Pelham/09

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Pelham, ou les Aventures d’un gentleman (1828)
Hachette (Tome Ip. 34-35).


CHAPITRE IX


Je fus enchanté de me retrouver à Londres. Je me fis conduire d’abord à la maison de mon père dans Grosvenor-square. Toute la famille, c’est-à-dire ma mère et lui, était allée à H. et, malgré mon aversion pour la campagne, je crus pouvoir m’aventurer à aller jusque chez lady…, passer un ou deux jours. J’arrivai donc à H. C’est une habitation princière. Quel vestibule ! Quelle galerie ! Je trouvai ma mère au salon, admirant un portrait du feu roi. Elle s’appuyait sur le bras d’un grand jeune homme blond. « Henry, me dit-elle, en me présentant à lui, reconnaissez-vous votre ancien condisciple, lord George Clinton ?

— Certainement, dis-je (en réalité je ne me le rappelais pas du tout) ; et nous échangeâmes la poignée de main la plus cordiale du monde. Soit dit en passant, il n’y a pas de plus grande corvée, que d’être appelé à reconnaître des gens avec lesquels on a été au collège dix ans auparavant. D’abord, si vous n’avez pas été dans la même classe, c’est à peine si vous vous êtes connus et si vous vous êtes parlé. En second lieu, à supposer que vous ayez été dans la même classe, ce quelqu’un et vous, vous avez complètement changé de manière de voir depuis votre sortie du collège. En effet je n’ai jamais vu des camarades d’enfance se retrouver avec plaisir, après avoir conservé les mêmes goûts. Preuve évidente de la folie des gens qui envoient leurs fils à Eton et à Harrow pour y contracter des liaisons.

Clinton était à la veille de partir pour faire son tour d’Europe. Son intention était de rester un an à Paris et il était plein des rêves de bonheur qu’évoquait dans son esprit l’idée de voir cette ville. Nous passâmes toute la soirée ensemble, et nous prîmes un goût très-vif l’un pour l’autre. Longtemps avant d’aller me coucher, j’étais déjà gagné par la même passion que lui pour les aventures continentales et je lui avais à moitié promis de l’accompagner. Ma mère, lorsque je lui parlai de mes intentions de voyage, fut d’abord au désespoir, mais peu à peu elle se réconcilia avec cette idée.

« Votre santé sera fortifiée par un air plus pur, me dit-elle, et votre prononciation française est encore loin d’être correcte. Prenez bien soin de vous, mon cher enfant, et surtout dès votre arrivée, prenez Coulon pour maître de danse. »

Mon père me donna sa bénédiction et un bon sur son banquier. En trois jours tous mes arrangements avec Clinton furent faits et le quatrième jour je retournai avec lui à Londres. De là nous partîmes pour Douvres, où nous nous embarquâmes, et pour la première fois de notre vie, nous dînâmes sur la terre française, étonnés de trouver si peu de différence entre les deux pays, et surpris surtout d’entendre jusqu’aux petits enfants parler si bien le français. En arrivant à Abbeville ce pauvre Clinton tomba malade. Nous fûmes obligés de nous arrêter pendant plusieurs jours dans cette abominable ville ; enfin, sur l’avis des médecins, Clinton retourna en Angleterre. Je revins avec lui jusqu’à Douvres, ensuite, impatient de ce retard, je ne pris de repos ni jour ni nuit que je ne fusse enfin arrivé à Paris.

Jeune, bien né, d’assez bonne mine, la bourse bien garnie, et ne me refusant aucune des jouissances qu’on peut se procurer avec de l’argent, j’entrai dans Paris avec le pouvoir et la volonté de jouir pleinement de ces beaux jours qui nous échappent, hélas, si vite !