Par nos champs et nos rives/42

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Imprimé au Devoir (p. 111-112).

LA « BRUNANTE »


Voici que, sur les monts, la « brunante » descend.
Jean L’Heureux et son fils qui fauchent sur la « Butte »
Laissent tomber leur faux, fatigués de la lutte
Qu’ils livrent, en silence, à l’épi frémissant.

D’ailleurs, voici le temps de regagner son gîte ;
Bientôt, dans le chemin, tout sera sombre et noir,
Et, dans la brume, au loin, tous deux, ils peuvent voir
La flamme de leur poêle où la soupe s’agite.


Lui, le fils, le jeune homme aux yeux graves et doux,
Évoque le souper qui fume, sur la table,
Et la jeune jument flânant près de l’étable,
Qui le mènera voir sa « blonde » aux cheveux roux…

En quel rêve joyeux et serein ils s’abîment,
Ces hommes, héritiers du labeur des aïeux !
Et comme elle apparaît souriante à leurs yeux
La maison où des ombres chères se raniment !…

À cette heure qui n’est ni la nuit ni le jour,
Dans ce sentier perdu qui s’embrume, le père
Songe à la femme aimante et bonne qui l’espère,
Et qui, depuis des ans, l’aime du même amour !…

Pour que durent longtemps en leur âme charmée,
La joie et la douceur de ce rêve qu’ils font,
Ils gardent un silence énergique et profond,
Attirés vers ce toit d’où monte une fumée…

Et vers l’humble logis, calme et réjouissant,
Où la mère et l’épouse a rallumé la lampe,
Ils se hâtent, tous deux, le chapeau sur la tempe,
Pendant que, sur les monts, la « brunante » descend !…