Par nos champs et nos rives/51

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Imprimé au Devoir (p. 129-133).

LE CHRIST


I

Dans un recoin, baigné de rayons et d’azur,
Et face à la fenêtre, où le soleil demeure,
Au foyer paysan, dans la simple demeure,
Un Christ de plâtre blanc repose sur le mur.

Il assiste au réveil joyeux du paysage ;
Il reçoit les derniers rayons du soir mourant ;
Et l’on voit, aussitôt, de la porte, en entrant,
Briller son douloureux et sublime visage…


C’est le Christ des anciens, celui que les aïeux
Ont placé là, jadis, de leurs mains solennelles,
Et que, plus tard, entrant dans la vie éternelle,
Ils ont baisé, longtemps, en refermant les yeux…

Il est le confident, le vieil ami, le maître,
Que le père et le fils ont prié, tour à tour ;
Antique protecteur de ce calme séjour,
Il tient, aux yeux de tous, la place d’un ancêtre.

Il est l’objet chéri, pieux et consolant,
Auquel le souvenir d’un peuple se rattache ;
Et son corps décharné, la nuit, fait une tache
Blanche, dans la noirceur du foyer somnolent.

Il est de la famille, il tient autant de place
Que la table féconde et que le lit berceur ;
Il emplit de lumière et baigne de douceur
Ce toit, fier gardien des vertus de la race !…

Et, c’est à ses genoux que rayonnants d’espoir,
Et pleins de confiance en l’œuvre terminée,
Les gens de la maison, après l’âpre journée,
Disent, à haute voix, la prière du soir !…


II

Ô Christ ! toujours, ainsi, tu seras nécessaire
Au monde tourmenté qui lutte et qui gémit !
Tu resteras toujours le plus fidèle ami
Des hommes que le mal enveloppe et lacère !

Tant qu’il faudra semer les champs, pour que l’épi
Dispense à notre corps la graine nourricière,
Tant que, dans les sillons et la glèbe grossière,
L’effort humain devra s’acharner, sans répit ;

Tant que le vent, le froid, la tourmente, et l’orage
S’abattront, sans pitié, sur les belles moissons ;
Tant que les éléments, lourds de maux et d’affronts,
Feront peser sur nous le poids de leur outrage ;

Tant que, sous les douleurs, notre chair gémira,
Défaillante, et vouée à la décrépitude ;
Tant que, chargé de deuils et de vicissitudes,
Notre cœur harassé, dans l’ombre, pleurera ;


Tant qu’il faudra que nos faibles forces succombent,
Dans la lutte où l’esprit s’épuise en vain effort ;
Tant que tout, ici-bas, finira par la mort,
Et que les plus beaux fronts descendront vers la tombe ;

Dans leur amour, dans leur espoir, et dans leur foi,
Dardant vers le bonheur leur âme inassouvie,
Tant que la vie, ô Christ, demeurera la vie,
Les hommes malheureux tendront les bras vers toi !…

III

Car c’est vous, ô Jésus, qui nous avez montré
Le chemin merveilleux où brille la lumière !
Car c’est vers vous que va notre cœur ulcéré,
Et c’est vers vous que monte aussi notre prière !

Car vous êtes la vie et vous êtes l’amour,
Et de vous, il s’échappe une joie éternelle ;
L’âme que votre grâce appelle, sans retour,
Sent un souffle nouveau qui s’élargit en elle.


Car vous avez voulu naître nu, comme nous,
Souffrir du froid, jeûner des jours et des semaines,
Sur une terre ingrate étendre vos genoux,
Et saigner, comme nous, sur les routes humaines !…

Car vous avez trouvé des gestes et des mots,
Pour apaiser nos pleurs et calmer nos détresses.
Car vous avez été souriant à nos maux,
Et vous avez ouvert votre âme aux pécheresses !

Car vous nous avez dit : « J’ai soin de mon troupeau :
Paîssez, ô mes brebis, paissez, sur les collines,
J’éclairerai vos nuits d’un céleste flambeau,
Et je vous mènerai vers les plaines divines ! »…

Et vous êtes celui qui nous accueillera,
Le pasteur dont les mains bienveillantes sont sûres,
Qui, de tous nos péchés, un jour, nous lavera,
Et qui nous guérira de toutes nos blessures !…