettrait ce personnage-là sur la scène.

Artur.

Monsieur, si nous avions en effet ici le poëte dont vous parlez, il est possible qu’il se servît de votre caractère, de préférence encore à celui de Paméla.

Ernold.

Ah ! mon cher ami, je vous pardonne bien volontiers de prendre un peu sa défense. Pardon ! je suis venu troubler une conversation intéressante ! Je me suis trouvé, à Lisbonne, dans un cas tout-à-fait semblable. J’étais tête-à-tête avec une jeune mariée : dans l’instant même où un triomphe heureux assurait ma conquête, arrive tout-à-coup un maudit Portugais… Je l’aurais, je crois, assommé dans la fureur où j’étais.

Artur.

Votre discours offense une femme irréprochable, et un homme d’honneur.

Ernold.

Allons donc, Mylord, vous me faites rire. Je ne crois point du tout vous offenser en supposant quelqu’inclination entre vous et Paméla. Moi qui ai voyagé, j’ai vu des milliers de ces amours sympathiques.

Artur.

Vous n’en pouvez dire autant ni d’elle, ni de moi.

Ernold.

Comment donc ? Je ne pourrai pas le dire ? Je vous trouve seuls dans un appartement : la porte est fermée pour tout le monde. Paméla se fâche, parce qu’on la dérange : vous vous emportez, parce que je vous surprends ; et vous voulez que je vous croie sans passion… ? Allons donc, allons donc : ce n’est point à un voyageur que l’on fait de ces contes-là.

Artur.

Je comprends fort bien qu’un voyageur qui n’a étudié que les ridicules des étrangers, croit difficilement à la vertu.

Ernold.

Je sais distinguer le bon, le ridicule, et l’impertinent.

Artur.

S’il en était ainsi, vous seriez le premier à condamner l’audace de votre procédé.

Ernold.

J’en conviens ; il y a de l’audace à m’être introduit ici malgré sa défense : mais je n’ai point agi sans dessein. Myladi seule, pouvait refuser de me recevoir ; en compagnie, elle ne me devait point faire un semblable affront. La partialité qu’elle montre pour vous ne part point d’une ame indifférente. Je m’en suis justement offensé, et j’ai voulu venger mon outrage, en lui faisant un reproche mérité.

Artur.

Vous êtes coupable à la fois et d’un faux soupçon, et d’un mauvais procédé. Vous ne savez point vous conduire auprès des femmes.

Ernold.

Ni vous avec les hommes.

Artur.

Je vous répondrai ailleurs. (Il fait un mouvement pour sortir.)

Ernold.

Où, et comme il vous plaira,


Scène V.

Les Mêmes, Mylord BONFIL.
Bonfil.


Ah ! mes amis…

Artur.

Mylord… (Il va pour sortir.)

Bonfil.

Où allez-vous ?

Artur.

Une affaire…

Bonfil.

Arrêtez. Vous paraissez émus l’un et l’autre ; puis-je savoir la cause de votre différend ?

Artur.

Vous saurez tout : mais veuillez m’en dispenser pour le moment.

Ernold.

Mylord Artur n’a pas le courage de parler.

Bonfil.

Ernold, vous me mettez au supplice : ne me déguisez point la vérité.

Ernold.

Mylord s’est fâché contre moi, parce que je l’ai surpris ici tête à tête avec votre épouse.

Bonfil (à Artur avec la plus grande surprise.)

Mylord !

Artur (à Bonfil.)

Vous nous connaissez l’un et l’autre.

Ernold.

Mylord Artur est philosophe : je ne le crois pas néanmoins ennemi de l’humanité ; et si j’avais une femme, ma foi, je ne l’exposerais pas au danger du tête à tête.

Bonfil (à Artur.)

Tête à tête, Mylord !

Artur.

Ami, vos soupçons sont plus injurieux pour moi, que les impertinences de Monsieur. Quiconque ose, un moment, révoquer en doute la délicatesse de mon honneur, n’est pas digne de mon amitié. (Il sort.)


Scène VI.

Mylord BONFIL, ERNOLD.
Ernold.

Au plaisir de vous revoir.

Bonfil.

Arrêtez.

Ernold.

Eh ! laissez-moi le suivre : Artur ne m’effraye pas.

Bonfil.

Parlez-moi franchement.

Ernold.

Je ne manque, grace au ciel, ni de cœur, ni d’esprit, ni d’adresse.

Bonfil (avec supériorité.)

Répondez-moi.

Ernold.

J’ai voyagé… !

Bonfil (avec plus de chaleur encore.)

Répondez-moi, vous dis-je.

Ernold.

Eh, bien ! à quoi voulez-vous que je réponde ?

Bonfil.

Aux questions que je vais vous faire. Comment avez-vous trouvé Mylord Artur et Paméla ?

Ernold.

Tête à tête.

Bonfil.

Où ?

Ernold.

Dans cet appartement.

Bonfil.

Quand cela ?

Ernold.

Il n’y a qu’un moment.

Bonfil.

Comment êtes-vous entré ?

Ernold.

Eh ! parbleu par la porte.

Bonfil.

Ne tournez point ma question en ridicule, s’il vous plaît : je vous demande si vous vous êtes fait annoncer à Paméla ?

Ernold.

Oui, et elle m’a fait répondre qu’il lui était impossible de me recevoir.

Bonfil.

Et vous êtes entré, malgré cela ?

Ernold.

Je suis entré, malgré cela.

Bonfil.

Pourquoi ?

Ernold.

Eh ! mais, par curiosité.

Bonfil.

Et le motif de cette curiosité ?

Ernold.

J’étais bien aise de voir ce que faisaient ensemble Mylord et votre épouse.

Bonfil (impatienté.)

Que faisaient-ils ?

Ernold (avec une intention maligne.)

Oh ! ils causaient.

Bonfil.

Que dirent-ils à votre aspect ?

Ernold.

La Dame rougit, et le Cavalier pâlit.

Bonfil.

Paméla rougit ?

Ernold.

Oui ; et ne pouvant contenir plus long-temps son dépit, elle est sortie, en me traitant avec la dernière indécence. Artur a pris ensuite sa défense, s’est oublié jusqu’à m’insulter ; et voilà l’origine de notre différend.

Bonfil.

Évitez de vous rencontrer pour le moment.

Ernold.

Dans tout autre pays, je lui eusse passé sur l’heure mon épée à travers le corps.

Bonfil.

Vous n’êtes pas le seul intéressé dans cette affaire ; elle me touche de plus près que vous encore votre contestation peut compromettre ma réputation. Ou vos soupçons sont faux ; ou ils ont un motif quelconque c’est ce qu’il faut approfondir, avant d’aller plus loin, Restez ici pour quelques heures seulement, et faites-moi le plaisir de ne point franchir ma porte, avant que je vous le dise.

Ernold.

Volontiers : j’enverrai cependant mon laquais prendre mes pistolets ; et si Artur se refuse à la satisfaction que j’ai droit d’en attendre je lui ferai sauter la cervelle. Morbleu ! j’ai voyagé, moi ! je ne souffrirai jamais une insulte et je sais comme il faut se conduire par-tout. (Il sort.)


Scène VII[6].

Mylord BONFIL, ensuite ISAC.
Bonfil.


Mylord Artur tête à tête avec mon épouse ! Eh bien ! quel mal y a-t-il à cela ? Ne peut-il pas… ? Mais pourquoi refuser, pendant leur entretien, de recevoir une autre visite ? J’en vois la raison : Paméla ne peut pas souffrir Ernold. Piqué de se voir mal accueilli, celui-ci aura formé des soupçons injurieux à mon épouse, et la vengeance lui aura inspiré le dessein de la tourmenter. Non, Artur n’est point capable… Pourquoi cependant ne se pas justifier en présence du chevalier ? pourquoi s’emporter à ce point ? Pourquoi provoquer une contestation ? Il faut de fortes raisons pour prendre un tel parti… Artur est un galant homme ; Artur est mon ami… Mais il est homme comme moi, et ma Paméla est adorable ! oui adorable ; et c’est pour cela précisément que je rougis déjà d’avoir pu douter un moment de sa vertu. Ce sont moins ses attraits encore qui la rendent aimable, que son honnêteté. À des mœurs naturellement honnêtes, elle joint aujourd’hui la connaissance de son origine, le respect du nœud sacré qui l’unit à moi, et la reconnaissance pour un époux qui l’adore. Non, non ; mon cœur n’a rien à redouter ni d’Artur ni de Paméla. Ernold est un traître, un imposteur ; je lui ai pardonné un premier tort, je ne lui en pardonnerai point un second. Hola ! quelqu’un ?

Isac.

Monsieur.

Bonfil.

Où est le chevalier ?

Isac.

Dans la galerie avec myladi Daure.

Bonfil.

Elle est ici, ma sœur ?

Isac.

Oui, Monsieur.

Bonfil.

A-t-elle vu mon épouse ?

Isac.

Non, Monsieur.

Bonfil.

Que fait-elle donc ? Pourquoi ne pas entrer ?

Isac.

Elle cause en particulier avec le chevalier.

Bonfil.

Avec le chevalier ?

Isac.

Oui, Monsieur.

Bonfil.

Dis-leur à tous deux qu’il me fassent le plaisir de venir ici. Non, reste ; j’irai les trouver.

Isac.

Voilà myladi Daure.

Bonfil.

Laisse-nous.

Isac.

Oui, Monsieur. (Il sort.)


Scène VIII.

Mylord BONFIL, ensuite Myladi DAURE.
Bonfil (encore seul.)

Oui ; il vaut mieux que je parle à Myladi, elle dira de ma part à son neveu ce que je me proposais de lui faire savoir.

Myladi (de loin.)

Puis-je entrer ?

Bonfil.

Entrez.

Myladi.

Êtes-vous aujourd’hui d’humeur à parler ?

Bonfil.

Oui, j’ai besoin d’un moment d’entretien avec vous.

Myladi.

Vous me paraissez troublé.

Bonfil.

J’ai sujet de l’être.

Myladi.

Je vous plains. Depuis que Paméla à changé de condition, on dirait en effet qu’elle veut changer de conduite.

Bonfil.

Et les motifs de l’outrage que vous lui faites ?

Myladi.

Le chevalier m’a tout dit.

Bonfil.

Le chevalier est un fou.

Myladi.

Mon neveu mérite plus d’égard.

Bonfil.

Et mon épouse plus de respect.

Myladi.

Si vous ne la contenez dans les bornes du devoir, elle est femme comme les autres.

Bonfil.

Qu’offre, s’il vous plaît, sa conduite de répréhensible ?

Myladi.

Les femmes prudentes sont inaccessibles aux soupçons.

Bonfil.

Et à quel soupçon peut-elle donner lieu ?

Myladi.

Je n’aime point cette grande familiarité avec mylord Artur.

Bonfil.

Mylord Artur est mon ami.

Myladi.

Dans ces sortes d’affaires, les amis peuvent souvent bien plus que les ennemis.

Bonfil.

Son caractère m’est connu.

Myladi.

Ne pourriez-vous pas vous tromper par hasard ?

Bonfil.

Vous voulez chasser la paix de mon ame.

Myladi.

Je suis jalouse de votre honneur.

Bonfil.

Avez-vous de bonnes raisons à me donner, pour justifier mes doutes à cet égard ?

Myladi.

Le chevalier m’a dit…

Bonfil.

Ne me parlez point du chevalier. Sa prudence n’est plus un problème pour moi, et je n’ajoute aucune foi à ses discours.

Myladi.

Vous ferai-je part d’une pensée qui m’est venue ?

Bonfil.

Oui, quelle est-elle ? voyons.

Myladi.

Vous rappelez-vous avec quel zèle, avec quelle force de raisonnemens, Artur vous détournait du projet d’épouser Paméla ?

Bonfil.

Sans doute je m’en rappelle ; et que concluez-vous des conseils que me donnait cet excellent ami ? N’étaient-ils pas fondés sur la raison ?

Myladi.

Mon frère, les raisons d’Artur pouvaient être fort bonnes par-tout ailleurs. Mais à Londres, un gentilhomme ne déroge point à sa noblesse, en épousant une fille pauvre et sans nom, mais honnête. Ce n’est point la bassesse supposée de sa condition qui m’animait contre Paméla ; je voyais seulement avec peine le germe d’une ambition cachée, qui déjà me paraissait se développer en elle : mylord Artur, qui n’est point de vos parens, ne pouvoit faire cette remarque. Il y a plus, en rapprochant sa conduite d’alors de ses fréquentes entrevues d’aujourd’hui on pourrait hasarder la conjecture qu’il ne vous conseillait de renoncer à Paméla, que pour en faire lui-même sa conquête.

Bonfil.

Votre imagination va beaucoup trop loin.

Myladi.

Croyez-moi, mon frère ; je me trompe rarement.

Bonfil.

Je crois cependant que vous êtes dans l’erreur aujourd’hui.

Myladi.

Je le désire, sans m’en flatter.

Bonfil.

Quoi ! vous pensez qu’il y a eu de l’amour entre mylord Artur et Paméla ?

Myladi.

Peut-être.

Bonfil.

Peut-être ?

Myladi.

Je n’y vois point de difficulté.

Bonfil.

Et j’y en trouve, moi, beaucoup. Artur et Paméla sont deux ames nourries des principes de la vertu.

Myladi.

Vous me faites rire, en vérité. On n’a jamais vu de ces cœurs vertueux céder aux charmes de l’amour, n’est-il pas vrai ?

Bonfil.

Myladi, c’en est assez. Je voudrais être seul pour l’instant.

Myladi.

J’irai causer avec mon neveu.

Bonfil.

Dites-lui qu’il me fasse le plaisir de se retirer, et de ne plus, à l’avenir, remettre ici les pieds.

Myladi.

Voulez-vous qu’il se passe quelque chose entre lui et mylord Artur ? Cette inimitié peut compromettre l’honneur de votre maison.

Bonfil (à part.)

Dans quel cahos d’idées je me trouve abymé !

Myladi.

Mylord, je vous laisse ; nous nous reverrons.

Bonfil.

Oui ; nous nous reverrons.

Myladi (à part.)

Paméla ne cesse de me desservir, ainsi que mon neveu, dans l’esprit de Mylord. Notre présence lui pèse, preuve certaine que nous la gênons, et qu’elle voudrait avoir plus de liberté. Je ne crois certes pas la juger mal en la regardant comme une franche

coquette. (Elle sort.)

Scène IX.

Mylord BONFIL, ensuite ISAC.
Bonfil (appelle.)


Quelqu’un ?

Isac.

Monsieur.

Bonfil.

Dites à Myladi mon épouse qu’elle vienne ici.

Isac.

Oui, Monsieur. (Il sort.)


Scène X.

Mylord BONFIL (seul.)


Je ne sais si ma sœur parle de bonne foi, ou avec de mauvaises intentions… Je soupçonne qu’elle n’a déposé qu’en apparence seulement la haine qu’elle nourrissait contre Paméla… Oui, cette femme vertueuse est encore persécutée. Si elle avoit en effet pour Artur l’inclination qu’on lui suppose, m’eût-elle pressé tous les jours de la conduire au comté de Lincoln ? Elle m’a beaucoup mieux jugé ; elle connaît ses ennemis, et elle ne peut se résoudre à les accuser auprès de moi. Voilà pourquoi sans doute elle abhorre un séjour dangereux pour elle. Je la vois : je veux

la satisfaire.

Scène XI.

Mylord BONFIL et Myladi PAMÉLA.
Paméla.


Mylord, je me rends à vos ordres.

Bonfil.

Ce titre de Mylord est déplacé dans la bouche d’une épouse.

Paméla.

Eh bien ! cher époux, qu’avez-vous à me commander ?

Bonfil.

J’ai résolu de vous satisfaire.

Paméla.

Votre seule étude est de prévenir tous mes vœux et de me combler de bienfaits. Que vous proposez-vous donc d’ajouter aujourd’hui à tout ce que vous avez fait pour moi ?

Bonfil.

Nous partons, dans deux heures, pour le comté de Lincoln,

Paméla (avec surprise.)

Dans deux heures !

Bonfil.

Oui ; préparez quelque chose pour votre usage : Jeffre se chargera du reste.

Paméla (à part.)

Hélas il ne songe plus à mon père !

Bonfil (à part.)

Elle se trouble : ce projet semble lui déplaire.

Paméla.

Monsieur……

Bonfil.

Êtes-vous fâchée de quitter le séjour de la ville pour celui des champs ?

Paméla (tristement.)

Je serai toujours prête à vous obéir.

Bonfil (à part.)

Elle me fait naître des soupçons.

Paméla (à part.)

Je ne me sens pas la force de le fatiguer de mes plaintes.

Bonfil.

Paméla, quel est donc ce changement ? Ces jours passés, Londres vous était insupportable ; et il vous en coûte aujourd’hui de l’abandonner ?

Paméla.

Si vous le désirez, partons.

Bonfil.

Je ne désire d’y aller, que pour vous faire plaisir.

Paméla.

Je vous remercie de tant de bontés.

Bonfil.

Cette froideur me surprend de votre part.

Paméla.

Pardonnez ; mais mon cœur est brisé par la douleur.

Bonfil.

Et quel en est le motif, Madame ?

Paméla.

La situation de mon malheureux père !

Bonfil.

De votre père ! eh bien ?

Paméla.

Ah ! Mylord, il m’en coûterait de m’éloigner de lui ?

Bonfil.

Que lui peut-il manquer chez moi ?

Paméla.

Le premier de tous les biens : la liberté !

Bonfil.

Elle est différée encore pour le présent.

Paméla.

Je ne le sais que trop !

Bonfil.

Qui vous l’a dit ?

Paméla.

Mylord Artur.

Bonfil.

Vous avez eu un entretien avec mylord Artur ?

Paméla.

Oui, Mylord.

Bonfil.

Aviez-vous des témoins ?

Paméla.

Aucun.

Bonfil.

Aucun ?

Paméla.

Tout ce qui regarde mon père, demande à être traité dans le plus grand secret.

Bonfil (à part.)

Elle a raison.

Paméla.

Vous aurais-je déplu, en parlant avec mylord Artur ?

Bonfil.

Non, point du tout.

Paméla.

C’est le seul cavalier que j’estime : je le crois aussi honnête que sincère.

Bonfil.

Oui ; c’est un ami vrai.

Paméla.

Et bien digne de votre amitié. Il parle bien, a un cœur excellent, et réunit au plus haut degré la douceur et la civilité des manières.

Bonfil (à part.)

Il y a bien de la chaleur dans cet éloge !

Paméla.

Il s’intéresse si vivement à mon pauvre père !

Bonfil (à part.)

Si c’est là le motif qui dicte son éloge, il n’a rien que de louable.

Paméla.

Est-il possible, mon cher époux ! que rien ne nous réussisse pour adoucir ses maux ?

Bonfil.

Nous y parviendrons, soyez en sûre.

Paméla.

Mais, quand, hélas !

Bonfil.

Quand ? Quand ? Le plutôt que nous pourrons.

Paméla (à part.)

Il s’emporte aisément ; et ce léger défaut me fait bien de la peine en lui.

Bonfil.

Disposez-vous à partir.

Paméla.

Je serai prête quand vous l’exigerez.

Bonfil.

Dites à Jeffre qu’elle vienne ici.

Paméla (avec soumission.)

Vous serez obéi.

Bonfil.

Si cela vous fait de la peine, ne venez pas.

Paméla.

Je ne puis qu’être satisfaite, quand je suis auprès de vous.

Bonfil.

Voulez-vous que nous invitions de la compagnie ?

Paméla.

Mon goût particulier ne serait pas d’avoir du monde.

Bonfil.

Engageons-nous Artur à nous accompagner ?

Paméla.

Mylord Artur me déplairait moins qu’un autre.

Bonfil.

Vous aimez la société de Mylord ?

Paméla.

Je ne la désire point : mais je ne serais pas fâchée qu’il s’y trouvât.

Bonfil (à part.)

Oui, je la crois innocente. Écartons tout soupçon à son égard. (Haut.) Nous n’aurons personne pour l’instant : mais si vous vous ennuyez, nous reviendrons à Londres.

Paméla.

Ah ! je ne suis occupée que de mon père.

Bonfil.

Parlez-lui : assurez-le bien que ses intérêts, que les vôtres, ne s’éloignent pas un moment de ma pensée… Songez au départ.

Paméla.

Je serai prête, quand il vous plaira de partir.

(Elle sort.)[7]

Scène XII.

Mylord BONFIL, ensuite Mme JEFFRE.
Bonfil.


Malheureux le cœur accessible au poison de la jalousie ! je n’ai point sujet d’être jaloux : mais si je l’étais jamais, je ne serais, je le sens, je ne serais plus un homme… Je n’empêcherai jamais Pamela de recevoir du monde ; mais je ne veux plus souffrir de ces tête-à-tête. Elle s’est cependant trouvée ici avec mylord Artur… C’est un hasard, dont on ne peut rien conclure : ils n’ont eu ni l’un ni l’autre de mauvaises intentions. Voilà Jeffre : sachons d’elle comment tout cela s’est passé ; mais sans lui donner lieu de rien soupçonner : déguisons sur-tout ma faiblesse.

Mme Jeffre.

Qu’ordonne Monsieur ?

Bonfil.

Où est votre maîtresse ?

Mme Jeffre.

Dans sa chambre.

Bonfil.

Elle est seule ?

Mme Jeffre.

Seule. Avec qui voulez-vous qu’elle soit ?

Bonfil.

Mais c’est un concours de visites…

Mme Jeffre.

Oui, qu’elle reçoit par force. Son indifférence est égale pour tout le monde, et elle s’en débarrasse le plutôt possible.

Bonfil.

Fort bien, pourvu qu’il n’y ait point de tête-à-tête.

Mme Jeffre.

Oh ! que dites-vous ? Pour cela, par exemple, il n’y a pas de danger.

Bonfil.

Elle ne s’est jamais trouvée tête-à-tête avec quelqu’un ?

Mme Jeffre.

Non certainement. (À part.) Si je lui parle de mylord Artur, il est homme à en concevoir de l’ombrage[8].

Bonfil.

Vous êtes bien sûre de ce que vous dites-là ?

Mme Jeffre.

Très-sûre, Monsieur, très-sûre.

Bonfil.

Jeffre, ne commencez point à me débiter des mensonges.

Mme Jeffre.

Moi ! je ne dirais pas une fausseté pour tout l’or du monde.

Bonfil.

Ainsi vous ignorez qu’Artur est resté assez long-temps tête-à-tête avec mon épouse ?

Mme Jeffre (à part.)

Maudits espions ! ils lui ont déjà tout dit.

Bonfil.

Répondez-moi : vous l’ignorez donc ?

Mme Jeffre.

Je suis en vérité bien surprise que l’on vous dise de telles choses, et que vous les croyez.

Bonfil.

Mylord Artur n’est pas venu ici ?

Mme Jeffre.

Pardonnez moi… il est bien venu…

Bonfil.

Eh bien pourquoi donc jouer d’étonnement ?

Mme Jeffre.

C’est que je ne reviens pas qu’on vous aie dit qu’ils étaient seuls ensemble.

Bonfil.

Et qui donc était présent à leur entretien ?

Mme Jeffre.

Moi, Monsieur : et j’étais tout yeux et toute oreille encore.

Bonfil.

Oui ? dites-moi donc, en ce cas là, ce dont-ils ont parlé ?

Mme Jeffre (à part.)

Que diable lui dire à présent ? (Haut.) Ma foi, ils ont parlé de différentes choses, dont je ne me souviens pas.

Bonfil.

Donc vous n’avez point écouté ; donc vous mentez impudemment.

Mme Jeffre.

Eh ! vous me feriez vingt fois donner au diable. Ils ont parlé de choses indifférentes.

Bonfil.

Mais de quoi, encore ?

Mme Jeffre.

Que sais-je, moi ? de modes, de bonnets, d’habits, de galanterie.

Bonfil.

Ce ne sont point là les conversations de Mylord.

Mme Jeffre.

Cependant…

Bonfil.

Sortez.

Mme Jeffre.

Je ne voudrais pas que vous crussiez…

Bonfil.

Sortez, vous dis-je.

Mme Jeffre (à part en s’en allant.)

Oh ! pour cette fois, je suis en vérité toute confuse.


Scène XIII.

Mylord BONFIL, ensuite ISAC.
Bonfil.


Cette femme réveille mes soupçons. Je sais qu’elle ne dit point la vérité… Si elle veut, par-là, excuser sa Maîtresse, il y a donc du mystère ? Paméla ne m’a point dit avoir parlé à Mylord en présence de la gouvernante… Celle-ci y met plus d’artifice… C’est un point qu’il faut éclaircir. (Il appelle.) Y a-t-il quelqu’un là ?

Isac.

Monsieur.

Bonfil[9].

As-tu vu mylord Artur ce matin ?

Isac.

Oui, Monsieur ; je l’ai vu.

Bonfil.

Où ?

Isac.

Ici.

Bonfil.

À qui a-t-il parlé ?

Isac.

À Madame.

Bonfil.

Dans sa chambre ?

Isac.

Dans sa chambre.

Bonfil.

Et madame Jeffre y était ?

Isac.

Non ; je n’ai point vu madame Jeffre.

Bonfil.

Étais-tu dans la chambre ?

Isac.

Oui, Monsieur.

Bonfil.

Et madame Jeffre n’y était pas ?

Isac.

Non, Monsieur.

Bonfil (à part.)

Oui, elles me trompent toutes les deux ; elles s’entendent pour me tromper, je n’en puis plus douter… Je vois Paméla ! Je ne me connais plus…

méfions-nous d’un premier transport. (Il sort.)

Scène XIV.

PAMÉLA, ISAC dans le fond.
Paméla.


Non, je ne puis croire que si mon époux apprend jamais que j’ai écrit ce billet, il puisse m’en savoir mauvais gré. Mon père m’a conseillé lui-même de l’écrire et de l’envoyer. Tout se dispose pour notre départ ; et, mon époux une fois éloigné de Londres, mylord Artur peut seul solliciter la grace de mon père. De sa liberté, dépend le projet de faire venir ma mère. Je me meurs d’envie de la voir ; j’aime mes parens plus que moi-même, et une fille ne peut trop hâter l’époque heureuse qui les rendra à mon amour. Isac ?

Isac.

Madame.

Paméla.

Tu sais où demeure mylord Artur ?

Isac.

Oui, Madame.

Paméla.

Portes-lui cette lettre.

Isac.

Oui, Madame.

Paméla.

Tâches de la lui remettre avec précaution.

Isac.

J’entends.

Paméla.

Et toi, seconde, ô ciel ! les justes désirs de mon

cœur ! (Elle sort.)

Scène XV.

ISAC, ensuite Mylord BONFIL.
(Isac regarde la lettre, la met dans sa poche et va pour sortir.)
Bonfil.


Donne-moi cette lettre.

Isac (en hésitant.)

Monsieur…

Bonfil.

Cette lettre, te dis-je.

Isac.

Oui, Monsieur. (Il la lui donne.)

Bonfil.

Sors. (Isac sort.)


Scène XVI.

Mylord BONFIL (seul)[10].


Paméla écrit à mylord Artur, sans m’en parler ! Pourquoi ? Ouvrons ce billet… Ma main tremble : mon cœur bat… J’entrevois ma ruine. (Il ouvre et lit.)

Mylord,

Mon mari vient de m’ordonner tout-à-coup de le suivre dans le comté de Lincoln……

Est-il nécessaire qu’elle en fasse part à mylord Artur ? Pourquoi cette confidence ? En quoi cela peut-il l’intéresser ?


Vous savez que je laisse à Londres la plus chère partie de moi-même…

Hélas ! Je ne tiens donc plus le premier rang dans son cœur ! Qui n’ose usurper une place qui m’est due à tant de titres !


Votre bonté seule me console ; c’est en elle que j’ai mis toute ma confiance.

Ah ! les perfides me trahissent !


Je ne m’explique pas plus clairement, pour ne pas confier au papier un secret aussi important…

Non, le ciel ne permet pas que de pareils forfaits restent long-temps cachés.


Vous savez ce dont nous sommes convenus ce matin…

Perfide !


Et je me flatte qu’en conséquence, vous vous conduirez avec chaleur et prudence. Si vous venez au comté de Lincoln m’apporter quelque consolation, je verrai le terme de mes ennuis.

Quel feu me dévore… ! Je n’en puis plus !


Mon mari vous verra avec plaisir.

Non, perfide, non ; l’excès de ma complaisance ne me fera pas connaître un rival… Que dis-je ! un rival ? Artur est un profanateur impie des lois de l’honneur et des droits de l’amitié. Femme ingrate… ! Il était donc possible que Paméla fût ingrate ! Hélas ! il n’est que trop vrai : il ne me reste plus de moyen d’en douter. Je n’ai point voulu croire Ernold ; j’ai refusé d’écouter ma sœur… Jeffre est d’accord avec eux : Artur est un imposteur, Paméla une infidelle… Mais ces frayeurs, ces larmes, ces douces paroles… Ah ! tous ces piéges sont familiers aux femmes ; et la meilleure est celle qui trompe le plus habilement. Mais je saurai démasquer l’imposture, punir la perfidie, et me venger de l’infidélité ! Elle mourra… Qui ? grand dieu ! Paméla ! Paméla mourra ! Fatal arrêt ! ah ! je mourrai moi-même en le prononçant, et la seule pensée m’en assassine d’avance !

Fin du premier Acte.

ACTE II.


Scène PREMIÈRE

Mylord BONFIL, ensuite ISAC.
Bonfil (marche à grands pas, d’un air pensif ; il appelle.)


Hola !

Isac.

Monsieur.

Bonfil (à part.)

Je ne voudrais point trop hâter l’exécution de mon projet. (Il marche.) Je mettrai dans ma résolution toute la prudence possible : mais Paméla ne me reverra point, que mes doutes ne soient éclaircis. Un seul de ses regards me séduirait trop facilement. (Il appelle en marchant.) Hola !

Isac (toujours immobile à sa place.)

Monsieur.

Bonfil (à part en marchant.)

L’amour me parle encore en faveur de la perfide ! oui, arrêtons-nous à ce projet. Voyons Artur : je l’ai toujours cru homme d’honneur ; l’expérience me prouvera si je me suis trompé. (Haut.) Hola !

Isac.

Monsieur.

Bonfil.

Cours sur les traces de mylord Artur. Dis-lui qu’il faut que je lui parle nécessairement. Qu’il me fasse savoir s’il peut se rendre ici, ou si je dois l’aller trouver ; où il veut enfin que nous nous rencontrions ensemble.

Isac.

Oui, Monsieur.

Bonfil.

Apportes-moi la réponse.

Isac (en attitude de partir.)

Vous serez obéi.

Bonfil.

Hâtes-toi.

Isac.

Je suis à vous dans la minute. (Il s’achemine avec sa lenteur ordinaire.)

Bonfil.

Cours, vole et presse ton retour.

Isac.

Pardon, pardon. (Il sort.)


Scène II.

Mylord BON FIL, ensuite Mme JEFFRE.
Bonfil.


Que sa lenteur est insupportable ! mais il est fidelle ; je dois le tolérer en faveur de cette bonne qualité.

Mme Jeffre.

Monsieur…

Bonfil.

Je ne vous ai point appelée.

Mme Jeffre.

Et ne puis-je venir sans être appelée ?

Bonfil.

Non, vous ne le pouvez pas.

Mme Jeffre.

Jusqu’ici cependant, je suis toujours entrée ainsi.

Bonfil.

Il n’en sera plus de même dorénavant.

Mme Jeffre.

La raison ?

Bonfil.

Vous devez la savoir.

Mme Jeffre.

Quoi ! vous êtes encore en colère pour un léger mensonge que je vous ai conté ?

Bonfil.

Dites que j’en ai découvert un : mais le ciel sait combien vous en avez débités.

Mme Jeffre.

Foi d’honnête femme ; je ne vous en ai dit qu’un, et encore l’ai-je fait pour le mieux.

Bonfil.

Pourquoi me faire un mystère de l’entretien de Paméla avec mylord Artur ?

Mme Jeffre.

Parce que je connais votre caractère. Je sais que vous êtes naturellement soupçonneux, et je craignais que vous ne prissiez la chose tout de travers.

Bonfil.

Mes soupçons ne sont point dénués de motifs. La jalousie ne m’aveugle pas ; et je n’ai que trop de raisons de soupçonner l’honnêteté de Paméla.

Mme Jeffre.

Que dites-vous ? ô ciel ! soupçonner Paméla ! mais c’est absolument douter de la lumière du soleil.

Bonfil.

Vous connaissez la conversation de Paméla avec Mylord ?

Mme Jeffre.

Je la connais parfaitement.

Bonfil.

Comment cela donc, puisque vous ne vous y êtes point trouvée ?

Mme Jeffre.

Je la sais, parce qu’elle m’en a fait part.

Bonfil.

Et je la connais, moi, beaucoup mieux que vous.

Mme Jeffre.

Avez-vous parlé à votre épouse ?

Bonfil.

Non.

Mme Jeffre.

Parlez lui.

Bonfil.

Je ne veux point lui parler.

Mme Jeffre.

Elle va venir vous trouver.

Bonfil.

Si elle paraît, je sortirai.

Mme Jeffre.

Ne devez-vous pas aller ensemble au comté de Lincoln ?

Bonfil.

On ne part plus.

Mme Jeffre.

Elle a fait tous ses préparatifs.

Bonfil (ironiquement.)

Ah ! je suis vraiement mortifié de la peine qu’elle a prise.

Mme Jeffre (à part.)

Quel caractère inconstant ! Et ils osent après cela parler des femmes !

Bonfil.

Si vous n’avez rien de plus à me dire, vous pouvez vous retirer.

Mme Jeffre.

Vous ne voulez point venir auprès de votre épouse ?

Bonfil.

Non, je n’y veux point aller.

Mme Jeffre.

Ni permettre qu’elle vienne ici ?

Bonfil.

Non : non, je ne la veux plus voir.

Mme Jeffre.

Et comment tout cela finira-t-il ?

Bonfil.

Vous ne devez point vous mêler de ces sortes de choses.

Mme Jeffre.

En vérité, Monsieur, vous êtes une pauvre tête.

Bonfil.

Je suis… je suis le diable qui vous emporte.

Mme Jeffre.

Il n’est plus possible de vivre avec vous.

Bonfil.

Je ne vous prie pas d’y rester.

Mme Jeffre.

Ah ! si votre pauvre mère vivait encore !

Bonfil.

Plût au ciel qu’elle vécût, et que vous fussiez à cent pieds sous la terre !

Mme Jeffre.

Bien sensible à ce souhait obligeant !

Bonfil.

Imbécille !

Mme Jeffre (à part.)

Il est insoutenable.

Bonfil.

Sortez.

Mme Jeffre.

Oui, je sors. (À part.) Je gagerais qu’il se repend d’avoir épousé Paméla. Voilà bien les hommes ! Tant qu’ils sont amans ce sont des hélas ! des pleurs des soupirs, du désespoir ! deviennent-ils époux ils sont pires cent fois que des diables et des basilics.

(Elle sort.)

Scène III.

Mylord Bonfil, (seul.)

Il n’y aurait rien de fort extraordinaire à ce que Jeffre prît les intérêts de Pamela avec plus de chaleur que les miens. Les femmes n’ont plus qu’un seul et même intérêt lorsqu’il s’agit d’abuser notre crédulité. Jeffre d’ailleurs a toujours aimé Paméla ; et si l’intérêt seul l’attache à ma personne, c’est l’amitié qui la rapproche de Paméla. Tant de motifs réunis justifient mes soupçons à son égard ; et je ne puis me méfier d’elle, sans me méfier en même-temps de Paméla. En examinant la conduite qu’elle a tenue avec moi, je ne devrais point la croire perfide mais les femmes possèdent l’art de feindre à un si haut degré de perfection ! Peut-être pouvais-je me flatter que la connaissance du sang qui lui a donné le jour, devait être pour elle une nouvelle obligation de cultiver les maximes de l’honneur et de la bienséance. Mais je puis craindre aussi qu’elle ait perdu cette soumission que lui inspirait nécessairement la bassesse prétendue de son origine : que la certitude de ce qu’elle est l’éblouisse au point de triompher des remords même, et d’étouffer dans son cœur les sentimens de la reconnaissance due à mes bienfaits. Ces tristes raisonnemens ne sont, hélas ! que trop fondés mais cette même raison qui dessille aujourd’hui mes yeux, saura fortifier mon courage. J’ai chéri Paméla, parce qu’elle m’a paru digne de mon amour : je saurai la haïr, puisqu’elle le mérite. J’étais tout prêt à l’épouser, dans le temps même où elle n’était encore à mes yeux qu’une simple servante j’aurai le courage de la répudier, malgré sa qualité bien reconnue. Oui, la vraie, la bonne philosophie m’apprend que celui-là n’est pas un homme, qui ne sait point triompher de ses passions, et qu’il y a un égal mérite à aimer la vertu, et à détester le crime.

(Il sort.)

Scène IV.

Myladi PAMÉLA, Mme JEFFRE.
Mme Jeffre.


Il n’y a qu’un moment que Monsieur était là : il est impossible qu’il soit bien loin. Attendez, je vais le chercher.

Paméla.

Non, non, demeurez. Vous le devriez connaître mieux que moi : malheur à qui l’importune inutilement. Je désire de le voir et de lui parler ; mais je veux attendre, pour cela, un moment favorable. Le ciel connaît mon innocence, et l’injustice de ses soupçons. Je rougis de la nécessité où je suis de me justifier. La soumission cependant n’est jamais inutile ; et un époux qui m’a comblée de tant de bienfaits mérite bien que je me jette à ses pieds, quoique innocente, pour le supplier de m’entendre.

Mme Jeffre.

Je ne sais qu’en dire mais, à votre place, je ne serais ma foi pas aussi bonne. Peut-être ferais-je plus mal que vous, et il est possible qu’avec de la douceur, vous parveniez à l’éclairer.

Paméla.

Qui sait si mon père n’a rien appris encore de ce triste événement ?

Mme Jeffre.

Je ne l’ai point vu, et je ne saurais vous le dire.

Paméla.

Je veux aller m’en assurer. (Elle va pour sortir.)

Mme Jeffre.

Non ; restez et ne perdez point l’occasion de voir Mylord, avant qu’il sorte de chez lui.

Paméla.

Eh bien ! allez donc trouver mon père, et sachez me dire s’il n’a rien appris encore de ce qui se passe aujourd’hui.

Mme Jeffre.

Oui, soyez tranquille restez ici ; et puisse le

ciel appaiser le trouble de votre cœur. (Elle sort.)

Scène V.

Myladi PAMÉLA, ensuite Mylord ARTUR.
Paméla.


Le bonheur dont le ciel m’a comblée est grand en effet, que je dois bien le payer de quelques souffrances ! Mais que je suis cruellement frappée dans les deux objets qui intéressent le plus ma tendresse, mon père et mon époux ! Je me vois au moment de perdre l’un, et d’être abandonnée par l’autre… Ah ! je suis née pour souffrir, et je ne prévois pas le terme de mes tourmens !

Artur (en saluant Paméla.)

Madame…

Paméla.

Vous ici, Mylord ! ignorez-vous le désordre qui règne dans cette maison ?

Artur.

Que ma présence ne vous fatigue point, c’est Mylord votre époux qui m’a fait dire de venir.

Paméla.

Permettez que je me retire ; je ne voudrais pas qu’il me trouvât une seconde fois avec vous. (Elle va pour sortir.)

Artur.

Je serais au désespoir de vous gêner.

Paméla.

Mylord vous ne savez rien de nouveau relativement à mon père ?

Artur.

J’ai reçu un billet du Secrétaire d’état. (Il s’approche un peu d’elle.)

Paméla.

Eh bien ! y a-t-il quelque chose à espérer ?

Artur.

Il me paraît équivoque ; je ne l’entends pas bien.

Paméla.

Oh, ciel ! permettez que je voie un peu…

Artur.

Volontiers. (Il tire le billet de sa poche.)

Paméla.

Vîte, vîte, Mylord.

Artur.

Le voilà, Madame.

(Dans le moment où il donne le billet à Pamela, Bonfil paraît.)

Scène VI.

Les Précédens ; Mylord BONFIL.
Bonfil.


Perfides ! sous mes yeux !

Artur.

À quel excès vous égare la jalousie !

Bonfil (à Artur.)

Quel intérêt si puissant vous parle en sa faveur ?

Artur.

Un homme d’honneur doit défendre l’innocence.

Bonfil.

Vous êtes deux traîtres.

Artur.

Vous ne savez ce que vous dites.

Paméla.

Souffrez, du moins, que je m’explique.

Bonfil.

Je n’ai rien à entendre d’une perfide.

Paméla.

En quoi vous ai-je manqué, Monsieur ?

Bonfil.

Ce nouvel entretien prouve la perversité de vos intentions.

Paméla.

Cet écrit vous fera connaître… (Elle lui donne le billet d’Artur.)

Bonfil (le prend et le déchire.)

Je ne veux point lire d’autres billets ; j’en ai vu un cela me suffit[11]. Puissé-je n’avoir rien lu ! Puissé-je ne vous avoir jamais connue !

Paméla.

Pardon : mais c’est une cruauté que de me parler ainsi.

Artur.

C’est un procédé dépourvu de raison.

Bonfil.

Eh ! quoi ! c’est sans raison que je me livre à mon courroux, quand je vous trouve, pour la seconde fois, seuls dans cet appartement, et dans un entretien suspect ?

Artur.

Je ne suis venu, que pour me rendre à votre invitation.

Bonfil (à Pamela.)

Et vous, pourquoi vous trouvez-vous ici ?

Paméla.

Pour vous attendre ; pour vous parler, pour vous supplier enfin d’avoir pitié de moi.

Bonfil.

Vous ne le méritez pas.

Artur.

Vous êtes un aveugle qui refuse la lumière,

Bonfil.

Toutes vos impostures ne m’éblouiront plus.

Artur.

Qu’entends-je, ô ciel ! mon honneur révolté à de pareilles injures…

Bonfil.

Vous trouvez-vous offensé ? J’ai le moyen de vous satisfaire.

Paméla.

Au nom du ciel !

Bonfil.

Sortez.

Paméla.

Cher époux !

Bonfil.

N’ayez plus, s’il vous plaît, l’audace de me nommer ainsi.

Paméla.

Que deviendrai-je ? malheureuse !

Bonfil[12].

Préparez-vous à un honteux divorce.

Paméla.

Ah ! dites plutôt, dites que je me prépare à la mort : non, je ne souffrirai jamais un outrage aussi peu mérité. Trois choses me font chérir la vie. Vous, mon père, et mon honneur. Vous pouvez disputer à mon père même la première place dans mon cœur : mais l’honneur l’emporte encore sur vous deux. Je puis tout souffrir pour vous et rien quand il s’agit de l’honneur. Quelque soit la peine où vous me condamniez, je reconnaîtrai en vous mon juge, souverain. Mais si vous prétendez me flétrir par la honte d’un divorce, je saurai recourir à un pouvoir supérieur au vôtre. Avez-vous à vous plaindre de moi ? vengez-vous, frappez. Oui, je mourrai, si vous l’ordonnez ainsi : mais je veux mourir votre épouse ;

mais je veux mourir avec mon honneur. (Elle sort.)

Scène VII.

Mylord ARTUR, Mylord BONFIL.
Bonfil.


Oui, Paméla fut toujours le miroir de la vertu. C’est vous qui aurez le mérite de l’avoir bassement séduite.

Artur.

Vous êtes aussi injuste à son égard, qu’ingrat envers moi.

Bonfil.

Votre perfide amitié n’avait d’autre but que de me tromper.

Artur.

Ces indignes paroles méritent d’être effacées dans votre sang.

Bonfil.

Ou le vôtre, ou le mien lavera la tache faite à mon honneur. (Il sort.)

Artur.

Le ciel rendra justice à la vérité. (Il sort.)


Scène VIII.

Myladi PAMÉLA, Mme JEFFRE.
Paméla.


Madame Jeffre, conseillez-moi donc ce qu’il faut faire dans l’excès de mon désespoir.

Mme Jeffre.

Pour vous parler de bonne foi, je vous dirai que je commence moi-même à ne plus savoir où j’en suis. Il est heureux que votre père n’ait rien appris encore de tout cela ; peut-être vaudrait-il mieux cependant qu’il le sût, il vous donnerait quelque conseil.

Paméla.

Il n’y a plus personne ici. Où seront-ils allés ?

Mme Jeffre.

Ils sont en bas ; je les ai entendus descendre l’escalier.

Paméla.

Je crains tout de leur emportement mutuel : ils on l’un et l’autre leur épée au côté.

Mme Jeffre.

Ils réfléchiront quel crime c’est à Londres que de mettre l’épée à la main ; ils savent bien qu’on ne se bat en duel ici qu’à coup de poing.

Paméla.

Je suis si troublée, si agitée, que je respire à peine.

Mme Jeffre.

Allez trouver votre père, instruisez-le de votre disgrace, et vous verrez ce que vous dira ce respectable vieillard.

Paméla[13].

Je n’ai pas le courage de le faire. Je connais sa délicatesse sur l’article de l’honneur, et je sais que chaque mot lui perceroit le cœur.

Mme Jeffre.

Voulez-vous que je lui en touche quelque chose ?

Paméla.

Non ; il vaut mieux qu’il l’ignore.

Mme Jeffre[14].

Il est impossible qu’il ne le sache pas à la fin, et infiniment plus dangereux qu’il l’apprenne d’une bouche étrangère. Il pourra croire fondés tous les reproches que l’on vous fait, si vous balancez à lui confier vos chagrins. Permettez que je l’en instruise, je le ferai de manière…

Paméla.

Faites ce que vous jugerez à propos.

Mme Jeffre.

Pauvre Paméla ! vous rappelez-vous le temps où Mylord voulait vous enfermer dans cette chambre ? quand il vous donna cet anneau ? Son amour vous effrayait alors ; aujourd’hui, vous redoutez son ressentiment ! Mais autant la douce modestie vous fut utile alors ; autant une noble audace vous devient maintenant indispensable. Ne craignez rien ; exposez vos raisons à qui de droit : et je gage ma tête, que si vous portez votre cause devant un tribunal, la victoire est à vous, et le juge condamné avec dépens. (Elle sort.)


Scène IX.

Myladi PAMÉLA, ensuite Myladi DAURE.
Paméla.


Jeffre s’efforce en vain de ranimer mon courage ; accablée du poids de ma douleur……

Myladi.

J’apprends à l’instant de grandes choses de vous, Madame !

Paméla.

Ah ! ma chère sœur !…

Myladi.

Dispensez-moi d’un titre que je ne daigne plus recevoir de vous. Il m’eût flattée davantage de la part de Paméla simple villageoise, que de celle de Paméla déshonorée par sa conduite. Le sort avait été juste à votre égard, en vous plaçant dans la classe servile, et ne vous a élevée au rang de la noblesse, que pour punir votre hypocrisie avec plus d’éclat.

Paméla[15].

Ce n’est point l’équité, Madame, qui dicte ce discours, mais la malveillance que vous n’avez cessé de nourrir contre moi. Dès l’instant que vous m’avez trouvée rebelle à vos ordres, vous avez juré de me haïr et de vous venger ; et le baiser que vous m’avez donné, quand le ciel a daigné changer mon sort, ne fut que le jeu méprisable d’une politique intéressée. Vous avez déguisé votre haine, parce qu’il ne vous a point réussi de la manifester : pour la satisfaire aujourd’hui, vous vous prévalez de mes disgraces ; et unie peut-être à votre imprudent neveu, vous dénaturez le cœur de mon époux, et conspirez ma ruine. Ne croyez point, malgré cela, que je vous haïsse, comme vous me haïssez. Un seul soin m’occupe toute entière, celui de sauver mon honneur ; j’ose me flatter d’y parvenir. Mais, fût-il en mon pouvoir de me venger de vous, croyez-moi, je suis incapable de le faire. Vous le savez, j’ai été votre amie, malgré tant d’ingratitude de votre part ; je le serai encore à l’avenir.

Myladi.

Je vous écoute, pour voir jusqu’à quel point se peut oublier une accusée déjà convaincue.

Paméla.

C’est mentir effrontément, que de me croire coupable.

Myladi.

Qui, moi mentir effrontément ?

Paméla.

Pardon, Madame : je ne parle point pour vous, mais pour quiconque m’accuse injustement.


Scène X.

Les Mêmes ; ISAC.
Isac.


(À Paméla.)Madame.(À Myladi.)Madame…

Myladi.

De quoi s’agit-il ?

Isac.

Monsieur, mylord Artur, le chevalier Ernold se battent au pistolet.

Paméla.

Mon époux !

Myladi.

Mon neveu


Scène XI.

Les Mêmes ; Monsieur LONGMAN.
Paméla.


Ô ciel ! protège mon époux.

Myladi.

Je veux empêcher, s’il est possible…

Longman (en entrant.)

Où courez-vous, Mesdames ?

Paméla.

Mon époux est en danger.

Longman.

Arrêtez ; c’est une affaire finie à présent.

Paméla.

Mon époux ?…

Longman.

Se porte à merveille.

Myladi.

Mon neveu ?…

Longman.

Se porte très-bien aussi.

Paméla.

Mylord Artur ?…

Longman.

S’en est tiré à ravir.

Myladi.

Comment cela s’est-il donc passé ?

Longman[16].

Écoutez : c’est une vraie comédie.

Monsieur et mylord Artur avaient ensemble une petite altercation : le chevalier Ernold se présente en troisième, et la querelle s’échauffe de nouveau. Les deux premiers en seraient volontiers venus aux mains ; mais ils craignaient de braver les défenses rigoureuses qui existent dans ce royaume. L’imprudent chevalier qui n’a recueilli, dans ses voyages, que les coutumes les plus mauvaises, les défie au pistolet. Le sort le désigne pour se battre le premier avec mylord Artur ; ils se placent à la distance convenue : Ernold tire ; mais son arme le trahit. Mylord Artur court sur lui, et lui met le pistolet sur la poitrine. Un tant soit peu déconcerté, le chevalier prétendait avoir le droit de prendre un autre pistolet : mylord Artur soutenait de son côté, qu’il était maître de sa vie ; et mylord Bonfil, quoiqu’en différend avec Artur, lui donna gain de cause, et condamna le chevalier, que tout son esprit de voyageur n’empêchait pas de trembler déjà de tous ses membres. Mylord Artur fit alors un trait vraiment héroïque : Je suis maître de votre vie, dit-il à Ernold ; je vous la donne, et il tire en même temps son pistolet en l’air. Le chevalier ne savait pas au juste s’il était mort ou vivant. Il reste un moment sans parler ; et s’adressant ensuite à mylord Artur : ma foi, dit-il, moi qui ai voyagé, je n’ai vu nulle part encore un plus galant homme que vous. Monsieur se disposoit déjà à se battre avec mylord Artur ; mais le chevalier Ernold lui arrache le pistolet de la main, le tire contre un arbre, fait un saut d’alégresse, et tire ses tablettes de sa poche pour y consigner ce fait mémorable.

Mylord Artur s’est retiré en silence, mylord Bonfil, en pestant bien fort ; et le chevalier est resté au jardin, où il fredonne des airs français.

Paméla.

Grâce au ciel, personne n’a couru de danger.

Myladi.

Où est allé mon frère ?

Longman.

Dans son appartement du rez-de-chaussée.

Myladi.

Je vais le retrouver. (En attitude de partir.)

Paméla.

Vous n’irez pas sans moi. (Elle veut la suivre.)

Myladi.

Arrêtez ; il ne vous est plus permis de le voir.

Paméla.

Je ne verrai plus mon époux ?

Myladi.

Non ; son cœur vous a déjà répudiée, et la loi va

bientôt confirmer cet arrêt. (Elle sort.)

Scène XII.

Myladi PAMÉLA, Monsieur LONGMAN.
Paméla.


Rien ne m’empêchera de lui parler. (Elle va pour sortir.)

Longman.

Ah ! de grâce, arrêtez, Madame. Monsieur est trop en colère contre vous. Il est plus irrité que jamais : ne vous exposez point à un nouvel outrage.

Paméla.

Monsieur Longman, que me conseillez-vous de faire ?

Longman.

Hélas ! je ne sais… Je suis aussi affligé que vous.

Paméla.

Me croyez-vous coupable de ce dont on m’accuse ?

Longman.

Ah ! je vous crois très-innocente.

Paméla.

Et il faut me voir en butte à la calomnie !

Longman.

Prenez patience : le temps fera connaître la vérité : Monsieur est jaloux… Ne vous rappelez-vous pas qu’il fut jaloux de moi ? Avez-vous oublié la peur qu’il m’a faite ?

Paméla.

Il parle de me répudier ! La menace est terrible !

Longman.

Il n’en fera rien : mais, en supposant qu’il le fit… Pamela ! je vous aime encore… Malheureux ! J’oubliais que vous étiez comtesse. Pardonnez ; mais je vous ai voulu, et je vous voudrai toujours du bien… Mon Dieu ! si Mylord me trouvait ici ! Je m’en vais… Dans le peu que je puis, comptez toujours sur moi. (Il sort.)


Scène XIII.

Myladi PAMÉLA, ensuite le Comte d’AUSPINGH.
Paméla (seule.)


Hélas ! ils m’aiment tous ; mon époux seul me hait ! Pour quelle faute, grand Dieu, me punissez-vous donc si sévèrement ? Peut-être ai-je reçu avec trop d’orgueil la faveur que m’a offerte la Providence…… Je ne le crois cependant pas. Ai-je été ingrate envers le Ciel pour tant de bienfaits ? ai-je mal répondu à ma fortune ?… Où vais-je chercher, hélas ! les causes de mon malheur ! Celui qui préside au destin du monde les connaît seul, et il ne nous est pas permis de pénétrer dans les secrets d’en haut. Oui, j’en suis bien sure ; l’Éternel en m’affligeant de la sorte, ou me punit de mes fautes, ou m’offre une occasion heureuse de mériter une récompense plus grande.

Le Comte[17].

Ô ma fille ! soutiens moi… La douleur m’accable… Je n’ai pas la force de me conduire… La voix me manque, pour exhaler ma peine !

Paméla.

Père chéri ! ne vous affligez point ; je suis innocente ; et le Ciel n’abandonne pas l’innocence.

Le Comte.

Non sans doute ; mais l’humanité souffre. J’ai appris à supporter toutes les disgraces de la vie, non les taches de l’honneur.

Paméla.

On confondra la calomnie : la vérité sera connue.

Le Comte.

Eh ! qui peut vivre cependant sous le poids honteux du soupçon ?

Paméla.

Il faut se résigner aux volontés du Ciel.

Le Comte.

Le Ciel veut que nous nous montrions jaloux de notre honneur et c’est mériter l’affront que de le supporter.

Paméla.

Que faire, hélas ! dans notre position ?

Le Comte.

Tenter tous les moyens possibles, pour rétablir ta réputation compromise, pour dévoiler l’erreur et demander justice.

Paméla.

Hélas ! et qui appuiera nos plaintes ? Mon époux est notre adversaire : mylord Artur est injustement soupçonné… Qui peut parler pour nous, plaider notre cause et nous faire obtenir justice ?

Le Comte.

Moi, ma fille, moi ! J’irai me jeter aux pieds du Roi ; et mes larmes, mes prières…

Paméla.

Vous pourriez vous présenter au Monarque, vous qui êtes encore flétri du titre de coupable ! vous pourriez vous exposer à perdre pour jamais la grâce dont vous pouvez encore vous flatter ?

Le Comte.

Eh ! que m’importe une telle grâce, si mon sang est déshonoré ? J’ai peu de jours à vivre encore, peu de temps à jouir de la faveur d’un pardon. Oui, je veux mourir, mais mourir avec mon honneur. J’offrirai au trône offensé un coupable presqu’expirant : mais je soutiendrai la cause de ma fille. Le Roi ne confondra point votre innocence avec mon délit ; et je ferai connaître, au prix de mon sang, l’outrage que l’on vous fait. Eh ! quelle preuve plus complète de la vérité, que de voir un tendre père faire le sacrifice volontaire de ses jours à l’innocence de sa fille !

Paméla.

Ah ! puisse le Ciel vous détourner de ce funeste projet.

Le Comte.

Si vous m’aimez, ma fille, ne vous opposez point à une démarche que notre honneur exige impérieusement. Je vous le commande, avec toute l’autorité que j’ai sur vous. Ne me retenez plus, et recommandez-moi au Ciel. Si nous ne nous revoyons plus sur la terre, nous nous retrouverons un jour dans le Ciel. Votre pauvre mère sera peut-être en route pour Londres… Embrassez-la pour moi ; consolez-la, si vous pouvez !… Ma chère fille !… Puisse le Ciel vous bénir à jamais. (Il sort.)

Paméla.

Ah ! je n’y survivrai pas.

Fin du deuxième acte.

ACTE III.


Scène PREMIÈRE

Mylord BONFIL, ensuite ISAC.
Bonfil (seul.)


Non, je n’ai jamais éprouvé les tourmens qui me déchirent aujourd’hui. Ah ! qu’il eût mieux valu cent fois qu’Artur me prévint, et m’arrachât la vie… ! [18] Je me rappelle mes premières liaisons avec l’ingrate ; je me retrace les transports amoureux, les ennuis inquiets, les combats de mon cœur ; mais rien de tout cela ne se peut comparer aux fureurs qui m’agitent à présent. Il s’agissait alors de consoler mon cœur : il faut aujourd’hui le déchirer à jamais ! Cet inflexible honneur qui raisonnait si bien contre ma passion, me met aujourd’hui l’épée à la main, pour venger l’affront que j’en ai reçu. Mais quoi ! me pourrai-je déterminer à un parti sévère contre celle que j’ai tant aimée, que j’aime encore malgré moi ! Eh bien ! que ces douces affections désarment mon ressentiment, et diminuent la honte dont je la voulais couvrir. Oui : épargnons-lui l’éclat d’un divorce, et que son père connaisse mes intentions. Je n’en ferai pas moins tous mes efforts, pour rendre à ce bon vieillard sa liberté ; et si Pamela se détermine à ne point s’éloigner de son père, je suis prêt à sacrifier encore la paix, l’amour, l’espoir d’une famille, à l’astre fatal qui a si cruellement uni mon sort au sien. (Il appelle.) Hola !

Isac.

Monsieur.

Bonfil.

Le comte d’Auspingh.

Isac.

Oui, Monsieur. (Il sort.)


Scène II.

Mylord BONFIL, ensuite Myladi DAURE.
Bonfil.

Je prévois trop quel coup douloureux je vais porter au cœur de ce respectable père, en lui apprenant le destin malheureux de sa fille. Voilà pourquoi l’humanité exige que je cherche à lui en diminuer l’horreur : ce qui l’affligerait le plus, sans doute ce serait la publicité… Je m’occuperai des moyens d’obvier à cet inconvénient.

Myladi.

Je suis vraiment enchantée, Mylord, de vous voir aussi heureusement sorti du danger où vous vous êtes trouvé.

Bonfil.

De quel danger parlez-vous ?

Myladi.

Mais je parle de ce combat au pistolet…

Bonfil.

Je ne sais ce que vous voulez dire.

Myladi.

À quoi bon le nier ? Je sais tout.

Bonfil.

Vous ne devez pas le savoir.

Myladi.

Mais si je le sais cependant ?

Bonfil.

Dans ce cas là même, vous devez vous persuader de ne rien savoir.

Myladi.

Cela sera difficile.

Bonfil.

Où est le chevalier votre neveu ?

Myladi.

Je le crois encore dans le jardin : mais je ne l’ai pas vu depuis l’histoire du pistolet.

Bonfil.

Comment ? quelle histoire de pistolet ?

Myladi.

Ah ! pardon, j’oubliais que je ne dois rien savoir.

Bonfil.

Vous devez vous persuader de ne rien savoir.

Myladi.

Mais la raison enfin ?

Bonfil.

Changeons, s’il vous plaît, de conversation.

Myladi.

Oui parlons d’autre chose. À quoi vous déciderez-vous relativement à cette femme, indigne désormais du titre de votre épouse ?

Bonfil.

Parlez d’elle un peu moins librement.

Myladi.

Qu’entends-je ! malgré tous ses torts à votre égard, vous persistez à la défendre ?

Bonfil.

Il ne m’est pas permis de la défendre, mais il ne vous convient pas de la maltraiter.

Myladi.

Le sang m’intéresse à l’honneur d’un frère.

Bonfil.

Ce motif serait très-louable, si la haine n’y entrait pour rien.

Myladi.

Il n’y a peut-être rien de vrai dans les intelligences de Pamela avec mylord Artur ?

Bonfil.

Il serait possible qu’elles fussent supposées.

Myladi.

Pourquoi donc alors le provoquer au pistolet ?

Bonfil.

Que parlez-vous de pistolet ?

Myladi, (à part.)

Oui, s’il n’était pas mon frère, je l’étranglerais ;

je crois, sans pitié.

Scène III.

Les Mêmes, ISAC.
Isac.


Monsieur, le Comte ne se trouve pas.

Bonfil.

Imbécille ! il doit y être.

Isac.

Il n’y est cependant point.

Bonfil.

Comment ! le père de Paméla n’est point ici !

Isac.

Non, sur ma parole, il n’y est point.

Bonfil.

Cherche-le, et il y sera.

Isac.

Oui, Monsieur. (Il va pour sortir.)

Myladi.

Dis-moi ; as-tu vu le chevalier mon neveu ?

Isac.

Oui, Madame. Il est dans le salon, avec un Ministre de la cour.

Myladi.

Et que lui veut ce ministre ?

Bonfil (à Myladi.)

Eh ! laissez-le, de grâce, aller chercher le Comte.

Isac.

J’y vais. (À part.) Mais il n’y est pas, j’en suis

bien sûr. (Il sort.)

Scène IV.

Myladi DAURE, Mylord BONFIL.
Myladi.


Avez-vous entendu ? un Ministre de la cour qui parle avec le Chevalier ?

Bonfil.

Eh bien ! qu’en voulez-vous conclure ?

Myladi.

Je gagerais bien que je devine le motif qui l’amène.

Bonfil.

Et vous croyez donc qu’il est venu… ?

Myladi.

Pour cette maudite affaire du pistolet.

Bonfil (hors de lui.)

Vous voulez me faire dire des choses…

Myladi.

Calmez-vous calmez-vous : mais je ne puis le dissimuler.


Scène V.

Les Mêmes, ISAC.
Isac.


Monsieur, le Comte n’est point ici.

Bonfil.

Tu en es bien sûr ?

Isac.

Il n’y est pas.

Bonfil.

L’as-tu demandé à Paméla ?

Isac.

Oui, Monsieur.

Bonfil.

Qu’a-t-elle répondu ?

Isac.

Elle s’est mise à pleurer, et n’a rien dit.

Bonfil.

Oui : Paméla se méfie de moi maintenant ; elle tremble que je n’abandonne son père ; elle le cache. Elle connaît son crime, et me fait l’injure de me croire vindicatif. J’irai le chercher moi-même. (Il va pour sortir.)

Myladi.

Voyez le Chevalier qui vient à nous en courant. Sachons un peu ce qu’il a de nouveau à nous dire.


Scène VI.

Les Mêmes, le Chevalier ERNOLD.
Ernold.


Mylord, savez-vous la nouvelle ?

Bonfil.

De quelle nouvelle parlez-vous ?

Ernold.

Le comte d’Auspingh, le père de Paméla, égaré, sans doute, par l’excès du désespoir, est allé lui-même se présenter à la cour, et demander justice pour sa fille, au péril de sa propre vie.

Bonfil.

Et il a pu le faire sans m’en parler ! Est-ce ainsi qu’il répond au tendre intérêt qui me parlait en sa faveur ? S’en repose-t-il sur mylord Artur ? Dédaigne-t-il à ce point ma protection ? Oui, l’ingrate a séduit jusques à son père !… Ah ! ce nouvel outrage me détermine à la vengeance ; allons hâter la perte des ingrats. (Il va pour sortir.)

Myladi.

Où allez-vous, Mylord ?

Bonfil.

À la cour.

Myladi.

Je ne vous conseillerais pas de vous y montrer.

Bonfil.

Et la raison ?

Myladi.

C’est que si l’on y sait, par hasard, l’histoire du pistolet…

Bonfil.

Allez-vous-en au diable aussi vous. Se réunissent-ils tous pour m’exaspérer ? Je ne me connais plus : je m’abandonnerai au parti le plus violent. (Il sort.)


Scène VII.

Milady DAURE, le Chevalier ERNOLD.
Myladi.


L’entendez-vous ? Quel homme !

Ernold.

Que parlez-vous de pistolet ?

Myladi.

Vous croyez donc que j’ignore ce qui s’est passé dans le jardin ?

Ernold.

Tant pis. Je suis très-fâché que vous le sachiez.

Myladi.

Quel mal y a-t-il à ce que je le sache ?

Ernold.

Ma chère tante ; vous êtes la prudence même ; mais vous êtes femme.

Myladi.

Que voulez-vous dire par-là ?

Ernold.

Que vous ne pourrez pas vous taire.

Myladi.

Allons, vous ne me rendez pas justice : je suis Anglaise.

Ernold.

Je ne prétends point vous faire injure. Mais je connais la faiblesse du sexe : un peu plus, un peu moins, les femmes sont les mêmes par-tout. Moi qui ai voyagé, j’ai trouvé qu’elles se ressemblaient dans tous les climats.


Scène VIII.

Les Mêmes, Mme JEFFRE.
Mme Jeffre.

Au nom du Ciel, laissez-vous attendrir en faveur de ma pauvre Maîtresse ! Elle est dans un état vraiment à faire pitié ! son mari ne veut plus la voir ; son père est allé ou ne sait où : elle n’a pas un parent, pas un ami qui la conseille, qui la console. Elle voit sa réputation en danger, tremble pour les jours de son père, et pleure la perte d’un époux : elle est convaincue de son innocence, et n’a pas les moyens de la prouver. Je ne sais, en vérité, comment elle vit, comment elle peut résister à tant de disgraces réunies. Je suis si affligée, si accablée de son état que je respire à peine ; et quand je la vois, quand j’y pense seulement, mon cœur se gonfle et je ne puis retenir mes larmes. (Elle pleure.)

Ernold.

À dire vrai, je ne suis pas maître de mon émotion, quand je vois une femme pleurer : l’attendrissement me gagne malgré moi sur le champ. (Il essuye ses yeux.) Qui le dirait ? un homme qui a tant voyagé, ne pas se montrer supérieur à cette faiblesse

Mme Jeffre (à part.)

Je ne lui crois pas un mauvais fond.

Myladi.

Paméla affligée, Paméla abandonnée conserve cependant tout son orgueil.

Mme Jeffre.

Pouvez-vous traiter Paméla d’orgueilleuse ?

Myladi.

Si elle ne l’était pas, elle viendrait du moins réclamer mon appui. Elle sait que je suis la sœur de son époux ; que ma protection lui peut devenir très-utile, et elle ne vient pas la demander.

Mme Jeffre.

La crainte d’être mal accueillie l’en empêche sans doute. Elle se rappelle peut-être les mauvais traitemens qu’elle a reçus de vous, quand elle était fille.

Ernold.

Allons, dites-lui qu’elle vienne ici. Dites-lui qu’elle ait un peu de confiance en nous. Myladi ma tante est une Dame d’un bon caractère ; et moi, quand il s’agit d’une femme, je me battrais, morbleu, pour elle jusqu’à la dernière goutte de mon sang.

Mme Jeffre.

Qu’en dites-vous, Madame ? Si Paméla vient vous trouver, la recevrez-vous avec bonté ?

Myladi.

Je n’ai point le cœur aussi dur qu’elle le croit.

Mme Jeffre.

Et vous, Monsieur, la protégerez-vous ?

Ernold.

Qu’elle soit sure de mon appui.

Mme Jeffre.

Allons, elle va donc venir. Je ferai tout, du moins, pour l’y déterminer. (À part.) Dans les cas urgens, il faut savoir implorer jusqu’à ses ennemis. (Elle sort.)


Scène IX.

Myladi DAURE, le Chevalier ERNOLD.
Ernold.


Que pourrait-on faire pour cette pauvre malheureuse ?

Myladi.

On peut faire beaucoup, pourvu qu’elle consente à la dissolution du mariage, et qu’elle sorte d’ici.

Ernold.

Et pourquoi ne la réconcilierait-on pas avec son mari ?

Myladi.

Cela ne servirait qu’à éterniser entre eux la malveillance et la discorde. Quand la défiance règne une fois entre deux époux, plus d’espoir d’y voir triompher la paix. Tout ce que l’on fait pour les rapprocher, n’est qu’un raccommodement passager ; et à la plus légère insulte, le sang se rallume, et les querelles se renouvellent. Il vaut mieux trancher tout d’un coup le nœud qui les rassemble ; et puisque nos lois favorisent le divorce dans un cas semblable, il y aurait de l’imprudence à en empêcher l’effet.

Ernold.

Moi qui ai voyagé, je vous pourrais produire cent exemples du contraire.


Scène X.

Les Mêmes, Myladi PAMÉLA, Mme JEFFRE.
Paméla (en entrant, à madame Jeffre.)


Non, Jeffre, non ; je ne refuse point de m’abaisser, même devant mes ennemis. Mais cette démarche sera encore inutile.

Mme Jeffre (bas à Paméla.)

La situation malheureuse où vous vous trouvez, vous force de tenter tous les moyens.

Ernold (à Myladi.)

La voilà, la pauvre Paméla.

Myladi (à Ernold.)

Elle semble rougir de se recommander à moi.

Mme Jeffre (à Paméla.)

Courage ! allons, ne craignez rien.

Ernold (à Pamela.)

Allons, Madame, approchez : de quoi avez-vous peur ?

Paméla.

Ma position affreuse m’avilit et me mortifie au dernier point. Si je me pouvais flatter que mon innocence sera reconnue, je me jetterais à vos pieds, pour réclamer votre pitié. Mais, convaincue que votre cœur nourrit toujours le soupçon de ma faute prétendue, je ne sais s’il vaut mieux pour moi de me taire ou de me justifier.

Ernold (à part.)

C’est cependant vrai : une belle femme paraît plus belle encore dans la douleur.

Myladi.

Paméla, quand on veut obtenir ma grâce, il faut d’abord la mériter par un aveu formel de la vérité. Faites l’aveu de votre passion pour mylord Artur, et soyez sure, à ce prix, de ma protection.

Paméla.

Ah ! jamais ; non, jamais je n’achèterai la fortune à ce vil prix. Je n’aime que mon époux, je n’ai jamais aimé que lui, je l’aimerai toujours, je l’aimerai, voulût-il être mon éternel ennemi. Il sera mon époux, quoiqu’il me chasse indignement d’auprès de lui : je serai sa femme, quoiqu’il m’abandonne ; et en mourant même, j’emporterai dans le tombeau la douce chaîne qui m’a pour jamais unie à lui.

Myladi.

Votre obstination aggrave votre faute.

Paméla.

Et votre défiance outrage mon honneur.

Myladi.

Êtes-vous venue pour disputer avec moi, ou pour implorer mes bontés ?

Paméla.

Je les réclame si vous me croyez innocente ; et je me défends, si vous persistez à me supposer coupable.

Myladi.

Prenez un peu mieux vos propres intérêts, et n’aigrissez point votre destin.

Paméla.

Le destin peut vouloir mon malheur ; mais il ne souillera jamais la pureté de mon ame.

Myladi.

Votre cœur couvre l’infidélité du masque de l’orgueil.

Paméla.

Un jour viendra, Madame, où vous rougirez de ces reproches si peu fondés !

Myladi.

Ah ! c’en est trop ! je ne puis plus vous entendre.

Paméla.

Je sortirai, pour ne vous pas irriter davantage.

Ernold.

Non, restez encore un peu. Ma tante, nous pouvons faire quelque chose pour elle.

Myladi.

Elle ne mérite que d’être abandonnée. On plaint l’erreur ; mais on condamne l’obstination. (Elle sort.)


Scène XI.

Myladi PAMÉLA, et le Chevalier ERNOLD.
Paméla (à part.)


Voilà l’effet des conseils de Jeffre.

Ernold (à part.)

Je ne suis pas moi, si je ne la rends douce comme un agneau.

Paméla (à part.)

Retirons-nous pour pleurer mes malheurs dans la solitude. (Elle va pour sortir.)

Ernold.

Arrêtez ; ne sortez point.

Paméla.

Que voulez-vous de moi ?

Ernold.

Je désire calmer vos chagrins.

Paméla.

Hélas ! cela sera difficile.

Ernold.

Me croyez-vous incapable de consoler une jolie femme ?

Paméla.

Vous le pourrez avec d’autres ; auprès de moi, je le crois impossible.

Ernold.

Et je me flatte cependant d’y parvenir. Je ne suis point un homme d’un esprit borné, et je ne ressemble point à ces gens qui n’ont qu’un chemin pour marcher. J’ai assez voyagé ; j’ai acquis beaucoup. Dans le cas où vous vous trouvez, la question n’est pas de savoir si ce que l’on vous reproche est ou n’est pas. Moins on parle de ces sortes d’affaires, et mieux on fait. Dans la supposition même que l’accusation soit fausse, le monde est malignement porté à croire ce qu’il y a de pire, et l’honneur reste toujours entaché. Je ne vous conseille point de vous opposer au projet insensé de mylord Bonfil : qui peut se résoudre à renoncer à vous, n’est plus digne de vous. Un mari vous abandonne ? songez à vous en procurer un autre. Si vous le trouvez, votre réputation ne court aucun danger.

Paméla.

Et qui s’abaisserait, selon vous, à m’épouser dans une semblable conjoncture ?

Ernold.

Mylord Artur ne dirait probablement pas non ?

Paméla.

Je me donnerais moi-même la mort, plutôt que d’épouser mylord Artur.

Ernold.

J’ai cependant quelque penchant à vous croire ; et la confiance que je commence à avoir en vous ajoute à l’intérêt que vous m’inspirez. De la pitié pourrait naître l’amour ; et s’il m’enflammait bien sérieusement pour vous et qu’il vous offrît, avec ma main, un moyen de réparer vos disgrâces, l’accepteriez-vous ?

Paméla.

Voulez-vous, Monsieur, que je vous parle franchement ?

Ernold.

Oui, expliquez-vous sans détour.

Paméla.

Je la refuserais absolument.

Ernold.

Vous refuseriez ma main ?

Paméla.

Oui, Monsieur.

Ernold.

Cette impertinente déclaration vous ôte tout le mérite

que vous pouviez avoir à mes yeux.

Scène XII.

Les Mêmes, Mylord BONFIL.
Bonfil.


Qu’entends-je ? Que signifie ces altercations ?

Paméla.

Ah ! Mylord, ôtez moi la vie ; mais ne m’exposez point à de tels affronts. Tout le monde m’insulte ici, tout le monde m’y traite indignement. Vous seul avez le droit de m’affliger, de me mortifier : mais tant que je pourrai m’enorgueillir du titre de votre épouse, tant que votre bonté me souffrira dans cette maison, ne permettez point qu’un impudent me dise en face des choses affreuses et me présente de nouvelles amours, pour me détacher de mon époux, de mon maître, de vous enfin ! qui êtes et serez à jamais la vie de Paméla. (Elle pleure.)

Bonfil (regarde brusquement le Chevalier.)
Ernold.

Mylord, vous me regardez bien brusquement !

Bonfil.

Chevalier, faites-moi le plaisir de passer dans un autre appartement.

Ernold.

Eh bien ! ne voilà-t-il pas… La faiblesse… ?

Bonfil.

Je vous ai prié honnêtement de sortir.

Ernold.

Je ne voudrais pas que vous supposassiez…

Bonfil.

Votre résistance devient insoutenable.

Ernold.

Oui ; je gagerais mille doubles…

Bonfil.

Mais, Monsieur…

Ernold.

Je sors, je sors. Ce n’est pas la peine que vous veuillez me faire entendre… Oh ! j’ai étudié le monde, et je puis me flatter d’avoir assez bien profité. (Il sort.)


Scène XIII.

Mylord BONFIL, Myladi PAMÉLA.
Bonfil (à part.)


Oui, il a bien appris sur-tout l’art d’être importun.

Paméla (à part.)

Oh ! Dieu ! je suis toute tremblante !

Bonfil (à part.)

Son seul aspect me trouble et m’agite.

Paméla (à part.)

Je veux cependant m’enhardir. (Haut.) Monsieur.

Bonfil.

Sortez.

Paméla.

Grand Dieu ! me chasser de la sorte !

Bonfil.

Passez dans un autre appartement.

Paméla.

Permettez-moi de vous dire un mot seulement,

Bonfil.

Je n’ai pas le temps de vous écouter.

Paméla.

Pardon : mais il n’y a personne pour le moment.

Bonfil.

Il y a quelqu’un dans l’antichambre qui vient pour m’entretenir en particulier. Allez.

Paméla.

Hélas ! (Elle s’en va.)

Bonfil (du côté de Paméla.)

Ingrate !

Paméla (se retourne.)

Me parlez-vous, Monsieur ?

Bonfil.

Non ; je ne vous ai rien dit.

Paméla (sortant.)

En effet, ce titre-là ne peut me convenir.

Bonfil.

Ah ! c’est trop peu pour une infidelle.

Paméla (se retourne et s’approche de Bonfil.)

Paméla infidelle !

Bonfil.

Sortez, vous dis-je.

Paméla.

Pardon : est-ce bien moi que vous traitez d’infidelle ?

Bonfil.

Oui, c’est vous.

Paméla (le regardant tendrement.)

Ah ! cela n’est pas vrai !

Bonfil (à part.)

Un seul de ses regards me fait trembler.

Paméla.

Mais en quoi vous ai-je donc offensé ?

Bonfil (en s’agitant.)

Maudite femme !

Paméla.

Je puis vous rendre mon innocence palpable.

Bonfil (à part.)

Plût au ciel qu’elle dît la vérité !

Paméla.

Souffrez que je vous dise seulement…

Bonfil.

Sortez ; je ne veux rien entendre ; allez au diable.

Paméla (se retire toute tremblante.)

Ah ! de grâce, ne me faites point trembler.

Bonfil.

Cette femme est née pour mon malheur. (Il se jette sur un siége.)

Paméla.

Je sors ; je vous obéis.

Bonfil (s’agite, se renverse sur le dossier de son fauteuil, et couvre sa tête de ses mains.)
Paméla (de loin.)

Est-il possible que vous ne veuillez plus me voir ?

Bonfil (de même.)
Paméla (faisant un pas en arrière.)

Et cependant si vous vouliez m’entendre !

Bonfil (toujours de même.)
Paméla (à part.)

Il paraît avoir pitié de moi. Oh Ciel ! soutiens mon courage ! que peut-il m’arriver de plus funeste ? Oui ; essayons de le fléchir. (Elle s’approche de Mylord, se jette à ses genoux à côté de lui, sans qu’il s’en aperçoive.) Monsieur…

Bonfil (se retourne et l’aperçoit.)

Grand Dieu !

Paméla.

Cher époux !

Bonfil.

Sortez ; au nom du Ciel, sortez. Vous voulez me porter à des extrémités… Qui, femme indigne de mon amour… va-t-en, je ne veux plus te revoir.

Paméla (se lève et se retire désolée.)
Bonfil (à part.)

Ah ! malheureux !

Paméla (se retourne de son côté.)
Bonfil.

Sortez ; encore une fois, sortez.

Paméla (Elle sort désespérée.)[19]

Scène XIV.

Mylord BONFIL, Monsieur LONGMAN.
Bonfil.


Malheur à moi, si je m’arrêtais à cette pensée… elle a toujours le même pouvoir sur mon cœur. Ses regards, un seul mot de sa bouche m’enchanteraient de nouveau. Oui, le parti en est pris ; je l’ai résolu ; je la repudierai… Mais c’est trop faire attendre dans l’antichambre le Délégué du Secrétaire d’État. Je serais fâché qu’il s’en offensât. Hola ! quelqu’un.

Longman (entre du côté par où est sorti Pamela, il essuie ses yeux, et a l’air de pleurer.)

Monsieur.

Bonfil.

Dites à ce Ministre qu’il entre.

Longman.

À quel Ministre, Monsieur ?

Bonfil.

N’y a-t-il point dans l’antichambre un Envoyé du Secrétaire d’État ?

Longman (en essuyant ses yeux.)

Oui, Monsieur.

Bonfil.

Qu’avez-vous ? Vous paraissez répandre des pleurs.

Longman.

Rien, Monsieur, rien.

Bonfil.

Je prétends le savoir.

Longman.

J’ai vu pleurer notre pauvre Maîtresse… Pardonnez : je ne puis m’empêcher…

Bonfil.

Allez, et faites entrer cet Officier.

Longman.

Oui, Monsieur. (À part.) Il faut qu’il ait un cœur

de marbre.

Scène XV.

Milord BONFIL, ensuite Monsieur MAJER, et Monsieur LONGMAN.
Bonfil.

Si les larmes de Paméla étaient sincères !… Mais non ; elles sont trop suspectes.

Majer (saluant.)

Mylord…

Bonfil (lui rend son salut.)

Donnez-vous, Monsieur, la peine de vous asseoir. (Ils s’asseyent.)

Majer.

Le Secrétaire d’État m’envoie auprès de vous.

Bonfil.

J’étais en chemin pour me rendre chez lui lorsque j’ai trouvé dans la rue quelqu’un qui m’a prévenu de votre arrivée. Je suis alors revenu sur mes pas, pour avoir l’honneur de vous recevoir, et entendre les ordres du Ministre.

Majer.

Il m’envoie ici, pour vous donner une preuve de son estime et de sa sincère amitié.

Bonfil.

Y aurait-il quelque chose de nouveau relativement à l’affaire du comte d’Auspingh ?

Majer.

Je ne saurais vous dire. (À part.) Il faut feindre encore de l’ignorer.

Bonfil.

Est-il à votre connaissance qu’un vieillard Écossais se soit présenté chez le Ministre ou même dans les appartemens du Roi ?

Majer.

Je crois en effet l’avoir vu : mais je ne puis vous donner aucuns détails. (À part.) Il n’est pas temps encore.

Bonfil.

Qu’avez-vous à m’ordonner de la part du Secrétaire d’État ?

Majer.

Il est informé de ce qui s’est passé entre vous et votre épouse.

Bonfil.

Et de qui l’a-t-il pu savoir ?

Majer.

Je ne saurais vous le dire. Mais il sait que Myladi votre épouse est accusée d’infidélité ; il sait que vous la croyez coupable que vous voulez intenter un divorce, et qu’elle proteste de son innocence. Le Ministre qui aime, qui respecte votre maison, et qui désire sur-tout de protéger votre honneur, vous conseille, par mon organe, de faire d’abord un examen particulier de cette affaire, avant de la rendre publique. pour éviter le scandale et les sots discours du pays. Il m’a conféré le pouvoir d’en dresser sommairement le procès-verbal. Cela doit se faire dans votre maison sur le simple exposé des personnes informées, et par la confrontation des accusés et des accusateurs. En vertu d’un ordre du Ministre, mylord Artur doit se rendre ici. Faites venir votre épouse ; que myladi Daure, et le chevalier Ernold paraissent également : on sait qu’ils ont les premiers éveillé vos soupçons. Reposez-vous sur moi du soin de faire sortir la clarté du milieu même de la confusion, et de séparer l’erreur de la vérité. Si votre épouse est coupable, sa faute deviendra publique, ainsi que l’arrêt qui la condamnera. Innocente, vous retrouverez la paix de votre ame sans avoir hasardé votre réputation. Voilà ce que pense un sage Ministre, et ce que doit faire un honnête gentilhomme comme vous.

Bonfil (appelle.)

Hola !

Longman.

Monsieur.

Bonfil.

Faites entrer myladi Daure et le chevalier Ernold ; avertissez aussi Paméla et madame Jeffre : si mylord Artur se présente, dites qu’on le laisse entrer sur le champ. Trouvez-vous, ainsi que les autres, dans cet appartement, et n’en sortez pas. (Longman sort.)


Scène XVI[20].

Mylord BONFIL, M. MAJER, et successivement

Myladi DAURE, le Chevalier ERNOLD, Mylord ARTUR, Myladi PAMÉLA,

Madame JEFFRE, Monsieur LONGMAN.
Majer.


Mylord, vous n’êtes point l’ennemi de votre épouse ?

Bonfil.

Je l’aimai tendrement, je l’aimerais toujours davantage, si l’infidélité n’avait point dégradé son cœur.

Myladi.

Mylord, me voilà ; que me commandez-vous !

Bonfil.

Myladi, asseyez-vous. Sir Ernold, prenez place.

Ernold.

Qu’avons-nous donc à faire ici ? Quel est ce Monsieur ?

Bonfil.

C’est monsieur Majer, le premier Officier du Secrétaire d’État.

Ernold.

Majer, avez-vous voyagé ?

Majer.

Je ne suis jamais sorti de ce royaume.

Ernold.

Tant pis.

Majer.

Pourquoi ?

Ernold.

C’est qu’un Ministre doit être instruit ; et qui n’a pas voyagé, ne peut rien savoir.

Majer.

Je ne connais point de réponse aux propositions ridicules.

Ernold.

Ah ! le monde est un grand livre !

Paméla.

Mylord, je me rends à vos ordres.

Bonfil.

Asseyez-vous.

Paméla.

J’obéis.

Mme Jeffre.

Ne m’avez-vous pas demandée aussi, moi ?

Bonfil.

Oui, restez là.

Longman.

Monsieur, milord Artur est venu.

Bonfil.

Qu’il entre.

Longman (fait signe qu’on l’introduise.)
Artur.

J’obéis aux ordres du Secrétaire d’État.

Bonfil.

Faites-moi le plaisir de vous asseoir. (Artur s’assied.)

Majer.

Messieurs, je suis chargé par une Commission spéciale, d’examiner l’accusation portée contre Madame. (Il désigne Paméla.)

Paméla.

Monsieur, la calomnie m’attaque, mais je suis innocente.

Majer.

Je ne puis vous permettre encore de vous justifier.

Ernold.

Gardez-vous d’ajouter foi à ses discours.

Majer (à Ernold.)

Vous parlerez, Monsieur, quand votre tour sera venu de répondre. (À mylord Bonfil.) Mylord, quelle est la personne que vous soupçonnez de complicité avec votre épouse ?

Bonfil.

Mylord Artur.

Artur.

Un homme d’honneur… !

Majer (à Artur.)

Veuillez garder encore le silence. (À Bonfil.) Et sur quel fondement le croyez-vous ?

Bonfil.

J’ai une foule de raisons.

Majer.

Indiquez-moi la première.

Bonfil.

Ils ont été trouvés tête-tête.

Majer.

Où cela ?

Bonfil.

Ici.

Majer.

Ce n’est point un endroit retiré ; un salon de compagnie n’est pas suspect. Et qui les a surpris ensemble ?

Bonfil.

Le chevalier Ernold.

Majer (à Ernold.)

Que disaient-ils ?

Ernold.

Ma foi, je ne puis trop le savoir. Tout ce que je sais, c’est qu’on m’a fait faire une demi-heure d’antichambre, qu’on ne voulait pas me recevoir et qu’en me voyant entrer, malgré la défense expresse, Madame s’est fâchée, Monsieur s’est emporté contre moi ; et je regarde leur colère comme de fortes indices du crime dont on les accuse.

Majer.

L’impatience d’attendre, l’orgueil d’être mal reçu, tout cela peut vous les faire paraître tels. (À Artur.) Mylord, que faisiez-vous avec Madame ?

Artur.

Je m’efforçais de la consoler par l’espérance de voir bientôt son père réhabilité. Mylord Bonfil ne peut suspecter mon honnêteté ; il a assez de preuves de mon amitié pour lui.

Myladi (ironiquement.)

L’amitié de Mylord pouvait être intéressée : il aspirait sans doute à la possession de cette rare beauté.

Majer.

Le poison de la haine perce, Madame, dans ces expressions. Tous ces soupçons réunis n’établissent pas une semi-preuve.

Bonfil.

Si vous le permettez, Monsieur, je vais en fournir une qui suffit pour convaincre la perfide. Donnez-vous la peine de lire cet écrit.

Majer (prend la lettre, et lit tout bas.)
Myladi (bas à Ernold.)

Il me semble que ce Ministre penche un peu pour Paméla.

Ernold (bas à Myladi.)

Ne craignez donc rien : il a affaire à moi, affaire à un voyageur.

Majer (à Paméla.)

Madame, ce billet renferme de terribles preuves contre vous.

Paméla.

Je me flatte qu’il ne sera pas difficile de les réfuter.

Majer.

Et qui s’en chargera ?

Paméla.

Moi, Monsieur, si vous le permettez.

Majer.

Voilà l’accusation ; défendez-vous, si vous le pouvez.

Paméla.

Monsieur, que votre autorité m’obtienne du moins de pouvoir parler sans être interrompue par qui que ce soit.

Majer.

J’en fais une loi à tout le monde, au nom du Ministre.

Myladi (à Ernold.)

Il nous faut endurer cette ennuyeuse discussion.

Ernold (à Myladi.)

Cela ne servira de rien du tout.

Paméla.

Monsieur ; mon sort est connu de tout le monde. On sait que de simple servante je suis devenue tout-à-coup une grande dame : que, long-temps supposée une pauvre paysanne, j’ai découvert la noblesse de mon origine ; et que Mylord qui m’aimait, est devenu mon cher époux. On n’ignore pas non plus qu’autant la bassesse prétendue de mon origine inspirait de mépris pour moi à de certaines personnes, autant l’éclat imprévu de ma fortune a excité depuis de jalousie dans leur cœur. La haine que m’avait juré myladi Daure n’a paru assoupie un moment, que pour se ranimer avec plus de fureur encore. Le Chevalier qui avait osé insulter Paméla fille, ne s’est point fait un scrupule de persécuter Pamela mariée. J’aurais obtenu son amitié sans doute, si j’avais pu me prêter à ses mauvaises plaisanteries : mon sérieux l’a irrité, et son mauvais ton l’a naturellement amené à hasarder des soupçons. Je me trouvai en effet avec mylord Artur ; nous parlions de mon père. Sur le point de recouvrer sa liberté, cet infortuné vieillard trouve des difficultés à obtenir sa grace ; je le recommande à mylord Artur qui me promet tous les secours de l’amitié. Au moment de quitter Londres avec mon époux, j’en instruis Mylord par un billet. La voilà cette lettre qui m’accuse ; voilà le motif de mes fautes, voilà la base de tous les soupçons. J’écris à mylord Artur.

Vous savez que je laisse à Londres la plus chère partie de moi-même.

Pardonnez cher époux, s’il est un amour qui l’emporte encore dans mon cœur sur l’amour d’un époux. Mon père me donna la vie ; il est la plus chère partie de moi-même.

Votre bonté seule me console, et j’y mets toute ma confiance.

Ma confiance ne repose que dans mon époux et dans mylord Artur : si le premier vient avec moi à la campagne, le second reste à Londres pour servir les intérêts de mon père. Notre entrevue de ce matin avait pour objet cette grâce désirée, qu’il se flattait de pouvoir obtenir. Je souhaitai qu’il m’apportât cette heureuse nouvelle au comté de Lincoln, bien convaincue que la tendresse de mon époux accueillerait avec transport celui qui viendrait mettre par là le comble à ma félicité. La seule faute que j’aie commise en ceci, c’est d’avoir écrit cette lettre, sans la communiquer à mon époux. Voilà la source de ses soupçons ; voilà ce qui fournit des alimens à la calomnie ; et le concours malheureux des circonstances m’a fait paraître coupable un moment. Je ne reconnais que cette seule faute, je m’en repens, et j’en demande humblement pardon à mon époux. Ah ! que cette belle ame ne me croie pas indigne de sa tendresse ; qu’il ne fasse pas ce cruel affront à l’inaltérable pureté de la foi que je lui ai jurée, et que je lui conserverai toute ma vie. Si je suis indigne de son amour, qu’il me le retire au gré de son envie ; qu’il me prive même de la vie, mais non du titre chéri de son épouse. Ce titre qui m’honore est ineffaçable dans mon cœur, et ma conduite ne fera jamais rougir Mylord de me l’avoir accordé. Le Ciel me promet son appui, les Tribunaux m’assurent de leur justice ; ah ! que mon cher époux me rende son premier amour me pardonne généreusement, et déploie pour moi sa bonté.

Bonfil (hors de lui, se couvre le visage de ses mains, et montre la plus grande agitation.)
Ernold (à part.)

Voilà une péroraison qui mérite une place dans mes tablettes. (Il les tire et écrit dessus.)

Myladi (à part.)

Je donnerais cent doubles, pour ne m’être pas trouvée ici.

Mme Jeffre (à part.)

S’il n’est pas convaincu à présent, il faut qu’il soit pire qu’une bête brute.

Majer (à Bonfil.)

Vous ne dites rien, Monsieur ? N’êtes-vous point encore persuadé ?

Bonfil.

Ah ! je suis hors de moi. Trop d’images à la fois s’offrent à mon esprit. L’amour, la pitié m’attendrissent, (en désignant Pamela) ; la colère m’enflamme contre ces perfides, (en montrant Myladi et Ernold) ; la présence d’Artur m’afflige et me fait rougir ! Mais ce qui m’agite, ce qui me confond le plus, hélas ! ce qui m’empêche de sentir le plaisir extrême dont me comble ce moment, c’est le remords, chère épouse, de vous avoir offensée, de vous avoir si mal-à-propos persécutée et affligée aussi injustement. Non, mon injuste méfiance ne mérite plus votre amour. Plus vous êtes innocente plus je deviens coupable. Je suis indigne du pardon, et je n’ose pas même l’implorer.

Paméla.

Oh Dieu ! cher époux, ne tenez point un pareil langage : vous me faites mourir. Oubliez, de grâce, oubliez vos soupçons ; je ne me ressouviendrai plus de mes peines. Un regard de pitié, un tendre embrassement de votre part, compensent tous les chagrins que j’ai endurés, tous les affronts que j’ai pu essuyer.

Bonfil.

Ah ! oui ; viens dans mes bras, viens, et pardonne-moi.

Paméla.

Ah ! aimez-moi toujours. (Elle pleure.)

Longman.

Qui pourrait retenir ses larmes ?

Majer.

Vous croyez bien, Mylord, que le procès est terminé ?

Bonfil.

Ah ! oui. Remerciez pour moi le Ministre, s’il vous plaît.

Longman.

S’il faut encore des témoins, me voilà, moi,

Mme Jeffre.

L’honnêteté de ma Maîtresse n’en a pas besoin. Je suis si contente, qu’il ne semble avoir été morte et ressusciter tout d’un coup.

Majer.

Que disent les accusateurs ?

Myladi.

J’en veux beaucoup à mon neveu, qui m’a fait croire des faussetés.

Ernold (à Myladi.)

Et je vous en veux bien plus, moi, d’avoir établi une certitude sur mes légers soupçons.

Bonfil.

Chevalier, Myladi, vous me ferez le plaisir de ne plus remettre dorénavant les pieds chez moi.

Myladi (à Ernold.)

Mon frère a raison.

Ernold.

Je m’embarrasse ma foi bien de votre maison ! chez vous, c’est Londres, Londres, et toujours Londres, que je ne puis plus entendre nommer. Mon parti est pris dès ce moment ; et si vous n’avez rien à m’ordonner, je pars demain. (Il se lève.)

Bonfil.

Pour ?…

Ernold.

Pour l’Amérique septentrionale. (Il sort.)

Myladi (à Pamela.)

Chère sœur ! me pardonnez-vous ?

Paméla.

Quand vous le voudriez, mon cœur ne pourraît nourrir la haine.

Bonfil.

Oui, ma chère Paméla, toujours plus aimable toujours plus vertueuse ! viens dans mes bras, viens rien désormais ne manquera à ton bonheur.

Paméla.

Je ne puis cependant vous dissimuler ma peine. Mon père m’occupe toujours ; plus de bonheur, plus de tranquillité pour mon cœur si je ne le revois et si ses jours ne sont en sureté.

Bonfil.

Majer, au nom du Ciel !…

Majer.

Ne vous affligez point. Le comte d’Auspingh n’est pas bien loin de vous.

Paméla.

Oh, Ciel ! où est mon père ?

Majer.

Il m’a accompagné par ordre du Secrétaire d’État, qui m’enjoignit de le tenir caché de peur que sa présence ne troublât l’importante affaire qui, grâces au Ciel, s’est si heureusement terminée. Ordonnez qu’on l’introduise.

Bonfil.

Où est mon père ?

Paméla.
Le cher auteur de mes jours ?

Scène DERNIÈRE.

Les Mêmes ; le Comte d’AUSPINGH.
Le Comte.


Me voilà, ma chère fille ; me voilà, gendre adoré !

Paméla.

Ô tendresse extrême ! Quand serai-je donc parfaitement heureuse ! quand vous verrai-je libre et affranchi de la crainte qui vous accompagne ?

Le Comte (à Majer.)

Vous ne lui avez donc point fait part du secret important ?…

Majer (au Comte.)

Non ; apprenez-le lui vous-même.

Le Comte.

Oui, ma fille ; mon grand âge, mes malheurs passés, ma douleur présente, ont touché le Ministre de compassion ; il a franchi tous les obstacles, et m’a accordé ma grâce, sans restriction.

Paméla.

Oh, Dieu ! je ne puis suffire à tant de joie.

Bonfil.

Ô jour heureux pour moi !

Le Comte.

Remercions le Ciel de tant de bienfaits.

Paméla.

Ah ! si le jour de mon heureux hymen fut un beau jour pour moi, combien je suis plus satisfaite encore aujourd’hui, en voyant mon père recouvrer sa liberté, et la paix rentrer dans son ame. Un grand bien, pour l’ordinaire, ne s’acquiert point sans traverses et sans ennuis. Quelquefois la Providence met les cœurs à l’épreuve, pour connaître leur constance ; mais elle les soutient dans la souffrance, et finit toujours par récompenser la vertu, l’innocence, et la soumission à ses décrets.

Fin du troisième et dernier Acte.
EXAMEN
DE LA COMÉDIE DE PAMÉLA MARIÉE.
Séparateur


Il y a dans cette pièce infiniment plus d’intérêt et de mouvement dramatique que dans la précédente, qui, en général, est un peu froide, et doit la plus grande partie de son mérite à la situation de Bonfil, au charme continu du rôle de Paméla, et à la sagesse d’Artur, qui n’est ni triste ni pédantesque.

Ici, les intérêts sont beaucoup plus grande, et les situations, par conséquent, plus attachantes. Une femme pour qui Bonfil a tout fait, qu’il a aimée, et qu’il aime éperduement, coupable à ses yeux de la plus lâche ingratitude, de la perfidie la plus criminelle : un homme, un ami tel qu’Artur, complice en apparence de la trahison de Paméla : une sœur vindicative, jalouse dans tous les temps du mérite et du bonheur de Paméla, profitant avec avidité de l’occasion de la perdre : un jeune fat accumulant, avec une inconcevable légèreté, les preuves du prétendu délit, et ne trouvant rien que de fort naturel dans la conduite supposée d’Artur et de Paméla : un époux dévoré par là jalousie et brûlé en même-temps de tous les feux de l’amour ; quels personnages à mettre en scène ! quelle source féconde d’intérêts ! quelle carrière enfin ouverte devant le poëte dramatique ! Voilà ce que Goldoni a imaginé : l’exécution répond-elle au dessein ? c’est ce que nous allons examiner.

La réputation de vertu de Paméla est si bien établie auprès de son époux et du spectateur, qu’il faut pour la détruire, pour l’ébranler seulement, des motifs bien fondés, ou du moins de très-fortes apparences. Ce qui compromettrait facilement tout autre femme, est insuffisant ici, parce que Pamela n’est point une femme ordinaire, et que sa conduite antérieure peut tout faire présumer d’elle, excepté le mal. Il faut l’évidence même pour la soupçonner, et des preuves sans réplique pour la convaincre. C’est le comble de l’art, sans doute, d’avoir exposé la plus vertueuse la plus aimable des femmes, au plus grand de tous les chagrins, celui de perdre l’amour de l’époux qu’elle chérit ; au plus grand de tous les malheurs, celui d’être accusée et presque convaincue de l’avoir trahi. Cette situation déchirante, que le spectateur partage, est susceptible du plus grand effet, et il y en a aussi dans la pièce que nous analysons. Mais les moyens qui le produisent sont-ils assez vraisemblables ? La jalousie, et par conséquent la conduite de Bonfil, sont-elles motivées ? Il est naturellement jaloux, et la jalousie ne raisonne pas. Non ; mais l’amour examine, et Bonfil élude toute espèce d’examen, et ne cherche point à justifier ce qu’il aime, penchant aussi doux qu’il est naturel au cœur d’un amant. Voyez comme dans Zaïre, Orosmane, tout en disant :

Les éclaircissemens sont indignes de moi ;


en revient deux fois cependant à ces mêmes éclaircissemens qu’il a jugés si indignes de lui ; voyez comme il cherche et fournit à son amante tous les moyens de justification que l’amour, la vraisemblance et le désir sur-tout de la trouver innocente, lui peuvent suggérer ; et quand tout semble se réunir pour le convaincre qu’il est trahi, entendez-le s’écrier encore :

Laissez, sur-tout, laissez Zaïre en liberté !


Et quand prononce-t-il ce vers ? c’est à la fin du quatrième acte, c’est lorsqu’il tient entre ses mains des preuves manifestes de la perfidie de Zaïre, c’est au moment L enfin de la catastrophe la plus tragique peut-être qu’offre tout le théâtre français. Voilà la marche du cœur humain ; c’est ainsi qu’Orosmane a dû agir et parler, parce que c’est ainsi qu’on aime.

Il ne s’agit point d’établir ici un parallèle suivi entre deux ouvrages qui ne présentent tout au plus que quelques points de comparaison dans les détails : nous rapprochons seulement des situations qui sont et ont dû être les mêmes, et nous observons de quelle manière elles ont été traitées par deux écrivains distingués, par deux grands peintres des passions.

Bonfil connaît assez Ernold pour mépriser ses rapports ; assez Artur, pour ne pas embrasser légèrement l’idée d’un soupçon à son égard. C’était le cas d’une explication franche et amicale, et elle n’a point lieu : le seul endroit de la pièce où elle se présentait naturellement, est la scène septième du second acte, et cette scène finit par un défi, où l’on ne reconnaît plus la sagesse d’Artur qui doit plaindre et éclairer son ami, ou se disculper, au moins, de ses torts prétendus envers lui. Bonfil n’a contre Paméla d’autre preuve qu’une lettre qui offre, à la vérité, un sens équivoque et capable d’alarmer un époux, qui aurait d’ailleurs quelques doutes déjà sur la conduite de sa femme. Mais pourquoi ne parler de cette lettre ni à Artur ? ni à Paméla ? Comment se peut-il déterminer aussi précipitamment à sacrifier, sans examen, un ancien et respectable ami, une épouse si tendrement aimée } Pourquoi, dans la scène si intéressante du troisième acte, où Paméla proteste si ingénument de son innocence, n’échappe-t-il pas à Bonfil de lui dire : Lisez, perfide. Reconnaissez-vous cet écrit, etc.

Nous doutons que le dénouement adopté par Goldoni fît aucun effet sur la scène française. Cet interrogatoire en forme, ce procès verbal, etc., tout cela paraîtrait bien froid à des spectateurs qui aiment à être remués, dans un dénouement sur-tout où le poëte est supposé avoir rassemblé toutes ses forces, pour porter à son comble l’intérêt qu’il a dû exciter dans le cours de la pièce. Quelque touchante, quelque noble que soit la manière dont Paméla se justifie nous doutons qu’elle fût entendue avec intérêt dans cette circonstance, parce qu’il est impossible de voir ce qui l’a empêchée de dire plutôt tout ce qu’elle dit ici. Mais elle ignorait que Bonfil eût surpris sa lettre. Mais elle a revu depuis mylord Artur : comment ne lui a-t-elle pas demandé s’il avait reçu un billet qu’elle regarde elle-même comme si important ? Comment n’a-t-elle pas même demandé à Isac s’il s’était acquitté de sa commission ? On sent qu’il est difficile de justifier de pareilles invraisemblances. Des spectateurs français ne les pardonneraient point, et renverraient l’auteur à ce vers si connu :

L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas.

(Art poétique.)

Nous avons actuellement sous les yeux le jugement que le comité de lecture de la comédie française porta, dans deux circonstances différentes, de la pièce française dont nous avons donné l’extrait. Comme, à l’exception du dénouement et de quelques scènes de détail, l’auteur a suivi le plan et employé les ressorts de Goldoni, le comité, tout en rendant une justice encourageante au style de l’ouvrage, relève toutes les invraisemblances dont nous avons parlé, et conclut qu’il serait impossible de jouer la pièce, sans lui faire subir de grandes corrections. Il eût été à souhaiter qu’en montrant le mal, le comité eût en même temps indiqué le remède. Qui peut donner à de jeunes auteurs des conseils plus précieux que des artistes familiarisés avec tous les chefs-d’œuvres de la scène, et qui, par la manière dont-ils les rendent, font découvrir chaque jour en eux de nouvelles beautés ?

  1. Paméla.

    Ah ! s’il ne s’agissait que de moi, je saurais
    À cet instant d’orage opposer la constance,
    Obéir sans murmure, et souffrir en silence :
    Mais il s’agit d’un père ! hélas ! puis-je songes,
    Sans trembler, sans frémir, à son nouveau danger ! etc.

  2. Pour comble de malheur, l’Écosse soulevée,
    Colorant ses projets et son ambition
    Du prétexte sacré de la religion,
    D’une guerre nouvelle allarme la patrie :
    On veut, dans son principe, étouffer l’incendie
    Et, par le juste effroi de la sévérité,
    Mettre un frein redoutable à la témérité,
    Dans ces temps malheureux de discorde et de guerre,
    Où les opinions déchiraient l’Angleterre,
    Votre père a suivi les drapeaux de l’erreur,
    A signalé son zèle, ou plutôt sa fureur !
    Il ne faut donc, je crois, rien hâter ; la prudence
    Prescrit une autre marche en cette circonstance ;
    Un zèle trop ardent, trop prompt à se trahir,
    Nuirait à votre père, en croyant le servir, etc.

  3. Ah ! bien loin d’affliger une épouse qu’il aime,
    Il est de mon bonheur plus jaloux que moi-même ;
    Et ses soins assidus, ses égards complaisans
    Loin de se démentir, croissent avec le temps.
    Mais, le dirai-je, hélas tant de soins pour me plaire,
    À ce cœur désolé ne rendent point un père !
    Ce fracas de plaisirs, ce tumulte pompeux,
    Ne font qu’arracher l’ame à l’objet de ses vœux :
    En puis-je supporter la contrainte odieuse,
    Moi, qui loin d’un époux ne saurais-être heureuse !
    Qui, dans ce tourbillon qui m’obsède toujours,
    Ne cherche que ses yeux, n’entends que ses discours !
    Comment puis-je souffrir un séjour où, sans cesse,
    On ravit à mon cœur l’objet de sa tendresse ?
    Où la distraction et la frivolité,
    Du vain nom de plaisir masquant leur nullité,
    Se font, depuis long-temps, une étude suprême
    De l’art de se tromper, de s’éviter soi-même,
    De consumer le jour dans le pénible emploi
    De colporter l’ennui que l’on traîne après soi ?
    Une visite part, une autre la remplace ;
    L’un vante ses chevaux, l’autre ses chiens de chasse,
    Et cet autre étalant sa more gravité,
    Fait naître la contrainte et mourir la gaité.
    ....................
    Libre alors de mes fers et rendue à moi-même.
    Je me retrouve enfin auprès de ce que j’aime :
    Je goûte cs plaisir si pur, si consolant,
    Que n’empoisonne plus un dégoût accablant.
    Des longs ennuis du jour un instant me console :
    Mais que ce doux instant rapidement s’envole !

    Dans la retraite, au moins, et dans la paix des champs,
    Rien ne blesse les yeux, rien n’émousse les sens.
    Là, mes soins les plus doux, mon plus aimable ouvrage,
    Seront de gouverner mon paisible ménage,
    De cultiver mon cœur, de plaire à mon époux ;
    Et voilà les plaisirs dont ce cœur est jaloux.

    (Acte Ier, Sc. Ire)
  4. J’ai donc très-sagement prévenu son retour.
    Quand on a voyagé, quand on connaît son monde,
    On sait mettre à profit votre adresse profonde,
    Mesdames : vous savez, avares de faveurs,
    Vous armer à propos de prudentes rigueurs ;
    Et, pour tout dire enfin, soit amour, soit caprice,
    Si vous n’accordez rien, vous aimez qu’on ravisse.

    (Acte Ier, Sc. VIII.)
  5. Je reçois volontiers un ami respectable.
    Sa visite, à mes yeux, n’a rien que d’honorable ;
    Mais se vouloir de force introduire chez moi,
    Y braver ma défense, au mépris de la loi
    Qu’impose, en cas pareil, l’exacte bienséance !
    Ce n’est plus un honneur, Monsieur, c’est une offense ;
    Et je ne conçois pas comment j’ai mérité
    Un tel excès d’audace et de témérité,
    S’il vous souvient d’ailleurs des leçons un peu dures,
    Dont Paméla, jadis, a payé vos injures,
    Et si le temps encor n’a pu les effacer,
    Épargnez-moi l’affront de vous les retracer.

    (Elle sort.)


    Scène IV.

    ARTUR, ERNOLD.
    Ernold.

    Non, je n’en reviens pas ; oui, dans tous mes voyages,
    J’ai vu bien des pays, connu bien des usages :
    Mais dans tous les climats que j’ai pu parcourir,
    Un pareil caractère est encore à s’offrir.
    Il est original, romanesque, incroyable !
    Et ferait, au théâtre, un effet admirable.

    Artur.

    Oui, vous avez raison : tous les cœurs vertueux

    S’y pourraient reconnaitre, à des traits dignes d’eux.
    Ernold.

    Je conçois aisément la chaleur de ce zèle,
    Et votre intérêt veut que vous plaidiez pour elle.
    Pardon ! je suis venu rompre un doux entretien,
    Troubler un tête-à-tête… ! ah ! cela n’est pas bien ;
    Et d’un tiers, en ce cas, l’importune présence…

    Artur.

    Prenez garde, Monsieur, votre discours offense
    La vertu…

    Ernold.

    LA vertuPréjugé, dont je veux vous guérir,
    Contre lequel enfin il faut vous aguérir.
    Comment ? pour supposer à cette femme unique
    Quelque penchant pour vous, quelqu’ardeur sympathique,
    Cet honneur prétendu se croiraît outragé !…
    Si comme moi, mon cher, vous aviez voyagé…

    Artur.

    Je n’étalerais pas ce frivole avantage
    Aussi complaisamment, si pour tout mon partage,
    Je n’avais recueilli, dans cent climats divers,
    Que des vices de plus et de nouveaux travers.

    Ernold.

    Vous m’insultez !

    Artur.

    Vous m’insultezQui, moi ! je n’insulte personne,
    Je parle en général. Tant pis pour qui soupçonne
    Avoir pu me fournir matière à mes portraits.
    Est-ce ma faute, à moi, si mes crayons sont vrais ? etc.

    (Acte Ier, Sc. VIII.)
  6. Artur me trahirait ! et Paméla que j’aime,
    Paméla qui doit tout à mon amour extrême,
    Paméla ! non, jamais : je rougis d’y penser.
    À ces honteux soupçons, ah ! c’est trop m’abaisser.
    Oui, c’est trop outrager la vertu la plus pure.
    Cet entretien secret… Eh ! qu’en dois-je conclure,
    Qui puisse armer mon cœur d’un soupçon odieux ?
    Mais pourquoi cependant éviter tous les yeux,
    Interdire sa porte, affecter le mystère,
    Congédier Ernold !… Son ton, son caractère,
    Répugnent trop aux mœurs, aux goûts de Paméla,
    Pour qu’elle puisse aimer son entretien : voilà,
    Voilà pourquoi, sans doute, elle a fui sa présence.
    Piqué de cet affront, et plein de sa vengeance,
    Il voudrait la noircir auprès de son époux……
    Le piège est trop grossier ; je ne suis point jaloux.
    Mylord est mon ami, Mylord n’est point capable…
    Mais il est homme enfin ! Cette épouse adorable
    A pu, sans le savoir, allumer dans son cœur
    Ces redoutables feux, dont j’éprouve l’ardeur.
    Sans doute il est aisé de s’en laisser surprendre.
    Le charme de la voir, le plaisir de l’entendre…
    Que dis-je ! Sa beauté, ses charmes ravissans
    Ce coup-d’œil enchanteur qui trouble tous mes sens,
    Sont les moindres trésors que je chérisse en elle.
    J’admire ses vertus, et cette ame si belle.
    Si pure, où le soupçon craindrait de s’arrêter !
    Qui l’injustice encor veut la persécuter.
    Mais je saurai peut-être, au gré de mon envie,
    Découvrir, déjouer, punir la calomnie.

    (Il sort.)
    Fin du premier Acte.

    Sans doute il est aisé de s’en laisser troubler !

    (Zaïre.)

    La comédie française, dans son examen, releva plusieurs imitations trop sensibles de vers connus, et avertit avec raison l’auteur de Paméla de se méfier d’une mémoire qui paraît le trahir quelquefois.

  7. Nous savons bien bon gré à l’auteur de la pièce française d’avoir traduit toute cette scène avec la plus scrupuleuse fidélité, et d’en avoir sur-tout conservé précieusement la simplicité originale. Il a senti avec raison, qu’ajouter un mot, c’était la gâter ; et que s’il est des cas où l’on doive s’efforcer de surpasser son modèle, précisément parce qu’on lui est, en général, très-inférieur, il en est d’autres aussi, où la gloire du traducteur peut et doit se borner à le suivre de très-près.
  8. Ce petit artifice de Jeffre est-il bien réfléchi ? Le motif qui le lui suggère est très-respectable, sans doute ; mais n’est-il pas vraisemblable qu’il doit produire un effet bien different de ce qu’elle s’était proposé ? N’est-ce pas précisément parce qu’elle connaît la penchant de Mylord à la jalousie, qu’elle doit craindre que s’il découvre la vérité, ce qui est aussi facile que probable, le mystère qu’on lui en a fait n’ajoute à ses soupçons et ne rende Paméla infiniment malheureuse !
  9. L’auteur français a senti combien cette espèce d’interrogatoire que Bonfil fait subir l’un après l’autre aux gens de sa maison, l’avilissait lui-même, et dégradait même Pamela aux yeux du spectateur. Il a suivi, en conséquence, une marche différente.
    Bonfil.

    Hola ! quelqu’un ? Isac !

    Isac.

    Hola ! quelqu’un ! IsacMonsieur.

    Bonfil (à part.)

    Hola ! quelqu’un ! Isac ! MonsieurQue vais-je faire !
    Malheureux ! compromettre une épouse si chère !
    La livrer au mépris de ses propres valets ;
    Et me déshonorer, m’avilir à jamais !
    Non ; quel que soit l’effort qu’il en coûte à mon ame,
    Je dois me respecter, en respectant ma femme.
    Je n’en saurais douter ; son honneur est le mien.
    Et je ne puis……

    Isac (s’approchant.)

    Et je ne puisMonsieur, que désirez-vous !

    Bonfil.

    Et je ne puis. Monsieur, que désirez-vousRien. (Il sort.)

    (Acte II, Sc. VIII.)
  10. Ciel à mylord Artur, et c’est de Paméla !

    (Il va pour lire.)

    Je frémis, ma main tremble ; et mon ame interdite,
    Dans ce billet fatal, croit voir ma perte écrite.

    (Il lit.)

    « Mylord, je me vois forcée d’accompagner mon époux dans
    » ses terres d’Yorck ; ce voyage imprévu…
    Quelle nécessité, quel si grand intérêt
    D’annoncer ce départ ! Sans doute il lui déplaît.

    (Il continue.)

    » Vous n’ignorez pas que je laisse à Londres la plus-chère partie
    » de moi-même.
    Ainsi donc, dans son cœur un autre me balance !
    Ainsi l’amour, l’honneur et la reconnaissance.
    Les droits les plus sacrés n’existent plus pour toi,
    Femme ingrate !

    (Il lit.)

    » Toute ma consolation, tout mon espoir sont désormais dans vos
    » bontés. Je ne m’explique pas plus clairement : vous sentez
    » l’imprudence qu’il y aurait à livrer de pareils secrets au papier.
    » Nous nous entendons ; c’est tout ce qu’il en faut,
    Femme ingrateLe Ciel est juste, tu le vois !
    Le Ciel ne permet pas que tant de perfidie.
    Soit long-temps ignorée et demeure impunie.

    (Il lit.)

    » Vous savez ce dont nous sommes convenus ce matin, et je
    » compte sur votre prudence ordinaire. »
    Hélas ! c’est donc en vain que, prompt à l’excuser,
    Moi-même, en sa faveur, j’aimais à m’abuser !
    Que mes yeux, repoussant une triste lumière
    Refusaient de s’ouvrir au jour qui les éclaire !
    Parjure ! c’est ainsi que ta fausse douceur
    À mes yeux trop séduits déguisait ta noirceur !

    J’en atteste l’amour, dont tes perfides charmes
    Enivrent tous me sens ; j’en atteste les larmes
    Que m’arrache, aujourd’hui, le plus grand des forfaits :
    Ma rage égalera ton crime et mes bienfaits,
    Et toi, vil imposteur, dont la flamme odieuse
    Empoisonne mes jours d’une amertume affreuse,
    Tu te dis mon ami ! tu ne le fus jamais.
    Indignement trahi par tout ce que j’aimais
    Je vais, puisqu’il le faut, confondre la parjure,
    Poursuivre mon rival, et venger mon injure.

    Fin du second Acte.
  11. On a tout lieu d’être surpris que Paméla ne demande point ici à Bonfil quel est ce billet, et de quoi il veut lui parler ; qu’elle ne soupçonne pas même qu’il est possible que ce soit la lettre adressée à mylord Artur. Il est vrai qu’un mot d’explication terminait tout, et que la pièce était finie. Mais est-ce un motif suffisant pour excuser d’un côté, la conduite de Bonfil qui, bien loin de chercher à s’éclairer, en élude au contraire toutes les occasions, et celle de Paméla, qui ne cherche pas même à deviner sur quoi peuvent être fondés les soupçons de son mari ? Peut-être nous dira-t-on que Zaïre n’aurait qu’un mot à dire aussi pour détromper Orosmane, et que ce mot, elle ne le dit point. Mais la situation est bien différente : Zaïre est liée par un serment : Zaïre a promis à son père expirant de ne point révéler le secret de sa naissance ; et c’est précisément parce qu’elle doit obéir à quelque prix que ce soit, c’est parce qu’elle est déchirée entre son père et son amant, que Zaïre est si intéressante et si théâtrale.
  12. Bonfil.

    Un divorce formel, voilà votre partage.

    Paméla.

    Le divorce ! Qu’entends-je ! Ai-je donc mérité
    Ce comble de l’opprobre et de l’indignité ?
    Et c’est vous ; vous, cruel, dont la voix me l’annonce
    Cet arrêt flétrissant, votre cœur le prononce !
    Et j’en pourrais subir l’inexprimable horreur !
    Depuis quand avez-vous des droits sur mon honneur ?
    Mes jours, mon rang, mes biens sont en votre puissance :
    Je vous dois mon amour et ma reconnaissance
    Je le sais ; je m’en fais une gloire, un plaisir,
    Et je m’estime trop, pour jamais vous trahir.
    Si j’ai, sans le savoir, innocemment coupable,
    Provoqué la rigueur d’un juge inexorable,
    frappez ; punissez-moi ; je saurai tout souffrir.
    Mais si publiquement vous pensez me flétrir,
    Imprimer sur mon front le sceau de l’infamie,
    Je saurai me soustraire à tant d’ignominie.
    Aux traits des envieux, à leurs viles clameurs,
    À vous-même, en un mot, j’opposerai mes mœurs.
    S’il est des tribunaux qui punissent l’offense,
    Il est des lois aussi qui vengent l’innocence.
    Je les invoquerai, j’obtiendrai leur appui,
    Et le ciel, entre nous, sera juge aujourd’hui.

    (Elle sort.)
    (Paméla mariée, acte III, Sc. VIII.)
  13. Paméla tient le même langage dans la pièce française.

    Quel moment pour mon père !
    Ah ! combien va frémir son courage indigné,
    Et de quels pleurs amers je le verrai baigné !
    Le seul bruit du soupçon alarmait sa tendresse,
    Révoltait son honneur et sa délicatesse…
    Lui pourrai-je annoncer ce projet plein d’horreur !
    Non, jamais chaque mot lui percerait le cœur ;
    Je n’en ai pas la force.

    (Paméla mariée, acte IV, Sc. Ire.)
  14. Il n’est guère possible
    Qu’il l’ignore ; et ce coup lui sera plus sensible,
    Plus douloureux cent fois, partant d’une autre main.
    On vous peindra coupable, et rien n’est plus certain,
    Prévenez les méchans ; exposez-lui vous-même
    Les chagrins, les tourmens d’une fille qu’il aime.
    Au récit de vos maux, son cœur s’attendrira
    Les vengera peut-être, ou du moins les plaindra,
    Il est toujours si doux de pleurer près d’un père !
    Quand je vous ai paru d’un sentiment contraire,
    De quoi s’agissait-il d’un courroux, d’un dépit,
    Qu’un instant a vu naître et qu’un autre assoupit :
    Et qui ne devait pas avoir de conséquence.
    Mais la chose, à présent, est d’une autre importance ;
    II s’agit de l’honneur : c’est notre premier bien ;
    Nous devons le défendre.

    (Paméla mariée, Acte IV, Sc. Ire.)
  15. De ce discours cruel, dicté par l’injustice,
    Je démêle aisément le coupable artifice,
    Madame ; dès long-temps, je ne l’ignore pas,
    Votre haine assidue environne mes pas,
    Épie avidement l’instant de ma ruine.
    De cet ardent courroux quel est donc l’origine ?
    J’ai bravé, dans un temps, vos ordres ; je l’ai dû,
    Quand leur objet était de flétrir la vertu.
    Votre imprudent neveu secondait votre ouvrage :
    J’opposai constamment le mépris à l’outrage.
    Voilà mes torts ; j’en eus sans doute un bien plus grand,
    Celui de vous confondre, et de plaire un moment.
    Votre haine vaincue et réduite au silence,
    Changea dès-lors sa marche et son plan de vengeance.
    Vous parûtes m’aimer : mais votre aversion
    Éclatait, malgré vous, dans la moindre action.
    Vous voyez si mes yeux vous ont toujours jugée.
    Aujourd’hui cependant, vous vous croyez vengée.
    Des revers imprévus et non pas mérités,
    Vous ouvrent un champ libre, et vous en profitez.
    Heureuse de mes pleurs, fière de ma disgrace,
    Vous souscrivez d’avance au coup qui me menace.
    Loin de fléchir un frère, et d’éclairer son cœur,
    Vous venez lâchement insulter au malheur :
    Que dis-je ? Vous venez jouir de votre ouvrage.
    Oui, vos perfides soins ont excité l’orage,
    D’une ame trop sensible allumé le courroux ;
    Et de mes maux enfin, je n’accuse que vous.

    (Paméla mariée, Acte IV, Sc. III.)
  16. L’auteur français met ce récit dans la bouche de madame Jeffre, et y change quelques circonstances.

    Mon maître et lord Artur, respirant la vengeance,
    S’éloignaient de ces lieux dans un morne silence,
    Quand sir Ernold les joint, et, d’un ton courroucé,
    Réclame hautement le droit de l’offensé,
    Reproche à lord Artur son attente trompée,
    Lui propose à l’instant le pistolet, l’épée,
    Ou telle arme, en un mot, qu’il lui plaira choisir.
    Mylord, sans balancer, se rend à son désir :
    La distance est marquée, on s’éloigne ; Ernold tire :
    Mais son bras tremble, hésite, et sa bravoure expire,
    Et le coup, au hasard, s’égare dans les airs.
    Lord Artur fond sur lui, plus prompt que les éclairs :
    Je suis, vous le voyez, maître de votre vie,
    Dit-il ; mais je pardonne à votre étourderie :
    Mon honneur est vengé, c’est tout ce qu’il fallait.
    Il dit, et lâche en l’air son coup de pistolet.
    Cependant sir Ernold, qui sans doute en voyage,
    A fait preuve de tout, excepté de courage,
    Humilié, confus, et d’effroi tout tremblant,
    Ne sait pas bien encor s’il est mort ou vivant.
    C’est à moi maintenant que vous avez affaire,
    Dit votre époux alors ; et déjà la colère
    Fait briller dans ses mains un homicide acier ;
    Et tout plein d’un courroux qu’il veut justifier,
    Il n’écoute, il ne suit rien qu’une aveugle rage :
    Tandis que, maîtrisant son tranquille courage,
    Et d’un coup-d’œil plus sûr dirigeant tous ses coups,
    Mylord, du premier choc, désarme votre époux,
    Sou épée, en éclats, vole au loin sur l’arêne.
    Soudain mylord Artur lui présente la sienne,
    Et d’un ton noble et fier qui n’appartient qu’à lui ;
    Percez, si vous l’osez, le sein de votre ami,
    Dit-il. À ce discours, bien fait pour le confondre,
    Bonfil anéanti cherche en vain à répondre.
    Sans ajouter un mot, Mylord s’est retiré ;
    Et votre époux, après avoir pesté, juré,
    Maudit vingt fois le jour, rentre dans l’instant même.

    (Paméla mariée, Acte IV, Sc. V.)
  17. Auspingh.

    Ma chère Paméla,
    Que vient-on de m’apprendre ! Ah ! j’en frémis encore.
    Fuyons ; éloignons-nous d’un séjour que j’abhorre,
    Depuis que ta vertu que l’on ose insulter,
    S’y voit……

    Paméla.

    C’est pour cela que je veux y rester.
    C’est ici que je dois vaincre la calomnie ;
    Et je n’en puis sortir, que vengée, ou punie.

    Auspingh.

    Quel affront !

    Paméla.

    Quel affrontLe malheur s’attache sur mes pas :
    Mais on me persécute ; on ne m’avilit pas.
    La haine des méchans n’a rien que je redoute :
    Mon cœur est innocent.

    Auspingh.

    Mon cœur est innocentEh ! crois-tu que j’en doute !
    Je te connais trop bien, pour que j’ajoute foi
    Aux bruits calomnieux parvenus jusqu’à moi.
    Mais, avant que l’on fasse éclater l’innocence,
    Le public abusé, juge sur l’apparence,
    Condamne sans motif, et proscrit sans retour.
    Blanchi dans les revers jusqu’à ce triste jour,
    J’ai pu voir, sans pâlir, la haine et la vengeance
    Unir tous leurs efforts contre mon existence :
    Pour dérober ma tête à leur lâche fureur
    J’ai pu, jusqu’à la fuite, humilier mon cœur ;
    Dans l’horreur des déserts ensevelir ma vie,
    Supporter tout enfin, excepté l’infamie.

    Paméla.

    Eh ! qui pourrait survivre à l’honneur ! Non, jamais.

    Auspingh.

    La honte, je le sais, n’est que dans les forfaits,
    Et non pas dans ce bruit frivole ou téméraire,
    Qui fait l’opinion d’un stupide vulgaire.
    Mais, une fois flétri par ce juge insensé,
    L’on n’examine plus ; l’arrêt est prononcé…
    Il faut le prévenir, et que la calomnie
    Tombe aux pieds des vertus, écrasée et punie.

    Paméla.

    Aux volontés du Ciel il faut se résigner,

    Auspingh.

    Le Ciel même nous dit de ne point épargner
    Les méchans ; et voilà sa volonté suprême.

    Paméla.

    Que résoudre ? que faire en ce désordre extrême ?

    Auspingh.

    Tenter tous les moyens que nous laissent les lois
    Pour soutenir l’honneur, et pour venger ses droits,

    Paméla.

    Et qui peut désormais embrasser ma défense ?
    Mon époux m’interdit jusques à sa présence ;

    Mylord Artur gémit sous le poids du soupçon,
    Et le trouble et l’effroi règnent dans ma maison !
    Quel ami reste encor à ma douleur mortelle ?
    Qui parlera pour moi ? Qui sont ceux dont le zèle… !

    Auspingh.

    Qui ! moi, ma fille, moi. Je cours me présenter
    Au prince ; à ses genoux j’oserai me jeter :
    Mes prières, mes pleurs, le désespoir d’un père…

    Paméla.

    Et vous ajouteriez ce comble à ma misère !
    Vous, dont les jours proscrits… n’ai-je donc point assez
    Des affronts, des périls, sur ma tête amassés ?
    Par ces genoux sacrés que ma douleur embrasse,
    Ne vous exposez point… Peut-être votre grâce…

    Auspingh.

    Eh ! qu’importe, dis-moi, cette vaine faveur,
    S’il la faut acheter aux dépens de l’honneur,
    Si ma fille succombe ou respire avilie !
    Vois ces cheveux : je touche aux bornes de ma vie :
    Mais je prétends mourir, ainsi que j’ai vécu,
    Sans souffrir, sans laisser de tache à ma vertu,
    J’abandonne aux bourreaux une vie expirante :
    Mais je sauve l’honneur d’une fille innocente ;
    Et mon sang lavera l’insupportable affront,
    Dont un soupçon honteux a fait rougir son front.
    On ne confondra point l’innocence et le crime :
    Et la loi satisfaite, en prenant sa victime…

    Paméla.

    Ah ! que proposez-vous à mes sens révoltés !

    Auspingh.

    Ce qu’ordonne l’excès de nos calamités.

    Paméla.

    Qui moi, je souffrirais qu’une tête si chère… !

    Auspingh.

    Ami, je le demande ; et je l’exige en père.
    Si vous m’aimez encor, si vous êtes mon sang,
    Et si vous partagez ce que mon cœur ressent,
    Laissez un libre cours au transport qui m’anime.
    Je vais à l’injustice arracher sa victime ;
    Démasquer les méchans qui vous osent flétrir ;
    Défendre la vertu, la venger, ou périr.

  18. Avec quelle douceur et quel enchantement
    Je me rappelle encor ce fortuné moment,
    Où sa bouche timide et pleine de sa flamme,
    M’apprenait, en tremblant, les secrets de son ame !
    De ses premiers discours la modeste candeur,
    Et son front, coloré d’une aimable pudeur
    Se retracent encore à mon ame attendrie… !
    (*) Et tout cela finit par une perfidie !
    Et je n’ai plus, du moins, la funeste douceur
    De pouvoir, un instant, douter de mon malheur !
    Oui ; tout est avéré : cette lettre coupable,
    De leur lâche complot monument exécrable ;
    Leurs entretiens secrets, leur dépit, leur courroux,
    Quand le hasard m’offrit à leurs regards jaloux,
    Tout prouve leur forfait, tout prouve mon offense
    Tout sur sa tête enfin appelle ma vengeance…
    Ingrate Paméla ! tu l’as voulu ! c’est toi
    Oui romps tous nos sermens, qui dégages ta foi ;
    C’est toi qui, repoussant mon cœur et ma tendresse,
    (**) Qui, fausse avec douceur, perfide avec bassesse,
    As du plus saint des nœuds souillé la pureté,
    Et provoqué l’arrêt que ma haine a porté…
    La haine ! mot affreux ! quelle horreur il fait naître !
    L’ai-je pu prononcer ! devais-je le connaître !
    Moi, qui, né pour aimer, avait cru rencontrer
    Un cœur tel que le mien le devait espérer !
    Mais, c’est trop m’occuper d’une épouse infidelle.
    Puisque ce jour enfin va me séparer d’elle,
    Je la veux oublier ; je veux que ses attraits
    De ce cœur indigné s’effacent pour jamais, etc.

    (Paméla mariée, Acte V, Sc. II.)

    (*) Tout cela finirait par une perfidie !
    (Racine, dans Bajazės.)

    (**) Tranquille dans le crime, et fausse avez douceur.
    (Voltaire, Zaïre.)
  19. Nous regrettons sincèrement que l’auteur de la Paméla mariée, française, n’ait pas disposé son plan de manière à y faire entrer cette scène, d’un effet vraiment dramatique ; où le caractère de Paméla se déploie tout entier, et où les tourmens de l’amour et de la jalousie sont si énergiquement représentés dans la personne de Bonfil. Nous ne craignons pas d’assurer que, jouée comme elle le serait aujourd’hui au théâtre français, cette scène serait universellement applaudie.
  20. L’auteur de la pièce citée jusqu’ici dans nos notes, a suivi dans son cinquième acte en général, et sur-tout dans son dénouement, une marche si différente de Goldoni, que nous croyons devoir transcrire ici toute la fin de l’ouvrage, en laissant toutefois au lecteur le soin de prononcer sur ce changement.

    Scène VII.

    BONFIL, Madame JEFFRE, ISAC ; AUSPINGH (sortant de l’appartement de Paméla, et s’efforçant de l’entraîner avec lui : Bonfil sur le devant de la scène.)
    Auspingh.

    Viens, ma fille, suis-moi.

    Paméla.

    Viens, ma fille, suis-moiLaissez-moi lui parler ;
    Et peut-être ma voix…

    Auspingh (avec une fureur concentrée.)

    Et peut-être ma voixOn m’accorde le reste
    De ce jour, pour quitter cet asile funeste
    Pour fuir Londre à jamais ! J’en suis banni !

    Bonfil (frappé des derniers mots.)

    Pour fuir Londre à jamaisGrand Dieu !
    Qu’entends-je ? Expliquez-moi…

    Auspingh.

    Qu’entends-jeOui, j’abandonne un lieu
    Où la vertu plaintive, où la simple innocence,
    Sans pouvoir l’obtenir, ont demandé vengeance ;
    Et je bénis l’arrêt qui, fixant mes destins,
    M’affranchit pour toujours de l’aspect des humains.

    Bonfil.

    Eh ! pourquoi vous presser pourquoi ne pas attendre
    Que mon zèle, mes soins…

    Auspingh (avec indignation.)

    Que mon zèle, mes soinsVous pourriez me défendre,
    Quand, par l’éclat honteux d’un divorce offensant,
    Vous voulez profaner ma vieillesse et mon sang ?

    Bonfil.

    Je donnerais le mien, pour que son innocence……

    Auspingh.

    Avez-vous seulement entendu sa défense ?
    Vous avez rebuté ses timides douleurs ;
    Votre œil impitoyable a vu couler ses pleurs !

    Paméla (à son père.)

    Ah ! ne l’accusez pas de mes peines cruelles.
    Non, non. Ce n’est pas lui… Des discours infidelles
    Ont trouvé dans son cœur un trop facile accès.
    Il aimait Paméla… mais, sensible à l’excès

    Et, rebelle à la voix qui s’offrait à l’instruire,
    Par de lâches conseils il s’est laissé séduire.

    Bonfil.

    Et vous osez encore… ! Eh bien ! détruisez donc

    (Il sort la lettre de sa poche.) (Avec sensibilité.)

    Cette preuve terrible… ! et bientôt ton pardon…

    Paméla.

    Quelle est-elle ?

    Auspingh.

    Quelle est-elleVoyons.

    Bonfil.

    Quelle est-elle ? VoyonsJ’ai de quoi la confondre.

    Auspingh (à sa fille.)

    Qu’ai-je entendu !

    Bonfil (lui donnant la lettre.)

    Qu’ai-je entenduLisez ; qu’elle puisse répondre,
    C’est tout ce que j’attends, c’est tout ce que je veux.
    Le Ciel m’en est témoin : le plus cher de mes vœux
    Serait de n’avoir cru qu’une fausse apparence.

    Paméla (avec un cri de joie, en reconnaissant sa lettre.)

    Je te rends grâce, ô ciel ! appui de l’innocence !
    Tu me rends et l’estime et le cœur d’un époux !

    (À Bonfil.)

    Connaissez votre erreur.

    Auspingh.

    Connaissez votre erreurComment !

    Bonfil.

    Connaissez votre erreur. CommentQue dites-vous !

    Paméla (à son père.)

    Vous savez l’intérêt et généreux et tendre
    Qu’à votre triste sort lord Artur daignait prendre.
    Votre grâce, mon père, éprouvait des délais :
    Je confie à Mylord d’aussi chers intérêts ;

    Sur le point de partir, je retrace à son zèle
    Mes craintes, mes ennuis et ma douleur mortelle.
    Sa bonté, son crédit, tout me justifiait,
    Et c’est le seul motif qui dicta ce billet.
    Pouvais-je présumer que le sort qui m’outrage,
    Dût en faire, aujourd’hui, l’instrument de sa rage !
    J’écrivais à Mylord. (Elle lit.)

    « Vous n’ignorez pas que je laisse à Londres la plus chère partie de moi-mème.

    (À Bonfil.)

    J’écrivais à MylordPardonnez, cher époux,
    Si, malgré tout l’amour qui m’enflamme pour vous,
    Un autre sentiment vit encor dans mon ame :
    N’en soyez point jaloux ; un père le réclame,

    (Elle reprend sa lecture.)

     » Tout mon espoir, toute ma consolation… »

    Bonfil (l’interrompant.)

    C’est assez ; épargnez à mes sens déchirés
    Le tourment des remords qui me sont préparés.
    C’est moi qui suis un monstre, un ingrat, un parjure :
    L’opprobre des humains, l’effroi de la nature !
    Ah ! devais-je écouter des ennemis jaloux…
    Que tu dois me haïr !

    Paméla (avec douceur.)

    Que tu dois me haïrMoi, haïr mon époux !
    Je l’aime, je le plains ; (elle lui tend la main) et voilà ma vengeance.

    Bonfil (hors de lui.)

    Eh bien moi, je m’abhorre ; et plus ton innocence
    Éclate à tous les yeux et confond ma fureur,
    Plus je dois me haïr, plus je me fais horreur.

    Paméla.

    Ah ! cessez, cher époux, de tenir ce langage !
    Il déchire mon cœur, il m’afflige, il m’outrage
    Plus cent fois que l’erreur dont je vous vois gémir.
    Écartons l’un et l’autre un fâcheux souvenir :

    Oubliez vos soupçons, j’oublierai ma disgrace :
    L’amour a fait nos maux, que l’amour les efface.

    Bonfil.

    Et voilà donc le cœur que j’osai soupçonner !
    Que mes lâches fureurs… Tu peux me pardonner ;
    Il n’est point de vertu, dont tu ne sois capable.

    Auspingh.

    Ce moment adoucit mon destin déplorable ;
    Et je pars…

    Bonfil.

    Et je parsDemeurez auprès de vos enfans ;
    Espérez tout encore ; oui, nos efforts constans…

    Auspingh.

    J’ai souffert le mépris ! la pitié dédaigneuse !
    On me laisse par grace une vie odieuse,
    Dont mes mains à l’instant auraient tranché le cours…

    Paméla.

    Ah ! mon père ! vivez ! j’ai besoin de vos jours !

    Bonfil.

    De nous poursuivre enfin la fortune est lassée,
    Chère épouse ; et bientôt sa grâce…


    Scène VIII.

    Les Mêmes, Mylord ARTUR
    Artur.

    Chère épouse; et bientôt sa grâceEst prononcée :
    La voilà.

    Auspingh.

    Juste Ciel !

    Paméla.

    Juste cielMon père !

    Bonfil.

    Juste ciel ! Mon pèreJour heureux !
    C’est à vous que je dois… !

    Auspingh.

    C’est à vous que je doisAmi trop généreux
    Comment avez-vous pu, quand tout m’était contraire…

    Artur (à Auspingh.)

    On avait contre vous aigri le Ministère.

    (À Bonfil.)

    Des ennemis cruels, et qui vous sont connus,
    Avaient empoisonné les esprits prévenus
    De rapports odieux, d’impostures affreuses,
    Mais j’ai su démêler leurs trames ténébreuses,
    Exposer leur noirceur et leur atrocité :
    J’ai fait, dans tout son jour, briller la vérité :
    L’éclat d’un nom, jadis fameux dans l’Angleterre ;
    La majesté de l’âge et son grand caractère,
    Et le Ciel, qui sans doute au gré de ses desseins,
    Touche et fléchit le cœur des mobiles humains,
    Tout répond à mes vœux, tout seconde mon zèle,
    Et je viens apporter cette heureuse nouvelle.

    Auspingh.

    Ah ! nos cœurs pourront-ils reconnaître jamais…

    Artur.

    Le plaisir de bien faire est le prix des bienfaits.

    Bonfil (à Artur.)

    Digne ami ! jusqu’à vous puis-je élever ma vue
    Désormais je rougis, et mon ame éperdue
    Si coupable envers vous…

    Artur.

    Si coupable envers vousQue tout soit oublié.

    (Lui donnant sa main.)

    Ne vous souvenez plus que de mon amitié.

    Bonfil.

    Ah ! d’un semblable trait vous seul êtes capable,


    Scène SCÈNE IX et dernière.

    Les Mêmes, Myladi DAURE.
    Myladi (à Paméla.)

    J’apprends avec plaisir que, loin d’être coupable ;
    Ma sœur… mais j’avais peine à croire aussi…

    Bonfil.

    Ma sœur mais j’avais peine àQui vous !
    Vous pouvez affecter des sentimens si doux ;
    Vous, dont la voix perfide accusait l’innocence !

    Paméla.

    En sa faveur encore écoutez l’indulgence :
    Que sa grace…

    Bonfil.

    Que sa graceSa grace ! et c’est vous dont la voix…

    Paméla.

    Vous l’avez, à mes pleurs, accordée autrefois.
    Je la demande encore.

    Myladi.

    Je la demande encoreEt moi, je la refuse.
    Cette indigne faveur, ou ma fierté m’abuse,
    Me serait un outrage à la tenir de vous.
    Qui, j’ai voulu vous perdre auprès de votre époux ;
    Je m’en flattais… Le sort a trahi ma vengeance !
    Mais il me laisse, au moins, la flatteuse espérance
    De voir tomber un coup si long-temps désiré,
    Et qui n’est pas perdu, pour être différé.
    Adieu. (Elle sort.)

    Bonfil (à Paméla.)

    AdieuNe craignez point son impuissante rage.
    Et le Ciel et mon cœur démentent ce présage.

    Paméla.

    Que puis-je désormais craindre de son courroux,
    Puisqu’il rend à mes vœux mon père et mon époux !

    Fin du cinquième et dernier Acte.