Par nos champs et nos rives/21

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Imprimé au Devoir (p. 55-60).

LE POÈME DES ARBRES


I

Les arbres sont toujours demeurés nos amis.
Dans la forêt profonde où le ciel les a mis,
Ils n’ont jamais cessé de sourire à nos peines,
Et de prendre leur part des souffrances humaines.
Quand nous sommes enfants, quand nous sommes petits,
De la chair de leurs flancs sont faits les petits lits
Où nous dormons… Nos yeux se rouvrent dans la joie
Des printemps radieux, où le soleil flamboie,
Et nos rêves sont pleins de ces enchantements
Qu’ont les arbres heureux, dans leurs recueillements !…

Puis, quand l’enfance a fui, quand la belle jeunesse
Nous grise de sa flamme et de sa hardiesse,
Quand, pour marcher, gaiement, dans les sentiers humains,
Et regarder sans peur les rudes lendemains,
L’homme que le destin ténébreux accompagne,
Rêve de se choisir une douce compagne,
C’est encore le tronc des arbres d’alentour
Qu’il prendra pour bâtir sa cachette d’amour !…
Dans nos maisons ce sont les beaux arbres qui mettent
Le feu réjouissant où nos fronts se reflètent,
Et, quand la dernière heure, enfin, sonne pour nous,
Lorsque nous prenons place au divin rendez-vous,
Dans ce cercueil que nous offrent les arbres, comme
Nous sommes bien couchés pour notre dernier somme !…

II

Les arbres dont le vent caresse les ramilles,
Sur les monts, font songer à de grandes familles,
Où la maturité prend des airs triomphants,
Où les nobles vieillards protègent les enfants.
Les bouleaux délicats, frêles comme des femmes,
Avec leur teint rosé, semblent de grandes dames,
Dont la distinction, la grâce et la beauté,
Dans les sombres forêts répandent la gaieté…
Les aulnes sont les fils. Les érables prospères,

Les chênes, les sapins, les pins ce sont les pères.
Ils vivent de longs jours et vieillissent heureux.
Mais, quand le doigt du temps vient s’abattre sur eux,
Quand, blessés par les ans et vaincus de la vie,
Résignés à la mort, sans regret, sans envie,
Ne sentant plus la sève en leur âme fleurir,
Les viellards des forêts se penchent pour mourir,
Leurs fils aimants, les ifs, les trembles et les saules,
Dont la force arrondit les robustes épaules,
Les gardent sur leur cœur et leur font, de leurs bras,
Le plus calme tombeau qu’il existe, ici-bas !…
Et les arbres, entre eux, se parlent. Leur langage
A des accents secrets qui nous charment. Je gage
Que si Dieu nous laissait les comprendre un seul jour,
Si nous les entendions dire leurs mots d’amour,
Nous, les amants humains dont la lèvre brûlante
Verse les mots, comme une source ruisselante,
Nous nous tairions, jaloux, enivrés, et muets,
En écoutant parler les arbres des forêts ;
Dédaignant à jamais nos paroles mièvres,
Nous laisserions mourir les aveux, sur nos lèvres !…

III

Les arbres sont des cœurs que Dieu n’a pas finis.
Altérés de lumière, avides d’infini,

Ils regardent, sans cesse, au fond des sombres nues,
Le chemin qui conduit aux voûtes inconnues…
De même que nos cœurs tendent vers la beauté,
Les arbres, dans la vaste et pâle immensité,
Face à face au matin, d’où jaillit la lumière,
Dans une inaltérable et sublime prière,
Les arbres, vers le ciel, dans l’azur suspendu,
Tendent les bras, avec des gestes éperdus !…
Quelques fois, on dirait qu’ils montent, dans l’espace,
Qu’ils vont prendre leur vol, avec l’oiseau qui passe,
Libres de toute attache au sol qui les retient,
Et délivrés, enfin, de leur terrestre lien !…
Mais non ! Leur vol est court et cette joie est brève !
Ils reprennent, bientôt, leur tristesse et leur rêve,
Car, des lieux éternels, ils demeurent bannis :
Les arbres sont des cœurs que Dieu n’a pas finis !…

IV

Mais les arbres des bois, comme nous, sont en butte
À l’attaque cruelle et tenace du temps :
Avec leurs ennemis ils sont toujours en lutte,
Et plusieurs sont blessés par la main des autans.


Et, lorsque la tourmente a fondu sur leur tête,
Les arbres ont sur eux tant d’horreur et d’ennui,
Qu’un long frisson d’effroi les trouble jusqu’au faîte,
Et qu’on entend gémir leur plainte, dans la nuit !…

Parfois, c’est le tonnerre et c’est l’éclair des nues
Qui les brise, d’un seul irréparable coup ;
Et l’on voit se dresser, au loin, leurs branches nues,
Comme les bras d’un mort qui resterait debout !…

Souvent aussi le feu dévore leurs ramures,
Meurtrit leur chair vivace, et leur front couronné,
Déchire leur visage, abat leurs chevelures,
Et fait, de tout leur corps, un spectre calciné !…

Et, dans la forêt claire où le jour étincelle,
Tous ces arbres, meurtris à jamais, ont sur eux
Ce signe de beauté presque surnaturelle
Que la souffrance met au front des malheureux !…

V

Pour la fraîcheur si douce de votre ombre,
Pour ces longs ans, dont vous êtes doués,
Pour vos bienfaits, pour vos grâces sans nombre,
Arbres, soyez loués !



Soyez loués ! Quand le vent vous effleure,
Vous protégez les oiseaux et les nids !
Vous qui, du froid, gardez notre demeure,
Arbres, soyez bénis !


Soyez bénis, abris sûrs, paix profonde,
Troncs reverdis, feuillages embaumés !
Pour la beauté dont vous baignez le monde,
Arbres, soyez aimés !…