Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXe siècle/X

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Pour les autres éditions de ce texte, voir L’Hôtel des Monnaies de Paris (Maxime Du Camp).

CHAPITRE X

LA MONNAIE


i. — les poinçons

Prérogative souveraine. — Rois faux-monnayeurs. — La monnaye. — L’hôtel du quai Conti. — L’âge du marteau. — Anciens procédés. — Aubin Olivier. — Marc Béchot. — Monnaie au moulin. — Résistance. — Gingembre. — Presse Ulhorn. — Ornements. — Premiers testons. — Édit du 8 août 1548, acte de naissance de la monnaie moderne. — Système décimal. — Monnaies actuelles. — Frai. — Alliage. — Titre. — Cour des monnaies. — Commission des monnaies et médailles. — Direction. — Hôtels des monnaies en France. — Signes particuliers. — Le point secret. — La marque. — Le différent. — Le graveur général. — Acier de monnaie. — Les poinçons. — La trempe. — Le coin. — Le paraphe. — Précautions. — Viroles. — Virole brisée. — Importance du graveur général. — Le type. — Monnaie historique.


Le monnayage est de prérogative souveraine. C’est en vertu de ce vieil axiome du droit coutumier, vrai encore aujourd’hui, que les communes, les villes, les seigneurs, faisaient battre monnaie autrefois, et c’est contre ce privilège dont chacun se montrait particulièrement jaloux que vint se briser l’excellente volonté de Philippe le Long, lorsque, vers 1321, il tenta d’établir dans son royaume l’unité des monnaies, des poids et des mesures, idée simple et pratique qui devait attendre la Révolution pour triompher théoriquement et s’imposer peu à peu à la nation tout entière. Bien des rois de France, pressés par des besoins urgents, ont altéré les monnaies, fixant d’une façon arbitraire le taux du marc d’or et du marc d’argent, et réalisant ainsi des bénéfices considérables au détriment de leurs sujets. Les premiers Valois ont emporté dans l’histoire le triste surnom de faux-monnayeurs, et les peuples leur ont souvent redemandé en vain « la forte monnoye du bon roy sainct Louys ». Soit qu’ils voulussent gagner sur la monnaie, soit qu’ils voulussent au contraire lui assurer un titre et un poids réguliers, les rois ont toujours eu intérêt à faire surveiller de près la fabrication des espèces métalliques ; aussi tous les gouvernements l’ont-ils soumise à un contrôle très-étroit[1].

Dans les premiers temps de la monarchie, la monnoye se fabrique au palais même, et, pendant leurs voyages, les rois emmènent les monnayeurs avec eux. Plus tard, les ateliers furent situés au Marais, sur l’emplacement qu’occupe probablement aujourd’hui la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie ; Henri II les fit installer au logis des Étuves, sorte de palais qu’il possédait dans la Cité sur les anciens jardins de Philippe le Bel, à l’endroit où s’étend de nos jours la place Dauphine ; mais cet établissement fut dès 1585 presque exclusivement consacré aux médailles, et la monnaie du roi resta, jusqu’au siècle dernier, entre la rue de la Monnaie et la rue Thibautodé, non loin des greniers à sel.

Lorsque l’insuffisance de ces vieux bâtiments fut démontrée, on voulut construire un hôtel monumental des monnaies place Louis XV ; les travaux furent entrepris, et déjà 150 000 livres avaient été dépensées, lorsqu’on changea brusquement de projet et qu’on se résolut à élever le nouvel édifice au lieu et place de l’hôtel Conti, que la ville de Paris, autorisée par arrêt du conseil en date du 22 août 1750, avait acquis au prix de 160 000 livres pour y faire bâtir un hôtel de ville. L’abbé Terray posa, le 30 avril 1771, la première pierre du monument, qui, sous la direction d’Antoine, fut terminé en 1778. Il était alors à la fois harmonieux et grandiose, tel que nous le voyons aujourd’hui. Malgré toutes les constructions modernes, malgré les nouveaux palais, les nouvelles églises, les nouveaux théâtres, l’Hôtel des Monnaies reste encore, grâce à la pureté du profil, un des édifices les plus élégants de Paris[2].

Comme toutes les choses humaines où l’art n’est pas seul en jeu et dans lesquelles la science et l’industrie ont une part prépondérante, la fabrication des monnaies a éprouvé des modifications considérables. Elle a eu trois époques distinctes qu’on pourrait nommer l’âge du marteau, l’âge du balancier, l’âge de la presse. Le premier système, qui nous a été légué par l’antiquité, a été pratiqué seul jusqu’à Henri II, et n’a réellement pris fin que pendant les premières années du règne de Louis XIV ; le second a persisté jusque vers 1846 ; le dernier est seul employé depuis cette époque.

La fabrication au marteau était lente, défectueuse, et n’assurait à la pièce ni forme, ni dimension convenables. Lorsque l’ouvrier, ayant fait les alliages indiqués et liquéfié les métaux, avait obtenu sa fonte, il la jetait en rayaux, c’est-à-dire qu’il la coulait sur des tablettes de fer creusées de rainures où le métal refroidi prenait la forme d’une barre, qui était ensuite amincie et forgée sur l’enclume. Ces barres, après avoir subi l’escopelage, devenaient des carreaux à peu près régulièrement divisés. On les faisait recuire pour assouplir le métal, et les tailleresses leur donnaient à l’aide de cisailles une forme aussi arrondie que possible. Le carreau était devenu un flan. Soumis alors à diverses opérations qui avaient pour but de le niveler, de le régulariser, de le blanchir, et parvenu ainsi à l’état de perfection très-relative dont on se contentait alors, il était placé entre deux coins de fer portant chacun une intaille. Le coin inférieur était nommé trousseau et le coin supérieur pile ; ces dénominations subsistent encore. Le monnayeur frappait à l’aide d’un marteau pesant trois livres un ou plusieurs coups jusqu’à ce que la pièce eût reçu l’empreinte ; puis celle-ci était remise au juge-garde-des-monnaies, qui, vérifiant le poids, la faisait, selon qu’il la trouvait droite ou non, entrer en circulation ou jeter à la fonte.

Tout ce système fut renversé par l’invention simultanée du laminoir, du découpoir et du balancier. L’emploi de cet outillage devait donner à la fabrication une rapidité que la découverte de l’Amérique et l’importation de métaux précieux qui en résulta rendaient indispensable. En 1550, Aubin Olivier, qui avait créé le balancier, fut nommé par Henri II maître-ouvrier, garde et conducteur des engins de la Monnoye des Étuves, et l’on peut voir encore, soit au musée monétaire du quai Conti, soit au cabinet des médailles de la Bibliothèque impériale, quels types supérieurs on obtint immédiatement par le nouveau procédé et grâce aux admirables poinçons gravés par Marc Béchot.

Ce genre de fabrication était appelé la monnaie au moulin[3], parce que le laminoir, établi sur un bateau, était mis en mouvement par une roue hydraulique. Le coupoir, sorte d’emporte-pièce conduit par une vis, donnait aux flans une régularité parfaite, et les empreintes obtenues au balancier étaient irréprochables. Ces améliorations, qui, par la sûreté des moyens mis en œuvre, simplifiaient singulièrement le travail des ouvriers, ne faisaient point l’affaire des confréries de monnayeurs. Leur opposition devint si acharnée que dés 1585 la monnaie au moulin fut interdite ; les Étuves furent exclusivement réservées pour le frappage des médailles. Cet état de choses regrettable se maintint pendant longtemps, car sous Louis XIII les pièces courantes étaient encore battues au marteau. Lentement et comme à regret, on revint à la fabrication inaugurée par Henri II : une déclaration royale en date du 30 mars 1640 ordonna de frapper la monnaie d’or au moulin ; en 1644 cette mesure fut étendue aux espèces d’argent, et enfin en 1645 on interdit formellement la fabrication au marteau comme préjudiciable à la pureté des monnaies du roi. Dès lors le balancier devint le seul engin frappeur dont on se servit. Sous le règne de Napoléon Ier il fut perfectionné par Gingembre, qui obtint même un prix de 25 000 francs en récompense des améliorations notables qu’il avait introduites dans la fabrication. Conservé aujourd’hui encore pour la frappe des médailles, le balancier a fait place depuis 1846 aux presses monétaires, employées pour la première fois, vers 1829, en Bavière par Ulhorn, à qui en est due l’invention, apportées en France par Thonnelier, qui leur a donné son nom, un peu comme Americo Vespucci a baptisé le monde découvert par Christophe Colomb. Ces presses, modifiées et rendues pratiques par l’ingénieur Houel, sont rapides et sûres ; nous les verrons fonctionner plus tard.

Pendant l’âge du marteau, après la chute de l’empire romain, on ne fabriqua guère que des pièces couvertes d’ornements plus ou moins bien agencés, pièces de tout module, de tout titre, presque de toutes formes, et qui circulaient sous toute espèce de noms, dérivés le plus souvent de l’empreinte spéciale dont elles étaient frappées : — agnelets, lorsqu’elles représentaient un agneau ; angelots, quand elles portaient la figure d’un ange ; écus, à cause du blason qui les revêtait ; liards, que Guigne-Liard, de Crémieu en Viennois, mit le premier en circulation vers 1430[4]. Les premiers testons c’est-à-dire les premières monnaies à effigie, furent frappées sous Anne de Bretagne, Louis XII et François Ier ; mais l’usage de ces pièces n’entra définitivement dans les mœurs des souverains qu’avec Henri II, qui, par édit royal du 8 août 1548, ordonna que dorénavant la monnaie reproduirait le buste du roi. Ce fut aussi sous son règne que l’on inscrivit régulièrement le millésime au revers des pièces ; avant lui, il est très-rare de le rencontrer, et on ne le trouve guère que sur un écu d’or d’Anne de Bretagne (1493). C’est donc Henri II qui a créé la monnaie française : il lui donne le type, l’effigie, la date ; mais en cela il ne fait que suivre l’exemple que les princes italiens lui offraient depuis longtemps.

Ces améliorations excellentes rendaient notre monnaie plus belle, mais non plus régulière. Le titre, le poids, le diamètre, variaient perpétuellement. Quand on parlait de refondre les monnaies[5], tout le monde était pris d’inquiétude ; comme la valeur était plus nominale que réelle, on craignait d’avoir des pertes à supporter. Les parlements s’en mêlaient, et Louis XVI lui-même fut obligé de subir leurs remontrances, dont il ne tint du reste aucun compte. Pour cela, comme pour tant d’autres choses, les hommes de la Révolution tombèrent juste du premier coup en adoptant le système décimal, qui déjà depuis quelques années était admis dans les sciences exactes, et dont l’emploi, décrété le 1er août 1793, et réglé par les lois du 18 germinal an III et du 1er vendémiaire an IV, ne fut rendu obligatoire que quarante ans après par la loi du 4 juillet 1837, qui édictait des peines contre quiconque emploierait les termes usités autrefois. Ce qui n’empêche pas les marchandes d’œufs de crier encore dans nos rues : « Trois de six blancs, les rouges et les blancs ! » et les marchands de pommes de terre de chanter : « Au boisseau ! au boisseau ! » Ce n’est donc pas immédiatement qu’on fit subir aux monnaies la réforme nécessaire ; les premières espèces dites constitutionnelles furent des écus, des demi écus, des pièces de 30 et de 15 sous, du reste, on ne fabriquait guère ; les métaux précieux avaient disparu, les hôtels des monnaies étaient clos, le louis d’or de 24 livres valait 18 000 francs en assignats. Les décrets du 28 thermidor an III, du 28 vendémiaire an IV, déterminèrent la fabrication des pièces de 5 francs ; la loi du 7 germinal an XI, la fabrication des monnaies décimales d’or ou d’argent. Lentement, avec toute sorte de précautions que prescrivaient l’intérêt du commerce et le respect des habitudes prises, on démonétisa les écus de 6 livres, les pièces de 24, de 12, de 30, de 15 sous, qui circulaient encore librement il y a une trentaine d’années[6], et l’on arriva enfin à fixer normalement la monnaie ainsi qu’il suit : or, 100 francs, 50 francs, 20 francs, 10 francs, 5 francs ; argent, 5 francs, 2 francs, 1 franc, 50 centimes, 20 centimes ; bronze, 10 centimes, 5 centimes, 2 centimes, 1 centime. Ce système comprend toutes les monnaies décimales que peut fournir l’intervalle de 1 centime à 100 francs ; les coupures et les multiples du franc, unité de monnaie, sont respectivement au nombre de 6. De plus, chaque pièce a l’avantage de porter un nom qui indique la valeur exacte qu’elle représente. On est donc arrivé à une nomenclature précise, simple, commode à retenir, s’imposant d’elle-même et qui facilité singulièrement les transactions de la vie usuelle.

Il ne suffisait pas de fixer d’après le système décimal le poids et le diamètre des monnaies ; il fallait déterminer le litre, c’est-à-dire la quantité de métal précieux que chaque pièce doit contenir. En 1792, Clavière avait proposé de fabriquer les espèces en métal pur. On ne put s’arrêter à ce projet, qui dénotait plus de probité que de connaissances pratiques. Le métal, or, argent, cuivre, à l’état de pureté est d’abord assez difficile à obtenir en quantités importantes, et ne se prépare guère que dans les laboratoires ; mais il a en outre l’inconvénient de subir un frai considérable, c’est-à-dire de s’user très-vite. Pour garder fidèlement l’empreinte, pour ne pas être trop sensiblement altéré par une manipulation perpétuelle, le métal destiné aux monnaies a besoin d’être, pour ainsi dire, solidifié par un alliage : l’or et l’argent sont mêlés à du cuivre rouge ; le cuivre est additionné d’étain, de zinc et devient alors du bronze. Après de nombreuses expériences, on s’est arrêté à 900 millièmes de métal pur et à 100 millièmes d’alliage pour les monnaies d’or et les pièces de 5 francs en argent. Quant aux fractions de ces dernières, 2 francs, 1 franc, etc., elles sont à 835 millièmes. Cette dernière proportion est relativement récente, car le titre était égal dans le principe pour toute la monnaie plate. Elle a été commandée par notre intérêt même et pour ne pas voir toutes nos pièces divisionnaires d’argent accaparées par l’étranger, qui les refondait avec bénéfice ; elle pourrait avoir pour résultat prochain la démonétisation forcée de nos grosses pièces d’argent. Il est à désirer cependant qu’on y regarde de près avant de prendre à cet égard une détermination définitive. Nos pièces de cinq francs argent trouvent dans l’extrême Orient, vers la Perse, la Chine et le Japon, une confiance que l’or européen n’a pas encore rencontrée.

La monnaie étant la base même des transactions, le signe extérieur de la richesse, la représentation unanimement consentie de tout objet vénal, doit être entourée de garanties sérieuses. Aussi la fabrication en a-t-elle toujours été soumise à un contrôle extrêmement sévère. Sous l’ancienne monarchie, ce contrôle était exercé par la cour des monnaies, que Henri II érigea en cour souveraine par édit de janvier 1551. En 1554, le même roi fit pendre, brûler ou envoyer aux galères le président et les conseillers qui en faisaient partie, parce qu’ils avaient été convaincus de faux et de prévarications graves. Supprimée pendant la Révolution, comme les autres corps privilégiés, elle fut remplacée par une administration des monnaies dont la constitution, fixée par arrêté du 10 prairial an XI, fut modifiée lorsque l’ordonnance royale du 26 décembre 1827, encore en vigueur aujourd’hui, institua la commission des monnaies et médailles. Celle-ci est composée d’un président, directement nommé par le souverain et généralement choisi parmi les plus illustres savants de la France, et de deux commissaires généraux désignés par le ministre des finances ; de cette commission relèvent le laboratoire des essais, le contrôle des monnaies, des médailles, le bureau de change, et en général toute la partie administrative chargée de surveiller l’application des lois, décrets, ordonnances, qui règlent cette matière délicate.

La commission ne s’occupe en rien de la fabrication ; elle constate qu’elle est régulière ou défectueuse ; mais, sous aucun prétexte, elle ne peut ni ne doit en diriger le mécanisme. Cette mission appartient tout entière à un directeur qui a accepté l’entreprise à ses risques et périls, dont la gestion est garantie par un cautionnement de 500 000 francs, qui est rémunéré selon un tarif approuvé par l’autorité compétente : 1 franc 50 centimes par kilogramme d’argent, 6 francs 70 centimes par kilogramme d’or convertis en monnaie. C’est à lui qu’incombe la charge d’entretenir, de remplacer les machines et de faire les frais du salaire des ouvriers. Il y a donc là deux organisations essentiellement distinctes, la fabrication et la commission ; la première est soumise à la seconde, qui prononce sans appel comme cour souveraine.

Les hôtels des monnaies ont été extrêmement nombreux en France, surtout pendant le premier empire, lorsque Utrecht et Turin nous appartenaient ; sous le gouvernement de Louis-Philippe, les monnaies furent réduites à quatre (Paris, Rouen, Lille, Strasbourg) ; de 1853 à 1857, sept ateliers ont concouru à la fabrication des pièces de bronze[7]. Il n’en existe plus que trois, celui de Paris, celui de Strasbourg et celui de Bordeaux, qui chôme en ce moment. On peut être fondé à croire que l’intention du gouvernement est d’arriver tôt ou tard à supprimer ces deux derniers et à centraliser la fabrication de toutes les monnaies françaises à l’établissement du quai Conti ; cette mesure, que l’usage des machines à vapeur et la rapidité qui en résulte suffiraient seuls à justifier, ne peut donner que de bons résultats. Permettant au contrôle de s’exercer sur une seule fabrication, elle assurera aux espèces monétaires une régularité et une homogénéité à l’abri de toute critique. L’outillage de l’hôtel de Paris peut facilement être augmenté. Quelques nouveaux aménagements peu dispendieux, et qui s’imposeront d’eux-mêmes, lorsque la rue de Rennes viendra déboucher sur le quai Conti, donneront à notre Hôtel des Monnaies l’ampleur dont il a besoin.

Lorsqu’on regarde avec attention une pièce de monnaie quelconque, on s’aperçoit qu’indépendamment de l’effigie, du nom du souverain, de l’écusson, du millésime, de la légende et de la tranche, elle porte certains indices particuliers qui semblent arbitraires, et n’offrent au premier abord aucune signification satisfaisante. Ces marques, qui sont invariablement au nombre de trois, sont des signatures. Tout hôtel des monnaies a une lettre spéciale[8] qu’on appelait jadis le point secret, destiné à indiquer la provenance des espèces. Paris a toujours l’A, et un proverbe resté vivant dans le peuple parisien dit d’une bonne chose : elle est marquée à l’A. Le directeur de la fabrication met aussi son poinçon sur la pièce, c’est la marque ; celle du directeur actuel figure une abeille. Enfin le troisième signe appartient au graveur général, et se nomme le différent[9]. Celui de M. Albert Barre représente une ancre. La place que ces signatures occupent sur la pièce a été fixée par des arrêtés de la commission des monnaies en date du 25 avril et du 15 mai 1865, et cette place varie selon le métal et la valeur de chaque espèce. C’est une précaution de plus prise contre les faux-monnayeurs et une preuve de la responsabilité acceptée par le graveur, le directeur et la commission.

Ce qui constitue le caractère spécial des monnaies, ce n’est ni le titre, ni le métal, car alors un simple flan pourrait entrer en circulation régulière, c’est l’empreinte. Seule l’empreinte dont elles sont frappées les rend légales ; l’empreinte en garantit le titre, le poids, et leur donne cours forcé pour la valeur qu’elles représentent. Aussi le fonctionnaire qui a sur les monnaies une action déterminante est-il le graveur général, puisque c’est lui qui fournit les coins, sans lesquels nulle monnaie ne pourrait être frappée. Depuis que Henri II a créé la charge de « tailleur général des monnaies de France » pour Marc Béchot, dix-huit graveurs se sont succédé dans ces importantes fonctions. C’est le graveur général qui fait les poinçons à l’aide desquels on obtient les coins. Plus le poinçon est parfait, moins la contrefaçon est possible. Cette œuvre exige donc un soin particulier, des connaissances techniques approfondies et une main rompue aux ressources d’un art hérissé de difficultés.

L’acier dont on se sert pour les poinçons et pour les coins est un acier spécial, à la fois très-doux et très-dense ; il est fourni par la maison Petin-Gaudet, et parait être supérieur à celui qu’on employait jadis. Il arrive à l’hôtel du quai Conti en barres parfaitement rondes et qu’on appelle acier de monnaie. Le poinçon est gravé en relief, comme un camée, et au burin ; il en faut naturellement deux, l’un pour la face, l’autre pour le revers ; le premier donne le profil du souverain, le second l’écusson, le millésime et l’énoncé de la valeur de la monnaie ; tous deux portent en outre les lettres des légendes, ainsi que les grenetis et les listels qui forment l’encadrement de la pièce. Faire une empreinte irréprochable, c’est là un problème qu’il n’est pas aisé de résoudre. Si, pour être reconnue au premier coup d’œil, l’empreinte doit être très-simple, très-lisible, elle doit cependant être assez compliquée pour offrir aux tentatives de contrefaçon des difficultés nombreuses. Cette double et indispensable condition d’une monnaie qui se fait reconnaître et se défend d’elle-même semble avoir été obtenue aujourd’hui.

Après la campagne d’Italie de 1859, où l’empereur a commandé en personne, les poinçons ont dû être changés, et on en a fait alors qui donnent l’effigie de la tête laurée ; le graveur général a profité de cette circonstance pour modifier le revers de notre monnaie : au lieu de la maigre couronne de laurier se refermant sur le nom de la pièce et sur le millésime, il a disposé le sceptre, la main de justice, la couronne, le manteau, les armes de l’empire, de façon à obtenir un ornement très-gracieux, mais difficile à imiter, et qui remplit harmonieusement les vides. Ce revers très-beau rappelle celui des admirables pièces de quarante francs que l’Italie frappa de 1810 à 1814 et qui sont restées comme un modèle monétaire.

Dans le poinçon, les parties saillantes et intaillées sont mates ; le champ, au contraire, reste lisse. Lorsque la gravure est terminée, que l’artiste lui a lentement donné le degré de perfection qu’elle peut comporter, le poinçon est mis au feu, chauffé à la température scientifiquement indiquée, puis jeté dans l’eau et trempé. Dès lors il devient de l’acier dur et peut, violemment frappé contre de l’acier doux, communiquer une empreinte à ce dernier. C’est sur ce principe que repose la fabrication des coins. L’acier qui doit former ceux-ci est divisé en cylindres d’une dimension réglementaire ; la surface en est polie de façon qu’on n’y puisse plus reconnaître une aspérité perceptible. Le coin ainsi préparé est placé au balancier, dans la boite duquel le poinçon a été fixé. L’alerte et vigoureuse machine est mise en branle ; les coups sont plus ou moins répétés, selon le creux que l’on veut obtenir, et lorsque l’opération est terminée, le poinçon est absolument imprimé dans le coin avec tous les détails, toutes les finesses, toutes les minuties de la gravure.

Le coin est alors repris par les ouvriers mécaniciens ; il est mis sur le tour et décolleté, c’est-à-dire qu’on en dégage la partie supérieure de manière à lui donner les dimensions exactement exigées pour le monnayage. Il est ensuite porté dans un atelier spécial où il est paraphé, car, selon qu’il est face ou pile, il reçoit à l’aide de petits poinçons manœuvrés à la main et enfoncés au marteau la triple empreinte du point secret, de la marque et du différent. On le soumet alors à la chauffe et à la trempe. À son tour, le voilà devenu un corps dur et prêt à donner des empreintes avec autant de facilité que tout à l’heure il en a reçu lui-même.

De ce moment et jusqu’au jour où l’usage l’aura mis hors de service, il devient l’objet d’une surveillance attentive. Il reçoit un numéro d’ordre qui équivaut à un acte de baptême, puis il est remis au commissaire général des monnaies. Quand ce dernier le confie au contrôleur du monnayage, le récépissé est inscrit et daté sur un registre que signent les deux fonctionnaires ; lorsque le coin, à force de frapper des espèces, est émoussé, que les parties mates sont devenues brillantes par le frottement continuel, que le perlé en est indécis et les chiffres déformés, il est rendu par le contrôleur au commissaire général, et cette restitution est de nouveau officiellement constatée. Ces précautions peuvent sembler excessives, mais, si l’on réfléchit que le coin c’est la monnaie même, on les trouvera toutes naturelles.

Le graveur général fournit aussi les viroles qui sont nécessaires pour imprimer la tranche des pièces. Quoique d’invention fort ancienne, puisqu’on en retrouve des exemples qui datent de Charles IX, la virole n’a été admise définitivement dans la fabrication que depuis le commencement du siècle. Dans le principe, elle était faite comme un anneau portant sur le contour interne une inscription en relief (Dieu protège la FranceDomine salvum fac Regem) qu’on imprimait en creux dans la tranche des espèces à l’aide d’un outil brutal, nommé raquette, assez rapide pour permettre à un ouvrier de frapper environ trente mille pièces par jour. En 1829, un monnayeur, nommé Moreau, inventa la virole brisée[10]. C’est un cercle divisé en trois segments égaux, dont chacun porte, gravée en creux, une partie de l’inscription totale, qui est dès lors reproduite en relief. Le système de la virole brisée a le défaut de ne pas arrêter nettement le contour de la pièce, de lui laisser je ne sais quoi d’indécis ; mais elle a cet avantage inappréciable de dérouter les efforts des faux-monnayeurs, à qui elle offre des obstacles dont ils ne parviennent guère à triompher.

Le graveur général a sous ses ordres un atelier nombreux, des balanciers spéciaux où il fait ses reproductions et ses essais ; il est responsable des aciers qu’il emploie, des coins qu’il fournit, et il est payé en raison de la quantité de matières soumises au monnayage. Il a une sorte d’importance morale qui n’est point à dédaigner ; c’est lui qui détermine le type populaire du souverain. Les monnaies périssent peu ; moyen d’échange accepté par l’univers entier, elles passent de main en main, de peuple à peuple, et vont par le monde entier porter le nom d’un pays et le portrait d’un homme ; lorsqu’elles deviennent rares, elles sont précieusement gardées dans des collections ; elles sont les documents multiples et mobiles de l’histoire. Plus elles sont belles, plus elles ont chance de se perpétuer à travers les âges. La numismatique a rectifié plus d’erreurs chronologiques que les meilleurs calculs, et l’artiste à qui incombe la tâche de graver les monnaies d’une époque échappe à l’oubli s’il a rempli son devoir avec talent, conscience et sévérité.

On reproche parfois aux graveurs de médailles de n’être plus aussi habiles que leurs devanciers ; on ne réfléchit pas qu’en pareille occurrence le modèle est pour beaucoup, et que, s’il est facile, par exemple, de faire une belle effigie avec un visage auquel l’agencement même des lignes constitutives donne un caractère imposant, il n’est point aisé de créer un type avec une figure vulgaire ou sans expression. Les médailles de Louis XIV, de Napoléon Ier, de Louis XVIII, sont fort belles ; que dire de celles de Charles X ? La première condition, pour avoir une monnaie d’aspect satisfaisant, est que le modèle offre des traits qui conviennent à la gravure sur métaux. Les Grecs, nos maîtres en cet art difficile, le savaient bien, et ils choisissaient arbitrairement les plus admirables profils de femmes pour les reproduire sur leurs monnaies.

Il semble toutefois qu’on ne tire pas au point de vue historique tout le parti possible de ces objets à la fois usuels et précieux qui, tout en servant aux échanges indispensables, pourraient rappeler certains faits célèbres, de sorte que la série des pièces de monnaie d’un règne en raconterait les principaux événements. Toujours la même effigie, toujours le même symbole, cela est bien monotone. Pourquoi ne pas prendre une pièce spéciale, la pièce de cent francs par exemple, qu’on a une certaine tendance à conserver, et ne pas chaque année en modifier le revers de façon à y inscrire la représentation commémorative d’un fait glorieux ou seulement important ? On aurait ainsi une médaille ayant droit de circuler comme une pièce de monnaie ordinaire, mais qui du moins, débarrassée d’un emblème inutile, rappellerait et fixerait pour toujours une date de nos annales. Franklin voulait qu’au lieu du nom du souverain on gravât sur les espèces un précepte moral facile à retenir et d’une application pratique. Il serait, à notre avis, digne d’une nation sérieuse d’émettre ainsi son histoire et de la répandre à travers le monde, quelquefois comme un exemple et toujours comme un souvenir.

ii. — la fabrication

Bureau de change. — Registre. — C. D. M. P. — Les balances. — Trésors. — Argenterie et bijoux. — 1848 : Panique. — La fonderie. — Prendre la goutte. — La lingotière. — Les lames. — Les laminoirs. — La recuite. — Le dragon. — La bande. — Les remèdes du poids et de l’aloi. — Le découpoir. — La cisaille. — Les flans. — Le décapage. — Une brève. — Contrôle. — La salle des presses. — Mécanisme. — Une pièce par seconde. — Pluie d’or. — Total. — Division d’un million. — Prise d’échantillon. — La coupellation. — Le poids. — Le son. — L’apparence. — Monnaies pratiques. — Desiderata. — La machine à peser. — Californie et Australie. — Ce qu’on a frappé au dix-huitième siècle. — Ce qu’on a frappé sous le second Empire. — Augmentation de quantité, diminution de valeur.


Lorsque le graveur général a fait les coins et les viroles indispensables à la fabrication, la manutention des métaux commence, et nous en suivrons les détails, car il est intéressant de voir comment un lingot devient pièce de monnaie. Toute matière précieuse apportée à l’hôtel pour être convertie en espèces doit d’abord passer au bureau du change[11], qui est situé au rez-de-chaussée, et dont les fenêtres garnies de fortes grilles de fer s’ouvrent sur le quai Conti. L’ameublement en est très-simple : une longue table de bois qui ressemble à un établi, munie de rails arrondis qui facilitent le déplacement des lingots, un comptoir où sont fixées les balances et quelques larges sébiles de cuivre. Le change ne reçoit jamais que des métaux affinés ; on peut y apporter les plus riches pépites, elles seront refusées ; il n’accepte que le métal portant la marque d’un essayeur assermenté ou des pièces de monnaie, des morceaux d’argenterie, des bijoux frappés d’un poinçon de garantie qui en détermine le titre exact.

Un registre imprimé donne la nomenclature détaillée de toutes les pièces d’or et d’argent en circulation dans l’univers qui ont été essayées au laboratoire de la Monnaie de Paris, et énonce en regard la valeur qu’on leur a officiellement reconnue. Le poinçon spécial des matières d’or et d’argent œuvrées détermine en quelque sorte la somme qu’elles représentent. Tout lingot est revêtu de la marque de l’affineur, de celle de l’essayeur, d’un chiffre indiquant le titre, d’un autre chiffre donnant le poids. Cette attestation suffit au change, qui ne fait pas vérifier la qualité constitutive du métal. Le lingot, mis sur les balances, est pesé, puis il reçoit un numéro d’ordre et est frappé du poinçon particulier du bureau : C. D. M. P. (commission des monnaies, Paris). En échange, on remet au propriétaire, indépendamment d’un reçu détaillé, un bon payable ordinairement à huit jours de vue et par lequel l’administration s’engage à rendre en espèces l’équivalent du poids qu’elle vient de recevoir ; seulement on retient d’avance les frais de fabrication, qui sont, comme on l’a déjà dit, de 1 fr. 50 par kilogramme d’argent et de 6 fr. 70 par kilogramme d’or.

Si jamais il y a eu au monde des instruments de précision, ce sont les balances de ce bureau. Elles sont d’une sensibilité sans pareille, un cheveu les fait dévier, un souffle les dérange ; à un bruit qui vibre dans l’air, les plateaux oscillent. Chaque jour un ajusteur balancier appartenant au service de l’hôtel vient les inspecter, constate que le fil à plomb est parfaitement vertical et vérifie l’horizontalité de la table avec des engins si perfectionnés, si impressionnables, que toute chance d’erreur parait devoir être évitée. Parfois on apporte là des masses de vieilles monnaies dont la teinte primitive a été altérée par le temps, mais dont l’empreinte régulière est aussi nette que si la pièce venait d’être frappée. Ce sont des trésors trouvés ou précieusement gardés, légués de main en main, et qu’on se décide enfin à faire rentrer dans la circulation générale. J’ai vu un monceau de pièces d’or de Charles III d’Espagne et de doubles Louis XVI qu’on venait échanger contre de la monnaie courante. Dans ce cas, comme pour l’argenterie et les bijoux, on reçoit immédiatement la valeur représentative ; le bureau retient seulement l’intérêt d’une semaine, correspondant au délai moyen de huit jours accordé pour convertir les lingots en espèces.

Les apports d’argenterie et de matières d’or travaillées sont beaucoup plus rares qu’on ne le croit généralement. En 1868, le bureau du change a reçu 66 035 kilogrammes 052 grammes 90 décigrammes d’or, et 140 943 kilogrammes 240 centigrammes d’argent. Dans le premier chiffre, les bijoux n’entrent pas pour trois kilogrammes, et dans le second l’argenterie ne compte que pour 618 kilogrammes 123 grammes. Il n’en est pas toujours ainsi, et ce bureau du change, si paisible d’habitude, voit parfois arriver des gens effarés qui tirent de leurs poches des couverts d’argent et des boites de montre. Aux époques de révolution, la peur va beaucoup plus vite que le raisonnement, et chacun parait craindre de manquer du strict nécessaire. L’argent, qui de sa nature est fort timide, se cache si bien, qu’on ne sait où le retrouver, et alors on accourt à la Monnaie. En 1848, 35 233 kilogrammes 877 grammes d’argenterie[12] ont passé par le bureau du change. Les employés contemporains de ce temps de panique et de désarroi parlent encore avec regret des magnifiques pièces de vaisselle plate, des médailles, des bijoux charmants, qu’ils ont été obligés de livrer à la fabrication, qui les a martelés et jetés à la fonte.

Le bureau du change reçoit les métaux précieux, mais il ne les encaisse pas ; il les remet immédiatement contre décharge au directeur de la fabrication, qui dès lors, et pour un certain temps échappant à tout contrôle, devient maître absolu de ses opérations, fait faire les essais, et détermine les alliages comme il l’entend, à ses risques et périls. La fonderie d’or et la fonderie d’argent ne sont pas contiguës ; on a eu soin de les séparer, elles ne sont ni dans le même corps de logis, ni au même étage, et l’on évite ainsi toute confusion possible. Les métaux sont expédiés aux ateliers de fonte avec un bulletin indiquant le titre, le poids et la proportion précise de cuivre rouge qu’on doit ajouter à l’or et à l’argent. La quantité de matière est toujours calculée de façon à produire un nombre de pièces déterminé par les règlements (10 000 pour les pièces de 20 francs).

L’atelier des fontes d’argent est une large salle éclairée par des fenêtres où des grilles et des treillages tout veloutés de poussière ne laissent pénétrer qu’une lumière incomplète ; contre les murailles sont bâtis les fourneaux, vastes récipients fermés par une porte de fer, où l’on entasse le charbon et dans lesquels on place les creusets en terre réfractaire. On a soin d’échauffer graduellement ces derniers avant de les mettre au feu : les lingots et l’alliage sont pesés et jetés au creuset. Lentement la consistance du métal s’ébranle, la forme carrée du lingot s’adoucit peu à peu sur les angles, se creuse vers la partie moyenne, semble hésiter, oscille, devient de plus en plus indécise, se désagrège, perd ses contours et prend l’aspect d’une sorte de gâteau qui bientôt se liquéfie. Sur cette matière molle on jette des charbons de bois allumés, non pas pour activer la chaleur, comme on pourrait le croire, mais pour brûler sur place les vapeurs de cuivre et éviter l’oxydation du métal fin. À l’aide de longs crochets de fer, on remue le foyer, dont la lueur blanche piquée de tons roses très-pâles est insupportable aux yeux. Les ouvriers, à demi nus, les mains garanties par des sacs de grosse toile mouillée que, par ironie sans doute, ils appellent des gants, vont et viennent, couverts de sueur, devant les fourneaux, les ouvrant, les fermant, brassant le métal avec de grandes cuillers[13], et rejetant la tête en arrière quand la flamme, poussée par un courant d’air imprévu s’élance jusqu’à leur visage.

Lorsque la fonte est parvenue à peu près au point de fusion, « on prend la goutte. » Qu’on ne se méprenne point sur ce terme, il ne s’agit pas d’eau-de-vie : prendre la goutte, c’est verser une minime portion de la matière liquide dans un mandrin de fer creusé d’une rainure de façon à obtenir un petit lingot qu’on refroidit immédiatement en le trempant dans un baquet plein d’eau. La goutte est portée au laboratoire des essais de la fabrication. On l’expérimente sans retard, et l’on reconnaît si l’alliage ne s’éloigne pas des prescriptions imposées. Si le métal n’est pas au titre exigé ou s’il le dépasse, on y ajoute de l’argent ou du cuivre ; s’il est dans les remèdes, c’est-à-dire dans les limites acceptées par la commission, on donne ordre de couler en lames.

Le creuset est alors enlevé du milieu des charbons qui l’entourent de toutes parts ; on le place dans un cercle muni de deux longues barres de fer dont chacune est saisie par un ouvrier qui, marchant rapidement pour éviter le refroidissement du métal, verse ce dernier dans une lingotière qu’on a préalablement graissée avec soin. C’est du feu liquide qui coule, blanc comme du mercure, avec quelques fugitives nuances irisées. Parfois la fonte, rencontrant un peu d’humidité, rejaillit et semble l’éruption d’un volcan de Lilliput. Dans ce cas, les gouttes s’élancent éblouissantes de blancheur, deviennent roses à mesure qu’elles s’élèvent, rougissent brusquement lorsqu’elles descendent, tombent à terre, s’y roulent en mouvements convulsifs, s’imprègnent du poussier noir qui couvre le sol, et bientôt se confondent avec lui.

La lingotière est composée d’une série de moules de fer que le métal remplit, où il se fige, se durcit, et d’où on l’extrait à l’état de lame. Les lames d’argent sont d’un blanc sale et tacheté de noir ; les lames d’or sont d’une couleur magnifique, très-chaude, tirant sur le vermeil et rappelant les plus belles combinaisons des palettes vénitiennes. Les lingotières sont disposées de telle façon que dans la même on peut couler vingt lames d’un seul coup. Les bords des lames sont irréguliers, ils ont bavé à travers les interstices du moule et ressemblent assez bien à un énorme couteau ébréché. On les passe alors sur une cisaille circulaire qui avec certitude et rapidité enlève toutes les parties saillantes ; lorsque la lame est ainsi ébarbée, elle est portée à la salle des laminoirs.

Cette salle est bruyante, pleine d’engins retentissants que met en mouvement une machine à vapeur de quarante-six chevaux. Une série de laminoirs gradués reçoit successivement, comprime et écrase les lames qu’on y fait glisser. Quand une lame a passé douze fois sous les cylindres des laminoirs, le métal est écroui, c’est-à-dire qu’il a acquis un degré de densité tel qu’une nouvelle pression le briserait. Alors, pour rendre l’équilibre naturel aux molécules qui le composent, on le met au four afin qu’il soit recuit. Les lames, placées sur une soie tournante, sont alternativement et régulièrement léchées par les langues d’un feu très-clair de charbon qui leur donne une certaine malléabilité ; dix fois encore après cette opération on les soumet au laminage, puis on recuit de nouveau.

La lame est alors bien près d’être terminée, mais il faut qu’elle subisse une dernière préparation qui la rendra tout à fait propre à être monnayée. Elle est placée sur le dragon, qui n’est autre chose qu’un banc à étirer dans lequel le métal, entraîné par une chaîne sans fin à travers une ouverture oblongue ménagée entre deux surfaces d’acier, acquiert une égalité d’épaisseur irréprochable. Si mathématiques que soient les mouvements des laminoirs et du dragon, ils peuvent cependant être restés en deçà du but qu’on se proposait d’atteindre où l’avoir dépassé. On saisit la lame, qui maintenant est devenue une bande[14] ; à l’aide d’un emporte-pièce on y enlève trois flans, un au centre, un à chaque extrémité, et on les pèse : s’ils sont trop lourds, la lame est étirée de nouveau ; s’ils sont trop légers, elle est reportée à la fonte. Si la différence n’est que minime, on soumet la bande à un découpoir dont la lunette est plus ou moins large, car la tolérance de deux millièmes en deçà ou au delà qu’on accorde à la fabrication, et qu’on nommait, il y a peu d’années encore, les remèdes du poids et de l’aloi, s’applique au poids, au titre et au module.

Le découpoir est mû aussi par la vapeur ; on n’a jamais vu un instrument plus pressé ; il se dépêche, il précipite ses coups, il fait plus de bruit à lui seul que tous les laminoirs réunis, il secoue l’établi sur lequel il manœuvre, et est franchement insupportable ; mais il peut tailler facilement 100 000 flans dans une journée. L’ouvrier dirige la bande, qui, étant amorcée, passe sous l’emporte-pièce ; lorsqu’elle y a été entièrement soumise, elle ressemble à une petite planche à bouteilles où il y aurait plus de trous que de bois, et s’appelle de la cisaille ; telle qu’elle est, elle ne peut plus être d’aucune utilité et est destinée à être refondue. Tous les flans réunis sont triés avec soin, on rejette ceux qui ont été irrégulièrement taillés par le découpoir ; ceux au contraire dont la forme paraît normale sont comptés et remis aux ouvriers peseurs. Ces derniers, assis devant une table à pieds solides, font passer les flans, un à un, sur de petites balances singulièrement sensibles qu’on appelle trébuchets. Les flans trop lourds sont réduits au poids qui leur est imposé, à l’aide d’une forte lime qu’on nomme écouane. Lorsqu’ils ont été pesés, toutes les opérations préliminaires ne sont pas encore terminées, car les scories de la fonte, les huiles des laminoirs et du dragon les ont si bien graissés et noircis, qu’à moins d’avoir un œil très-exercé, il est impossible de reconnaître s’ils sont en or ou en argent.

Il s’agit alors de les décaper, c’est-à-dire de les débarrasser de toute matière étrangère et de les blanchir. Après avoir été chauffés au rouge en vase clos, ils sont déposés dans une sorte de boîte ronde, semblable à un brûloir à café, sauf qu’elle est percée de trous nombreux. Ajustée sur les bords d’une auge pleine d’eau chaude mélangée d’acide nitrique ou sulfurique, suivant que l’on traite de l’or ou de l’argent, et dans laquelle elle plonge complètement, elle est mue circulairement par une chaîne de tourne-broche déroulée à la vapeur. Après un tel bain, les flans brillent comme un pur métal, et on leur donne un faible poli en les agitant de la même façon dans une boîte pareille à la première qui renferme de simples morceaux de bois carrés et qui baigne dans de l’eau. Le blanchiment étant terminé, on sèche les flans sur une grande bassine de cuivre à double fond, chauffée à la vapeur.

L’ensemble des flans provenant d’une même fonte prend alors le nom de brève. D’où vient ce mot, qui est technique dans l’art du monnayage et qu’on retrouve de tout temps ? Il vient du latin brevis avec l’acception de lettre, de bref, c’est-à-dire de résumé. C’était dans le principe le bulletin, le bref-état, disent les vieux écrivains, sur lequel on détaillait le nombre des pièces destinées à une fabrication. On a pris la partie pour le tout, et l’appellation se maintient encore aujourd’hui. Chaque brève porte un numéro d’ordre qui la suivra jusqu’à l’instant où elle entrera sous forme de monnaie dans la circulation définitive.

La brève de 10 000 flans (fabrication des pièces de 20 francs) est divisée en dix parties égales, placées chacune dans une manne séparée à laquelle on joint un bulletin portant le numéro de la brève, le quantième du mois, le numéro de la manne et le poids reconnu par le directeur de la fabrication. Ainsi préparée, elle est expédiée au contrôleur du monnayage, qui la compte, la pèse et inscrit au bulletin le poids trouvé par lui ; un commissaire vérifie et relate le poids à son tour. Ce triple contrôle a pour but d’éviter toute erreur et de déterminer les responsabilités respectives. Les mannes sont livrées aux ouvriers monnayeurs, et alors on ajoute au bulletin le numéro de la presse qui va transformer les flans en pièces de monnaie. Les ouvriers travaillent pour le compte et aux frais du directeur de la fabrication, mais sous la surveillance immédiate des agents de la commission impériale.

La salle où sont contenues les presses est monumentale ; jadis elle était destinée aux balanciers ; elle se termine par une sorte d’abside en demi-rotonde d’où les contrôleurs et leurs employés, embrassant d’un coup d’œil l’ensemble des travaux, ne laissent échapper aucun détail de la fabrication. Les presses, mues à la vapeur, sont alignées de chaque côté derrière une balustrade qui en défend l’approche ; chacune d’elles est sous la direction d’un ouvrier spécial. Grâce à un mécanisme très-simple et très-ingénieux, la pièce est instantanément frappée sur les deux faces et sur la tranche.

Une bielle et un levier déterminent le mouvement d’une colonne à la base de laquelle le coin de pile est fixé ; à la partie inférieure, précisément au-dessous de la colonne qui se baisse et se relève, une boîte jouant sur une rotule porte le coin de tête entouré de la virole brisée qui, montée sur ressorts, s’écarte et se resserre par un mouvement alternatif. La distance ménagée entre les deux coins est réglée par une vis ; si un flan est placé de façon à combler cet intervalle, il se trouve entre les deux coins qui le pressent simultanément avec une force équivalant, dit-on, au poids de 20 000 kilogrammes, et reçoit du même coup la triple empreinte nécessaire à toute monnaie garantie. Tel est ce système, surtout précieux par la rapidité de fabrication qu’il permet d’atteindre.

Un godet dressé sur la tablette reçoit de l’ouvrier conducteur une pile de flans qui, saisis par un organe articulé nommé main-poseur, sont poussés dans la cavité circulaire formée par la virole ; dès que le flan est frappé, il est remonté par le mouvement de la boîte et dirigé vers une gouttière qui le fait glisser dans une sébile posée sur le plancher. La machine a en outre l’avantage de débrayer elle-même, c’est-à-dire de s’arrêter toute seule, lorsqu’elle rencontre un flan trop large ou que le godet est vide. La presse monétaire frappe en moyenne 3 600 pièces par heure, une par seconde. Il tombe là une pluie d’or qui éblouirait bien des Danaés ; c’est un cliquetis métallique qui accompagne de notes aigrelettes le sourd bruissement des roues motrices,

À vue d’œil, la manne des flans se vide, la sébile des monnaies se remplit. Tout neuf, reluisant, « larme au soleil ravie, » l’or, qui s’entasse dans les larges coupelles de bois, a des reflets verdâtres et pâles qui ne sont pas sans beauté ; les ouvriers le regardent d’un œil indifférent, habitués au ruissellement de ces richesses, examinant par-ci par-là une pièce à la loupe pour reconnaître si l’empreinte est bien venue, mais ayant par-dessus tout l’air ennuyé d’hommes réduits à surveiller les mouvements automatiques d’une machine. C’est là pourtant et entre leurs mains que passe et repasse la fortune métallique de la France. Pendant l’année 1868, on a frappé aux presses monétaires de cette grande salle 43 059 766 bonnes pièces d’or et d’argent représentant une valeur de 287 233 959 francs[15]. La fabrication n’est pas arbitraire, le genre de pièces qu’on doit frapper est déterminé par les lois du 6 mai 1852, du 15 juillet 1861, et par l’arrêté ministériel du 10 novembre 1857. Un million d’or doit réglementairement être divisé en 100 pièces de 100 francs, 200 pièces de 50 francs, 37 000 pièces de 20 francs, 19 000 pièces de 10 francs et 11 000 pièces de 5 francs. L’argent et le bronze sont soumis aussi à des coupures régulières. Celles-ci ne sont pas absolument obligatoires, et l’on consulte avant tout les exigences du commerce, qui, dans certains moments, a besoin d’un genre de monnaie plutôt que d’un autre.

Au fur et à mesure qu’une sébile est remplie, on la porte au bureau du contrôleur, où elle est pesée, comptée ; lorsque les dix sébiles représentant la brève complète ont été ainsi vérifiées, on fait sur la masse entière des pièces ce que l’on nomme la prise des échantillons. En présence du directeur de la fabrication ou de son délégué, le commissaire de la monnaie et le contrôleur au monnayage prennent au hasard six pièces, dans chacune des dix sébiles ; sur ces soixante pièces, six sont encore prélevées ; trois, enfermées sous enveloppe scellée du cachet du directeur, du commissaire et du contrôleur, sont adressées au président de la commission ; les trois autres sont remises au directeur des essais, qui les difforme au laminoir, effaçant les marques et les différents, et en confie deux ainsi retournées à l’état des lingots aux essayeurs du laboratoire de la Monnaie qui sont chargés d’en constater le titre exact et qui poussent l’art de la docimasie jusqu’à ses dernières limites. La brève est alors encaissée dans une armoire à trois clefs, où elle doit demeurer jusqu’à ce que la science ait prononcé son verdict.

Séparément, les deux essayeurs se livrent à leurs expériences, qui, pour l’or, ont lieu par mode de coupellation. Cet admirable et infaillible procédé nous a été légué par les anciens. Une portion de la pièce en litige est enlevée, fondue au chalumeau, réduite en grenaille et aplatie d’un coup de marteau. Après qu’on l’a pesée, on la place avec une quantité proportionnée d’argent et de plomb dans une coupelle très-poreuse, faite généralement d’os calcinés. Le plomb en s’oxydant a la propriété d’absorber tous les métaux qui ne sont pas nobles ; il ne respecte que l’or et l’argent. Soumis au feu, le plomb oxydé pénètre le tissu de la coupelle, entraînant le cuivre avec lui. Le globule métallique qui reste n’est donc plus qu’un alliage d’or et d’argent ; on le convertit en une petite lame à l’aide d’un laminoir microscopique ; celle-ci est roulée en cornet, puis elle subit successivement trois bains bouillants d’acide nitrique de force croissante, l’argent est dévoré par l’eau-forte, et il ne reste plus dans le matras qu’un cornet spongieux qui est de l’or pur ; on expose ce dernier au feu pour lui donner une consistance qui permette de le manier sans le détruire, et ensuite on le pèse. L’écart qui sépare le second poids du premier donne naturellement le titre exact.

Si les deux essayeurs obtiennent un résultat analogue, leur expérience est définitive ; si, au contraire, ils diffèrent d’opinion, le directeur des essais opère à son tour sur la troisième pièce qu’il a gardée en sa possession, et l’expérience à laquelle il procède décide en dernier ressort. Lorsque les essais ont constaté que les pièces étaient d’un titre inférieur ou supérieur de deux millièmes au titre légal, la brève tout entière est refondue ; si le titre est bon, elle doit avant d’être reconnue valable, être encore vérifiée au triple point de vue du poids, de la sonorité et de l’empreinte. Toutes les opérations dont je viens de parler, prises d’échantillons et essais, donnent lieu à des procès-verbaux détaillés, rédigés d’après une formule invariable et signés par les divers agents, vers qui on pourrait, au besoin, faire remonter la responsabilité d’une erreur.

Les dix sébiles contenant la brève sont portées à la salle de la délivrance, où l’on recommence, mais avec bien plus de soin, l’opération que les flans ont déjà subie avant d’être décapés. Chaque pièce est pesée sur un trébuchet ; là encore la tolérance est de deux millièmes. On met de côté les pièces trop lourdes ou trop légères ; les vérificateurs, — c’est le nom des ouvriers chargés de ce service, — ont à leur disposition trois espèces de dénéraux, qui représentent exactement le poids fort, le poids faible, le poids droit : ils peuvent donc facilement arriver à la certitude absolue. Un bon vérificateur parvient à peser mille pièces en soixante minutes. Toutes les pièces reconnues bonnes sont mises à part et confiées à l’ouvrier qui doit les faire résonner. Les pièces sont lancées avec force, une à une, sur un bloc d’acier qu’on nomme le tas et qui est posé au milieu d’une large cuvette de bois ; elles doivent, par le choc, produire un bruit vif, clair, sonore, qui indique la parfaite cohésion des molécules métalliques ; toutes celles dont la voix est sourde ou fêlée sont rebutées ; elles ont une paille, c’est-à-dire une fissure intérieure qui leur interdit le droit à la circulation. Une à une, elles sont ensuite examinées à la loupe et refusées si elles ont été mal blanchies au décapage, si elles portent trace de corps étrangers, si la tranche, l’empreinte, la fonte, en sont défectueuses, en un mot si l’on y reconnaît une imperfection quelconque.

Lorsque, ces multiples opérations étant terminées, la monnaie présente toutes les garanties nécessaires, la commission rend un jugement en vertu duquel la brève est reconnue légale et délivrée ; le procès-verbal de délivrance reproduit le libellé du jugement et indique le poids, la valeur de la brève, le nombre de pièces qui la composent, le nombre de pièces rebutées et les motifs qui en ont déterminé le rejet. En présence du directeur de la fabrication, on cisaille toutes les pièces défectueuses ; puis celles qu’on nomme sonnantes et trébuchantes lui sont remises après qu’il a signé le procès-verbal conjointement avec le contrôleur au monnayage et le commissaire de la monnaie[16].

Il est difficile d’accumuler plus de précautions pour donner à la monnaie française les caractères essentiels qui lui assurent une valeur indiscutable. Aussi nos espèces sont sérieuses, acceptées dans le monde entier, et elles servent même de modèles aux pièces de plusieurs nations étrangères ; le titre de 835 millièmes pour les divisions d’argent a été adopté par l’Italie, la Suisse et la Belgique. Grâce au contrôle énergique de la commission, nous offrons en cette très-délicate matière toute la sécurité imaginable ; cependant, si nos monnaies gardent une identité parfaite entre elles et avec le type original sous le triple rapport de la forme, du titre et du poids, elles n’atteignent pas encore le plus haut idéal monétaire, qui consiste dans un type d’une beauté achevée.

Le côté scientifique est irréprochable, mais il est difficile d’en dire autant de la fabrication, qui bien souvent laisse à désirer. Les nécessités imposées par les exigences du commerce semblent être les seules dont on veuille tenir compte. Ce qu’on demande aux monnaies maintenant, c’est de pouvoir être empilées facilement. La conséquence d’un tel système saute aux yeux. On ne fait plus que des monnaies outrageusement plates, très-aptes à être placées l’une sur l’autre, comme les dames d’un trictrac et qui n’ont plus ce qui constitue la beauté même d’une pièce, le relief de l’effigie. Certes ce ne sont pas les graveurs de talent qui font défaut ; mais celui qui est chargé des poinçons de la monnaie se voit contraint d’obéir lui-même à cette loi pénible qui à l’utilité pratique sacrifie toute autre considération. Ne pourrait-on pas cependant donner à nos pièces courantes l’ampleur de forme qui convient à la monnaie d’un grand peuple ? On ne doit sans doute pas exiger qu’une pièce d’or ou d’argent soit une médaille ; mais, si la difficulté ne peut être prise de front, il faut la tourner. Qui empêcherait de creuser légèrement en cuvette le champ des pièces et d’en relever le listel ? De cette façon, le relief pourrait être très-accentué et n’apporterait aucun obstacle à l’empilage. Peut-être, si l’on adoptait cette disposition nouvelle, faudrait-il augmenter la force des presses monétaires ; mais un tel détail est insignifiant et ne devrait point empêcher l’administration de réaliser une amélioration désirable.

Il faut reconnaître que les presses, admirables instruments de précision, ne peuvent donner au flan qu’elles frappent la beauté d’exécution qu’on remarque sur les coins. Les procédés mécaniques infligent une uniformité monotone aux plans de l’effigie, n’en accusent point suffisamment les parties saillantes et n’arrêtent pas les contours par ces lignes à la fois grasses et fermes que nous admirons encore sur les monnaies antiques ou même sur certains pieds-forts de Henri II et de Louis XIII. Ces défauts doivent-ils être attribués à la presse ? On peut le croire, car, lorsqu’on voit côte à côte deux pièces sorties du même coin, l’une frappée au balancier, l’autre frappée à la presse, on reste saisi de surprise. Autant la première est précise et nette jusque dans les linéaments les plus fins, autant elle accuse l’arcade sourcilière, qui donne une si puissante valeur aux profils des médailles, autant elle est harmonieuse dans l’ensemble et délicate dans le détail, autant la seconde parait plate et effacée, comme si le métal n’avait pas pénétré dans toutes les intailles du coin. On pourrait dire de l’une qu’elle est une statue originale et de l’autre qu’elle en est le surmoulé. Une modification habile dans nos presses amènerait certainement à cet égard des résultats excellents, et nos monnaies pourraient alors être impeccables au point de vue de la beauté, comme déjà elles le sont au point de vue du titre et du poids. La forme à une importance de premier ordre ; c’est par elle que les objets vivent, persistent et se perpétuent.

Le découpage des flans, tel qu’il est exécuté aujourd’hui, par des moyens d’une rapidité excessive, a d’incontestables avantages ; mais il offre un inconvénient réel auquel il serait bien facile de remédier. La lunette de l’emporte-pièce coupe les flans en biseau, de sorte que la tranche, n’étant plus à angle droit avec le champ, prend irrégulièrement sous la presse l’empreinte de la légende. Tous les flans, avant d’être soumis à l’empreinte, devraient être exposés à l’action d’une machine qui, relevant les bords de la tranche, leur donnant un contour parfaitement droit, faciliterait ainsi l’imposition exacte des différentes lettres de la légende. Les flans des monnaies de bronze sont cordonnés ; pourquoi ceux qui sont en métal plus précieux ne le seraient-ils pas aussi ? C’est là une économie mal entendue, et dont se ressent la beauté de nos monnaies. On pèse les flans, mais on devrait aussi en essayer la sonorité sur le tas d’acier, afin de n’envoyer aux presses qu’un métal régulier, n’offrant aucune paille intérieure ; ce serait tout bénéfice pour le directeur de la fabrication, qui, réformant lui-même les flans défectueux, n’aurait point à supporter les frais d’un frappage inutile. Ces améliorations viendront à leur jour, il n’en faut pas douter, et nos monnaies ne pourront qu’y gagner ; il est naturel que le directeur ne les ait pas encore réalisées, car la nécessité de fournir au public les pièces indispensables aux transactions multiples du commerce est compliquée pour lui d’une responsabilité incessante qui ne laisse pas d’être redoutable. En effet, les métaux répartis dans ses divers ateliers, sous forme de lingots, de lames, de cisailles, de flans, de grenailles, de poussières, s’élèvent parfois à une somme de 12 ou 15 millions, dont il doit tenir un compte rigoureux à ceux qui les lui ont confiés. Il y a là une cause de préoccupation qui explique bien des tâtonnements et suffit peut-être à les justifier.

Il est un nouveau mode de vérification du poids des monnaies qui, s’il était adopté définitivement par la commission, hâterait les améliorations que nous venons d’indiquer. On étudie, on expérimente en ce moment dans les ateliers du quai Conti la machine à peser de James Murdoch Napier, qui déjà, depuis dix-huit ans, fonctionne avec succès à la Monnaie de Londres. C’est une balance automatique qui, une fois mise en jeu à l’aide de la vapeur, fait sa besogne toute seule avec une régularité, une précision extra-humaine. Elle ne se trompe jamais : selon que la pièce qu’elle apprécie est faible, forte ou droite, elle la dirige elle-même dans une trémie particulière aboutissant à un réservoir spécial. Tous les mouvements sont combinés de telle sorte que l’erreur est impossible. À la voir manœuvrer avec une lenteur apparente on dirait qu’elle prend toutes sortes de précautions pour ne se jamais tromper. Elle pèse facilement 1 500 pièces de 20 francs en une heure, ce qui dépasse d’un grand tiers au moins le travail du meilleur ouvrier.

Mais pour que sa sûreté d’exécution ne défaille pas, il est nécessaire que rien ne vienne la troubler, que nulle trépidation ne puisse l’atteindre, ce qui est difficile à Paris, où l’activité de nos rues, toujours sillonnées de voitures, ébranle les plus lourdes constructions. On a donc été obligé d’isoler l’appareil : on a creusé un puits qui permit de rencontrer le sol profond, sur lequel on a élevé, sans communication avec les parois, un massif en pierres de taille surmonté d’une épaisse plaque d’ardoise supportant une table de fer où la machine est scellée. De cette façon, grâce à son piédestal dressé dans un vide où se perdent les ondulations des bruits extérieurs, elle n’est jamais émue par les rumeurs du dehors, et son mécanisme délicat échappe à toute perturbation.

Sa précision est telle, qu’on peut la dire absolue, et le résultat qu’elle procure dépasse tout ce qu’on peut attendre de l’ouvrier le plus expérimenté. Tandis que celui-ci n’arrive guère à rebuter que quatre pièces sur cent, la machine Napier en rejette vingt. Elle apporte donc une sécurité indiscutable quant au poids. Si on l’adoptait, l’effet se ferait immédiatement sentir, et le directeur de la fabrication se verrait contraint de modifier l’outillage de ses ateliers de manière à fournir des pièces si régulièrement droites, que la machine ne pourrait pas les refuser ; sans cela, et dans l’état des choses, les rebuts seraient si considérables, que la fabrication deviendrait onéreuse. L’emploi de la machine à peser pour les vérifications dont la commission est responsable peut donc entraîner, non pas un nouveau mode de monnayage, mais un perfectionnement des procédés actuellement mis en œuvre.

Ces modifications ne devraient être appliquées que lentement, car il serait injuste de se montrer trop exigeant envers la fabrication ; d’autant plus que les presses de la Monnaie ont depuis quelques années accompli de véritables tours de force, et qu’on ne peut du moins leur reprocher d’avoir manqué d’activité. Elles ont frappé sans repos ni trêve, car l’exploitation des mines de Californie et d’Australie a jeté sur le monde une quantité prodigieuse de métaux précieux. Une simple opposition de chiffres fera immédiatement comprendre dans quelle énorme proportion la richesse métallique de notre pays s’est augmenté. De 1726 au 1er prairial an V (20 mai 1797), on a émis en France pour 2 969 803 502 francs de monnaies d’or et d’argent ; sous le second Empire, depuis le 1er janvier 1855 jusqu’au 31 décembre 1868, on a frappé en or et en argent une valeur de 6 108 342 283 francs 50 cent. ; dans ces quantités, se rapportant à une courte période de seize ans, l’argent n’entre que pour la somme relativement minime de 368 525 153 francs 50 cent. ; le reste, près de 6 milliards, appartient à l’or[17]. Ce seul fait explique et au delà le renchérissement successif de toutes les denrées, de tous les objets de consommation, en un mot de ce qu’on nomme la vie matérielle. Le métal monétaire perdant progressivement de sa valeur par suite de l’abondance avec laquelle on le produit, doit-on s’étonner d’assister à une augmentation de prix en rapport avec la moins-value forcée des monnaies ? C’est là un phénomène naturel, mais qui n’en est pas moins singulièrement pénible et douloureux pour les personnes qui, n’exerçant point une fonction propre à les enrichir, voient chaque jour diminuer l’importance de leurs revenus, quoique le chiffre nominal en reste le même.

iii. — les médailles,

Le balancier des médailles. — Canons russes. — Manœuvre. — Médailles de sainteté. — Les passes. — Les médailles antiques. — L’école de David. — Les graveurs. — Dissonance. — Une médaille de M. Bovy. — La patine chocolat. — La patine de M. Barye. — Impuissance de la commission. — Le musée monétaire. — Dépouillé par la Bibliothèque impériale. — Pièces rares. — Le Charles X de 1595. — L’écu de Calonne. — La monnaie de Berthier. — Monnaies obsidionales. — Collection des poinçons et des coins. — Rosette et bronze. — Périssent les coins ! — Annexes du musée.


L’ancienne Monnaie des médailles était aux Étuves. Vers le commencement du dix-septième siècle, elle fut transportée au rez-de-chaussée de la grande galerie du Louvre construite par Henri IV. Sous la Révolution, on la ferma ; elle fut réorganisée en 1804 par Napoléon, qui en fit une annexe de l’hôtel du quai Conti. Jusqu’en 1830, le balancier des médailles releva directement de la liste civile ; mais depuis cette époque il est exploité par le directeur de la fabrication des monnaies. Les médailles, œuvres d’art commémoratives d’un événement important ou d’un grand homme, n’ont aucun caractère légal et ne servent point aux échanges. Elles n’ont pas besoin par conséquent d’être frappées avec rapidité ; aussi elles ont échappé à la presse, et sont restées soumises au balancier, instrument d’une certaine lenteur, d’un maniement pénible, mais à l’aide duquel on peut obtenir des résultats excellents. Les ateliers des médailles, soumis aussi au contrôle de la commission, sont séparés des ateliers où l’on frappe les monnaies.

Ce sont de grandes salles situées au rez-de-chaussée et dans lesquelles les balanciers, solidement établis sur d’épais massifs en maçonnerie, étendent les longues barres de fer armées de boules de cuivre à l’aide desquelles on les fait mouvoir. Napoléon, qui, avec sagacité, portait un très-sérieux intérêt à la beauté des monnaies et des médailles frappées sous son règne, ne dédaigna pas de donner quelques canons ennemis pour faire des balanciers. Ces derniers sont ornés d’une inscription : « Bronze des canons pris sur les Russes à Austerlitz. » Du reste, on doit croire que, malgré le travail qu’on leur impose, les balanciers ont la vie dure, car il en existe encore qui fonctionnent tous les jours, et qui datent du règne de Louis XIV.

Le balancier agit sur le métal comme le marteau sur l’enclume ; seulement ici l’enclume est une rotule supportant un coin recouvert d’un flan ; sur ce dernier, on place le second coin ; le marteau est représenté par une vis maîtresse qui obéit aux mouvements que lui impriment les barres dont l’instrument tout entier a pris le nom. Chaque boule est garnie de cinq ou six cordons qu’autant d’hommes saisissent ; d’un seul mouvement brusque et simultané, ils entraînent le levier en avant, la vis fait un tour, et son nez vient frapper avec une force irrésistible contre le coin supérieur. Le flan reçoit donc du même coup une double empreinte, celle de la face et celle du revers. La violence du choc est telle, que la vis revient sur elle-même et repousse le levier en sens inverse ; il faut alors faire attention, car il suffit d’un choc de boule pour tuer un homme. Les accidents sont rares, et instinctivement les barriers se rejettent en arrière dès qu’ils ont donné l’impulsion.

Relativement aux autres salles de la Monnaie, celle-ci est silencieuse ; on n’y entend que l’ordre bref donné par le contre-maître et le coup sourd du balancier, qui semble trembler dans sa lourde armure de bronze. Comme en France la loi est par-dessus tout restrictive, nul ne peut faire frapper de médailles sans y être préalablement autorisé par le ministre d’État. C’est donc là, sous des balanciers toujours en mouvement, qu’on frappe les jetons de présence, les mereaux des diverses compagnies (académies, chambres de notaires, etc.), les pièces de mariage, dont tous les modèles sont fort laids, les innombrables médailles de sainteté qui, ornées d’exergues emphatiques, représentent toute sorte de personnages canonisés, guérissent les maladies, écartent le tonnerre, préviennent la mort et attirent les bénédictions du ciel. C’est par millions qu’on en fabrique ; la vertu inhérente à ces amulettes n’a rien à faire sans doute avec le métal dont elles sont composées : si l’or ou l’argent en constituent la matière, elles sont aussi minces que possible, et réduites à l’épaisseur d’une simple pellicule ; le plus souvent elles sont de zinc, de plomb ou de cuivre. Elles affectent toutes les formes, rondes, carrées, ovales, en losange, et ressemblent, dans les mannes qui les contiennent, à des écailles irrégulières de poisson. C’est, dit-on, un excellent commerce ; on peut le croire sans peine à voir les masses considérables que la Monnaie en fournit (4 155 550 en 1868).

Pour ces petits objets, un seul coup de balancier suffit ; mais il n’en est plus ainsi dès qu’il s’agit d’une médaille dont l’ampleur atteint seulement le module d’une pièce de cinq francs. Là, parfois, il faut plusieurs passes ; une passe se compose de trois coups de balancier et d’une recuite, car, pour les médailles comme pour les lames, le métal, écroui par les chocs successifs qu’il a reçus, a besoin d’être exposé au feu pour redevenir malléable. La médaille dont l’empreinte n’est encore qu’ébauche est noire lorsqu’elle sort du four ; elle est fourbie avec soin et n’est remise au balancier qu’après être redevenue brillante. On la réengrène alors, c’est-à-dire qu’on la fait rentrer dans les coins de façon que les parties saillantes en remplissent exactement les parties creuses. Le nombre de passes nécessaires pour la rendre parfaite est considérable. La médaille commémorative de la loi du 11 juin 1842 sur les chemins de fer a supporté 120 passes, qui représentent 118 recuites et 360 coups de balancier. Elle est célèbre du reste, tant par sa beauté que par ses dimensions. C’est la plus grande qui soit jamais sortie des ateliers de la Monnaie. Je me souviens d’en avoir vu un exemplaire en or au moment où on la frappait, en 1841 ; c’était une masse pesant un kilogramme, reluisante, à reflets magnifiques, digne de figurer dans n’importe quel musée. Deux spécimens en avaient été frappés, l’un pour le roi Louis-Philippe, l’autre pour le ministre des travaux publics : que sont-ils devenus ?

Malgré les perfectionnements apportés au mode de fabrication, malgré les progrès de la chimie, qui peut déterminer les alliages avec une certitude mathématique, les belles médailles sont rares aujourd’hui. Lorsqu’on va au cabinet de la Bibliothèque impériale et qu’on voit les monnaies grecques et siciliennes, le grand stater d’Eucratides, l’auguste d’or, les philippes et les alexandres de Macédoine, les médailles italiennes du seizième siècle, et même quelques médailles françaises des règnes de Louis XIII et de Louis XV, on se demande avec étonnement pourquoi cet art si précieux, si exquis, semble ne pouvoir se relever de la décadence qui l’a atteint sur la fin du siècle dernier. La froide école de David et ses étroites maximes l’énervent encore. À force de vouloir faire du style, nos graveurs, à qui nul ne pourrait dénier le talent d’exécution, restent dans une rigidité de lignes, une roideur d’attitudes, qui ne sont pas de la grandeur, et qui ôtent tout ce qui constitue l’expression, c’est-à-dire la vie. Leurs effigies ne sont que des têtes, il n’y a pas d’âme ; ce sont moins des visages que des masques. On dirait que ces artistes, immobilisés dans des régles mesquines, se défient d’eux-mêmes et reculent avec effroi devant toute tentative d’originalité. Les traditions qu’ils respectent ont eu leur raison d’être à une époque où il a fallu réagir brutalement contre les afféteries des maîtres du dix-huitième siècle ; mais ces traditions n’ont plus rien à nous apprendre aujourd’hui, et c’est faire acte de faiblesse que de s’y soumettre encore.

Si, dédaignant tous ces préceptes surannés, les graveurs ne s’inspiraient que de la nature, s’ils pouvaient oublier des modèles qu’ils ont admirés et se préoccuper exclusivement de la vitalité expressive du modèle qu’ils ont à rendre, il n’est pas douteux, qu’avec la merveilleuse dextérité de main qui les distingue, ils n’arrivent à égaler, sinon à surpasser leurs devanciers. Bien des graveurs, emportés par des considérations qui devraient toujours leur rester étrangères, semblent ne plus savoir qu’une médaille n’est pas un tableau. J’en ai vu une qui représentait sur la face et sur le revers des scènes d’hôpital : malade couché dans un lit, médecin, sœur de charité, visiteur attendri. C’est puéril. La gravure sur médaille est avant tout un art symbolique qui doit résumer un fait par une allégorie quelconque, très-simple et très-facile à comprendre ; mais, sous aucun prétexte, elle ne doit reproduire le fait intrinsèque, le fait nu, anecdotique, familier. Cela est bon pour les journaux illustrés, pour les coloriages d’Épinal, pour les lithographies.

C’est là le côté moral de la médaille, pour ainsi dire, et les maîtres en cet art feront bien d’y songer ; mais il est un autre aspect de la question, aspect tout matériel, et dont il n’est pas inutile de dire un mot. La disposition des médailles frappées de nos jours est, quant à la face, généralement peu habile. On en restreint le champ par un listel absolument superflu qui arrête et fixe l’œil dans les contours d’une circonférence au milieu de laquelle l’effigie semble prendre des proportions trop considérables. Ce bord soulevé et composé d’un trait aigre durcit l’ensemble et lui enlève cette sorte d’infini très-doux, très-fuyant, qu’on admire sur les médailles antiques. De plus, le nom qu’on a la mauvaise habitude d’inscrire autour de la tête, est gravé en lettres romaines, dont la rigidité, la froideur, la rectitude forcées sont en contradiction directe avec les lignes arrondies, brisées, multiples du visage. Il y a là, comme on dirait en musique, une dissonance. Si le champ est en cuvette au lieu d’être plan, cela ne vaudra que mieux, car alors il n’offrira plus un ton égal et monotone, il aura des reflets qui, variant la nuance générale, donneront à cette dernière une chaleur et une mobilité qu’un champ plat ne produit jamais. Je prendrai pour exemple, non pas les médailles antiques, auxquelles le fruste donne une apparence d’une exquise douceur, mais cette même médaille des chemins de fer dont je viens de parler. C’est une tentative très-hardie de M. Bovy, et malheureusement elle n’a point été imitée. Il n’y a pas de listel, le champ en cuvette profonde contient une effigie que le relief et le travail du burin ont rendue fort belle. La lumière y joue facilement ; nul contour trop précis ne repousse le regard, et si l’on pouvait enlever les lettres qui enserrent la tête dans des jambages grêles et froids, ce serait une œuvre d’art irréprochable. Le revers représente une sorte d’autel du haut duquel l’Industrie lance Mercure et Mars vers de larges terrains sillonnés par des trains en mouvement ; la légende elle-même est excellente : Dant ignotas Marti novasque Mercurio alas. Voilà, selon nous, le type de la médaille commémorative ; elle est une des gloires modernes de l’Hôtel des Monnaies.

La patine demanderait aussi une étude particulière, car c’est elle qui, donnant la coloration générale, détermine l’impression première. Depuis la patine noire d’Herculanum jusqu’à la patine vernie des Japonais, en passant par la chaude patine des Florentins, il y a cent patines préférables à la couleur chocolat insupportable et banale qu’on a depuis longtemps adoptée. Tout graveur en médailles devrait connaître à fond le secret de la coloration des métaux, avoir sa nuance spéciale comme il a un différent particulier et imiter M. Barye, qui, ne dédaignant rien de ce qui peut ajouter au mérite de ses œuvres, a trouvé une admirable patine presque semblable aux tons de la malachite, et qui revêt ses bronzes d’un épiderme plein de puissance et de vie. Cela est important, bien plus important qu’on ne se l’imagine, et la chimie, à laquelle nul tour de force n’est impossible, pourrait, si elle daignait s’occuper de cette question, la résoudre facilement pour le plus grand bien des artistes.

Si les médailles modernes n’obtiennent pas tout le crédit qu’elles devraient avoir, c’est qu’elles pêchent sous le triple rapport de l’expression, de la disposition et de la coloration. Il serait aisé de faire disparaître ces défauts. La commission n’a, il faut le dire, qu’un droit de contrôle matériel sur les médailles que les administrations, les sociétés, les particuliers font frapper ; elle n’a rien à voir à la façon dont un sujet est traité, aux coins du graveur, au style de l’œuvre. Ainsi que me le disait en souriant le plus Haut personnage de l’Hôtel des Monnaies : « La commission fait comme ses balanciers, elle gémit ; mais elle frappe les pauvretés qu’on lui apporte, car elle y est obligée. » Il y a lieu de croire toutefois que, relativement aux médailles commandées par l’État, la réforme est en voie d’exécution et qu’elle sera activement poursuivie ; car il est temps d’en finir avec des errements qui n’ont que trop duré.

L’Hôtel des Monnaies possède un musée où la vérité des observations qui précédent peut être constatée par une simple comparaison entre les médailles anciennes et les médailles modernes. Ce musée était fort riche en monnaies de toute espèce, de toute époque et de tout pays. Malheureusement, en vertu d’un décret de 1862, il a été dépouillé par la Bibliothèque impériale, qui est venue chercher là les pièces qui manquaient à ses collections. Pour les médailles, passe encore ; mais, pour les monnaies, la mesure paraît bien excessive, car, si un établissement public a le droit de posséder un musée monétaire complet, c’est incontestablement l’hôtel du quai Conti. Quoi qu’il en soit, les vitrines sont curieuses à étudier, car, malgré les lacunes trop apparentes qu’elles étaient au grand jour comme des plaies douloureuses, elles renferment des échantillons d’une valeur exceptionnelle. En dehors des monnaies étrangères, nos seules pièces françaises offrent un intérêt réel. On y trouve le spécimen de la pièce d’argent frappée en 1595 à l’effigie de cet éphémère Charles X qui n’était autre que le cardinal de Bourbon ; des pieds-forts très-remarquables portant tous des légendes différentes[18] ; des pièces de plaisir, large monnaie arbitraire faite exprès pour les rois, qui s’en servaient en guise de cadeaux ; le magnifique écu de six livres frappé en 1786 par Pierre Droz, qui réinventait la virole brisée ; cet écu, qu’on appelait l’écu de Calonne, est un essai qui, s’il avait été poursuivi, aurait mis dans la circulation la plus belle monnaie d’argent que la France eût jamais possédée ; l’effigie, dont les longs cheveux surtout sont traités avec un art infini, est d’une délicatesse remarquable, et le revers offrant l’image de trois L fleuries et réunies est un chef-d’œuvre de goût et d’arrangement. Ce même Pierre Droz avait été chargé plus tard de fabriquer la monnaie de Berthier, et il existe au musée des pièces de cinq et de deux francs qui, autour d’une tête assez médiocre, portent pour légende : Alexandre, prince de Neuchâtel. Il est à regretter que la nécessité de classer les monnaies selon un ordre chronologique empêche de mettre cette dernière à côté du Charles X de 1595. Parmi les pièces de cuivre, on remarque quelques exemplaires bien conservés des monnaies obsidionales, monnaies d’apparence triste et presque lugubre, frappées à Mayence en 1795, à Anvers en 1814, à Strasbourg en 1814 et en 1815. En regardant la collection des médailles avec soin, on pourra reconnaître combien le temps marche vite, combien la célébrité est fugitive. Il y a là des quantités de médailles frappées à grands frais pour perpétuer le souvenir d’un événement ou d’un homme dont la date et le nom ne sont déjà plus dans aucune mémoire. Sous ce rapport, les vitrines contiennent plus d’une leçon amère, et bien des politiques vaniteux feraient bien d’aller y apprendre la vérité, et par conséquent la modestie.

La partie la plus importante du musée est celle qui renferme les poinçons et les coins de toutes les monnaies, de toutes les médailles qui ont été frappées à l’hôtel. Ils sont encore aujourd’hui, depuis le plus ancien jusqu’au plus récent, à la disposition du public, qui peut toujours demander à la commission impériale l’autorisation de faire exécuter n’importe quel spécimen. C’est un grand avantage offert aux amateurs de numismatique, mais il faut avouer qu’ils n’en abusent pas et qu’ils laissent volontiers les coins dormir dans les armoires vitrées qui les défendent contre la poussière. Il est juste de dire que la commission, qui est dépositaire des coins, les ménage avec un soin trop jaloux, et que, lorsqu’on lui demande une médaille de bronze, elle la laisse invariablement frapper en rosette, c’est-à-dire en cuivre rouge. Le bronze cependant est le métal par excellence pour les médailles ; mieux que l’or et que l’argent, il en accuse toutes les finesses, en fait ressortir les beautés ; mais il est très-dur, très-résistant, exige des passes nombreuses, et fatigue les coins d’une façon notable. Le cuivre, au contraire, est d’une ductilité parfaite ; il cède rapidement au choc du balancier, et, s’il produit des médailles d’une valeur contestable, on est certain du moins qu’il n’use pas les matrices dont on se sert pour donner l’empreinte. Périssent les coins plutôt qu’un principe ! Une médaille de cuivre est une médaille déshonorée, molle, flasque, d’un relief naturellement fruste et que le moindre frottement contre un corps dur écorche et met en péril. Il faut employer le bronze, dussent les coins être brisés. Dans ce cas-là, le malheur serait loin d’être irréparable, puisque l’on possède les poinçons avec lesquels on peut toujours, à volonté, faire des matrices nouvelles.

Dans le vestibule qui précède le musée, on a réuni, dans de grandes vitrines, des spécimens figurant les différents états par où passent les monnaies d’or, d’argent, de bronze, depuis le lingot brut jusqu’à la pièce parfaite. Là il est facile d’étudier l’aspect que présentent les barres, les lames, les bandes, les cisailles, les flans, et l’on peut, sans longue étude, se rendre compte des diverses phases de la fabrication. Un cabinet voisin, largement éclairé, contient une collection de timbres-poste. Tout en rendant justice à l’esprit qui a présidé à cette création, on peut trouver que le résultat en est peu satisfaisant. Une collection de cette nature n’a d’importance qu’à la condition d’être complète, d’offrir la suite chronologique et ininterrompue des types créés dans tous les pays du monde, et il faut reconnaître que, sous ce rapport, le musée de la Monnaie laisse beaucoup à désirer.

Telles sont les diverses installations de l’hôtel du quai Conti, en ce qui concerne les monnaies et les médailles, c’est-à-dire les deux objets pour lesquels il a été établi ; mais cette étude serait incomplète, si l’on n’y disait un mot de deux opérations très-importantes, exigeant toutes deux une surveillance spéciale, et dont les ateliers appartiennent à l’Hôtel des Monnaies ; il s’agit de la fabrication des timbres-poste et de la garantie des matières œuvrées d’or et d’argent.

iv. — la garantie.

Les timbres-poste. — Imprimerie. — Le vernissage. — La gomme. — Le pointillage. — Importation anglaise. — Contrôle et précautions. — Nombres comparatifs. — On apprend à écrire. — Le bureau de garantie des matières d’or et d’argent. — Les essais. — Le laboratoire. — Souvenir de Gay-Lussac. — Le touchau. — Pièces brisées. — Le poinçonnage. — Les poinçons. — La bigorne. — Entomologie. — Le vrai contrôle. — Une cuiller. — La brigade volante. — La recense. — Les bijoux de mademoiselle Rachel. — Impôt somptuaire. — Améliorations morales. — Monnaie internationale. — Diversité des monnaies. — Le progrès marche bien lentement


Il peut sembler singulier, au premier abord, que le timbre-poste soit assimilé à la monnaie ; mais, si l’on y réfléchit, on ne tardera point à reconnaître qu’il ne peut en être autrement. Le timbre-poste, en effet, est une valeur fiduciaire, un billet de banque infiniment petit, et, comme tel, il ne devait pas échapper au contrôle de l’État. Du reste, par ce seul fait que le graveur général est chargé de fournir le poinçon de l’effigie, il ressortit à l’Hôtel des Monnaies. Les planches de cuivre, portant chacune 150 empreintes, sont obtenues à l’aide des procédés de la galvanoplastie. Elles sortent du laboratoire du directeur de la fabrication des timbres-poste, qui jouit des mêmes droits et est soumis aux mêmes obligations que le directeur des monnaies. Il opère à ses risques et périls, est tenu de mettre à la disposition de l’administration des postes le nombre de timbres dont on a besoin et qui ne sont acceptés qu’après contrôle ; il est payé en raison des quantités qu’il livre et garde à sa charge les machines et les ouvriers.

En somme, ces ateliers spéciaux ressemblent à ceux d’une imprimerie ; les machines jouent sans tapage inutile ; les rouages ont des mouvements d’une douceur qui ne laisse pas soupçonner la force mise en œuvre. Là tout se fait rapidement et en silence. Les feuilles du papier particulier, fourni par la maison Lacroix d’Angoulême, sont comptées et soumises, avant toute autre opération, à un vernissage qui se fait à la presse mécanique. Un enduit incolore et dont la composition doit rester secrète est étendu sur une des faces de la feuille. Ce vernis, qui ne modifie en rien l’aspect du papier, rend toute contrefaçon à peu près impossible. Non-seulement il permet de donner une finesse presque inimitable à l’empreinte, mais encore il reçoit directement cette dernière, et si, malgré l’extrême ténuité de ce vernis, on pouvait l’enlever, on enlèverait du même coup l’effigie, et l’on n’aurait plus entre les mains qu’un carré de papier bleuâtre portant une tache au lieu du profil dont il offrait l’image.

Lorsque le papier est ainsi préparé, les feuilles sont comptées de nouveau, et enfermées pour être distribuées selon les besoins du service. Deux planches sont réunies côte à côte dans un châssis après qu’on les a nettoyées à la benzine pour enlever toute trace de corps gras qui pourrait les maculer. À l’aide d’un rouleau, on les imprègne régulièrement d’une couche de couleur qui varie selon la catégorie de timbres qu’on veut obtenir ; puis on tire à la presse à bras ou à la presse à vapeur. Dans ce dernier cas, l’encre est mécaniquement appliquée sur les planches comme sur une presse d’imprimerie ordinaire. Chacune des feuilles complètes, imprimées, contient 300 timbres, divisés par une marge blanche en cadres de 150 chacune. Lorsqu’elles sont sèches, on les coupe en deux à l’aide d’un coupoir qui peut en trancher environ 500 d’un seul coup. Les feuilles sont alors portées à l’atelier où se fait le gommage, qui exige une certaine adresse de main. Chaque feuille, ayant été gommée au pinceau, est mise isolément à sécher sur de larges claires-voies. Cette opération est la plus lente de toutes, car un bon ouvrier dans sa journée ne peut guère gommer plus de 900 feuilles. Comme ces ateliers ont été aménagés en 1848 dans de vieux locaux, ils sont peu en rapport avec le travail qu’on y accomplit, souvent étroits, coupés par des cloisons maladroites et réunis à l’aide d’escaliers biscornus qui sont de véritables casse-cou.

Lorsque les feuilles gommées sont parfaitement sèches, elles sont envoyées dans une salle où se fait le pointillage à l’aide d’une très-ingénieuse machine que dirigent des enfants. Le pointillage a pour but d’entourer chaque timbre d’un perlé de petits trous qui permet de le détacher de la feuille sans le déchirer ; c’est depuis le mois d’août 1862 seulement qu’on a introduit en France cette excellente amélioration, venue d’Angleterre. Les feuilles sont fixées cinq par cinq sur un cadre de fer ; ainsi immobilisées, elles passent sous un large peigne composé d’une série de carrés garnis de poinçons sur chacun des côtés qui correspondent exactement aux côtés du timbre-poste. Le peigne s’élève et s’abaisse automatiquement pendant que le cadre est entraîné par un mouvement mécanique, et en moins d’une minute les cinq feuilles superposées, représentant 750 timbres, sont pointillées avec régularité.

Les timbres-poste sont terminés ; ils sont soumis au contrôleur, qui rebute ceux qu’il trouve défectueux. Ceux-là sont toujours en petit nombre, deux ou trois mille par an tout au plus. Ils sont brûlés, et l’on dresse un procès-verbal de l’incinération. Les timbres droits sont enfermés dans une armoire à triple clef, d’où ils ne sortent qu’en présence d’un agent de l’administration des postes, qui signe un récépissé extrait d’un registre à souche. En somme, la fabrication et la comptabilité des timbres-poste offrent autant de garanties que celles des monnaies. La consommation en augmente tous les jours, et si la progression continue dans les mêmes proportions, les ateliers vont bientôt devenir insuffisants. On peut voir le progrès accompli en dix ans. L’atelier de fabrication en a fourni 196 943 700 en 1858 ; en 1868, il en a livré aux postes 530 847 900 qui ont été payés 487 678 fr. 32 centimes. Cela est bon signe, et prouve que la population française se décide enfin à apprendre à lire et à écrire[19].

Quoique le bureau de la garantie appartienne aux constructions mêmes de l’Hôtel des Monnaies et fasse corps avec elles, l’entrée en est située rue Guénégaud ; un long couloir, beaucoup trop bas de plafond, et dans lequel un homme portant un crochet chargé de grandes pièces d’orfèvrerie ne doit passer qu’avec peine, conduit jusqu’au bureau même, qui s’ouvre par une caisse où l’on enregistre toutes les matières précieuses apportées et destinées à recevoir le poinçon du contrôle. Les pièces reçues le matin sont vérifiées et rendues le jour même. C’est là, dans une sorte d’antichambre, que les apprentis, les garçons de magasin, attendent les bijoux qu’ils doivent enfermer dans la boîte de fer rattachée à leur cou par une chaîne solide.

Lorsque les matières ont été inscrites, elles sont envoyées, ayant chacune un bulletin indicatif, à la salle des essais, où, devant des établis, des hommes silencieux sont assis ayant près d’eux les instruments spéciaux qui leur sont nécessaires. Sur toute pièce assez considérable pour qu’on puisse, en la grattant, enlever un gramme de métal, on recueille la prise d’essai, qui est immédiatement transmise au laboratoire, laboratoire glorieux, car Gay-Lussac y découvrit, en 1829, le procédé d’essai de l’argent par la voie humide. Là, grâce aux manipulations de deux chimistes éminents, assistés d’aides rompus à toutes les difficultés pratiques du métier, on détermine d’une façon précise le titre de chacun des objets soumis aux expériences. Le laboratoire est petit, étroit, parfaitement éclairé par une large fenêtre, mais tellement chauffé par les fourneaux, que parfois le séjour en devient intolérable. Un mobilier neuf ne le déparerait pas : il y a là un certain canapé jaune en velours d’Utrecht qui date sans doute du temps où M. de Laverdy était contrôleur des finances. Dans cet espace resserré, où sept et huit personnes doivent toujours être en mouvement et ne se heurter jamais dans la crainte de compromettre leurs opérations délicates, le travail est incessant de neuf heures du matin à trois heures de l’après-midi. Les prises d’essai apportées sur de minces coupelles en cuivre, numérotées et munies d’un signalement particulier inscrit sur une fiche de papier, se succèdent sans interruption et passent, selon qu’elles sont d’or ou d’argent, par toutes les phases curieuses de la coupellation ou de la voie humide. Une cuiller d’argent, une tabatière, une cuvette de montre d’or, sont expérimentées avec autant de soin qu’une brève de plusieurs millions.

Lorsqu’une pièce échappe par la ténuité ou la finesse du travail à la prise d’essai destinée au laboratoire, elle est appréciée au touchau, qui, sans pouvoir fixer rigoureusement le titre, peut du moins permettre de constater qu’il ne s’éloigne pas des tolérances acceptées. Le touchau se compose d’une pierre de touche, d’un flacon d’acide nitrique et d’un trousseau de barrettes de cuivre dont chacune porte, soudé à l’extrémité, un échantillon d’or de titre déterminé. Tous les ors de couleur qui sont le résultat d’alliages avec du fer, du cuivre ou de l’argent ont là un spécimen. Le bijou frotté sur la pierre produit un trait métallique qu’on mouille avec de l’eau forte ; celle-ci, enlevant le cuivre, respecte plus ou moins la trace, selon la quantité d’alliage ; pour avoir un point de comparaison certain, on fait la même opération avec l’aiguille correspondante du touchau, et l’on peut dès lors juger de la pureté du métal qu’on vérifie. Lorsque, après plusieurs essais renouvelés et opposés les uns aux autres, on reconnaît que la pièce contient trop de cuivre, elle est déformée, brisée à coups de marteau et rendue en cet état au fabricant, qui ne réclame que bien rarement, car le commerce de Paris sait avec quels soins, avec quelle science, avec quelle expérience acquise par l’habitude, on procède au bureau de la garantie. Le laboratoire et la salle des essais ont, en 1868, expérimenté 3 408 780 ouvrages d’or et 6 239 238 ouvrages d’argent, sur lesquels 27 520 objets d’or et 10 415 objets d’argent ont été cassés, parce qu’ils étaient d’un titre trop faible.

À mesure que les objets essayés sont reconnus droits, ils sont transportés dans la salle du poinçonnage, où ils doivent recevoir une double empreinte qui en constate la sincérité et en détermine le titre. Là une difficulté se présentait : pour déjouer les tentatives des contrefacteurs, il fallait n’opérer qu’à l’aide de poinçons si parfaits qu’ils fussent inimitables. C’est à quoi l’on est parvenu. Les poinçons gravés par M. Barre père, qui, avant son fils, était graveur général des monnaies, sont des chefs-d’œuvre de finesse et de précision[20]. Selon qu’ils doivent être employés au contrôle de l’or ou de l’argent, selon qu’ils constatent des titres variés, ils diffèrent l’un de l’autre, et représentent la tête d’un médecin grec, de Minerve, d’un aigle, d’un cheval, d’un sanglier, d’un rhinocéros, de Mercure, d’un dogue, d’une girafe, un grand, un petit charançon, un crabe, une chimère ; un chiffre disposé de telle ou telle manière indique que le métal est plus ou moins pur.

Cela ne suffisait pas encore ; un poinçon, si habilement gravé qu’il soit, peut, étant toujours le même, être reproduit. Il fallait donc trouver pour la garantie une marque qui, se modifiant pour ainsi dire elle-même, donnât une empreinte toujours diverse et qui cependant fit partie d’un tout invariable. Ce résultat est obtenu par la bigorne, petite enclume qui a deux pointes, deux cornes, ainsi que le nom l’indique. La corne la plus grande est plate et offre un développement de 22 millimètres de longueur, de 11 dans la plus grande largeur et de 4 à l’extrémité ; la plus petite corne, qui est ronde, a 14 millimètres de long, le talon est de 7 et la pointe de 3. Eh bien, sur cette surface étroite, on peut faire un cours d’entomologie, car la première porte 21 rangées d’insectes, la seconde 17, et chacune de ces catégories différentes est isolée par une bande en zigzag où se déroule une inscription[21]. Il est superflu de dire que ce travail, qui a duré trois ans, a été fait au microscope, et que l’artiste qui a produit un tel chef-d’œuvre de patience a failli y perdre la vue. Lorsque, armé d’une forte loupe, on regarde attentivement ces sauterelles, ces cicindèles, ces frelons, ces fourmis, ces libellules, dont les ailes, les pattes, les antennes, les articulations du corsage, sont d’une exactitude extraordinaire, on éprouve une sorte d’éblouissement.

La façon de procéder est fort simple. La pièce à contrôler est posée au hasard sur la bigorne ; au-dessus du point exact par lequel le métal est en contact avec l’enclume, on applique le poinçon, qui est enfoncé d’un coup sec. La pièce reçoit donc une double empreinte : celle de l’image gravée sur le poinçon, celle d’une partie des mille traits qui sillonnent la bigorne, mais cette dernière image change à chaque opération : tantôt elle représente une tête de fourmi et une patte de sauterelle, tantôt la partie inférieure d’un staphylin et les antennes d’un fulgore. C’est là le vrai, l’inimitable contrôle, qui, malgré la multiplicité des variantes, appartient à un texte unique qu’on peut toujours consulter au besoin.

Il n’est personne qui, ne serait-ce que machinalement, n’ait examiné la marque d’une cuiller ou d’une fourchette. On voit alors à la face externe une marque qui a huit pans irréguliers, au milieu se dessine une tête de Minerve ayant le chiffre I placé en vedette devant le front : c’est là le poinçon du premier titre d’argent ; mais sur la face interne, précisément de l’autre côté de cette marque, on aperçoit des traces qui paraissent indécises, irrégulières, et ressemblent à une écorchure du métal : c’est la trace de la bigorne. Qu’on examine attentivement, et l’on reconnaîtra des portions d’insectes et peut-être une lettre ou deux de la légende inscrite entre eux. Les poinçons et la bigorne de la garantie, gravés en 1858, n’ont point été modifiés, car nul instrument de précision n’offrirait une plus sérieuse sécurité.

De même que les monnaies ne peuvent circuler qu’après avoir reçu la triple consécration de l’effigie, de la tranche et du revers, de même les objets d’or et d’argent ne doivent être livrés par le commerce qu’après avoir subi les essais et le poinçonnage de la garantie ; mais, comme le contrôle se paye, et que bien des marchands ne se gênent guère pour se soustraire aux mesures fiscales, une brigade volante de douze contrôleurs est chargée de visiter toutes les boutiques, tous les magasins où, sous une forme quelconque, on vend de l’or et de l’argent mis en œuvre. Ces agents ne procèdent jamais qu’accompagnés d’un commissaire de police, car parfois, trop souvent même, il faut dresser un procès verbal et opérer une saisie.

La garantie assiste aussi par un de ses représentants à toute vente publique, car les bijoux, les armes riches, les orfèvreries doivent, lorsque le poinçon qui les marque est périmé, être frappés d’un contrôle de recense (tête de girafe, tête de dogue). Il arrive fréquemment que ces sortes d’objets ne sont point au titre légal ; mais dès qu’ils offrent un intérêt quelconque de curiosité ou de sentiment, on les respecte et on les rend à leurs propriétaires. Après le décès de mademoiselle Rachel, on trouva chez elle une assez grande quantité de parures de théâtre en or bas, mis en couleur, et que l’artiste avait fait spécialement exécuter pour donner à ses différents costumes un plus grand caractère de réalité. Tous ces bijoux, considérés comme souvenirs, évitèrent le coup de cisaille réservé aux métaux que trop d’alliage rend inférieurs.

Le bureau de garantie, en tant qu’administration, ne relève pas de la commission des monnaies, il appartient aux contributions indirectes et dépend du ministère des finances, auquel il a rapporté, en 1868, la somme de 2 285 009 fr. 30 cent. Pour un impôt somptuaire, c’est un maigre produit, qui rémunère à peine l’État des soins qu’il prend afin d’assurer à tous nos ouvrages d’or et d’argent le titre qui seul leur donne une valeur commerciale.

Les diverses opérations dont l’Hôtel des Monnaies est le théâtre offrent des garanties telles, qu’il est bien difficile de les trouver en défaut. Pour assurer à nos monnaies la sincérité qui doit en être le principal caractère, on ne recule devant aucune considération, et bien souvent on a fait rejeter à la fonte des brèves entières. Sur 45 522 418 pièces d’or et d’argent frappées à la Monnaie pendant le cours de l’année 1868, on en a rebuté 2 462 652, qui ont dû subir de nouveau toute la série de manipulations prescrites avant de pouvoir obtenir le bon de délivrance et entrer en circulation.

Si l’État ne participe en rien à la fabrication des monnaies, il y intervient avec omnipotence pour les contrôler, et par conséquent il assume une part de responsabilité qu’on peut invoquer lorsqu’il s’agit de certaines améliorations à introduire. Toutes les fois que le gouvernement participe à une administration quelconque, sous quelque forme que ce soit, son action doit se faire sentir immédiatement d’une façon bienfaisante et élevée. Les ouvriers employés dans l’hôtel du quai Conti relèvent uniquement du directeur de la fabrication ; mais l’État, comme tuteur des monnaies, devrait les faire jouir des avantages qu’on trouve aujourd’hui dans presque tous les grands établissements. Rien ne serait plus convenable que d’assurer des retraites à ces humbles travailleurs qui manient avec probité et en détail la richesse monétaire du pays, de leur procurer en cas de maladie ou de blessures les soins gratuits d’un médecin payé par l’administration, de leur faire distribuer à prix coûtant des médicaments par la pharmacie des hôpitaux, de les attacher, en un mot, à leur dur métier, de récompenser leur labeur par une sorte de bénéfice moral plus envié et plus recherché parfois que le bénéfice matériel. L’État est père de famille ; il exige beaucoup, sous bien des rapports il exige trop, et jamais cependant on ne marchande les sacrifices qu’il réclame ; ne doit-il pas, partout où il apparaît, amener avec lui le bien-être et la moralisation ?

Il est une amélioration d’un autre ordre qui intéresse l’humanité tout entière, à laquelle on travaille depuis bien des années déjà, et qui, l’on peut en être certain, rencontrerait l’unanime assentiment de la commission. Il faut doter le monde d’une monnaie internationale, uniforme, acceptée par tous, et garantie chez tous les peuples par une loi semblable et consentie. Cette idée, si simple qu’on s’étonne de ne pas la voir appliquée, a souvent été mise en avant par la France. Dès le 8 mai 1790, M. de Bomay proposait un décret par lequel Louis XVI serait supplié d’engager le parlement anglais à établir l’égalité des poids, mesures et monnaies avec la France. Quelques nations, nous les avons nommées, ont adopté le système décimal, mais combien sont réfractaires encore, et comment se fait-il que dans les traités de paix on n’ait jamais songé à introduire une clause relative à l’unité des monnaies ?

N’est-il pas puéril qu’à notre époque, par un temps de chemins de fer et de télégraphie électrique, lorsque l’on dépense avec raison des millions pour obtenir un peu plus de rapidité dans les communications, les différents États, par suite d’un orgueil mal compris, d’habitudes surannées qu’on n’ose détruire, de paresse et d’insouciance, gardent une diversité de systèmes monétaires qui est préjudiciable à toutes les transactions et semble inventée tout exprès pour enrichir des banquiers habiles ? Qui pourrait croire qu’aujourd’hui l’Europe emploie plus de 200 variétés de poids et de mesures, qu’elle compte le temps à l’aide de trois calendriers qui n’ont aucun rapport entre eux, et que son commerce use de 93 monnaies d’or et de 135 monnaies d’argent, qui n’ont de commun ni le titre ni le poids ? Cinq types de pièces d’or, cinq d’argent, quatre de bronze, doivent et peuvent définitivement suffire à tous les besoins. Arrivera-t-on à s’entendre sur ce sujet qui tient aux intérêts les plus précieux des nations ? Il faut le croire ; mais on peut reconnaître que, si le progrès ne s’arrête jamais, sa marche est parfois d’une lenteur désespérante.

Appendice.Les événements de 1870-1871 ont lourdement pesé sur la fabrication des monnaies ; celle des espèces d’or a été interrompue et n’a été reprise qu’en 1874. Pendant trois années, les opérations ont été presque nulles à l’hôtel du quai Conti, dont l’insurrection s’empara après le 18 mars aussitôt que le gouvernement se fut réfugié à Versailles. La Commune a tenu à faire acte régalien ; environ 1 300 000 francs en pièces de cinq francs ont été frappés, par son ordre, en avril et mai 1871 ; la plupart de ces pièces, qui du reste étaient parfaitement droites, ont été retirées de la circulation et refondues.

En 1875, le bureau du change a reçu 674 720 kilogrammes 660 grammes d’argent ; nul lingot, nul objet d’or n’y a été présenté. Le monnayage a porté sur 29 789 617 pièces d’argent, dont 1 258 872 ont été rebutées comme n’offrant pas toutes les conditions requises de poids, d’aloi ou de sonorité ; 3 613 917 pièces de bronze ont été frappées, sur lesquelles 26 044 ont été rejetées à la fonte ; la valeur mise en circulation représente une somme de 136 903 779 francs 50 centimes d’argent et 284 212 francs 15 centimes de bronze. La machine à peser de James Murdoch Napier est définitivement adoptée et fonctionne régulièrement depuis la reprise de la fabrication de l’or en 1874.

Le nombre des médailles frappées en 1873 s’élève au chiffre de 572 145, dont 4 513 en or, 4 en platine, 540 036 en argent, 27 592 en cuivre ; à ce chiffre déjà considérable il faut ajouter 4 077 641 médailles dites de sainteté en toute sorte de métaux.

L’imprimerie spéciale des timbres-poste a livré, en 1873, à l’administration 575 922 400 timbres équivalant à la valeur brute de 107 147 210 francs et qui ont été payés 337 461 francs 20 centimes au directeur de la fabrication.

Le bureau de la garantie des matières d’or et d’argent a, en 1875, contrôlé 3 705 445 objets d’or et 7 091 795 objets d’argent ; 24 304 objets en or et 3 624 objets en argent ont été brisés pour cause de titre insuffisant. Les droits perçus au profit du Trésor public ont atteint la somme de 3 685 137 francs 81 centimes ; une loi du 30 mars 1872 a augmenté les droits de garantie de 50 pour 100 sur l’or et de 60 pour 100 sur l’argent ; les droits sont donc aujourd’hui de 30 francs par hectogramme d’or ouvré et de 1 franc 60 centimes par hectogramme d’argent.


  1. La monnaie n’a pas toujours été exclusivement en métal ; dans les possessions portugaises d’Angola, on se servait, avant 1694, d’une monnaie de paille tressée à laquelle les habitants étaient si fort accoutumés, qu’ils se révoltèrent lorsqu’on leur imposa des pièces de bronze ; en 1833, au Chili, dans la ville de Valdivia, on usait d’une monnaie composée de rondelles de cuir frappées d’une empreinte ; aujourd’hui encore, la monnaie métallique est inconnue aux nègres du continent africain, qui la remplacent par les rassades et surtout par les cauris (Cyprea moneta).
  2. Avant que Louis XV eût fait acheter l’hôtel du duc de Conti, nommé grand prieur du Temple, on avait pensé à construire un hôtel des monnaies en rapport avec Paris. Dès 1719 Law avait acquis des terrains à la porte Montmartre et au Roule ; plus tard, en 1720, il fut question d’établir quatre Monnaies : l’ancienne, améliorée, eût été consacrée aux espèces d’or ; celle du Roule eût été réservée aux espèces d’argent ; celle de la porte Montmartre aux pièces de deux sous six deniers ; enfin, la quatrième, qu’on devait bâtir à Chaillot, au bout du cours la Reine, n’aurait fabriqué que des douzains et des liards en cuivre rouge.
  3. Sur le plan dit de Ducerceaux et qui paraît remonter au règne de Charles IX, on voit le moulin de la Monnaie ; il est situé sur le bras droit de la Seine, à la pointe de la Cité, en amont des deux îlots qui, réunis aujourd’hui, forment le terre-plein du Pont-Neuf. Le pont passe exactement sur l’emplacement autrefois occupé par le moulin de la Monnaie.
  4. Le nom des monnaies a varié à chaque règne, et presque à chaque émission. Les sols, du latin solidus ; les bezants, abréviation de monnaies byzantines ; les sols parisis faits à Paris, tournois faits à Tours, bourgeois faits à Bourges, poitevins faits à Poitiers ; les couronnes, les masses, les chaises représentant un trône ; les pavillons, les florins (Louis VI et Louis VII), à cause de la fleur de lis ; les francs à cheval, à cause de l’effigie équestre de Jean II ; les saluts, qui en légende portaient le mot Ave ; les nobles à la rose, souvenir laissé à la France par les rois d’Angleterre ; les écus au soleil, les moutons à la laine, les heaumes, écus à trois fleurs de lis, timbrés d’un casque ; les gros de Nesles, les agnels de Louis IX, ayant pour légende : Agn : Di : qui : toll : pec : a mundi : miserere : no : (Agnus Dei qui tollis peccata mundi, miserere nobis). L’énumération des monnaies de cuivre ne finirait pas. Qui ne se souvient des sous tapés, des six-blancs et des monderons que les frères de ce nom avaient émis en 1791 et 1792 ?
  5. « On démonétisait les espèces courantes ; on les refondait, ou, plus simplement, on les marquait d’un poinçon, on en accroissait la valeur et on les remettait en circulation. La différence entre leur ancien et leur nouveau cours devenait le gain de la couronne. On eut recours à cette ressource malhonnête et déplorable : 24 fois dans le quatorzième siècle, 9 fois dans le quinzième, 6 fois dans le seizième, 6 fois dans le dix-septième, 18 fois dans le dix-huitième. » (A. Moreau de Jonnés, État économique de la France, p. 394.)
  6. En France, au commencement de ce siècle, on trouvait encore en circulation 60 espèces d’or et 90 espèces d’argent, de valeur différente, parmi lesquelles il faut indiquer l’écu de Navarre, dit écu à la vache parce que les armes étaient écartelées de Béarn, et l’écu de Flandre, qu’on appelait carambole. (Voy., pour plus de détails, Bonneville, Traité des monnaies d’or et d’argent.)
  7. Quelques gouvernements, entre autres celui de Suisse et celui de Belgique, remplacent la monnaie de bronze par des espèces en nickel, métal qui semble onctueux au toucher et dont le frai doit être considérable. En ce moment (décembre 1869), l’Hôtel des Monnaies de Paris frappe une quantité considérable de pièces d’un demi-réal, en nickel, pour la république de Honduras.
  8. Strasbourg marque BB, Bordeaux K. — Rouen marquait B, Lyon D, Marseille M, Lille W.
  9. Différent ou déférent, les deux termes ont toujours été usités indistinctement ; je pencherais pour le second, du latin deferre, mettre de haut en bas.
  10. Ou mieux réinventa, car la virole brisée exista autrefois, ainsi, qu’on peut le constater sur les pieds-forts du seizième et du dix-septième siècle. Le pied-fort était une pièce pesant quatre fois plus que le poids normal, et qu’on frappait, à toute émission nouvelle, pour le roi et les officiers de la monnaie.
  11. Cette disposition est absolue : il est même dit, dans l’Instruction générale de la commission des monnaies pour l’exécution de l’ordonnance royale du 26 décembre 1827 : « Le directeur de la fabrication ne peut, sous aucun prétexte, employer dans les travaux, si ce n’est pour alliage, d’autres matières que celles enregistrées au bureau de change, lesquelles doivent toujours être converties en espèces. »
  12. Représentant une valeur brute de 7 046 775 fr. 40 c., et le quadruple au moins, si l’on considère le prix d’achat.
  13. Pour éviter toute chance d’alliage étranger, on brasse l’or avec des morceaux de terre réfractaire ayant à peu près la forme d’une douve de tonneau. On ne saurait prendre trop de précautions avec l’or, qui est le métal délicat par excellence ; ainsi le plomb rend cassant dix mille fois son poids d’or, et il suffit de mettre du plomb au creuset dans la salle de la fonderie de l’or pour que ce dernier soit « empoisonné », devienne « aigre », et soit mis hors d’usage.
  14. L’action des laminoirs et du dragon est considérable : une lame sortant de la lingotière, ayant 8 millimètres d’épaisseur et 45 centimètres de long, a, lorsqu’elle est parvenue à l’état de bande, une épaisseur de 1 millimètre 5 centièmes et une longueur de 1 mètre 30 centimètres.
  15. Voici le détail : Or : poids, 74 229 kilogr. 512 gr. 60 ; valeur, 230 131 955 francs. Nombre : pièces de 100 francs, 2 315 ; de 50 francs, 15 894 ; de 20 francs, 9 281 061 ; de 10 francs. 3 416 208 ; de 5 francs, 1 864 491 ; total, 14 579 969 pièces. — Argent : poids, 285453 kilogr. 912 gr. 566 ; valeur, 57 102 004 francs. Nombre : pièces de 5 francs, 6 633 998 ; de 2 francs, 3 762 479 ; de 1 franc, 14 942 298 ; de 50 centimes, 2 788 512 ; de 20 centimes, 352 510 ; total, 28 479 797 pièces.
  16. Chaque soir, tous les ateliers, dont le plancher est couvert d’une claire-voie, sont balayés avec soin ; on recueille la poussière à laquelle se trouvent forcément mêlés des scories, des rognures, des éclats, de la poudre de métal. Ces précieuses ordures, mises dans des auges où une meule horizontale passe et repasse incessamment, sont réduites à l’état de boue liquide, et, traitées chimiquement, rendent l’or et l’argent qu’elles contiennent.
  17. À ces sommes il faut ajouter 59 300 000 francs de monnaies de bronze, qui toutes ont été frappées depuis l’établissement du second Empire (loi du 6 mai 1852). Voy. sur ce sujet une très-intéressante brochure de M. Ernest Dumas : Note sur l’émission en France des monnaies décimales de bronze. Imprimerie nationale, 1868.
  18. Teston Charles IX, 1573 : Verœ religionis assertori. Testons et francs de Henri III : Paci quieti ac felicitati publicœ. Quart d’écu du même : Constitutæ rei nummariæ exemplum. Franc de Henri IV ; Perennitati principes Galliæ restitutoris ; huitième d’écu du même : Probati numismatis exemplum. Franc de Louis XIII ; Justissimi regis perennitati ; louis d’argent du même : Ludovico XIII monetæ restitutori. Louis et écus blancs de Louis XIV : Pondere sanctuarii. Écu de Calonne (Louis XVI, 1786) : Domine salvum fac regem.
  19. Voy. Pièces justificatives, 6.
  20. M. Jules Aublin, contrôleur à la fabrication des coins et poinçons, a publié un très-curieux Tableau synoptique des monnaies et de la garantie, donnant la représentation exacte des différents, des espèces métalliques et des poinçons de garantie.
  21. Une de ces bigornes ayant été volée en 1846 par un employé du bureau de la garantie, M. Barre père dut modifier le type primitif en ajoutant des ornements aux bandes de séparation, qui antérieurement étaient lisses.