Paula Monti/I/XXIV

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Paula Monti ou l’Hôtel Lambert
Paulin (Tome 1p. 214-218).
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Première partie


CHAPITRE XXIV.

DÉCOUVERTE.


Madame de Hansfeld, continuant d’écrire à M. de Morville sous un nom supposé, avait reçu plusieurs réponses. Un matin (quelques jours après que M. de Hansfeld eut sauvé la vie du père de Berthe de Brévannes), Iris, revenant du bureau de la poste restante, apporta une lettre à sa maîtresse.

Le cœur de la princesse battit de joie en reconnaissant l’écriture de M. de Morville.

Cette lettre était ainsi conçue :

« Voilà la cinquième fois que j’écris à ma mystérieuse amie, ses consolations me sont tellement douces et précieuses, elles me viennent si bien en aide pour supporter la tristesse où me plonge un amour malheureux, que je ne saurais trop la remercier de son tendre intérêt. Il y a pour moi un charme singulier dans ces confidences à la fois si vagues et si précises faites à une inconnue, qui apprécie l’état de mon cœur avec une délicatesse infinie… J’ai été frappé de ce que vous me dites sur le bonheur d’aimer même sans espoir, de même qu’on aime Dieu pour Dieu, et de trouver dans la seule dévotion à l’objet adoré une pure et ineffable félicité. Vos pensées, à ce sujet, sont en tout si semblables aux miennes… et cela dans leurs nuances les plus insaisissables, qu’à force de m’en étonner, il m’est venu à l’esprit une idée absurde, bizarre, folle… Cette idée est que… mais non… je n’oserai pas même vous l’écrire… du moins, avant de vous avoir avoué une autre de mes croyances… Je suis fermement convaincu que deux personnes, passionnément éprises l’une de l’autre, doivent avoir sur l’amour certaines idées absolument semblables… Aussi, en conséquence de toutes mes folles pensées, je suis assez fou pour conclure… que vous pourriez bien être… la femme que j’aime… sans espoir, et qui, à un bal de l’Opéra, m’a dit ces mots : Faust et Childe-Harold… lors d’une soirée que je n’oublierai de ma vie. »

En lisant ce passage, madame de Hansfeld tressaillit et devint pourpre de surprise, de bonheur et de confusion ; elle continua de lire avec un violent battement de cœur.

« Pardonnez-moi cet espoir insensé… Si je me trompe, ces mots seront incompréhensibles pour vous ; si je ne me trompe pas, il peut néanmoins vous convenir que je n’aie pas deviné, alors vous me répondrez que je suis dans l’erreur, et notre correspondance continuera comme par le passé.

« Maintenant, par quel pressentiment, par quel instinct ai-je été amené à croire que ces lettres m’étaient écrites par vous ? Je l’ignore… Sans doute la présence de l’être aimé se manifeste en tout et partout, même malgré le mystère qui semble le plus impénétrable. Si l’on distingue entre mille voix… une voix adorée, pourquoi ne reconnaîtrait-on pas de même l’esprit, la pensée de la femme que l’on chérit ? Si je ne me suis pas trompé… ce phénomène s’expliquerait plus encore par la sincérité que par la sagacité de mon amour. Alors… je vous en supplie, ne me refusez pas la seule consolation qui me reste… j’allais presque dire qui nous reste. Songez à tout le bonheur que nous pouvons encore espérer de cette correspondance… et puis quelle confiance absolue, aveugle, doit nous donner l’un pour l’autre mon étrange découverte ! Ne prouverait-elle pas autant en faveur de votre amour que du mien ? Vous ne m’avez pas écrit un mot qui pût vous déceler, et pourtant je vous ai reconnue… Oh ! de grâce, répondez-moi ! Oui, nous pouvons être encore bien heureux, malgré la barrière infranchissable qui nous sépare. Croyant n’être pas aimé de vous, je vous fuyais obstinément, dans la crainte d’augmenter encore les chagrins d’une passion déjà si malheureuse ; mais si vous la partagiez… pourquoi me refuseriez-vous le bonheur de vous rencontrer souvent… tout en restant, aux yeux du monde, étrangers l’un à l’autre ? J’ai juré… non de ne plus vous aimer, cela m’était impossible ; mais j’ai juré, lors même que vous répondriez à mon amour, de ne jamais porter atteinte à la sainteté de vos devoirs, et de ne jamais me présenter chez vous. En restant fidèle, comme je le dois, à ce serment, quels seraient nos torts ? qu’aurions-nous à redouter ? N’êtes-vous pas liée par votre amour comme je le suis par ma parole… parole dont je ne serais délié que le jour où je pourrais aspirer à votre main ?

« Mais à quoi bon entrer dans de pareils détails si mon cœur se trompe… si vous n’êtes pas vous ? Un mot encore… si j’ai deviné juste, je vous le jure sur l’honneur, personne au monde ne m’a rien dit qui pût me faire soupçonner que vous m’écriviez… Cette découverte est un de ces miracles de l’amour, qui ne semblent impossibles qu’aux impies et aux athées.

« L. de M. »

À la lecture de cette lettre, Paula fut pour ainsi dire éblouie. Cette preuve éclatante de divination dans l’amour la confondait et la ravissait à la fois. Ne fallait-il pas aimer immensément pour arriver à ce point de pénétration ?

Madame de Hansfeld croyait avec raison M. de Morville incapable d’un mensonge ; aussi elle se livrait en toute sécurité aux enchantements de cette lettre, qu’elle relut plusieurs fois avec adoration.

Involontairement la princesse ressentit une sorte de frisson à ce passage où M. de Morville disait clairement qu’il ne serait délié de son serment que si elle devenait veuve.

Pour la première fois de sa vie, madame de Hansfeld eut une pensée qui lui fit horreur, et qu’elle se reprocha comme un crime.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Elle chercha, pour ainsi dire, un refuge dans les nobles sentiments que devait lui inspirer l’amour de M. de Morville ; comme lui, elle vit un avenir de bonheur dans cet attachement pur et ignoré. Il échapperait au moins à la grossière malignité du monde, et conserverait, caché dans l’ombre, toute sa délicatesse, toute sa fleur, tout son parfum…

Écrire souvent à M. de Morville, l’apercevoir quelquefois, se savoir aimée de lui… lui répéter sans cesse qu’elle l’aimait… n’avoir jamais à rougir de cette affection si passionnément partagée… quelles brillantes, quelles radieuses espérances !

Un léger frappement qu’elle entendit à sa porte rappela madame de Hansfeld à elle-même. Elle serra la lettre de M. de Morville dans un meuble à secret, et dit :

— Entrez.

La porte s’ouvrit, le prince de Hansfeld entra chez sa femme.