Par nos champs et nos rives/32

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Imprimé au Devoir (p. 89-90).

L’ANCÊTRE


Parmi les hommes qui devinrent mes ancêtres,
Exploiteurs de forêts et marchands de poissons,
Il en est un, aimant les champs et les moissons,
Qui consacra sa vie aux durs travaux champêtres.

Celui-là partit seul, un jour, vers les côteaux,
Où la forêt poussait, épaisse, insurmontable,
Où surgissait, soudain, la face épouvantable
De l’ours que les chasseurs dardaient de leurs couteaux.

Dès l’aube, il se levait, s’en allait dans la brousse,
À travers les buissons se frayant des chemins,
Traversant les ruisseaux, et broyant de ses mains,
Le tronc des arbres morts, enveloppés de mousse.


À grands coups, sans relâche, il bûchait jusqu’au soir,
Dans l’enchevêtrement des pins à hautes branches,
Qui, vaincus, tour à tour tombaient en avalanches ;
Puis dans l’ombre il soupait d’un morceau de pain noir !…

Orgueilleux de sa force, enivré de sa peine,
Dès que son fer, creusant des trous dans la forêt,
Ouvrait une éclaircie où tout l’azur rentrait,
Ses grands yeux s’emplissaient d’une flamme soudaine !…

Lorsqu’enfin, dans la brèche, après un dur labour,
Et des feux d’abattis qui rougirent la nue,
Une plaine surgit, claire, vivante et nue,
Il étendit sur elle un long regard d’amour !…

Et plus tard, quand les blés que, d’un geste suprême,
Sa large main semait, dans le creux des sillons,
Lorsqu’enfin les blés mûrs jetèrent leurs rayons,
Un sourire infini baigna sa face blême !…

Ancêtre, ô doux ami des grands érables verts !
Ô creuseur de sillons dans les terres antiques !
Sois béni ! J’ai reçu de toi mes goûts rustiques,
Et c’est ton âme qui vient chanter dans mes vers !…