Paris ou les sciences, les institutions et les mœurs au XIXe siècle/Histoire du Muséum d’histoire naturelle

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II. — Histoire du Muséum d’histoire naturelle. — Geoffroy St.-Hilaire. — Lakanal.


La fondation du Jardin des Plantes remonte à 1635. Cet établissement a eu, comme la nature dont il est l’image, ses progrès et ses développemens mesurés. Nous glisserons sur des origines connues[1]. Un grand nom se rattache à chacun des âges qui ont marqué la croissance de cette institution scientifique. Gui de la Brosse, médecin de Louis XIII, aidé dans son entreprise par la protection du roi et du cardinal de Richelieu, fit l’achat, la clôture et la disposition du terrain ; il s’y installa en qualité de surintendant vers l’année 1640, et donna au nouvel établissement le nom de Jardin des plantes médicinales. Il y fit venir en effet des plantes de toutes parts, au nombre de deux mille, pour les élever. Cette origine si humble, entre les mains de Gui de la Brosse, eut encore à souffrir de la négligence du surintendant qui lui succéda. Peu touché de la botanique, ce nouveau-venu, qui était aussi médecin du roi, laissa tellement tout dépérir, que ces lieux n’avaient plus même la forme d’un jardin. L’établissement allait décheoir à son berceau, si Fagon ne se fût trouvé là pour le régénérer. Fagon était né au Jardin des Plantes ; sa mère était la nièce de Gui de la Brosse ; il prit à cœur de relever une œuvre utile, toute nouvelle, et déjà défaillante. L’éclat de ce nom, le zèle du nouveau surintendant, sa position en cour, tout contribua dès-lors à sauver l’institution. Fagon mourut, c’est la destinée des hommes et des médecins ; la surintendance du Jardin des Plantes passa alors par des mains obscures, mais plus l’état des choses empirait, plus une rénovation devait être jugée nécessaire. La direction du Jardin des Plantes fut retirée aux médecins de la cour, et confiée à Dufay, jeune savant d’un esprit étendu et flexible. L’établissement était retombé, il remonta. Après quelques essais d’administration habile, Dufay, âgé de quarante-et-un ans, penchait à mourir. La situation était critique ; le Jardin des Plantes allait-il retourner à cet état de langueur et de décrépitude dans la jeunesse, dont le talent administratif de Dufay l’avait fait un instant sortir ? La voix publique commençait à réclamer : sur ces entrefaites, un chimiste de l’Académie des sciences, Hellot, va trouver Dufay ; tantôt insinuant, tantôt ferme et décidé, il cherche, si j’ose ainsi dire, le cœur du mourant. « Buffon, lui dit-il, est seul en mesure, par sa puissance de caractère, de continuer votre œuvre de régénération ; éteignez donc vos sentimens de rivalité, et désignez cet ancien ami pour votre successeur. Cette demande est contenue dans la lettre que je vous présente à signer. » Dufay, défaillant, signa.

Sous Buffon, le Jardin des Plantes reprend une vie nouvelle. De simplement botanique et médical qu’il était, il commence à devenir le temple de toute la nature. Quelques collections se forment ; le jardin et les bâtimens s’étendent. C’est à Buffon, à son génie, à son goût pour le luxe et la représentation, que l’établissement dut, en moins de dix ans, d’être renouvelé. Roi de la science, il traitait, pour ainsi dire, d’égal à égal, avec les têtes couronnées. L’impératrice de Russie, animée pour le naturaliste français de sentimens d’estime, lui avait envoyé de riches mines de malachite, et toutes les plus belles fourrures que produisent ses États. Buffon accepta tout, non pour lui, mais pour le muséum qu’il formait. De toutes parts les dons et les richesses affluaient dans le Jardin des Plantes. Ce qui fonde, ce qui agrandit les établissemens, ce sont surtout les idées et le nom du fondateur. Buffon était, sous ce rapport, l’homme le mieux choisi pour donner une âme à cette création monumentale de la science. Esprit vaste comme la nature, il embrassait à-la-fois les trois règnes dans l’étendue de ses connaissances variées. Son génie n’avait d’égal que son désintéressement. Les anciens édifices ne suffisaient plus aux accroissemens des collections : Buffon céda un jour sa bibliothèque, un autre jour son salon, puis, ainsi de suite, toutes les pièces de son logement ; le savant fit si bien qu’il se vit peu-à-peu renvoyé de chez lui, par ces rares et précieux échantillons, dont il était, pour ainsi dire, le père. Où la supériorité de Buffon éclate surtout, c’est dans ses ouvrages. On a écrit dans ces derniers temps, après Cuvier, que le véritable titre de Buffon à l’immortalité, était d’avoir fondé la partie historique et descriptive de la science. Cet éloge, si c’est un éloge qu’on a voulu faire, manque encore de rectitude. Buffon est sans doute un admirable historien des animaux, surtout par le style : mais ce rare mérite n’est chez lui que secondaire. Son premier, son véritable titre devant la postérité, c’est d’avoir été le philosophe de l’histoire naturelle : soit qu’il découvre la grande loi de la distribution géographique des êtres, soit qu’il pose la question de la fixité ou de la variabilité des espèces, soit qu’il déchire le voile des siècles sur les événemens qui ont formé l’écorce de notre globe, il s’élève partout à la plus grande hauteur où l’esprit humain puisse monter.

Nous venons de décrire les âges de tâtonnement durant lesquels le Jardin des Plantes s’avançait à pas lents vers un état de splendeur et de perfection. Sa grande époque date de la révolution française. L’ère de la terreur respecta l’établissement de Buffon ; elle l’accrut même et l’éleva tout d’un coup à la hauteur philosophique d’un muséum d’histoire naturelle. Cette subite transformation fut l’ouvrage d’événemens que je dois retracer. Deux hommes bien différens de caractère contribuèrent alors, l’un par ses services publics, l’autre par ses travaux dans la science, à la fortune nouvelle de l’établissement : ce furent Lakanal et Geoffroy Saint-Hilaire.



  1. On peut consulter l’Histoire du Jardin des Plantes par Deleuze.