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Pauvre petite !/VIII

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Paul Ollendorff (p. 113-122).
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VIII



Louise me fit demander le lendemain ; je n’osai pas m’excuser. Dès que je la vis, je fus étonnée du changement qui s’était opéré en elle. Ses yeux n’avaient sans doute goûté aucun repos, ils étaient secs, comme brûlés par la fièvre. Ce qui me frappa le plus ce fut sa parole entrecoupée :

— Jules a reçu des lettres anonymes ; il n’y attachait pas d’importance d’abord, mais il commence à être ébranlé !…

— Tu exagères sans doute encore ?

— Il y croit, te dis-je ; tiens, il y a environ six mois, il m’a menacée : « Si je savais que vous me trompez, m’a-t-il dit, je vous tuerais comme un chien. »

— C’est bien peu dans son caractère !

— Il est devenu nerveux, cependant je cède à tous ses caprices !

— Oh ! là, je t’arrête. Ses caprices se résument à vouloir faire acte de vie conjugale, et c’est avec acharnement qu’il se voit repoussé !

— Trop tard ! fit-elle avec un rire satanique.

— Pourquoi ? Il n’est jamais trop tard pour céder à un désir légitime ? Il croira que tu as vaincu la répulsion que tu avais pour lui.

— Trop tard ! répéta-t-elle en m’interrompant.

— Louise, repris-je froidement, je ne comprends pas.

— C’est inutile !… Mais non, au fait, tu es discrète, cela me soulagera !…

Il faut que tu sois au courant, parce qu’enfin il me répugne de te mentir aussi à toi ; toi, si loyale, si honnête… tu me fuiras, me haïras peut-être ! qu’importe à présent, j’ai pris un parti irrévocable.

Écoute, fit-elle en m’attirant contre elle et, d’une voix étrange, elle me dit ces mots en les scandant d’une façon solennelle et avec un effet voulu :

— Dom Pedro est resté longtemps ici, hier, après ton départ : il a fini par comprendre que mon amour l’enlacerait partout quoi qu’il fît ; il ne cherche plus à s’en dégager parce que l’immensité de cette affection le touche, et alors, c’est convenu, il partira, mais c’est pour préparer tout là-bas afin de me recevoir, car je ne peux… je ne veux plus vivre qu’avec lui, qu’avec… le père de mon enfant !… Oh ! tais-toi, Jeanne, je sais tout ce que tu vas me dire, pourquoi me déchirer le cœur inutilement : je te charge de consoler ma mère… et…

Elle ne put achever.

— Louise, m’écriai-je, dis-moi que ce n’est pas vrai, dis-moi que ce n’est pas possible, ou au moins que tu n’es pas sûre ?

— Absolument sûre. Et même il ne faut pas qu’il prolonge trop son absence… je ne pourrais peut-être plus le suivre.

— Si près du dénouement ! murmurai-je, et personne ne soupçonne rien ?

— Je suis tellement maigrie ! et puis regarde, à peine puis-je respirer dans mes vêtements !

Elle était redevenue calme et souriante, et moi, je me sentais pétrifiée. Pas un mot ne venait sur mes lèvres, je ne savais même plus l’aimer…

Était-ce de sa part cynisme ou énergie farouche ? Il me semblait en arriver à admettre ses idées de suicide ! J’aurais voulu crier à sa mère : « Venez, Madame, au nom du ciel, si vous tardez un instant, votre fille est perdue. Venez, il est peut-être encore temps de la sauver ! »

Combien ai-je vécu ces quelques minutes ! Il m’a semblé, en ce court espace de temps, effeuiller un siècle ! Un baiser, qui me brûla le front, me sortit de ce songe :

— Non ! fis-je en la repoussant.

Pour toute réponse, elle sourit et me tourna le dos, pour aller au-devant de sa mère que je n’avais pas vue entrer.

— Encore là ? Tu dînes donc bien tard ? me dit la comtesse de R…

— Mais non, Madame, c’est-à-dire oui ! Est-il donc si tard que cela ?

— Ah ! çà, qu’as-tu donc ? As-tu été par hasard témoin d’une scène de Jules avec Louise ? C’est qu’il n’est pas tous les jours commode, mon gendre !

— Oh ! Madame, Jules est si bon !

— Oui, bon pour toi, c’est possible, tu n’es pas sa femme ; pour Louise, c’est différent ! Aussi ai-je remarqué avec beaucoup de chagrin que la maigreur de ma fille augmente, elle pâlit beaucoup, tu le vois bien comme moi ?

— Moi, Madame ? oui ; au contraire !… non !…

— Ah ! par exemple, voilà qui est fort ! Vraiment, Louise, ajouta-t-elle en se tournant vers la « pauvre petite », qu’as-tu fait à ton amie ? Elle parle avec une incohérence, qui, heureusement ne lui est pas habituelle ? Ah ! mais, vois donc comme elle est rouge ?

En effet, je me sentais devenir écarlate, je souffrais visiblement et, sur une excuse banale, je la saluai, puis faisant semblant d’embrasser Louise je me sauvai avec bonheur.