Paris en l’an 2000/Mariage (Chapitre VI)

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Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 160-165).

§ 3.

Mariage.

Les mariages socialistes se célèbrent au Temple international, dans une série de chapelles situées au fond du monument. Ces chapelles, que l’on a décorées avec tout le luxe imaginable, sont ornées de peintures représentant les joies et les devoirs du mariage : les jeunes gens courtisant les jeunes filles, les maris protégeant leurs femmes contre le danger et se dévouant pour leur sauver la vie, les femmes conseillant leurs maris, les éloignant de la débauche et les encourageant à se comporter toujours en bons citoyens, enfin des enfants complétant le bonheur des époux et resserrant encore les liens affectueux qui les unissent.

On n’est admis à se marier socialement qu’autant que les époux professent tous les deux le culte socialiste, et qu’ils ont abjuré publiquement et dans le Temple même, toute autre religion. Ces abjurations, qui furent très-nombreuses lors de l’établissement de la République sociale, ont lieu dans les chapelles de la majorité et se font avec le cérémonial décrit dans le paragraphe précédent.

La célébration du mariage est la cérémonie à laquelle la religion socialiste accorde le plus d’importance, et le Gouvernement n’a rien négligé pour la rendre magnifique et l’entourer de tout le prestige de la puissance nationale.

Le jour fixé pour la solennité, un train spécial composé de voitures de gala va chercher la fiancée à son domicile et emmène la noce au Temple international. En descendant de wagon, le cortège s’avance au milieu d’une foule curieuse, et, au son de la musique, il va prendre place dans une des chapelles nuptiales. Bientôt arrivent de leur côté les magistrats chargés d’unir les époux ; ils sont entourés de tout l’attirail du pouvoir, et c’est pour ainsi dire la République elle-même qui vient présider et consacrer le mariage de ses enfants.

D’abord, un des magistrats lit pour la dernière fois les bans des futurs et demande à ceux-ci s’ils sont célibataires, s’ils professent la religion socialiste, s’ils promettent de persister toute leur vie dans ce culte et d’y élever leurs enfants. Les huit témoins des fiancés s’avancent ensuite, ils se portent garants de cette promesse, et ils s’engagent solennellement à la rappeler aux mariés le jour où ceux-ci voudraient abjurer les doctrines qu’ils ont embrassées.

Ces préliminaires achevés, un orateur monte à la tribune. Après avoir dit quelques mots élogieux pour les deux fiancés, il entre dans des généralités sur les joies du mariage, les devoirs réciproques des époux, les malheurs des séparations, et termine en invitant les futurs à rester constamment unis et à être des modèles de vie conjugale. Ce discours, toujours fort éloquent, touche profondément tous les cœurs, surtout ceux des fiancés, qui se jurent tout bas une éternelle fidélité, serment trop souvent oublié, mais qui à ce moment est sincère.

Après cette harangue, le magistrat qui préside à la cérémonie procède à l’union des époux. Il leur demande s’ils veulent être mari et femme, et s’ils se promettent mutuelle fidélité et mutuelle affection. Sur leur réponse affirmative, il les déclare unis et remet une alliance à la jeune femme, tandis qu’il donne au mari une médaille où sont gravés la date du mariage et les noms des deux époux ; puis il fait une petite allocution toute paternelle sur les félicités si enviables réservées aux femmes bonnes et aux maris fidèles.

Le mariage terminé, les nouveaux époux restent un instant dans la chapelle pour y recevoir les félicitations de toutes leurs connaissances, qui sont venues assister à la cérémonie. Ensuite, on remonte dans le train de gala et on se dirige vers une des résidences nationales voisines de Paris, telles que Saint-Cloud, Versailles, Meudon, etc.

Là, s’il fait beau, la noce se promène dans le parc et les jardins ; s’il fait mauvais, elle reste dans l’intérieur des appartements. Du reste, ces résidences ont été aménagées de manière à offrir mille distractions aux invités du Gouvernement et ceux-ci peuvent, suivant leurs goûts, se balancer, jouer aux bagues, aux quilles ou au billard, aller à âne, se promener sur l’eau, se rafraîchir au buffet, etc. Tous les mariés du même jour, se trouvant ensemble dans ces résidences, y font facilement connaissance, et de ces rencontres fortuites entre les jeunes ménages, naissent souvent des amitiés solides et durables.

Cependant, à tous ces divertissements, l’heure du dîner arrive vite. Le repas de noce est offert par l’État aux mariés et à leur cortège, et il est servi avec un luxe inouï. Dans une salle à manger magnifiquement décorée et telle que n’en eurent jamais les plus riches souverains, une table surchargée de porcelaines admirables, d’argenterie merveilleuse et de cristaux étincelants offre aux invités un choix infini des mets les plus délicats et des vins les plus renommés.

Le Gouvernement a voulu que les plus pauvres connussent, au moins une fois dans leur vie, toutes les merveilles de l’opulence et tous les raffinements de la civilisation, et que le jour de leur mariage fût marqué dans leur souvenir comme un jour de félicité parfaite, si toutefois la richesse, poussée à ses dernières limites, suffit pour donner le bonheur.

La réalisation de ce vœu coûte cher à l’Administration, mais c’est là une dépense sur laquelle personne ne cherche à lésiner, parce que tout le monde en profite, et que cela encourage le mariage, pour lequel les Socialistes n’ont pas beaucoup de propension. Le seul désir de jouir une fois dans sa vie de toutes les félicités terrestres a fait contracter plus d’une union, et celles-ci n’ont pas été pour cela plus malheureuses que les autres.

Après avoir royalement fêté le festin du Gouvernement et bu suffisamment à la santé des nouveaux mariés, on quitte la table. Les hommes fument un cigare exquis, offert par la Nation ; la mariée et ses amies changent de toilette et mettent les robes de bal qu’elles ont eu soin d’apporter avec elles, puis on remonte dans le train de gala et l’on retourne au Palais international. C’est là, dans de magnifiques salons, qu’a lieu le bal de noce où l’on a invité tous ses amis et connaissances de Paris. Au son d’une musique enchanteresse, les danses se prolongent jusqu’au matin, et, repus de plaisirs, brisés de fatigue, tombant de sommeil, mariés et invités rentrent chez eux et se livrent aux douceurs du repos.