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Pelham/05

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Pelham, ou les Aventures d’un gentleman (1828)
Hachette (Tome Ip. 20-22).


CHAPITRE V


Plusieurs jours se passèrent. J’avais fait tous mes efforts pour gagner les bonnes grâces de lady Roseville, et en tant que simple connaissance, je n’avais pas trop à me plaindre du succès de mes efforts. Mais il ne pouvait pas être question d’autre chose. Je m’en aperçus bientôt, malgré ma vanité (qui n’était pas mon moindre défaut). Son esprit avait une tournure complètement différente du mien ; elle semblait appartenir, je ne dirai pas à un meilleur, mais à un autre monde que moi. Nous n’avions pas une pensée, pas une opinion commune ; nous avions sur toutes choses des manières de voir absolument opposées. J’eus bientôt la conviction qu’elle était d’une nature tout à fait contraire à celle qu’on lui attribuait généralement, et qu’il y avait là-dessous tout autre chose que le pur mécanisme d’une femme du monde. Elle était douée d’une grande sensibilité, elle avait même un caractère romanesque, ses passions étaient vives, et son imagination plus vive encore. Mais la douce langueur de ses manières étendait sur ces replis profonds de son cœur un voile que ne pouvaient percer les regards d’un observateur superficiel.

Il y avait des moments où je croyais m’apercevoir qu’elle était intérieurement agitée et malheureuse ; mais elle était trop versée dans l’art de dissimuler pour laisser voir autre chose.

Je me consolai aisément, je l’avoue, de perdre l’occasion, dans ce cas particulier, d’une de ces bonnes fortunes auxquelles je suis accoutumé ; le fait est que je poursuivis un autre objet. Tous les hommes étaient grands amateurs de la chasse. C’est un genre d’amusement que je n’ai jamais beaucoup aimé. La première fois que j’ai pris en dégoût cette espèce de récréation raisonnée, c’était à une battue. Au lieu d’attraper quelque gibier, c’est moi qui fus attrapé. D’abord, comme une bouteille qu’on fait rafraîchir dans un seau à glace, je demeurai plongé trois heures durant dans un fossé plein d’eau. Ce n’est pas tout, pendant cette faction il m’arriva de recevoir deux coups de fusil dans mon chapeau : on le prenait pour un faisan, et un autre dans mes guêtres de cuir : on les prit pour un lièvre. Pour, couronner le tout, quand on s’aperçut de ces méprises successives, j’attendais au moins des excuses de ceux qui avaient attenté à mes jours de propos délibéré. Pas du tout, ils avaient l’air presque désappointés d’avoir manqué leur coup.

Sérieusement la chasse au fusil est un amusement barbare, bon pour les majors de régiment, les princes du sang, et autres gens de même espèce. Marcher, c’est déjà assez désagréable ; mais marcher avec un fusil sous le bras, une poire à poudre qui vous bat la hanche ! exposer sa vie à la merci des mauvais tireurs et à l’atrocité de ceux qui ne manquent pas leur coup, c’est à mon avis une fatigue douloureuse, égayée par la chance d’être tué.

Cette digression me mène à déclarer, que je ne me joignis jamais, ni aux célibataires fluets ni aux hommes à double menton qui battaient en long et en large les réserves de sir Lionel Garrett. Je pris l’habitude, au contraire, de faire de longues promenades tout seul, et j’en fus récompensé par un accroissement de force et de santé.

Un matin, la chance envoya sur mon chemin une bonne fortune, dont j’eus bien soin de profiter. À partir de ce moment la famille d’un fermier nommé Sinclair (l’un des tenants de sir Lionel) fut alarmée par des bruits étranges et surnaturels : une chambre occupée par une jeune personne de la famille, fut, de l’aveu même du clerc de la paroisse (une espèce d’esprit fort, plus que sceptique), spécialement reconnue pour être hantée par les esprits.

Les fenêtres de cette chambre s’ouvraient et se fermaient ; on entendait à l’intérieur des voix aériennes, et l’on en voyait sortir des ombres noires longtemps après que la jolie habitante de cette chambre s’était retirée comme le reste de la famille pour se livrer au repos. Mais la chose la plus étrange, ce fut la fatalité qui s’acharna après moi et sembla me marquer pour une mort prématurée. Moi qui me tenais si soigneusement hors de la portée des armes à feu en tant que chasseur, j’échappai à grand’peine, par deux fois, au danger d’être fusillé comme revenant. C’était là une trop chétive compensation du mal que je me donnais pour faire un chemin de plus d’un mille, par des nuits qui n’étaient ni étoilées, ni claires. Aussi pris-je la résolution de laisser là le rôle de revenant, non pas au figuré, mais au naturel, et de faire ma visite d’adieu à l’habitation du fermier Sinclair. La nuit où j’accomplis cette résolution fut l’une des plus mémorables de ma vie.

Il avait plu si abondamment pendant le jour que la route de la maison était devenue impraticable, et quand il fut temps de partir, je demandai avec une vive émotion, s’il n’y avait pas un chemin plus commode pour m’en retourner. La réponse fut satisfaisante, et ma dernière visite à la ferme de Sinclair fut terminée.