Paula Monti/II/IX

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Paulin (Tome 2p. 80-86).
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Deuxième partie


CHAPITRE IX.

RÉVÉLATIONS.


Après un moment de silence, Iris reprit, en attachant son regard scrutateur sur madame de Hansfeld :

— Vous n’aviez épousé le prince qu’avec regret, et pour assurer un avenir à votre tante ; plusieurs fois vous me l’avez dit.

— Cela est vrai…

— Vous m’avez dit encore que, grâce à la générosité de M. de Hansfeld, la plus grande partie de sa fortune devait vous appartenir après sa mort…

— Ah ! malheureuse… vous m’épouvantez… Ainsi ces tentatives réitérées…

Sans répondre à sa maîtresse, Iris continua.

— Peu de temps après votre mariage, votre tristesse a redoublé… Je n’ai plus hésité, et un soir, à Trieste, sans que personne me vît… dans une tasse de lait…

— Mais vous êtes un monstre !

— J’avais pris mes précautions… Si le crime eût été découvert, moi seule pouvais être accusée… et d’ailleurs je me serais avouée la seule coupable.

— C’est horrible ! horrible !… Et vous n’avez pas reculé devant l’énormité du crime que vous alliez commettre ?

— Vous désiriez être veuve…

— Vous l’ai-je jamais dit ? me l’étais-je seulement dit à moi-même ?

— Vous regrettiez de vous être mariée… je vous rendais votre liberté…

— Mais vous n’avez donc aucune notion du mal et du bien ?

— Le bien… c’est votre bonheur ; … le mal… c’est votre chagrin…

— Qui pourrait croire, mon Dieu ! à cette sauvage et féroce exaltation… Comment votre main n’a-t-elle pas tremblé ? comment avez-vous pu méditer un tel crime ? Comment surtout avez-vous pu récidiver ?

— Après la première tentative… vous avez été encore plus triste que d’habitude… Vous vous êtes souvent plainte à moi de tout ce que vous faisait souffrir l’inégalité du caractère du prince ; devant moi bien souvent vous avez maudit le jour où vous aviez consenti à ce mariage ; quelquefois même, en déplorant votre triste existence, vous regrettiez de n’être pas morte… Alors une seconde fois j’ai voulu le tuer… dans cette auberge isolée ; je m’étais introduite dans sa chambre par le balcon de la fenêtre entr’ouverte ; je l’avais presque refermée en m’en allant, après le coup manqué…

— Non, non, je ne puis croire à ce que j’entends… si jeune… et un pareil sang-froid, un tel endurcissement…

— Si vous saviez la douleur que je ressens de vos douleurs… si vous saviez combien vos larmes retombent brûlantes sur mon cœur… vous comprendriez mon sang-froid, mon endurcissement, comme vous dites… Oui… si vous saviez à quel point la vie me pèse depuis que j’ai la conviction d’être si peu pour vous… vous comprendriez que j’ai voulu assurer votre bonheur en risquant une vie qui m’est indifférente. Si je n’ai pas tenté plus souvent, c’est que le prince s’est entouré de telles précautions…

— Assez !… assez ! tu me fais horreur… Et maintenant ?… que vais-je faire ? j’ai l’aveu de ton crime…

— Peu m’importe.

— Croyez-vous que je puisse à cette heure vous garder près de moi… vous qui trois fois avez tenté de donner la mort à l’homme généreux et bon qui simulait la folie pour ne pas m’accuser ?

— Maintenant comme autrefois… vous désirez la mort de cet homme généreux et bon…

— Taisez-vous…

— S’il mourait, vous épouseriez M. de Morville…

Paula resta un moment comme écrasée sous ces foudroyantes paroles ; puis elle reprit avec indignation :

— Et qui vous donne le droit de scruter ma pensée ? Et parce que la mort de M. de Hansfeld me rendrait la liberté, est-ce une raison pour que je la désire ?

— Oui… vous la désirez…

— Sortez ! sortez !…

— Oh ! grâce ! grâce ! marraine… — dit Iris en tombant à genoux devant Paula. — Puis elle continua d’une voix déchirante : — Je suis bien coupable, je suis bien criminelle ; je sais toute l’étendue, toutes les conséquences des actions que j’ai commises ; j’ai agi avec réflexion… Mais, je vous le répète, pour moi, le mal, c’est votre chagrin ; le bien, c’est votre bonheur… peu m’importe le reste ! Pourquoi donc me chasseriez-vous ? Est-ce pour moi que j’ai cherché à commettre les crimes qui vous épouvantent ? N’était-ce pas avant tout… vous, et toujours vous, que je voulais servir ?…

— Mais, me servir par de tels moyens… c’était me rendre votre complice !

— Eh bien ! je me repens… je vous demande pardon à genoux… mais ne me chassez pas ; ce serait vouloir ma mort ! Oui… si vous me chassez, je me tuerai… Vous me connaissez… vous savez si j’en suis capable… Je tiens à la vie, parce que je puis vous être utile encore…

— Non, non ; va-t’en… Tu veux mourir ?… Eh bien ! meurs !… ce sera un bienfait pour le monde… et pour moi… Depuis les accusations du prince et tes révélations, je me sens dans une atmosphère de trahisons et de crimes qui m’épouvante ; on dirait qu’elle m’oppresse, qu’elle me pénètre… J’aurais peur de devenir aussi criminelle que toi. Va-t’en… va-t’en, te dis-je… va-t’en…

Iris se leva pâle et triste, prit la main de sa maîtresse qu’elle baisa, et fit un pas vers la porte.

Madame de Hansfeld crut lire dans les traits de la jeune fille une si effrayante résolution qu’elle s’écria :

— Iris !… restez !…

Iris revint sur ses pas et interrogea Paula du regard.

— Mais enfin — s’écria la princesse — que dire au prince ? Une fois convaincu de mon innocence… il voudra connaître le coupable… que lui répondrai-je s’il m’interroge ? Ses soupçons, d’ailleurs, ne t’atteindront-ils pas ? Et maintenant, mon Dieu !… j’y pense… ne pourra-t-il pas croire que tu as agi par mon ordre, ou du moins sous mon inspiration ?… Vois dans quel affreux dédale tu m’as jetée !…

— Marraine, permettez-moi de rester ici… Si je suis chassée de cette maison, que ce ne soit pas par vous au moins : je saurai me résigner si le prince exige mon départ, ou s’il m’accuse ; mais que ce coup terrible ne vienne pas de vous !

— Mais en admettant même que les soupçons de M. de Hansfeld ne t’atteignent pas, n’est-il pas criminel à moi de garder dans ma maison une créature qui trois fois a attenté à la vie de mon mari, et qui pourrait peut-être, par la même monomanie sauvage, y attenter encore ?

— Marraine, si vous l’exigez… jamais plus je n’attenterai aux jours du prince…

— Si je l’exige… Mon Dieu ! pouvez-vous en douter ?

— Eh bien !… je vous le jure sur vous (c’est pour moi le seul serment que je puisse faire), je vous jure sur vous de respecter les jours de M. de Hansfeld comme je respecterai les vôtres… — dit la bohémienne avec un air singulier et en regardant Paula comme si elle eût voulu pénétrer au plus profond de son cœur. — Mais si jamais vous vouliez épouser M. de Morville sans avoir à vous reprocher la mort du prince, mort à laquelle je serais aussi étrangère que vous…, dites un mot, ou plutôt… non, pas même une parole… — et Iris, jetant les yeux autour d’elle comme pour chercher quelque chose, et avisant sur la cheminée une épingle d’or surmontée d’une boule d’émail constellée de perles, elle la prit et ajouta : — Vous n’auriez qu’à me remettre cette épingle, et, sans qu’aux yeux de Dieu et des hommes ni vous, ni moi, fussions pour rien dans la mort du prince… vous pourriez épouser M. de Morville… Ce que je vous dis ne doit pas vous étonner… Vous n’avez pas d’autre désir que ce mariage, je n’ai pas d’autre désir que de vous voir heureuse.

Avant que la princesse pût lui répondre, Iris disparut.