Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXe siècle/XXX

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CHAPITRE XXX

LES ÉGOUTS


i. — les cloaques.

Eau versée chaque année dans le périmètre de Paris. — Élément morbide. — Souvenir de Rome. — Cloaca maxima. — Le moyen âge. — Les pourceaux. — Le premier pavé de Paris. — Oubliettes. — Le ruisseau de Ménilmontant. — Le grand égout. — Les trous punais. — Hugues Aubriot. — Le premier égout couvert. — Le Pont-Perrin. — La Culture Sainte-Catherine. — L’égout et le palais des Tournelles. — Les Tuileries. — Projets de Gilles Desfroissis. — Le fossé de Nesles. — François Miron et l’égout du Ponceau. — Exemple unique. — Intervention de la régente. — Projet de Louis XIII. — Totalité des égouts en 1631. — Le basilic. — La Reynie. — Pavage des rues. — Engorgement du grand égout. — Proposition aux bourgeois de Paris. — Les mauvaises années. — Sur le plan de Gomboust. — La régence à Paris. — Création des boulevards par Louis XIV. — Un nouveau quartier. — Infection. — Michel-Étienne Turgot. — Le grand égout reconstruit. — Sur le plan de Deharme. — Joseph de La Borde. — La chaussée d’Antin. — Totalité des égouts sous le Consulat. — M. de Rambuteau fait construire 78 673 mètres d’égouts. — Les rues de Paris il y a quarante ans. — Les grilles d’égout. — Inondation. — Passez, beauté ! — L’égout Amelot. — Parent-Duchâtelet. — 6 450 tombereaux. — Personnel dérisoire.


Dans un des chapitres précédents, nous avons parlé du service des eaux et raconté par suite de quels efforts Paris était régulièrement pourvu d’eau potable. Cette eau, qui est un puissant agent de salubrité lorsqu’elle nous arrive, devient au contraire, après avoir servi aux usages publics et particuliers, un élément dangereux, plein de germes morbides qu’il faut savoir éliminer au plus vite et rejeter loin de la ville, sous peine d’être envahi par des maladies épidémiques. La masse d’eau qui se répand sur la surface des 7 800 hectares qui sont enclos par les fortifications est énorme. En prenant des moyennes, on voit que l’eau distribuée à Paris en vingt-quatre heures représente 218 000 mètres cubes, et que la pluie tombée dans le même espace de temps équivaut à 106 000, ce qui fait 324 000 mètres cubes par jour, — un peu plus de 118 milliards de litres chaque année : un déluge !

Cette eau, contaminée par le contact avec nos rues, avec les toits couverts de poussière, avec nos murailles vêtues d’efflorescences de salpêtre, souillée, infectée dans les cuisines, les écuries et ailleurs, a perdu environ 20 pour 100 de la masse totale par évaporation ou par absorption ; mais il reste encore 262 000 mètres cubes quotidiens, dont il est nécessaire de nous débarrasser. Par les gouttières, par les éviers, par les conduites verticales dressées le long des maisons, elle a glissé dans les gargouilles aboutissant à la chaussée ; elle coule dans les ruisseaux, qui la mènent à une ouverture placée sous la marge des trottoirs ; par une pente rapide, elle s’y précipite et tombe dans un immense réseau de canaux souterrains, disposés scientifiquement selon la configuration du sol sous lequel ils se ramifient. Ceux-ci l’emportent grand train, pour la verser, loin de Paris, dans la Seine, qui la pousse à la mer. Ces canaux souterrains sont les égouts, complément nécessaire des aqueducs et des conduites d’eau, qu’ils abritent souvent contre la paroi des voûtes.

Comme le corps humain, les cités populeuses ont leurs organes secrets qui, pour être cachés, n’en sont pas moins indispensables à la vie. Celui-là est un des plus importants : il fait la police des choses matérielles et purge la ville de tous les éléments impurs ; il combat la peste et chasse loin de nous les gaz délétères qui peuvent l’engendrer ; il pourvoit à l’assainissement et entretient la salubrité. La longue canalisation circule sous nos rues et vient jusque dans nos maisons recevoir nos eaux ménagères. Les égouts dont Paris a été doté depuis quinze ans sont les plus complets et les plus beaux qui existent au monde. On les montre avec un orgueil qui n’a rien d’excessif ; bien des curieux les ont visités, et ont pu constater par eux-mêmes qu’il est facile de les parcourir en bateau et même en wagon. Il n’en a pas été toujours ainsi.

Un jour que j’étais à Rome, flânant par les rues, bayant au soleil, m’arrêtant pour voir passer les belles filles du Transtevère, dont les cheveux d’ébène sont épingles d’argent comme ceux de Proserpine, perdant mon temps à mille choses fort utiles, et

Nescio quid méditans nugarum,


j’arrivai prés de l’arc des Argentiers, et j’aperçus devant moi un grand trou sombre au fond duquel une flaque d’eau me regardait d’un œil aussi limpide que le cristal de roche le plus pur. La petite source était l’eau argentine, et le trou s’ouvrait dans la voûte effondrée de la Cloaca maxima. C’est là tout ce qui reste aujourd’hui des grands égouts de Rome. Ceux d’Auguste et de Nerva ont disparu ; seul il subsiste celui que construisirent les deux Tarquins pour drainer le Vélabre et assainir la ville. Ainsi, plus de cinq cents ans avant l’ère chrétienne, Rome avait compris la nécessité des canalisations souterraines, et les avait faites si solides que vingt-trois siècles ont passé sans pouvoir les détruire. Paris n’eut pas une telle fortune ; les rues dont la pente aboutissait à la Seine ou à la Bièvre y versaient leurs eaux ; les autres étaient des marécages stagnants qui seuls suffiraient à expliquer les pestes, les lèpres, le mal des ardents dont nos ancêtres ont tant et si souvent souffert.

Au moyen âge, l’égout coulait à ciel ouvert, car presque toujours c’était la voie publique elle-même qui était l’égout ; on la creusait dans l’axe pour dégager les côtés, sur lesquels on essayait de marcher à pied sec ; de distance en distance on jetait des planches transversales, parfois un petit ponceau pour communiquer d’une rive à l’autre du bourbier, où les porcs se vautraient et vaguaient si bien que le prince Philippe, fils aîné de Louis VI, passant rue des Martrois, près de la Grève, fut jeté bas de son cheval, effrayé par un pourceau, et mourut des suites de sa chute.

En 1184, Philippe-Auguste s’étant mis à la fenêtre du Palais, regardait des chariots qui traversaient la Cité ; les roues s’engageaient dans une fange épaisse d’où s’échappait une odeur tellement fétide que le roi n’y put tenir. Il convoqua le prévôt des marchands, les échevins, et leur ordonna de garnir de larges pierres les rues de la ville. On procéda sans doute avec lenteur, car sous Louis XIII la moitié de Paris à peine était pavée ; il ne l’est même pas encore complètement à l’heure qu’il est : on peut s’en assurer en allant se promener vers la Butte-aux-Cailles, qui cependant fait partie de notre agglomération urbaine depuis la loi du 16 juin 1859[1].

On a retrouvé sous le Palais de Justice et sous les terrains où s’élevait l’Archevêché avant la journée du 15 février 1831 des restes d’égouts en bons appareils datant de saint Louis et de Philippe le Bel ; mais ils n’avaient rien de public et étaient exclusivement consacrés à recevoir les immondices des grandes demeures qu’ils desservaient. Ils s’ouvraient fort probablement auprès des cuisines et se dégorgeaient dans la Seine ; lorsqu’on les eut découverts, on ne manqua pas de les prendre pour des oubliettes, ce qui est le sort commun réservé à toutes les excavations rencontrées dans les vieux châteaux.

La Cité se vidait dans la Seine ; la portion de Paris assise sur la rive gauche et qu’on nommait alors l’Université s’épanchait dans la Bièvre ; les habitations groupées sur la rive droite, que par excellence on appelait la Ville, avaient pour exutoire le ruisseau de Ménilmontant. Les collines de Charonne, de Ménilmontant, de Belleville et de Montmartre sont revêtues d’un terrain sablonneux qui fait éponge et boit l’eau pluviale ; mais celle-ci ne peut pénétrer profondément dans le sol, car elle est arrêtée par des couches argileuses qui sont directement posées sur les bancs de pierre à plâtre. Forcées de se frayer une route à travers des terrains perméables, les eaux s’écoulaient en sources au pied des collines et se réunissaient au fond de la vallée dans un gracieux ruisseau qu’elles avaient creusé et qui, partant de l’endroit où s’ouvre aujourd’hui le boulevard des Filles-du-Calvaire, se dirigeait vers la Seine, qu’il atteignait au quai actuel de Billy, sur l’emplacement de la Manutention militaire. Lorsque l’on se mit à exploiter sérieusement les carrières à plâtre, l’eau ne fut plus contrariée dans sa marche verticale, elle glissa à travers les fissures du gypse et se perdit dans les profondeurs, où elle se mêla à la nappe souterraine de la Seine. Dès lors le ruisseau de Ménilmontant fut tari et devint pendant des siècles « le grand égout de Paris ». Il fut ce que nous appellerions un collecteur, car c’est vers lui qu’on essaya de diriger la pente des égouts que l’on creusait, tant bien que mal, pour débarrasser la ville des eaux croupissantes qui l’empoisonnaient. Sauval cite les noms des cloaques : le trou Bernard, le trou Gaillard, le trou Punais ; c’est d’un seul mot nous dire ce qu’ils pouvaient être[2].

Le premier magistrat royal qui s’occupa intelligemment des égouts dans un intérêt d’assainissement fut Hugues Aubriot, que Charles V avait appelé à la prévôté et à la capitainerie de Paris. La nouvelle enceinte[3] dont on enveloppait la ville ayant englobé en partie la rigole fangeuse qui portait les eaux du quartier Montmartre au grand égout, Aubriot fit voûter celle-ci et la revêtit de maçonnerie ; c’est le premier égout couvert que nous ayons possédé. L’infection de ces « trous » était telle qu’en 1412 l’hôtel Saint-Paul, résidence du roi, était devenu inhabitable à cause des émanations d’un égout que l’on nommait le Pont-Perrin et qui, formant mare sur le terrain actuel de la place Birague, s’écoulait dans les fossés de la Bastille. On le détourna à travers la Culture Sainte-Catherine et on le conduisit au ruisseau Ménilmontant, au delà du fossé de circonvallation, qu’il franchissait dans un canal de pierre. C’était plus qu’on n’avait fait pour l’égout Montmartre, qui traversait le fossé dans une de ces auges de bois que l’on nomme techniquement une buse.

L’égout Sainte-Catherine devait avoir pour destinée d’être particulièrement désagréable aux demeures souveraines ; il empoisonnait le palais des Tournelles, qui s’élevait où nous voyons aujourd’hui la place Royale. Louis XII et François Ier, qui l’habitèrent, se plaignirent en vain d’un tel voisinage ; le prévôt des marchands fit la sourde oreille, et le roi fut réduit, pour offrir à sa mère un logement moins insalubre que les Tournelles, à échanger sa terre de Chanteloup, prés Montlhéry, contre une maison appartenant à Nicolas Neuville de Villeroy ; le contrat est daté du 12 février 1518 ; Louise de Savoie prit possession de sa maison, qui s’appelait déjà l’hôtel des Tuileries à cause des fabriques de tuiles dont elle était environnée. Henri II ne fut pas plus heureux ni mieux écouté que François Ier ; il a beau, en 1550, mander le prévôt des marchands et les échevins à Saint-Germain, et leur intimer l’ordre de s’entendre avec Philibert Delorme pour détourner l’égout pestilentiel de la Culture Sainte-Catherine ; il a beau, le 23 mars 1553, renouveler ses instances par des lettres pressantes, il n’obtient rien qu’une délibération en vertu de laquelle « le maître des œuvres de la ville » sera tenu de faire nettoyer une fois par an le cloaque dont se plaignent tous les habitants du logis royal. Ce fut le palais des Tournelles et non l’égout qui quitta la place. Après le tournoi du 30 juin 1559 et le malheureux coup de lance de Montgomery, le palais fut abandonné et démoli en 1564, ainsi que le prescrivaient les lettres patentes que Charles IX signa le 28 janvier 1563.

Il y eut sous Henri II une tentative très-importante d’assainissement de la ville ; un maître de forges, nommé Gilles Desfroissis, voulut faire admettre une idée qui nous paraît bien simple aujourd’hui, et qui fut alors considérée comme impraticable. Au lieu de jeter les égouts dans la Seine, qu’ils infectaient, il voulait amener la Seine dans les égouts, afin que ceux-ci fussent toujours nettoyés par un courant d’eau vive ; de plus il proposait de rendre navigables les fossés de l’enceinte de Charles V en y introduisant un bras de la Seine pris à l’Arsenal et conduit jusqu’à la porte du Louvre ouverte sur la berge. Dans cette rivière, il eût détourné au besoin les égouts de la ville, et eût du même coup vivifié cette portion des fossés qui, traversant la place actuelle du Carrousel, recevait toutes les immondices des environs et n’était plus qu’un bourbier putride. Philibert Delorme appuyait le projet ; on discuta pendant deux années, 1550, 1551, et la proposition fut définitivement repoussée par le bureau de la ville. À cette époque, la rive gauche n’était guère mieux partagée que la rive droite ; tout ce qui n’était pas absorbé par la Bièvre tombait dans les fossés, à la hauteur de la porte Bucy, et glissait vers la Seine, au pied de la tour de Nesles, quand la vase trop épaisse n’oblitérait pas complètement le canal, dont la pente était presque insensible[4].

Sous Henri IV, il se passa à propos des égouts un fait qui doit être unique. François Miron, prévôt des marchands, à qui Paris doit tant, fit en 1605 voûter à ses frais l’égout du Ponceau, depuis la rue Saint-Denis jusqu’à la rue Saint-Martin ; il est probable que, rencontrant de l’opposition de la part des échevins, qui se refusaient à faire une dépense qu’il jugeait indispensable, il résolut de la prendre à sa charge pour purger un quartier important des exhalaisons qui en rendaient le séjour dangereux. Le bureau de la ville s’occupait au reste si peu de cette question, d’où dépendait pourtant en partie la salubrité publique, que dès 1610 la régente Marie de Médicis est obligée d’intervenir directement et d’ordonner au lieutenant du grand voyer de France de faire opérer d’autorité le nettoiement des égouts. L’année suivante, en 1611, Hugues Cosnier, qui était directeur du canal de la Loire, reprend le projet de Desfroissis et n’est pas mieux écouté que celui-ci. Le roi veut agrandir la ville et enclore dans l’enceinte des Tuileries le faubourg Saint-Honoré jusqu’à notre rue Royale, le faubourg Montmartre jusqu’aux boulevards actuels[5]. Pierre Pidou est chargé de ce travail en 1631 ; de plus il doit rendre les fossés navigables depuis l’Arsenal jusqu’à la porte de la Conférence, et construire entre le canal de navigation et la muraille de la ville un grand égout de 12 pieds de large qui eût récolté tous ceux où stagnaient les eaux du Paris septentrional. La première partie de cet excellent projet fut seule exécutée, et le ruisseau de Ménilmontant continua à faire l’office de cloaque universel.

On sait exactement ce que notre ville, qui déjà aimait à se nommer la capitale de toute civilisation, possédait d’égouts à cette époque : 4 121 toises d’égouts découverts, 1 207 toises d’égouts voûtés, — en langage moderne 10 390 mètres. Dès qu’on y touchait, on courait risque d’asphyxie ; mais la science de cette époque ignore la nature des gaz méphitiques. En 1633, cinq ouvriers sont foudroyés au moment où ils mettaient la palette dans l’égout du Ponceau. Des médecins réunis discutent sur le fait, en recherchent attentivement les causes, et tombent d’accord pour déclarer que les ouvriers ont été tués par le regard d’un basilic qui sans doute est blotti dans une excavation de l’égout.

En 1667, la lieutenance de police est créée. La Reynie s’occupe d’assainir la ville ; dès sa première année d’exercice, il consacre 187 000 livres au pavage des rues[6]. Un changement de costume indique immédiatement le résultat obtenu ; on substitue le soulier à la forte botte montante que l’on portait depuis si longtemps. Un arrêté de police ordonne que, tous les ans, le prévôt des marchands, en personne, accompagné des échevins et du maître des œuvres, fera la visite des égouts et s’assurera qu’ils sont en bon état ; les procès-verbaux de ces visites seront transcrits sur les registres de la ville. Lorsque l’on élève l’hôtel des Invalides, on n’oublie pas de construire un égout qui, sous l’esplanade, va se jeter à la Seine.

Le grand égout n’en allait pas mieux ; le lit, exhaussé par les matières solides qui tombaient au fond, n’avait plus la pente nécessaire ; il était engorgé, encombré, et ressemblait à un dépôt de voirie. Les égouts voûtés de la rue Saint-Louis, de la rue Vieille-du-Temple ne fonctionnaient plus ; les riverains en demandent la suppression, et offrent spontanément de contribuer pour une large part à la dépense que de tels travaux devront nécessiter. Un arrêt du conseil en date du 24 avril 1691 chargea une commission compétente d’étudier ce qu’il y avait à faire. Tout était à faire, on le reconnut. On fut effrayé des sommes énormes que les rectifications de pente et de parcours allaient absorber, — et puis les mauvaises années venaient, la vieille monarchie, malgré ses grandioses apparences, allait s’appauvrissant de jour en jour ; on ferma l’oreille aux doléances, on éconduisit les bourgeois, et rien ne fut changé.

On peut voir le trajet du ruisseau de Ménilmontant sur le plan de Gomboust (1652) : des talus de terre en forment les rives et sont plantés d’arbres ou de haies ; il reçoit, comme des confluents immondes, l’égout qui vient de la rue des Égouts, située entre la rue Saint-Martin et la rue Saint-Denis, l’égout Montmartre, l’égout Gaillon, qui bientôt sera la rue de la Chaussée-d’Antin. Il traverse des jardins, des marécages où il bave et où chantent les grenouilles ; la rue Chanteraine en garde le souvenir[7]. Nulle maison sur les bords ; il souffle la peste et chacun le fuit.

En s’installant à Paris et en y maintenant le jeune roi, la régence prépara l’assainissement et l’agrandissement de la ville plus que tous les règnes précédents. L’intérêt personnel mis en jeu fit des efforts qu’on n’aurait jamais pu obtenir du corps timide des échevins. La cour avait suivi Louis XV ; les seigneurs et quantité de personnages trouvaient difficilement à se loger dans une ville devenue presque exclusivement bourgeoise depuis que Louis XIV, qui se souvenait des mauvais jours de la Fronde, avait établi ses demeures à Versailles. Paris avait brisé l’enceinte de murailles qui l’étreignait ; Louis XIV victorieux, ayant reculé les frontières de la France, estima qu’une capitale placée au centre du royaume n’avait plus besoin de fortifications. De 1670 à 1671, les remparts furent aplanis et plantés d’arbres depuis la porte Saint-Antoine jusqu’à l’extrémité de la rue Poissonnière ; en 1686, ce travail fut continué jusqu’à la porte de la Conférence. C’est là l’acte de naissance de nos boulevards intérieurs. La ville n’avait donc plus de limites, elle s’étendait ou pouvait s’étendre à son aise dans la campagne, car le mur d’octroi qui fit tant crier les Parisiens ne fut élevé que de 1784 à 1787.

La municipalité, espérant retenir les gens de cour et voulant leur permettre d’habiter des maisons à jardins faites spécialement pour eux, obtint le 4 décembre 1720 des lettres royales qui l’autorisaient à construire un quartier nouveau entre la Grange-Batelière et la Ville-l’Évèque. Il ne suffisait pas d’avoir des terrains, il était même facile d’y bâtir des maisons ; mais qui viendrait les occuper ? Qui ne serait repoussé par l’horrible odeur que le grand égout répandait autour de lui ? On avait ordonné de voûter le confluent de l’égout Gaillon qui, traversant le boulevard, longeait le côté gauche de la rue actuelle de la Chaussée-d’Antin et se jetait dans le grand égout, dont le tracé suivait alors la rue Saint-Nicolas, où il recevait l’égout descendant du château des Percherons, qu’on appelait aussi le château du Coq.

Le grand égout devait également être voûté depuis la Grange-Batelière jusqu’à la rue d’Anjou. La ville recula devant de tels travaux, et les choses restèrent en l’état. Elles s’aggravèrent fort heureusement au point de nécessiter une mesure radicale, une mesure de salut public ; le mot n’a rien d’excessif, car, lorsque le vent du nord soufflait, Paris entier était sous l’haleine empestée de l’immense cloaque qui l’enveloppait, de la Bastille à Chaillot, d’une demi-ceinture d’immondices et de putréfaction. Un arrêt du conseil en date du 26 mars 1737 enjoignit au prévôt des marchands de hâter l’œuvre de salubrité, d’acheter les terrains nécessaires et de reconstruire le grand égout.

Michel-Étienne Turgot, — père du grand ministre, — occupait alors la prévôté des marchands ; c’était un homme de bien, actif et intelligent. Il mit les fers au feu, comme on dit, et en 1740 il avait terminé le grand égout, qu’il avait reporté un peu plus au nord. Il avait fait un canal, revêtu de forte maçonnerie et ayant un lit de pierres de taille ; les murs avaient environ cinq pieds de hauteur et formaient des trottoirs d’où il était facile de le nettoyer, mais il coulait toujours à ciel découvert. Turgot fit plus : il creusa un réservoir à la tête de l’égout, boulevard des Filles-du-Calvaire, y réunit les eaux de Belleville et les lâcha dans le canal, qu’elles curaient sans peine. Le travail fut jugé d’une beauté incomparable, et le roi Louis XV, accompagné de tout le corps municipal, vint en grande cérémonie assister à l’entrée de l’eau du réservoir dans l’égout. Le procès-verbal dit : « Le roi resta dans cet endroit environ une grosse demi-heure, pendant laquelle il ne cessa de parler à M. le prévôt des marchands sur la beauté de cet ouvrage[8]. »

Le plan de Paris gravé par Deharme en 1763 nous indique le cours exact de l’égout et prouve que la construction des quartiers projetés n’avait point marché aussi vite qu’on l’avait espéré ; depuis longtemps, en effet, le roi s’était établi de nouveau à Versailles et avait entraîné tout son monde à sa suite. L’égout, ouvert à l’entrée de la rue Ménilmontant et presque appuyé contre le réservoir des eaux de Belleville, est canalisé ; il suit la rue des Fossés-du-Temple, s’enfonce sous voûte, et reparaît pour recevoir, entre la porte du Temple et la porte Saint-Martin, les égouts rectifiés du Temple et de la Croix ; il remonte alors vers le nord, franchit les faubourgs Saint-Martin, Saint-Denis, Montmartre et Poissonnière ; il est couvert et planté d’arbres sur l’espace de quelques mètres à la naissance de ce qui est actuellement la rue de Provence ; il revient à fleur de terre, reçoit l’égout descendant de la rue Saint-Lazare sur l’emplacement de la rue Laffitte, passe sous la rue de la Chaussée-d’Antin, qui a caché son égout, qui est en partie construite et qu’on nomme indifféremment le chemin de la Grand’-Pinte, de Gaillon, de l’Hôtel-Dieu, à cause d’une ferme que l’hôpital possédait près du château des Percherons ; après avoir parcouru toute la voie qui s’appela longtemps la rue Saint-Nicolas et qui prolonge la rue de Provence, il traverse sous un ponceau la rue de l’Arcade, la rue d’Anjou, s’avance parallèlement à la rue de la Pépinière, dépasse le faubourg Saint-Honoré au-dessous de Saint-Philippe du Roule, s’incline vers le sud, et, au milieu des Champs-Élysées, gagne Chaillot, où la Seine l’absorbe. Sur le plan de Verniquet, qui fut terminé en 1788, il n’en reste plus de trace ; en effet, dans l’intervalle il a disparu[9].

Un financier célèbre en son temps, Joseph de Laborde, qui habitait un hôtel entouré d’un vaste jardin là où nous voyons actuellement l’Opéra, était propriétaire des terrains voisins ; il voulut les mettre en valeur, et, par ce seul fait, rendit à la ville un service considérable, car ce fut lui qui réellement créa le quartier de la Chaussée-d’Antin. Des lettres patentes du 15 mai 1770, enregistrées au parlement le 6 septembre 1771, l’autorisaient à ouvrir deux rues nouvelles : l’une, partant du faubourg Montmartre et aboutissant au chemin de la Grand’-Pinte, devait être appelée la rue de Provence ; — l’autre, prenant naissance à cette dernière rue et débouchant sur le boulevard, recevait le nom du comte d’Artois ; c’est aujourd’hui la rue Laffitte. Or les deux voies dont il est question étaient le grand égout et la suite de l’égout Saint-Lazare ; on les voûta, on les couvrit, des maisons s’élevèrent, la mode s’y mit, on y courut. L’exemple donné ne fut point stérile. Les rues nouvelles avaient été terminées en 1776 ; la spéculation se jeta sur ces terrains. En 1778, on ouvre la rue Neuve-des-Mathurins ; en 1780, la rue Neuve-des-Capucines, qui est la rue Joubert, et, en 1784, la rue Saint-Nicolas. Le grand égout est rentré sous terre pour n’en jamais sortir ; la ville est assainie et compte un magnifique quartier de plus, qu’on reliera plus tard à un nouveau groupe de constructions auquel on ne pourra conserver le nom prétentieux de Nouvelle-Athènes, qu’on lui avait ridiculement donné.

Pendant la période de la Révolution, la municipalité parisienne s’occupa fort peu de l’assainissement ; ces grandes questions d’édilité qui sont si fécondes et si intéressantes avaient fait place aux décevantes discussions d’une politique à outrance ; les égouts devinrent ce qu’ils purent et les pluies du ciel furent seules chargées de les nettoyer. Lorsque l’on s’employa à faire arriver à Paris les eaux de la Beuvronne et de l’Ourcq, il fut nécessaire de reconnaître avec soin les égouts, afin de voir s’il serait possible d’y loger les conduites d’eau ; un travail spécial fut exécuté à cette fin par les ordres de Girard, et l’on sait qu’en 1806 il existait 24 297 mètres d’égouts, dont 282 mètres pour la Cité et l’île Saint-Louis, 4 648 mètres pour la rive gauche et 19 367 mètres pour la rive droite. Ils étaient tous couverts, à l’exception de quelques portions équivalant à une longueur totale de 1 645 mètres. C’était bien peu pour une ville peuplée comme Paris, et c’était fort insuffisant sous un climat aussi pluvieux que le nôtre.

Les gouvernements qui se succédèrent mirent de l’empressement à remédier à ces inconvénients ; celui de Louis-Philippe, pendant la magistrature du comte de Rambuteau, fit entre autres de grands efforts pour améliorer la canalisation souterraine de Paris : on lui doit la construction de 78 675 mètres d’égouts nouveaux. Ces travaux ne produisaient cependant qu’un résultat médiocre, car tout ce qui touchait à la viabilité d’alors était défectueux. Les trottoirs, qu’on avait commencé à poser dans quelques quartiers riches dès la fin de la Restauration, et qui, à l’heure qu’il est, n’existent pas encore dans toutes nos rues, n’étaient, en somme, qu’une commodité pour les piétons ; mais ils n’avaient modifié en rien la forme des voies publiques, qui était vicieuse au plus haut degré.

Je me rappelle très-nettement les rues de Paris au commencement du règne de Louis-Philippe. Elles semblaient disposées exprès pour amener l’engorgement des égouts. Creusées en cuvette, traversées dans le sens de la longueur par un ruisseau, elles centralisaient l’eau tombée qu’elles divisent aujourd’hui par une chaussée bombée qui la rejette de chaque côté, le long des trottoirs. De distance en distance, l’eau se déversait dans l’égout par une grille en fer, dont bien souvent les ouvertures étaient oblitérées sous des paquets de paille et d’immondices entraînées avec le courant ; de plus, si, en passant, la roue d’un fardier ou d’une voiture pesamment chargée pinçait un des angles de la grille, celle-ci, descellée, échappait à la margelle qui la retenait et allait tomber à travers la rue ; « la chute » n’était plus alors qu’un trou béant. Parfois la bouche d’égout était latérale et ressemblait à l’entrée d’une cave ; la herse qui la défendait ne touchait pas terre, afin de ne point arrêter les grosses ordures au passage ; la distance ainsi ménagée au-dessus du pavé était telle, que des enfants jouant et roulant au milieu des rues sont tombés dans des égouts et y ont péri.

La disposition des gouttières ne contribuait pas médiocrement non plus à noyer les rues[10] ; de longues gargouilles de fer-blanc emmanchées dans le chéneau qui borde les toits vomissaient l’eau à pleine bouche, inondaient les passants et gonflaient les ruisseaux. Dès qu’un orage s’abattait sur Paris, nos rues, comme au temps de Boileau, étaient des rivières qui débordaient jusque dans les boutiques et dans la cour des maisons ; les égouts, immédiatement comblés, rejetaient l’eau qu’ils ne pouvaient plus contenir ; les commissionnaires, les porteurs d’eau, les charbonniers tiraient bon parti de ces torrents, qui interrompaient toute communication ; ils accouraient, pataugeant dans l’eau boueuse, portant sur leur épaule une énorme planche montée sur roulettes ; ils posaient celle-ci aux carrefours, aux endroits où deux rues s’entre-croisaient, et, moyennant un sou, il était permis de traverser à pied sec. Il y avait une phrase qui était de tradition chez ces braves gens, plus gais parfois qu’il n’aurait été convenable ; selon qu’ils avaient affaire à une femme jeune ou vieille, ils lui disaient en lui offrant la main : « Passez, beauté, » ou « Beauté, passez. » — Carle Vernet a pris cette scène pour sujet d’un de ses dessins populaires[11].

Ce qu’étaient les égouts à cette époque, on le sait, et il est bon de le dire, ne serait-ce que pour faire mieux apprécier les progrès que nous avons accomplis dans cette matière si importante à la vie urbaine. Il existait, rue Amelot, un égout voûté de 850 mètres de long ; commençant à la descente du boulevard Beaumarchais, il se rendait à la gare de l’Arsenal : dans le principe, c’était un ruisseau qui aboutissait en Seine à l’endroit où le boulevard Mazas prend naissance. Vers la fin de la Restauration, les exhalaisons qui s’en dégageaient devinrent si insupportables, qu’il fallut aviser à le curer. Les sept premiers ouvriers qui essayèrent d’y descendre tombèrent asphyxiés. C’était de quoi décourager les autres. L’Académie des sciences et l’Académie de médecine furent consultées et elles déléguèrent le docteur Parent-Duchâtelet pour surveiller l’opération et, s’il était possible, pour la rendre inoffensive. Il y réussit. Le nettoyage dura sept mois, car il ne fallut pas enlever moins de 6 430 tombereaux de matières molles ou solides ; l’odeur était si particulièrement redoutable, que les habitants de la rue Amelot émigrèrent en masse pendant le temps que durèrent les travaux d’assainissement. Autour des regards d’extraction, on brûlait des bois résineux qu’on aspergeait de vinaigre et où l’on jetait des baies de genévrier et du soufre, comme dans les lazarets d’Orient. On ne savait comment neutraliser ces émanations délétères ; l’hypochlorite de soude, qu’on appelle le chlorure Labarraque, n’était point encore bien connu, et il n’était guère question d’acide phénique. Les murailles des maisons avaient été pénétrées si profondément, qu’on fut obligé dans plus d’un endroit de les recrépir à nouveau.

Certes on avait péché par négligence ; pour qu’un égout fût arrivé à être empoisonné au point de devenir un danger public, on avait dû n’y pas regarder de bien près ; mais les inspecteurs chargés de ce soin étaient en quelque sorte excusables, car ils ne disposaient que d’un personnel vraiment dérisoire, et à l’insuffisance duquel il est difficile de croire lorsque l’on n’en a pas eu la preuve entre les mains ; sous la Restauration, pour pourvoir à l’entretien de 35 846 mètres d’égouts, bas, étroits, s’engorgeant avec une facilité désastreuse, refoulés par les eaux de la Seine lors des grandes crues, remplis et au delà par une ondée un peu forte, les inspecteurs avaient sous leurs ordres une brigade de vingt-quatre hommes !

ii. — les collecteurs.

Longueur totale des anciens égouts. — M. Belgrand. — Plan scientifique. — 772 846 mètres. — Les catégories. — Collecteur départemental. — Grand collecteur de la rive droite. — Collecteur des coteaux. — Collecteur de la rive gauche. — La Bièvre. — Plan général. — En dix ans le second Empire fait construire plus de 600 kilomètres d’égout. — Moellons et pierres meulières. — Ciment hydraulique. — Salubrité. — 6 764 bouches d’égout. — Promenade. — Paris souterrain. — Eau et télégraphie. — La chambre du Châtelet. — Température. — Le vieil égout saint-Denis. — En wagon. — En bateau. — Le Lac de Lamartine. — 12 types différents. — Les orages. — Sauve qui peut ! — 6 730 regards. — Sonorité. — Téléphonie. — De la Pépinière à Asnières. — La montée. — Moyenne du débit journalier. — Les bateaux-vannes. — Le cureur. — Les écluses. — Les bouchons. — Ponts de sauvetage. — Petit égout. — La voûte. — Les barbacanes. — Confluent. — Paysage. — L’embouchure. — « Nés viables. » — Les égouts pendant le siège. — L’opinion publique. — Les armes dans les égouts après la Commune. — Le budget de la ville. — Les égoutiers. — Gascons. — Le plomb. — Les bottes. — Le rat d’égout. — Le ciment l’a chassé. — Invasion kirghize au dix-huitième siècle. — Ridiculus mus. — Surmulot. — Le rat hindou.


Lorsque l’heure fut enfin venue de transformer Paris, on s’occupa des égouts et l’on reconnut qu’ils avaient une étendue de 143 386 mètres pour desservir 423 600 mètres de rues. C’était misérable, et un tel état de choses offrait des dangers auxquels il était urgent de porter remède. L’étude du problème à résoudre fut confiée à M. Belgrand, ingénieur des ponts et chaussées ; il fut le grand maître du Paris souterrain, et c’est à lui que nous devons ce système d’égouts et de collecteurs qui, sous ce rapport du moins, fait de Paris une ville unique au monde. Ce que l’on a retrouvé des égouts de l’ancienne Rome prouve qu’ils ne peuvent soutenir la comparaison avec les nôtres. Les travaux furent commencés en 1855 ; mais ce fut seulement à partir de 1857 que l’on entreprit l’exécution d’un plan scientifique longuement étudié, sagement conçu, disposé selon la topographie du sol parisien, et destiné à glisser sous la ville un réseau d’assainissement qui la débarrassât presque à son insu de toutes ses impuretés. C’est le plus immense drainage qui existe, car pour 850 000 mètres de voies publiques nous possédons 772 846 mètres d’égouts, dont 146 878 mètres représentent les embranchements réservés au service des maisons particulières.

Nos canaux souterrains sont divisés en deux catégories parfaitement distinctes : les égouts et les collecteurs. Les égouts passent sous nos rues, en recueillent les eaux souillées et les conduisent dans les collecteurs qui les emportent au loin. Les égouts sont des rivières qui se jettent dans les collecteurs, qui sont des fleuves. On peut comparer l’ensemble à un squelette de poisson : l’épine dorsale c’est le collecteur, les arêtes qui s’y emmanchent sont les égouts. On a construit les collecteurs dans les vallées qui traversent le terrain où Paris est assis, afin qu’ils puissent recevoir, par une pente naturelle, les eaux écoulées des coteaux. On en compte trois principaux : sur la rive droite, le collecteur départemental, qui, prenant naissance au point d’intersection de la rue Oberkampf et de la chaussée de Ménilmontant, passe sous les anciens boulevards extérieurs et sous la route d’Allemagne ; le trajet en est brisé par trois coudes successifs qui l’aident à franchir le bassin de La Villette, les fortifications, lui font suivre la grande route de Saint-Denis et le conduisent à la Seine, où il se déverse à la hauteur de l’île Saint-Ouen. Il reçoit des eaux particulièrement infectées, car elles lui viennent du marché aux bestiaux, des abattoirs, des usines à gaz, de tous les établissements industriels de La Villette, de Montmartre, de Belleville, de Saint-Denis, et même le trop-plein de la voirie de Bondy.

Le grand collecteur de la rive droite part du bassin de l’Arsenal, suit les quais, s’engage sous la rue Royale, sous le boulevard et la rue Malesherbes, et suit la route d’Asnières jusqu’à la Seine, où il se perd en aval du pont du chemin de fer. Place du Châtelet, il est grossi par l’écoulement de la galerie de Sébastopol ; place de la Concorde, il reçoit l’affluent de l’égout Rivoli, qui lui arrive directement de la Bastille après avoir drainé tous les quartiers traversés ; place de la Madeleine, il absorbe le grand égout des Petits-Champs[12], et sur le boulevard Malesherbes, à l’angle de la rue de la Pépinière, il est rejoint par un canal qu’on nomme le collecteur des coteaux, qui, venant du cours de Vincennes et parcourant la rue de Charenton, a repris exactement le tracé de l’ancien ruisseau de Ménilmontant, et accepte au passage les détritus des pays sillonnés par les boulevards de la Chapelle, Rochechouart et Clichy.

La rive gauche n’a qu’un seul collecteur ; à sa source il capte une rivière tout entière, la Bièvre, qui auparavant allait se jeter, au-dessus du pont d’Austerlitz, dans la Seine qu’elle empoisonnait. Ce ruisseau fangeux, entre les rives amollies duquel coulait un liquide multicolore et nauséabond, a enfin reçu la seule destination qu’il méritait : il est devenu un égout ; la galerie qui le saisit rue Geoffroy-Saint-Hilaire, derrière le Jardin des Plantes, se dirige vers le boulevard Saint-Michel, y fait un coude et longe les quais jusqu’au pont de l’Alma ; là un double siphon métallique plongeant dans la Seine aspire tout le tribut du faubourg Saint-Marceau, du quartier latin, du faubourg Saint-Germain, le porte de l’autre côté de la rivière et le déverse dans une galerie qui, prenant route sous les hauteurs de Chaillot, évite l’Arc de Triomphe, qu’elle frôle, passe sous l’avenue Wagram, traverse le village de Levallois-Perret, tourne au nord et se réunit au grand collecteur de la rive droite, 536 mètres avant l’embouchure en Seine. À la hauteur du pont de l’Alma, sur la rive gauche, il reçoit l’égout Montparnasse et recevra plus tard le collecteur de Grenelle, dont l’amorce est déjà construite ; sur la rive droite il sera augmenté par le collecteur d’Auteuil.

Ce sont là les trois grandes artères souterraines de Paris ; on ne peut décrire l’énorme quantité de branchements qui s’y rendent et s’y vident ; il faut regarder attentivement les vingt et une feuilles du Plan général des égouts de la ville de Paris, pour comprendre l’importance, l’habile distribution de ce réseau sans fin, dont les ramifications s’étendent partout et viennent au besoin jusqu’aux parties les plus mystérieuses de nos maisons. Un tel travail ne s’est point accompli en un jour ; on n’en reste pas moins surpris en se rappelant que dix années environ ont suffi pour nous donner plus de 600 kilomètres d’égouts nouveaux ou modifiés de fond en comble. La méthode de construction a été singulièrement améliorée. Autrefois les égouts étaient bâtis en simples moellons, pierre molle comme son nom l’indique, facilement pénétrée par l’humidité, qui la désagrégeait et nécessitait des réparations continuelles. Vers 1832, on substitua la pierre meulière, fort abondante aux environs de Paris et qui offre de remarquables qualités de résistance. En 1844, on employa le mortier de ciment romain pour la voûte seulement ; ce fut un progrès considérable, car la rapidité d’exécution est quintuplée.

Depuis 1855, la galerie entière des égouts est revêtue d’un parement de ciment hydraulique, grâce auquel on obtient une solidité et une propreté que l’on ne connaissait pas jadis. Les cas d’asphyxie ne se présentent plus dans nos nouveaux égouts ; il faudrait des circonstances absolument exceptionnelles pour que l’on eût à redouter des accidents pareils ; on a chassé « les basilics » qui savaient si bien, sous Louis XIII, tuer les ouvriers d’un coup d’œil. Les engorgements, les amoncellements de détritus semblables à ceux qu’a supportés l’égout Amelot ne sont plus à craindre ; les pentes, ménagées avec soin et scientifiquement déterminées, une surveillance active, la masse d’eau entraînée chaque jour, remédient d’avance à ces inconvénients. Les grilles qui jadis protégeaient l’ouverture des chutes au milieu des rues ont été jetées au tas des vieilles ferrailles ; elles sont remplacées par des bouches d’égout dissimulées sous la margelle du trottoir. On ne les a pas ménagées : au 31 décembre 1872, Paris en comptait 6 764 ; elles suffisent même dans les orages les plus violents à recevoir le trop-plein de nos rues, de nos places, de nos quais et de nos boulevards.

C’est devenu une sorte de partie de plaisir de visiter les égouts ; tous les mois on y fait une promenade publique, et les billets distribués par l’administration sont fort recherchés. Le trajet n’est pas bien long, mais il suffit pour amuser les curieux, que l’on mène d’abord en wagon et ensuite en bateau. Le voyage est limité ; il commence place du Châtelet et finit à la place de la Madeleine. Dés que l’on a descendu l’escalier de fonte en vrille et que l’on a pénétré dans la vaste chambre, le Paris souterrain se dévoile ; il livre son secret d’un seul coup. Ces énormes conduites métalliques, brillantes et polies comme un marbre noir, qui s’appuient sur de fortes béquilles de fer, portent les eaux de l’Ourcq, de la Seine, et attendent celles de la Vanne ; elles poussent sous chaque trottoir du pont au Change deux tuyaux qui partent d’un tronc commun et ressemblent aux jambes d’un géant nègre couché sur le dos ; plus loin les conduites moins amples, et par conséquent moins pesantes, peuvent être « agrafées » aux parois de la muraille, qu’elles suivent en détachant çà et là des branchements particuliers ; sur la voûte même, ces faisceaux grisâtres qui ont l’air de fagots de sarments sont les gaines de plomb où, dans une enveloppe de gutta-percha, les fils du télégraphe électrique bavardent en silence à l’abri de l’humidité. Un long tuyau, trop étroit pour conduire de l’eau, trop large pour porter un fil de métal, glisse le long des murs ; que contient-il ? Écoutez : un bruit rapide et acéré comme un sifflement de javelot vient d’y passer ; c’est le chariot de cuivre, chargé de dépêches, qui franchit l’espace dans le tube du télégraphe pneumatique. Paris est bien réellement un corps vivant : les organes cachés de ses fonctions ne se reposent jamais.

La chambre s’ouvre sur la berge de la Seine par une large voûte ; dans l’épaisseur du mur, on a ménagé un bureau pour les employés, une officine pour les lampistes, des cabinets où l’on enferme les palettes, les balais, les pelles, les bottes nécessaires aux égoutiers. Sur des piliers de fer fichés dans le trottoir qui domine la cunette où l’égout roule ses eaux limoneuses, on a placé des lampes munies de globes en porcelaine ; c’est une petite illumination. Les hommes d’équipe, vêtus de blouses blanches, sont à leur poste. Les curieux arrivent avec des cache-nez et de gros paletots pour parer aux rigueurs d’une température qui n’est cependant point redoutable, car elle reste presque invariablement fixée entre 11 et 13 degrés. Pendant que l’on attend les retardataires, on peut gagner lestement l’embranchement de la rue Saint-Denis. C’est un vieil égout à sec ; la voûte est de moellons moisis, comme la muraille ; il n’y a ni trottoir ni cunette. Le radier (le lit) est formé de pavés ; on a peine à s’y tenir debout, c’est une ruelle couverte. Lorsque l’on s’échappe de ce caveau pour rentrer dans l’égout Rivoli, c’est comme lorsque l’on sort de la rue de l’École-de-Médecine pour déboucher sur le boulevard Saint-Michel.

Tout le monde est arrivé, on amène les wagons remisés dans le grand collecteur, on les fait pivoter sur des plaques tournantes, comme dans une gare de chemin de fer, et on les met dans l’axe de l’égout Rivoli, dont les deux trottoirs sont armés de bandes métalliques faisant office de rails. Des lampes brûlent aux quatre coins des wagons, qui sont découverts et garnis de bancs en canne tressée. On s’assoit, les femmes ont un peu peur ; s’il y a des pick-pockets, ils courent quelques risques de mésaventure, car je reconnais un agent du service de sûreté qui s’installe de façon à mieux voir les promeneurs que la promenade. Un coup de sifflet donne le signal, et l’on part. Deux hommes à l’avant, deux hommes à l’arrière, les mains appuyées sur une barre de bois transversale, prennent leur course, et très-grand train font rouler le wagon qui bruit au-dessus de la cunette. La rapidité du mouvement détermine un courant d’air frais qui frappe au visage. On va vite sous une voûte obscure, c’est à peu près tout ce que l’on peut remarquer ; du reste nulle odeur fâcheuse : à peine, en passant sous les casernes du Louvre, a-t-on perception d’une senteur ammoniacale un peu accentuée. La marche est ralentie, on arrive place de la Concorde, à l’endroit où l’égout Rivoli apporte « le tribut de ses eaux » au grand collecteur.

On descend sur la banquette, et l’on aperçoit une flottille de cinq ou six bateaux peu pavoisés, mais éclairés d’une lampe ; on s’y embarque, et, sous la conduite de « mariniers » vêtus d’une blouse bleue, on gagne au fil de l’eau la chambre de la place de la Madeleine. On gravit l’escalier, et l’on sort au milieu des badauds, qui paraissent extraordinairement surpris. Il faut croire qu’une navigation, si courte et si prosaïque qu’elle soit, éveille toujours une douce impression dans les âmes rêveuses ; pendant que nous descendions au cours de l’égout dans la rue Royale, un monsieur placé derrière mon banc chantait à demi-voix :

Un soir, t’en souviens-tu ? nous voguions en silence…

On se tromperait, si l’on jugeait tous les égouts de Paris d’après ceux que l’on montre aux Parisiens et aux étrangers ; on leur fait voir « le dessus du panier » ; mais, pour n’avoir pas un caractère de grandeur aussi imposant, ceux où l’on ne se promène guère ne sont pas moins excellemment construits et disposés pour le service qu’on en exige. Il y a douze types d’égouts différents, depuis le grand collecteur de la rive droite auquel de larges trottoirs, une voûte élevée, une cunette profonde, donnent l’apparence d’un véritable canal sous tunnel, jusqu’à l’égout qui pénètre dans les maisons privées, et dont la forme ressemble à celle d’un œuf dont on aurait abattu la pointe. Sur ces douze modèles, trois seulement sont dépourvus de banquettes, les autres en ont ; ces banquettes sont plus ou moins amples, mais toujours suffisantes pour faciliter le nettoyage.

Si vastes que soient les dimensions d’une galerie d’égout, on y courrait risque de la vie, si toute précaution n’avait été prise pour éviter le danger. On ne peut s’imaginer avec quelle rapidité foudroyante un égout se remplit lorsque éclate un orage. Le 27 juillet 1872, une trombe d’eau s’abattit sur Paris ; en moins de cinq minutes l’eau baignait la voûte de l’égout Rivoli et de l’égout Sébastopol ; la date, peinte sur plaque de porcelaine, est incrustée dans les murailles. Dans ce cas les ouvriers surpris sont perdus ; quelques efforts qu’ils fassent, le tourbillon les emportera. On a donc disposé des puits qu’on appelle des regards, à l’aide desquels un ouvrier, grimpant à des échelons de fer scellés dans la muraille, parvient facilement à cette plaque de fonte bien connue qu’on nomme indifféremment la bonde ou le tampon, et qui donne accès sur le sol de la voie publique. Selon que l’égout est plus ou moins large, que la pente est plus ou moins inclinée, qu’il peut être, en un mot, inondé plus ou moins promptement, on a multiplié les regards de 50 en 50 mètres, de 100 en 100 mètres, et l’on a réussi de cette façon à éviter tout accident. Le nombre de ces regards est considérable : il en existe aujourd’hui 6 730. Du reste, dès que le temps menace, un signal est donné et tous les ouvriers employés dans les égouts ont ordre de remonter immédiatement.

Pour bien apprécier l’ampleur du grand collecteur, comprendre l’ingénieux système de curage mis en œuvre aujourd’hui, il faut descendre à la chambre de la Pépinière et s’en aller jusqu’à l’embouchure en Seine : c’est une course de six kilomètres, mais elle est instructive et mérite d’être faite. La voûte de l’énorme galerie est en ciment poli ; elle paraît en stuc. Cette voûte est d’une sonorité sans pareille ; elle augmente les bruits et les porte si loin, qu’un coup de cornet donné au regard de la Pépinière est entendu distinctement à l’issue même de l’égout. Tout un système de signaux sonnés de cette manière constitue une téléphonie qui permet de correspondre à de très-grandes distances. Dans les égouts dont la voûte est en pierres meulières, il n’en est point ainsi : le son laisse quelque chose de lui-même à chacune des aspérités de la muraille, il s’appauvrit à mesure qu’il avance, et meurt de faiblesse à 200 ou 300 mètres. Tous les chefs d’équipe sont munis d’un huchet comme les aiguilleurs de chemin de fer, et peuvent ainsi commander la manœuvre sur plusieurs points à la fois.

La chambre d’entrée est assez grande et accostée des cabinets nécessaires à la garde des instruments de travail ; elle aboutit à la banquette d’où l’on peut voir l’affluent du collecteur des coteaux, — que Turgot ne reconnaîtrait guère aujourd’hui, — arrivant des environs du bastion n° 7 et de la barrière Picpus ; il se précipite avec une rapidité extrême, comme s’il avait hâte de se débarrasser de son contingent, qui représente les détritus d’un tiers de Paris. Le courant du collecteur est assez vif ; il est neuf heures du matin, c’est l’instant de la montée. En effet, les cantonniers ont ouvert les bouches d’arrosage et le robinet des bornes-fontaines ; dans les maisons on vide les eaux ménagères, dans les marchés on lave les légumes ; « il est flot, » comme disent les gens de mer, l’égout bat son plein. On connaît la jauge d’un égout, comme on connaît celle d’un aqueduc ; mais, selon les saisons, le débit journalier varie singulièrement : d’ordinaire le mois de mars est celui qui donne la plus grande quantité d’eau, et le mois de juillet celui qui fournit la plus faible, La moyenne est fort incertaine, car elle subit naturellement l’influence des années plus ou moins pluvieuses ; en général on peut dire que le grand collecteur vomit 220 000 mètres cubes par jour.

De grands bateaux, couvrant presque toute la largeur de la cunette, sont amarrés à la muraille par des chaînes passées dans des anneaux de fer ; ils ne sont point destinés à des promenades d’agrément, ils sont d’une utilité bien autrement importante, car ils font le métier de cureurs d’égouts, et s’en acquittent avec une prestesse, une précision extraordinaires. Le travail d’un seul bateau équivaut au travail d’une escouade de 100 hommes. Ces bateaux sont munis à l’avant d’une vanne en fer percée à l’extrémité inférieure de trois trous représentant à peu près les dimensions d’un volume in-quarto ; cette vanne est assez large pour oblitérer presque complètement le chenal et assez haute pour descendre jusqu’au radier de la cunette. Un mécanisme fort simple permet de l’abaisser ; elle retient l’eau qui est derrière elle ; celle-ci, ne trouvant plus d’autre issue que les trois ouvertures ménagées à la base de l’obstacle, s’y précipite avec violence, entraînant toutes les parties solides qu’elle tient en suspension, et par ce seul fait nettoie absolument le lit même de l’égout ; le courant qu’elle détermine fait glisser le bateau, qui s’avance poussant devant lui la masse vaseuse jusqu’à l’embouchure de la galerie même. C’est d’une puissance irrésistible.

Dans les égouts trop étroits pour contenir ces gros bateaux-vannes, on fait une manœuvre identique avec des wagons que l’on dirige sur les bords des trottoirs. L’économie de temps et d’argent réalisée par ce moyen est considérable ; les bateaux et les wagons ont déjà rendu au centuple le prix que la construction en a coûté. L’égout est disposé de telle sorte qu’on peut facilement en mettre certaines parties à sec, comme l’on fait dans les ports de mer lorsqu’on veut réparer un bassin ; des écluses spécialement réservées à cet objet sont disposées le long du parcours à un kilomètre de distance ; elles figurent de loin assez exactement la moitié d’un disque de chemin de fer qui serait dressé à hauteur de la voûte par deux bras articulés plantés de chaque côté de la banquette. Tout l’appareil est en fer ; un treuil muni d’une manivelle fait descendre ou remonter l’écluse, selon qu’il en est besoin.

Je continuais ma route, suivant les rives de ce torrent de couleur désagréable, et je remarquais que le courant est si rapide, que toutes les matières légères étaient invisibles, car elles coulaient entre deux eaux. Pour les faire apparaître, on manœuvra une écluse ; elle s’abaissa, produisit à l’avant un remous bruyant et bondissant, mais, à l’arrière, calma l’eau, qui fut immédiatement couverte de brins de paille, de chats gonflés, de chiens noyés, de plumes de volailles et d’une telle quantité de bouchons, que j’en restai stupéfait. À mon exclamation involontaire, un des hommes qui m’accompagnaient répondit : « C’est un bon métier que celui de marchand de vin. » Je le crois sans peine ; le grand collecteur de la rive droite en pourrait témoigner[13].

Parfois on entend un choc violent dont le bruit, à la fois sourd et brutal, se répercute dans la galerie : c’est une voiture qui, passant au-dessus de nos têtes, frôle et soulève une des plaques de fonte qui ferment l’issue des regards. Ceux-ci n’ont point été épargnés dans ce vaste égout, où l’on a établi en outre des ponts de secours, notamment sur les portions qui, franchissant les hauteurs du boulevard Malesherbes, sont creusées à une grande profondeur. Deux escaliers placés en face l’un de l’autre et s’enfonçant dans l’épaisseur des parois latérales donnent un accès facile dans une chambre placée en soupente au-dessous de la voûte même ; toute comparaison gardée, cela ressemble au pont du Rialto qui est à Venise sur le Grand Canal ; en cas d’orage et d’invasion des eaux, les hommes trouvent là un refuge assuré. On ne peut se défendre d’un sentiment d’admiration en voyant avec quels soins ingénieux et perspicaces on a prévu et neutralisé tous les dangers.

On entend un bruit de cascade qui rappelle les voyages en Suisse ; on approche, et l’on voit un égout de quartier qui dégringole du haut d’un escalier de pierre et se jette au collecteur. Si l’on gravit les degrés, on se trouve en présence d’une galerie représentant les types 10 ou 12, c’est-à-dire d’un simple canal sans trottoir et où l’eau baigne directement les murs de l’œuvre ; c’est pour se promener là qu’il faut ces fortes bottes dont nous aurons bientôt à parler. Il suffit de lever les yeux vers la voûte d’un égout pour reconnaître si la chaussée qui forme la voie publique est en bon état, si le macadam est bien massé, si les pavés ne sont pas trop disjoints, si l’asphalte n’est point lézardé. Partout où la rue est bien entretenue, la voûte est nette, brillante, unie comme un marbre ; partout au contraire où le chemin est défectueux, elle laisse transsuder des filtrations qui déposent sur l’enduit des moisissures noirâtres et moussues. La marge des trottoirs est ouverte de dix en dix mètres de petits trous circulaires, tuyaux de drainage qui pénètrent dans le sol et en recueillent l’humidité ; quelques-unes de ces barbacanes sont incrustées d’une matière blanchâtre, dépôt d’une source minuscule chargée de calcaire.

Lorsque déjà l’on aperçoit tout au bout de la galerie un jour verdâtre qui annonce la fin du voyage, on entend une rumeur sourde, continue, qui mugit comme un taureau captif : c’est le collecteur de la rive gauche, c’est la Bièvre qui arrive. Si l’on monte l’escalier du grand regard établi à cet endroit, on voit un triste paysage : la rue Gide s’ouvre sur la route de Paris à Asnières ; le chemin de fer de l’Ouest, élevé en remblai, s’arrête à la station de Clichy-Levallois ; sur la route apparaît une petite maison en plâtre où un marbrier expose des modèles de tombeaux et des couronnes funéraires ; çà et là on aperçoit quelques masures lépreuses ; c’est gris et presque déshabité. Les deux fleuves se réunissent et roulent de concert leurs flots jaunâtres jusqu’à la Seine, où ils débouchent par une vaste baie cintrée ; une grille retient au passage les immondices les plus grosses, que l’on enlève à l’écope pour aller les porter dans une toue rangée le long du chemin de halage ; ces détritus ne sont point perdus : un industriel sait en tirer parti. Je suis monté dans une barque chargée de toutes sortes de choses qu’on ne sait plus comment nommer ; que de bouchons ! que de bouchons ! Il paraît qu’on les retaille et qu’on les utilise encore ; une fois repassés au couteau et « parés », ils sont excellents pour boucher les petits flacons de parfumerie. Que trouve-t-on à cette grille toujours surveillée ? Beaucoup d’animaux morts et aussi, il faut l’avouer, de frêles avortons, enveloppés dans des linges sanglants et qu’on porte alors chez le commissaire de police, qui les envoie à la Morgue, où un médecin légiste saura dire s’ils étaient « nés viables ».

Au début de la guerre de 1870, lorsque la défaite de Wœrth nous eut ouvert les yeux sur notre faiblesse et fait succéder un effarement sans pareil à une confiance sans excuse, le peuple de Paris pensa aux égouts, et se sentit fort troublé. Certains journaux sonnaient l’alarme, et, se souvenant que Duguesclin s’était emparé du château de Fougeray en faisant jeter une charretée de bois contre la porte, ils s’imaginaient volontiers que les armées allemandes, sortant tout à coup d’un regard avec armes et bagages, allaient apparaître au milieu de Paris. On dédaigna tant que l’on put cette niaiserie qui, en d’autres moments, eût fait sourire ; on savait que le grand collecteur était invinciblement protégé par les coudes de la Seine, qui à cet endroit même lui font un rempart de trois rivières dont tous les ponts étaient rompus ; on savait que ces moyens d’attaque, bons tout au plus à surprendre un village dépeuplé, étaient illusoires et ridicules avec une capitale qui comptait plus de 500 000 hommes armés. Il n’en fallut pas moins céder à ce que l’on nomme l’opinion publique ; pour lui donner une satisfaction apparente, on mura la galerie à deux ou trois places, de façon à n’y laisser qu’un étroit passage par où les ouvriers pouvaient au besoin se glisser un à un. Cette maçonnerie inutile fut démolie aussitôt après la signature de l’armistice ; l’égout était libre, et pendant la Commune, lorsque déjà les troupes de la France étaient maîtresses d’Asnières, elles n’ont point songé à prendre cette route souterraine pour s’introduire au cœur de la place qui les attendait.

Lorsqu’elles eurent vaincu l’insurrection la plus sacrilège et la plus longuement préparée que jamais l’on ait vue, lorsque en présence des Allemands campés aux portes de Paris nos soldats eurent abattu le drapeau rouge qui maculait nos édifices, on visita attentivement les égouts. La légende populaire, immédiatement formée, affirmait que des bandes d’insurgés s’y étaient réfugiées et qu’on s’y livrait des combats à outrance. Ceci est une fable qui ne mérite même pas qu’on la réfute ; on n’y trouva personne, mais en revanche on y découvrit un arsenal complet. Les bouches d’égout avaient reçu les armes de ceux qui fuyaient et qui ne se souciaient point de pousser l’aventure jusqu’au dénoûment. En outre, pendant le règne de la Commune, lorsque les visites domiciliaires commencèrent, bien des honnêtes gens demeurant à Paris et possédant quelque fusil, reçu ou acheté pour lutter contre les bataillons de la Prusse, craignirent d’être inquiétés, arrêtés, otages, et se débarrassèrent comme ils purent des engins de guerre dont ils étaient détenteurs. Ils eurent recours à l’égout voisin. Pendant la bataille, la plupart de ceux qui évacuaient une barricade poussaient leur fusil et lançaient leurs munitions par les regards dont ils avaient soulevé le tampon. J’ai assisté à une retraite de fédérés et j’ai compris plus tard pourquoi je les avais presque tous vus se baisser au même endroit, le long d’un trottoir où s’ouvrait l’embouchure d’une chute.

On visita les banquettes, on cura les cunettes, et, au milieu des dépôts vaseux, on ramassa une quantité énorme d’armes, de cartouches, de képis, de ceintures rouges. Toutes ces épaves de nos discordes civiles furent réunies dans la chambre du siphon de l’Alma, sur la rive gauche, et l’on put en charger six chariots du train des équipages, attelés chacun de six chevaux qui les versèrent au Musée d’artillerie. On les avait trouvées dans deux cent quarante-trois galeries[14] ; à lire les noms de celles-ci, on comprend sans peine que l’insurrection embrassait la ville entière, et que le combat ne fut épargné à aucun quartier ; le centre et les extrémités ont été agités des mêmes convulsions.

Pour soigner les égouts et en surveiller l’entretien, on a calculé qu’il fallait un homme par kilomètre ; cette moyenne n’est pas observée aujourd’hui, car la ville de Paris, malgré son énorme budget, qui pour 1873 était de 328 315 582 francs 66 centimes[15], est obligée de faire des économies ; le personnel des égoutiers est donc réduit, et se compose actuellement d’un petit corps de 627 hommes, divisés en brigades volantes qu’on dirige selon les besoins du service. Par une anomalie singulière, presque tous sont du Midi et nous arrivent de Gascogne ; c’est un dur métier, et quoique quelques égoutiers soient fort vieux, il est rare qu’on puisse le faire impunément plus d’une quinzaine d’années. Au bout de ce temps les ouvriers sont atteints de langueur, de douleurs articulaires ; ils appellent cela le plomb, c’est le vieux mot traditionnel par lequel leurs devanciers désignaient l’asphyxie ; en somme, c’est un état anémique, dû en grande partie à l’humidité et à l’obscurité où ils se meuvent constamment ; on a fait cette observation que les quelques hommes du Nord qui travaillent aux égouts sont bien plus résistants que les méridionaux.

Tout le monde les connaît et les a vus passer en escouades, le balai à l’épaule et la grosse botte à la jambe. Comme autrefois, on les surnomme encore les rats d’égout. L’administration ne néglige rien pour qu’ils soient chaussés d’une façon irréprochable et qu’ils puissent barboter à pieds secs dans les cunettes les plus engorgées ; elle leur fournit donc des bottes hautes, très-solides, armées de clous, et les renouvelle tous les six mois ; au bout de ce temps, les bottes sont bien malades, brûlées, corrodées, tirant la langue, et il est même rare qu’elles puissent faire service jusqu’à l’heure de la mort réglementaire. Quand elles ont traîné dans tous les égouts et fouillé dans toutes les fanges, que deviennent-elles ? J’ai eu la curiosité de les suivre, car il en est des bottes comme de toutes choses en ce bas monde : habent sua fata[16]!

On les envoie aux magasins généraux de la ville, quai Morland ; lorsqu’il y en à une quantité suffisante, 800 ou 900 paires par exemple, ce qui est un chiffre annuel à peu près normal, on les divise en tas de 100 qu’on gerbe les unes par-dessus les autres, puis on les vend à la criée, au plus offrant et dernier enchérisseur ; le lot atteint un prix qui varie entre 120 et 125 francs. C’est presque toujours le même industriel qui se rend acquéreur. Les pieds sont coupés au-dessus de la cheville et expédiés dans l’Oise, à Méru, où l’on en fait des galoches pour les ouvriers qui exploitent les nombreuses tourbières du département ; quant à la tige, elle est traitée par des procédés dont je n’ai point demandé le secret, et elle produit le cuir le plus souple, le plus fin, le plus beau qu’on puisse imaginer ; plus d’une femme élégante, qui ne s’en doute guère, le porte sous forme de brodequins.

Il est bien difficile de quitter les égouts sans s’occuper de ces fameux rats dont on a tant parlé et que l’anecdote, parfaitement authentique, racontée par Magendie, a rendus populaires. Il eut besoin de rats pour ses études, il en fit prendre à Montfaucon douze que l’on enferma dans une boîte ; lorsqu’il ouvrit celle-ci au Jardin des Plantes, il n’en trouva plus que trois, fort gonflés et tout à fait repus ; dans le trajet les survivants avaient mangé leurs neuf camarades. C’est un animal féroce dans toute la force du terme ; il tient facilement tête au chat et le tue. Le rat tend à disparaître aujourd’hui de nos égouts. On ne le rencontre plus que dans de vieilles galeries en meulières ou en moellons, où il a pu se creuser une tanière ; l’enduit de ciment lisse et inattaquable qui revêt les nouveaux égouts l’en a chassé, car il ne peut trouver à s’y loger ; il habite surtout la voie publique, dans les resserres des halles, des marchés, aux abattoirs, dans les gargouilles faisant suite « au dauphin » des maisons particulières, dans les ateliers d’équarrissage et aux voiries de Bondy.

C’est un nouveau venu parmi nous ; il a envahi la France dans la seconde moitié du dix-huitième siècle. Pallas fixe la date de l’entrée du rat en Europe ; il pénétra à Samara dans l’été de 1766. C’était une émigration déterminée sans doute par une chaleur excessive, et qui venait de ces steppes kirghizes qu’on appelle Kara-Kum, les sables noirs. Les hordes traversèrent le Volga à la nage, et, malgré la grande quantité qui dut y périr, s’emparèrent de l’Europe, qu’elles ne tardèrent pas à couvrir, grâce à leur désespérante fécondité. Parvenus en France, les rats tartares commencèrent par mettre à mort et par dévorer tous les rats domestiques qu’ils rencontrèrent ; ils firent si bien leur besogne, que ceux-ci ont disparu. C’est une invasion qui succédait à une autre, car notre rat domestique n’était point autochtone ; il nous était arrivé vers le douzième siècle, fort probablement d’Asie, par des navires croisés revenant de Palestine. L’Europe antique n’a connu que la souris, le ridiculus mus dont parle le poëte. Le rat d’égout actuel est le surmulot ; il a passé la Manche, il ravage l’Angleterre, qui le nomme le rat allemand ; il y tue le rat breton. D’après la tradition, il a été apporté dans les Îles Britanniques par le vaisseau qui amenait le chef de la dynastie de Hanovre. Espérons que cette invasion sera la dernière, et que nous n’aurons pas un jour à lutter contre le rat hindou, ce rat géant, qui a un pied de long, mange les volailles et combat les chiens ; heureusement qu’il constitue un gibier fort estimé, et que les chasseurs des bords du Gange lui font une guerre à outrance.

iii. — l’engrais.

La Seine parisienne débarrassée des eaux d’égout. — Inconvénient déplacé. — Dragage. — 120 millions de kilogrammes de détritus. — Valeur de 15 millions jetée à la mer. — Situation fausse. — Trait de génie. — La presqu’île de Gennevilliers. — Stérilité. — Jardin maraîcher. — Expérience décisive. — Réservoir des Grésillons. — Les canalisations. — Fécondité. — La menthe poivrée. — L’asperge. — Betteraves phénoménales. — Un nouveau village. — Le marchand de vin pionnier. — Les paysans. — Ingratitude. — Tout le collecteur va être capté. — Nouvelles machines. — Projet. — Les fonds sont votés. — 2 000 hectares fertilisés. — La Seine est purgée. — Travaux nocturnes. — Objection. — Le trop-plein. — Clarification. — Le sulfate d’alumine. — Les bassins d’épuration. — Les pêches de Montreuil. — Eau limpide. — Analyse chimique. — Fabrique d’engrais sec. — l’eucalyptus globulus et les eaux d’égout. — Richesse à acquérir.

Par les deux grands collecteurs qui se déversent à Asnières et à Saint-Denis, la Seine parisienne a été purgée de toutes les immondices dont elle était souillée ; aujourd’hui elle ne reçoit plus que les égouts insignifiants de la Cité et de l’ile Saint-Louis ; mais c’est encore trop. On l’a donc débarrassée pendant son trajet au milieu de la ville, tout en lui demandant secours pourtant et en se ménageant la possibilité d’y envoyer le trop-plein des pluies d’orage, qui sans cela regorgerait dans nos rues. Malheureusement l’inconvénient n’était que reporté plus loin ; il subsistait pour les rives de la Seine, qui, au-dessous de Clichy et de Saint-Ouen, se trouvent envasées sur le parcours du flot collecteur. Les matières lourdes tenues en suspension par le courant rapide de l’égout gagnent le fond et se rangent contre les berges de droite aussitôt qu’elles pénètrent dans le cours plus lent de la rivière.

La ville de Paris était dans son droit de rejeter loin d’elle les éléments nuisibles aux habitants ; mais l’État, qui a charge de faire fonctionner régulièrement l’organisme de la France, trouve fort mauvais, et avec raison, que l’on engrave d’une façon dangereuse le canal de navigation par où nos bateaux de fleuve gagnent la Normandie et la mer. De là des contestations sans nombre et des dépenses considérables, car il fallait, — car il faut encore, — draguer sans cesse le lit de la Seine au-dessous de l’embouchure des collecteurs, afin d’en extraire les 120 millions de kilogrammes de dépôt solide qu’ils y jettent chaque année, ce qui équivaut à une dépense qui peut s’élever à 100 ou 150 000 francs. En outre toutes les matières solubles, précieuses comme engrais et que le commerce peut facilement utiliser, les alcalis, les phosphates, l’azote, représentant une valeur minima de 15 millions, sont entraînées par la Seine qui les jette à la mer. Donc obstacle à la libre navigation du fleuve, dépenses forcées, pertes de produits chimiques dont la valeur est considérable ; c’était là une situation à la fois fausse et maladroite, dont il fallait savoir se tirer avec honneur. On en est sorti par un trait de génie, en créant une œuvre nouvelle très-grandiose, très-simple, démocratique au premier chef, qui a déjà donné des résultats surprenants.

L’espace de terrain enveloppé par l’énorme second coude que fait la Seine en se repliant sur elle-même depuis Neuilly jusqu’à Chatou, s’appelle la presqu’île de Gennevilliers. Il est difficile de rencontrer des terres plus stériles ; c’est le pays de prédilection des orties, du chardon et de la petite euphorbe ; sable et cailloux à peine recouverts d’une mince pellicule de terre végétale qui ne peut même conserver l’humidité que la pluie lui apporte, car l’eau pénètre immédiatement le lit de gravier et y disparaît. Les noms que l’on a donnés aux divers lopins qui divisent cette vaste plaine prouvent combien elle est improductive : les Grésillons, le Trou aux Lapins, l’Arbre sec, le Fossé blanc, l’Échaudé, la Grosse Pierre. Quelques chasseurs d’alouettes s’y hasardaient de temps en temps et y faisaient étinceler le miroir.

L’hectare se louait en moyenne de 78 à 86 francs par année. On y cultivait, tant bien que mal, des betteraves qui faisaient volontiers figure de navets ; lorsqu’elles atteignaient un poids de 700 grammes, on criait au miracle. C’était une sorte de petit désert ; on eût dit que le vent mortel que les Arabes appellent semoun, — les poisons, — avait soufflé là. De cette plaine maudite où l’on ne récoltait que des coups de vent en hiver et des coups de soleil en été, on est en train de faire un jardin maraîcher d’une fertilité inexprimable, grâce à nos eaux d’égouts que l’on y conduit et que l’on y distribue. L’expérience dure depuis le 1er mai 1869 ; elle est décisive et concluante. Les détritus de Paris sont une richesse agricole de premier ordre ; ils transmuent le sable en terre promise.

À l’embouchure même du grand collecteur, un puisard est creusé qui reçoit une partie des eaux de la cunette. Deux siphons, animés par une machine à vapeur de quarante chevaux, aspirent les eaux, qui s’engagent dans une conduite de fonte. Celle-ci suit le chemin de halage, traverse la Seine aux îles Robinson et Vaillard sur le pont de Clichy, prend le chemin d’Asnières à Saint-Denis et aboutit à un large réservoir en pierres meulières qui s’élève comme une tour trapue à l’entrée des terrains nommés les Grésillons. Le réservoir se vide méthodiquement dans un canal droit qui ressemble à une petite digue construite parallèlement à la rivière ; la même opération se fait en face de l’île Saint-Ouen, où un siphon amène les eaux du collecteur départemental ; l’égout venu d’Asnières, l’égout venu de Saint-Denis se rencontrent et se mêlent dans le canal, qui est la grande artère où coule la fécondité. Ce canal est le principe et le maître de l’irrigation. Tous les cannelets et toutes les rigoles d’arrosement viennent s’y brancher ; il suffit de lever une petite vanne pour que l’engrais liquide se répande sur les terres voisines, qui l’absorbent, se modifient et acquièrent une telle valeur, que l’hectare se loue actuellement 600 francs par année.

L’eau d’égout ainsi distribuée donne par évaporation un terreau noir absolument inodore et d’une richesse extrême. On s’attend, en parcourant ces jardins maraîchers exploités et couverts de verdure, à être saisi au passage par des senteurs d’un aloi douteux ; nulle odeur, si ce n’est le parfum pénétrant des absinthes, des camomilles et des sauges. Un parfumeur célèbre de Paris a établi là une grande usine ; il a loué des terres et y cultive, entre autres plantes odorantes, la menthe poivrée, que nous étions obligés de demander à l’Angleterre, qui la récolte dans les marais de la Tamise. L’ardeur de production que développent ces terrains ainsi arrosés est si puissante, que l’asperge, ce légume paresseux par excellence et qui partout demande trois ans et même quelquefois cinq ans pour être en état de paraître sur nos tables, arrive en deux ans à peine à maturité parfaite. Les betteraves semblent empruntées à ces jardins des Mille et une Nuits où les oranges sont grosses comme des melons : elles pèsent ordinairement 8 kilogrammes ; j’en ai vu deux exceptionnelles qui en pesaient 14. Les artichauts, les choux, les rhubarbes prennent promptement des proportions colossales. Au printemps de 1872, quelques jardiniers piquèrent des laitues ; on en expédiait environ trois mille pieds par jour aux halles de Paris ; malgré cette consommation, l’activité de la croissance était si vive, que la plupart montèrent en graines, ne purent être vendues et furent inutiles pour l’alimentation[17]. J’ai vu là, aux premiers jours du printemps, des arbres fruitiers qui littéralement ployaient sous le poids des grappes de fleurs dont ils étaient chargés ; on a semé des céréales, et, sur les cailloux où quelques pauvres orties mouraient de faim et de soif autrefois, les champs de blé ressemblent à des taillis. Au milieu de ces sables déserts et troués de quelques carrières béantes, il semble qu’un village se forme : trente-quatre maisons déjà construites serviront de centre à un groupe d’habitations. Jusqu’à présent, c’est le marchand de vin qui domine ; mais dans les terres en friche le cabaret fait bien souvent œuvre de pionnier. C’est un spectacle des plus intéressants ; on surprend pour ainsi dire la vie en formation, et l’on voit ce que peut la nature quand l’homme intelligent vient à son aide. Là où s’arrête l’irrigation, là commence la stérilité. Involontairement je me rappelais les pays d’Égypte et de Nubie que la mort dessèche partout où le Nil n’a pas porté son limon bienfaisant.

À voir cette transformation prodigieuse, on pourrait croire que les paysans, fort entendus ordinairement à tout ce qui touche leurs intérêts, ont accepté comme un bienfait sans pareil cet engrais qu’on apporte sur leurs terres mêmes et qu’on leur donne gratuitement ; on se tromperait. Ils ont vivement regimbé dans le principe ; ils ont crié à l’injustice, à la persécution, à l’empoisonnement, à l’oppression des campagnes par l’égoïsme et la tyrannie de Paris. On les a laissés se démener et on les a convaincus par l’exemple, en achetant la plus mauvaise portion de terrain du pays, en l’irriguant et en cultivant sous leurs yeux des légumes comme jamais la plaine de Gennevilliers n’avait imaginé qu’il pût en exister. Quand ils reconnurent que leurs cailloux devenaient promptement des jardins potagers, ils regardèrent attentivement, se grattèrent l’oreille et se dirent qu’après tout on n’en mourrait pas pour essayer de cette méthode nouvelle. Ils demandèrent des eaux d’égout ; on leur en fournit tant qu’ils en voulurent, et la richesse succéda rapidement à la stérilité. On croirait du moins qu’après une expérience personnelle si concluante ils éprouvent quelque gratitude pour ceux qui leur ont mis cette fortune entre les mains et qu’ils apprécient le cadeau qu’on leur fait. J’en doute. Je causais avec un paysan, et je lui exprimais l’émotion très-sincère que je ressentais en voyant ce miracle accompli ; il me répondit : « Ces gens-là sont bien heureux d’avoir nos terres pour y jeter leurs eaux sales ; sans nous, ils ne sauraient qu’en faire, et ils ne nous payent rien pour cela ; ne faudrait-il pas les remercier encore ? »

Ces grands et féconds travaux n’ont été qu’un essai ; l’irrigation et le colmatage des terres stériles ont été faits dans une mesure restreinte ; on va étendre le champ de l’action et procéder bientôt avec une ampleur extraordinaire. Actuellement, le collecteur de la rive droite produit un cube moyen de 218 664 mètres ; or la pompe aspirante et foulante qui prend l’eau et la pousse vers les réservoirs d’engrais ne monte que 160 litres par seconde, ce qui équivaut à 13 824 mètres en vingt-quatre heures ; le reste coule en Seine. Cette masse énorme de produits fertilisants va être utilisée, ce fleuve sera capté à son embouchure : — de nouvelles machines, fortes de 150 chevaux, viennent d’être installées à cet effet ; — on lui fera traverser la Seine dans de larges conduites de fonte, qui déjà sont couchées sur l’herbe comme d’immenses canons tombés de leur affût. Des réservoirs appropriés seront construits et deux canaux traverseront la plaine en répandant la fécondité au passage. Ils représentent un angle très-ouvert, dont le sommet est placé sur les terrains actuellement exploités. Un de ces canaux doit aboutir près de la Seine, à peu près en face de l’extrémité aval de l’île Saint-Denis ; l’autre, laissant Gennevilliers à droite, s’avance parallèlement à la route de Paris à Argenteuil, fait brusquement un coude vers le sud et longe les rives de la Seine, qu’il aborde à la tête de l’île Marante. De cette façon, la plaine entière pourra être facilement irriguée : elle ne contient pas moins de 2 000 hectares de terrains sablonneux, qui en deux ou trois ans seront devenus le plus beau jardin maraîcher que l’on puisse voir — à la porte même de Paris, avec l’insatiable marché des Halles pour débouché certain. Le conseil municipal de Paris a compris l’importance d’un si beau projet, et les fonds nécessaires à l’exécution ont été votés.

Le résultat sera considérable ; non-seulement il vivifie une terre morte et fertilise la stérilité même, mais il débarrasse la Seine de ces détritus qui l’encombrent, il rend la navigation plus facile et économise tous les frais que le dragage forcé entraîne aujourd’hui. En outre il peut nous rendre, à nous autres Parisiens, un service fort appréciable : du moment que les eaux des collecteurs ne se versent plus en rivière, l’égout peut sans danger et avec avantage pour la salubrité publique venir jusque dans nos maisons chercher toutes les immondices, de quelque nature qu’elles soient, et remporter celles-ci mystérieusement sans que nul s’en aperçoive. Nous serions ainsi délivrés de ces lourdes voitures qui ébranlent le pavé de nos rues pendant que tout sommeille, de ces travaux désagréables qui ne commencent qu’après minuit, et l’on pourrait fermer à toujours les voiries écœurantes de Bondy. Rien ne serait plus simple que de réaliser ce projet, dont tous les détails ont été étudiés depuis longtemps, qui n’offre aucune difficulté pratique, et qui serait pour Paris une cause d’assainissement très-précieuse[18].

Une objection se présente naturellement à l’esprit : cette masse d’eau souillée peut arriver dans les réservoirs des Grésillons en quantité tellement énorme qu’il soit matériellement impossible de l’utiliser ; il faudra donc la rejeter à la Seine, et l’on n’aura fait alors que déplacer un inconvénient, on l’aura transporté de la rive droite à la rive gauche. En effet, dans bien des circonstances, sinon presque toujours, il y aura un « trop-plein », et c’est à la Seine qu’on le rendra, mais sans péril d’aucune sorte, car l’eau qu’on sera forcé de verser à la rivière sera revenue à l’état de limpidité première. Bien souvent, et par toute sorte de procédés, on a essayé de clarifier les eaux d’égout, et on n’y était jamais parvenu d’une façon satisfaisante. Ce problème, si important pour la salubrité des grandes villes, est résolu aujourd’hui grâce aux travaux de M. Le Châtelier et de M. Léon Durand-Claye, qui ont trouvé le moyen de précipiter toutes les matières que les eaux souillées tiennent en suspension. C’est une sorte de collage ; on clarifie maintenant un égout aussi facilement et plus rapidement qu’on ne clarifie une pièce de vin. Du sulfate d’alumine étendu d’eau suffit. Un litre de ce mélange coulant goutte à goutte sur deux mille litres d’immondices liquides entraine au fond toutes les parties solides.

Les bassins de clarification sont instructifs à examiner. Ils sont remplis d’une eau limpide ; si on la laisse écouler, elle découvre un lit de vase grisâtre, compacte, homogène, qu’on enlève à la pelle, qu’on réunit en tas, et qui forme un terreau de première qualité[19]. Les paysans savent si bien aujourd’hui en apprécier la valeur, qu’un jardinier de Montreuil est venu s’établir aux Grésillons, a fait construire des murs à espaliers et y cultive des pêchers qui doivent à ce nouvel engrais une croissance anormale. L’eau ainsi traitée est claire et absolument inodore, — résultat d’autant plus remarquable qu’on a scientifiquement étudié les différents éléments qui la composent et que ceux-ci sont infects. car ils sont rejetés par des fabriques de produits chimiques, des usines à gaz, des teintureries, des savonneries, des fabriques de colle, de blanc de céruse, et des tanneries. Le dépôt sec a été analysé par des chimismes éminents ; 1 000 kilogrammes contiennent :

  kil.
Azote 
15,01
Matières organiques 
263,61
Acide phosphorique 
5,85
Chaux 
119,20
Magnésie 
3,46
Matières minérales diverses 
592,87
Total 
1 000,00

Cette composition constitue un engrais des plus puissants. À ne tenir compte que du prix courant de l’azote et de l’acide phosphorique, c’est une valeur de 34 francs 36 cent. Or il faut savoir qu’un mètre cube de terreau produit par les eaux d’égout ne revient pas en moyenne au quart de cette somme. Au point de vue de tous les avantages que l’on peut en retirer, c’est donc une opération irréprochable.

On voit par quels moyens simples et peu dispendieux on parvient à donner à l’agriculture une terre extraordinairement productive, et à ne repousser dans le fleuve qu’une eau rendue inoffensive par la clarification qu’elle a subie. Cette exploitation est très-digne d’intérêt ; tous ceux qui ont quelque souci de l’agriculture devraient la visiter en détail ; elle est d’un haut enseignement et démontre quel secours les villes populeuses pourraient apporter aux campagnes qui les environnent. D’ici à quelques années la plaine de Gennevilliers ne sera plus reconnaissable, et il y aura là, près de la Seine, une fabrique d’engrais sec qui saura au besoin expédier ses produits dans la France entière. Paris rendra ainsi en fécondité à la province une partie de l’alimentation qu’il en reçoit et donnera un exemple qui mérite d’être compris.

Si notre pays savait le parti que l’on peut tirer de l’Eucalyptus globulus pour dessécher les marais du Midi, et s’il ne perdait pas par insouciance et routine les richesses fécondantes de ses eaux d’égout, il quintuplerait facilement sa production et augmenterait son bien-être d’autant. Il est à désirer que l’expérience si victorieusement entreprise aux Grésillons soit énergiquement poursuivie, qu’elle transforme rapidement tout ce désert, et qu’elle fournisse ainsi une preuve de ce que peut la science animée par l’amour du bien public.

Appendice.Les travaux pour la dérivation des eaux d’égout dans la plaine de Gennevilliers se poursuivent activement ; les nouvelles machines installées à Clichy, sur le bord de la Seine, ont fonctionné pour la première fois au mois de juillet 1873 ; le service journalier répand maintenant 40 000 mètres cubes d’eau impure qui féconde les sables de la presqu’île ; lorsque les machines fonctionneront jour et nuit sans intermittence, la montée sera de 80 000 mètres cubes, correspondant aux résidus liquides d’une ville de 300 000 âmes ; c’est donc environ le sixième du cube total des collecteurs ; c’est beaucoup, mais ce n’est point assez, et il faut espérer que, malgré des réclamations trop intéressées pour être sincères, la Seine sera bientôt complètement débarrassée des détritus que Paris y verse encore en abondance à Asnières.



  1. Ce qui prouve que le pavé a été longtemps une exception, c’est qu’une rue, dès qu’elle était garnie de pierres, — le plus souvent de molasse de Fontainebleau, — recevait un surnom qui le constatait : rue Pavée-au-Marais, rue Pavée-Saint-André, rue Pavée-Saint-Sauveur, etc.
  2. Je copie Sauval (Antiquités de Paris, t. I, p. 253) ; mais ce n’est certainement pas « le trou Bernard » qu’il faut lire ; on a joué sur le mot, et l’on a fait un nom propre d’un adjectif qualificatif dont la signification se devine aisément.
  3. Chaque fois que l’on reculait la limite de l’enceinte fortifiée, on réunissait au territoire de Paris les dépôts de voirie où les habitants étaient tenus d’aller jeter les immondices et qui maintenant, couverts de constructions, appartiennent à la configuration même du sol parisien. C’est ainsi que successivement on absorba cette portion orientale de la Cité qu’on appelait indifféremment : le terrain ou la motte aux Papelards ; — l’amas Saint-Gervais, où est l’église de ce nom ; — les éminences de la rue Baillif et de la rue Montmartre ; — la longue colline sur laquelle est bâtie la rue Meslay ; — la butte des Copeaux, où serpente le labyrinthe du Jardin des Plantes ; — le monticule sur lequel s’élève l’église Bonne-Nouvelle ; — la butte des Moulins, qui a conservé ce nom et d’où Jeanne d’Arc adjura vainement les Parisiens pendant l’assaut infructueux du 8 septembre 1429. Tous ces exhaussements de terrain, ainsi que ceux que l’on remarque rue Saint-Guillaume, rue de l’Estrapade, ceux que le nivellement des boulevards a fait disparaître près des portes Saint-Denis et Saint-Martin, sont factices et furent autrefois les dépôts d’immondices de la grande ville.
  4. Avant de se dégorger dans la Seine, le fossé Bucy franchissait un pont en bois à trois arches qui donnait accès à la porte de Nesles ; la ville de la rive gauche s’arrêtait donc alors à l’endroit où nous voyons actuellement la place Conti.
  5. À cette époque, la porte Saint-Honoré était située dans l’axe prolongé de la rue de Richelieu actuelle, et la porte Montmartre occupait le point d’intersection de la rue Montmartre et de la rue d’Aboukir.
  6. La médaille commémorative a pour revers : La ville de Paris, appuyant les pieds sur une voie pavée, élevant un niveau de la main droite et maintenant de la main gauche une roue en équilibre : Urbs nova lapide strata, 1667.
  7. L’orthographe usitée « Chantereine » est vicieuse ; il faut écrire « Chanteraine » (Rana, grenouille). La rue remplaçait la ruellelte au marais des Porcherons ; cela seul serait une indication suffisante, mais les noms de Chanteraine, Canteraine sont fort communs en France et s’appliquent toujours à des localités situées prés d’étangs, de marécages, de prairies où les raines chantent. Sous le Directoire on lit la même confusion ; l’arrêté suivant en est la preuve : « L’administration centrale du département, considérant qu’il est de son devoir de faire disparaître tous les signes de royauté qui peuvent se trouver encore dans son arrondissement ; voulant aussi consacrer le triomphe des armées françaises par un de ces monuments qui rappellent la simplicité des mœurs antiques ; ouï le commissaire du pouvoir exécutif, arrête que la rue Chantereine prendra le nom de rue de la Victoire. » Séance du 8 nivôse an VI. On sait que le général Bonaparte habitait la rue Chanteraine ; l’arrêté départemental était une flatterie à l’adresse du vainqueur qui venait de signer le traité de Campo-Formio.
  8. Il en fut de l’égout Turgot comme des réverbères de Sartines : on crut avoir atteint le plus haut degré de perfection. Voici ce que l’on en disait vingt ans après l’achèvement : « Le réservoir de la ville auprès du Pont-aux-Choux sur le boulevard reçoit les eaux qu’on y élève par le moyen des pompes et les fournit dans un canal de pierres de taille qui a été construit pour porter les immondices de la ville dans la rivière. Ce canal commence au réservoir et tombe dans la Seine au-dessus du petit Cours. C’est un ouvrage digne des Romains : nous le devons à un illustre prévôt des marchands, dont le goût, le zèle et l’amour pour le bien public et pour l’embellissement de la ville nous laissent des monuments immortels à sa gloire, dans presque tous les quartiers de Paris. » Voir État ou tableau de la ville de Paris ; MDCCLX.
  9. Ceci n’est pas rigoureusement exact ; l’égout apparaît encore sur le plan de Verniquet, sur les plans de Le Maire (1808-1821) entre l’avenue des Champs-Élysées et la Seine. Il côtoyait une sorte de chemin nommé la ruelle des Marais, qui devint la rue des Gourdes, et bordait les fameux Bosquets d’Idalie. C’était un ruisseau profond et fangeux qui charria plus d’un cadavre ; car, à cette époque, les Champs-Élysées, moitié promenade et moitié jardin maraîcher, mal percés, nullement éclairés, étaient un véritable coupe-gorge. Cet état de choses dura jusqu’à la fin de la Restauration ; une décision ministérielle du 19 octobre 1829 prescrivit de rectifier la rue des Gourdes et lui donna le nom de rue Marbeuf qu’elle porte aujourd’hui. Mais ce ne fut guère qu’en 1831 que l’on fit disparaître le dernier reste du ruisseau Ménilmontant.
  10. La mauvaise disposition des gouttières était si manifeste, qu’une ordonnance de police rendue par Sartines, le 13 juillet 1764, interdisait d’en construire de nouvelles.
  11. La légende de l’estampe de Carle Vernet porte : Passez, payez.
  12. Cet égout à une extrême importance. Il part de la place des Victoires, suit la rue des Petits-Champs, la rue et le boulevard des Capucines. C’est une sorte de collecteur, car il dégage l’égout Richelieu, qui, avant ces diverses constructions, était singulièrement dangereux : à la moindre pluie, il s’engorgeait. Peu de temps avant l’ouverture des travaux de l’égout des Petits-Champs, six ouvriers y furent surpris par un orage ; l’eau monta avec une rapidité extraordinaire. Les six malheureux se prirent par la main et marchèrent contre le courant qui les baignait au visage ; cinq purent atteindre une galerie plus élevée ; le sixième, battu par le flot, lâcha prise ; le lendemain, son cadavre fut retrouvé en Seine, où l’égout l’avait porté. C’est pour éviter de tels accidents qu’on a tracé la galerie qui dessert la vallée creusée entre la butte des Moulins et la levée des boulevards.
  13. Le siphon qui, passant sous le lit de la Seine, en amont du pont de l’Alma, reçoit le collecteur de la rive gauche et le porte sur la rive droite, est, — je l’ai dit, — composé de deux tubes fonctionnant alternativement ou conjointement, selon le volume des eaux d’égout. On comprend que les wagons ou les bateaux-vannes sont impropres à le curer. Le système que l’on emploie pour le débarrasser des ordures qui risqueraient de l’encombrer, est tellement simple et tellement ingénieux, qu’il a fallu un peu plus que de l’intelligence pour l’imaginer. Chaque tube a un mètre de diamètre ; à l’ouverture d’amont (rive gauche) on y fait glisser une boule en bois de sapin dont le diamètre est de 86 centimètres. Plus légère que l’eau, elle flotte au gré du courant ; mais si elle rencontre un amas de détritus, elle est arrêtée ; l’eau, forcée de se frayer une issue, se presse à la partie inférieure du tube, s’y précipite et entraine avec elle l’obstacle sur lequel la boule avait pris point d’appui ; celle-ci, dégagée, reprend sa route et fait ainsi l’office d’une vanne mobile qui cure le tube au fur et à mesure qu’elle avance.
  14. Voir Pièces justificatives, 7.
  15. Budget ordinaire : 197 millions 815 582 fr. 66 c. Budget spécial 130 millions 500 000 fr.
  16. Le compte général des recettes et dépenses de la ville de Paris (exercice 1873) porte une somme de 46 273 francs pour bottes d’égoutiers.
  17. La production est telle, que l’on obtient facilement 70 000 kil. de choux, 60 000 de carottes, 150 000 de navets par hectare. Voir Situation de la question des eaux d’égout et de leur emploi agricole en France et à l’étranger, par Alfred Durand-Claye ; Annales des ponts et chaussées, t. V, p. 85.
  18. Paris possède actuellement (avril 1873), 85 275 fosses d’aisances ; 19 203 sont mobiles ; 6 444 ont des appareils diviseurs branchés sur égout ; 52 128 nécessitent les travaux nocturnes que l’on sait ; 8 000 échappent à tout nettoyage.
  19. On donne ce terreau aux paysans, qui n’ont que la peine de venir le chercher. Croirait-on que quelques-uns en font commerce et vendent assez cher cet engrais qu’ils reçoivent gratuitement !