Par nos champs et nos rives/12

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Imprimé au Devoir (p. 27-30).

LA COLLINE


I

Quand l’hiver a quitté la charmante forêt,
Quand le printemps sourit aux feuilles des grands chênes
Quand la fécondité de la terre apparaît,
Et que l’on peut songer aux récoltes prochaines ;


Parmi l’herbe nouvelle, et le long des sentiers
Où le pas du semeur matinal se dessine,
Tel on aime revoir de vieilles amitiés,
Bien souvent, je reviens visiter la colline.



De loin, je puis la voir, calme, entre deux buissons,
Que la voix des oiseaux inonde d’harmonie,
Et son flanc, alourdi des futures moissons,
Jette un rayonnement de splendeur infinie !…


On dirait qu’elle peut aussi m’apercevoir ;
Qui sait, elle m’attend et m’appelle, peut-être ?
Il me semble qu’elle est heureuse de me voir :
Comme une amie, elle a l’air de me reconnaître !


Peut-être que Dieu donne aux choses d’ici-bas
La force du regard ; peut-être, la colline
A-t-elle reconnu le bruit sourd de mes pas,
Et compris mon attache à sa beauté divine ?…


J’avance doucement, auprès d’elle ; je vois
Briller, dans le soleil, sa figure gaillarde ;
Je lui souris, lui parle à voix basse, et je crois
Que la colline m’aime et qu’elle me regarde !….

II

Ô colline, longtemps après nous tu vivras,
Toi qui restes debout, près de l’homme qui tombe !
Belle, comme aujourd’hui, toujours tu renaîtras,
Quand l’âge nous aura fait descendre à la tombe !…



Et ceux-là d’entre nous qui cheminent, le soir,
À ton ombre, et qui vont respirer ton haleine,
Ceux qui t’aiment d’amour et qui viennent s’asseoir,
Près de toi, pour humer ton odeur souveraine ;


Ces paysans, marchant d’un pas rythmé, pareil
Au pas des matelots, dans leur barque traîtresse,
Ces pères et leurs fils, jeunes hommes vermeils,
Dont le regard brûlant est comme une caresse ;


Et celles que tu vis si souvent revenir
Vers toi, pour entasser ton blé dans leurs voitures,
Ces femmes dont on sent flotter le souvenir
Dans tes enchantements, ô sublime nature !


Ces filles égrenant, dans le jour attiédi,
Leur rire clair, pareil au rire des sirènes,
Les glaneuses qui vont poser leur pied hardi
Dans l’herbe, et font ployer leurs épaules sereines ;


Tous auront disparu d’ici, tous seront morts,
Couchés au cimetière où la brise soupire,
Et toi, tu revivras, dans tes feux et tes ors,
Colline, et l’on verra rayonner ton sourire !  !…


III

Mais souviens-toi que nous t’aimions,
Quand, dans la saison des semailles,
Avec nos grands chapeaux de paille,
Dans ton chemin, nous revenions !…


Souviens-toi des heures joyeuses,
Heures d’amour et de chansons,
Où courait, parmi tes buissons,
La jeunesse, aux lèvres rieuses !…


Belle colline, souviens-toi,
Souviens-toi de ces jeunes couples
Qui passaient, langoureux et souples,
Ivres d’espérance et de foi !…


À ton ombre qui nous invite,
Où le bonheur nous rassemblait,
Souviens-toi du chant qui semblait
Faire battre ton sein plus vite !…

Quand, pour toujours, nous dormirons,
Ô colline, en tes paysages,
Ah ! rappelle-toi nos visages,
Et souviens-toi que nous t’aimions !…