Paris en l’an 2000/Apprentissage

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Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 106-111).

§ 5.

Apprentissage.

Dans la République sociale, tout le monde devant travailler et avoir une profession, tous les jeunes gens, au sortir des écoles, entrent en apprentissage.

Cet apprentissage se fait sous la direction de l’État et dans des établissements lui appartenant. À cet effet, dans toutes les industries, même les plus infimes, le Gouvernement a créé des ateliers dits modèles, où l’on a embauché les meilleurs ouvriers de la partie, qu’on a pourvus de machines perfectionnées et où l’on essaye tous les nouveaux procédés de fabrication.

Ces ateliers modèles ne sont pas destinés à faire concurrence à l’industrie privée, mais leur seul but est de favoriser les progrès de chaque métier et surtout de faire des apprentis. On a ainsi crée des Boulangeries-modèles, des Fermes-modèles, des ateliers de Couture-modèles, etc., en nombre suffisant pour recevoir tous ceux qui se destinent aux divers états. Là, des ouvriers, aussi bienveillants qu’expérimentés, dirigent les jeunes gens dans le travail ; ils leur donnent des conseils, leur montrent comment il faut s’y prendre pour bien faire, et les initient peu à peu à toutes les difficultés de la profession. Grâce à cet enseignement aussi paternel que pratique, les apprentis font des progrès rapides. Ne perdant plus leur temps comme autrefois à aller en courses ou à exécuter quelque détail du métier, toujours le même, mais étant au contraire soigneusement instruits à faire tout ce qui concerne leur partie, ils apprennent en deux ou trois ans les états les plus difficiles, et sortent des ateliers modèles bons ouvriers déjà et très-capables de gagner leur vie dans l’industrie privée.

Ces établissements d’apprentissage reviennent assez cher au Gouvernement par suite de leur installation coûteuse et surtout à cause de tout le temps que les ouvriers perdent à donner des leçons aux jeunes apprentis. Mais l’Administration ne regrette pas cette dépense et l’estime au contraire très-fructueuse, un pays étant d’autant plus prospère que les bons travailleurs y sont plus nombreux et connaissent mieux leur métier.

Pour l’apprentissage du Commerce et de la grande Industrie, l’État n’a pas eu besoin de créer des ateliers-modèles. Les jeunes gens qui se destinent à ces professions entrent simplement comme apprentis dans les magasins et les usines du Gouvernement, où ils sont paternellement instruits et dirigés par des personnes chargées spécialement de ce soin. Grâce à ces excellentes leçons, au bout de quelque temps ils peuvent se rendre utiles, et ils ne tardent pas à prendre rang parmi les employés et à toucher un salaire.

Enfin, pour certaines professions dites libérales, qui exigent des connaissances théoriques et pratiques spéciales, on a créé des écoles particulières où les jeunes gens sont soigneusement instruits de tout ce qu’ils doivent savoir. Telles sont :

L’École des ponts-et-chaussées, où l’on forme des ingénieurs propres à construire des routes, des ponts, des chemins de fer et des canaux.

L’École des mines, d’où sortent d’autres ingénieurs destinés à conduire les travaux des mines et à diriger toutes les grandes usines appartenant à l’État.

L’École navale, où l’on apprend à construire les vaisseaux et à les faire naviguer.

Les Écoles de peinture, d’architecture et de musique, qui forment des peintres, des architectes et des musiciens.

Les Écoles normales, qui fournissent des instituteurs et des institutrices pour les écoles et des professeurs pour l’enseignement supérieur.

L’École de médecine, destinée à faire des médecins.

Enfin, l’École d’administration, où l’on étudie les lois du pays et l’économie politique, et où l’on se prépare à suivre la carrière administrative.

On a omis exprès sur la liste les Écoles de droit et d’art militaire, ces sortes d’écoles étant devenues inutiles dans la République par suite de la simplification de la justice et de la suppression des armées.


L’entrée dans les divers établissements d’apprentissage n’a pas lieu au hasard et sur la simple demande des jeunes gens ou de leurs parents, mais, avant d’y être admis, il faut subir des examens prouvant qu’on est apte à suivre la carrière à laquelle on se destine. Ainsi, pour certains métiers, il faut une grande force musculaire ; pour d’autres, beaucoup de dextérité ; pour d’autres, d’excellents yeux ; pour d’autres, une intelligence ouverte ; pour d’autres enfin, certaines aptitudes scientifiques ou artistiques.

Naturellement, dans cette question si importante du choix d’un état, on tient le plus grand compte du degré d’instruction possédé par les jeunes gens. Ceux qui n’ont jamais pu entrer dans les écoles supérieures ne sauraient prétendre à faire l’apprentissage d’une profession libérale et ils sont obligés de se rabattre sur le Commerce ou l’Industrie. De même ceux qui n’ont pas pu être admis dans les écoles secondaires, se voient interdire certaines professions réservées à leurs camarades plus intelligents et plus studieux.

En cela l’égalité n’est nullement choquée ; car, d’une part, tous les enfants subissant les mêmes examens, ceux qui ne les passent pas convenablement ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, et, d’un autre côté, les jeunes gens qui embrassent la carrière du Commerce et de l’Industrie ne sont pas très à plaindre, et avec de l’activité et de l’intelligence ils peuvent acquérir une position sociale parfaitement équivalente à n’importe quelle profession libérale.

Le Gouvernement ne se borne pas à vérifier si les jeunes gens ont des aptitudes réelles pour les états auxquels ils se destinent, mais il détermine le nombre des apprentis à faire dans chaque industrie. Cette réglementation de l’apprentissage a paru tout à fait indispensable pour assurer la prospérité du pays et faire que chacun puisse vivre confortablement en exerçant le métier qu’on lui a appris.

Autrefois, sous l’ancien régime, lorsque l’apprentissage n’était soumis à aucune règle et que les jeunes gens choisissaient leur état au hasard, voici ce qui arrivait : certaines professions, réputées bonnes ou faciles à apprendre, étaient encombrées et ne pouvaient pas nourrir tous ceux qui les exerçaient. Il y avait donc une concurrence effrénée entre les ouvriers d’une même partie, ce qui amenait forcément l’abaissement des salaires, le chômage et la misère. Les travailleurs avaient beau essayer de s’associer entre eux pour maintenir les prix, l’intérêt individuel était le plus fort et les ouvriers sans ouvrage venaient toujours offrir leur travail meilleur marché que les tarifs imposés par la grève.

Avec la savante organisation de l’apprentissage qu’a établie la République sociale, un semblable désordre économique n’est plus à craindre. Un comité de statistique, composé d’hommes experts à même de se procurer tous les renseignements nécessaires, calcule chaque année quels sont les besoins de l’industrie et fixe en conséquence le nombre des apprentis à faire dans chaque partie. Les livres de vente des magasins de commerce et les registres de l’impôt sur le revenu permettent d’obtenir ce travail statistique avec une grande exactitude, et quand un jeune homme a été admis dans un atelier-modèle et y a appris un métier, il est sûr en sortant de trouver du travail et de gagner honorablement sa vie en exerçant la profession qu’on lui a donnée.