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Pelham/57

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Pelham, ou les Aventures d’un gentleman (1828)
Hachette (Tome Ip. 280-284).


CHAPITRE LVII


Tout en marchant pour rentrer chez moi, je repassais dans ma tête les détails de la scène dont je venais d’être témoin ; alors les paroles de Tyrrell me revinrent en mémoire. Si Glanville le haïssait, c’est que Tyrrell l’avait supplanté dans une liaison de jeunesse. Cette version ne me parut pas trop vraisemblable. D’abord, ce n’était pas là une cause suffisante pour un pareil effet ; en second lieu, il était peu probable qu’un homme jeune et riche comme l’était Glanville, doué de tous les moyens de plaire, remarquablement beau, eût été supplanté par un pauvre débauché grossier de manières, d’un esprit inculte, et vieilli avant l’âge.

Pendant que je méditais sur ce mystère qui excitait ma curiosité autant que puisse être excitée la curiosité d’un homme sage par un évènement qui ne le touche pas directement, je fus accosté par Vincent. La différence de nos opinions politiques nous avait depuis quelque temps éloignés l’un de l’autre ; aussi fus-je quelque peu surpris de le voir s’emparer amicalement de mon bras et m’emmener du côté de Bond-Street.

« Écoutez-moi, Pelham, me dit-il, je vous ai déjà offert un établissement dans notre colonie. Il y aura bientôt de grands changements ; croyez-moi, un parti aussi radical que celui auquel vous vous êtes donné ne peut pas triompher ; le nôtre, au contraire, est à la fois modéré et libéral. Décidez-vous, il n’est que temps ; je sais que vous allez bientôt exposer en public vos opinions plus ouvertement que vous ne l’avez fait jusqu’ici, et alors il sera trop tard. À présent je maintiens avec Hudibras et les anciens qu’il est bien plus honorable de : sauver un citoyen que de tuer un adversaire.

— Hélas ! Vincent ! lui dis-je, je suis marqué pour le massacre, car vous ne pouvez me convaincre par des paroles, et il ne vous reste plus que les coups pour venir à bout de moi. Adieu, je vais chez lord Dawton, et vous, où allez-vous ?

— Je monte à cheval, et je vais rejoindre parca juventus, » dit Vincent en riant lui-même de sa plaisanterie. Nous nous serrâmes la main et partîmes chacun de notre côté.

Je suis vraiment désolé, cher lecteur, de ne pouvoir t’initier à tous les détails de mes intrigues politiques.

Le rôle actif que je dus jouer alors m’impose une grande réserve à l’endroit des manœuvres dont je fus témoin et acteur, et des principaux personnages qui en dirigeaient l’exécution. Il suffira de dire que la plus grande partie de mon temps était furtivement employée à une sorte de diplomatie intime qui flattait également mon goût pour l’activité, et ma vanité. J’avais inspiré à Dawton et à ses collègues une estime exagérée pour mon habileté. Je trouvai moyen de me soutenir à cette hauteur : je me levais avant le jour et j’employais au travail le plus soutenu, les heures que tous les autres membres de notre parti gaspillaient dans un sommeil énervant, fruit de la dissipation et des débauches de la veille. Débattait-on une question d’économie politique, mon argumentation était toujours la plus vive et la plus claire ; s’agissait-il d’examiner une période de notre histoire parlementaire, c’était moi que l’on chargeait d’en faire l’exposition. Grâce à madame d’Anville, avec laquelle j’avais des rapports constants (non plus comme soupirant mais comme ami), j’étais au courant, jusque dans les moindres détails, des projets et des manœuvres de la cour où se passait la plus grande partie de sa vie et où son mari était chargé de missions secrètes et très-importantes. Je n’épargnai rien pour étendre mes connaissances sur les points les plus minutieux et ajouter ainsi à la réputation dont je jouissais. Je me renseignais sur le caractère et la vie des individus qu’il était de notre intérêt d’intimider ou de gagner à notre cause. C’était moi qui étais chargé de recruter et d’amener à la chambre, les plus jeunes et les plus dissipés des députés, que des agents plus accrédités et plus puissants que moi ne pouvaient pas arracher au jeu de paume ou à la roulette.

Enfin, tout en conservant, grâce à ma naissance, à ma hauteur et à l’indépendance de mes manières, mon rang parmi les personnages les plus élevés de ce parti, je ne me faisais pas scrupule de me mettre au niveau des plus humbles par mon travail et par mon activité… Dawton disait que j’étais son bras droit ; au fond, j’étais plutôt sa tête que son bras, mais je paraissais très-flatté de son compliment.

Cependant, je prenais plaisir à montrer dans le monde l’excentricité de costume et de caractère que j’avais adoptée tout d’abord, et à cultiver ce grand art de faire sourire les femmes, où je trouvais le plaisir et l’encouragement qui me soutenaient dans mes luttes les plus sérieuses contre les hommes. Devant Hélène Glanville seule, je déposais cette affectation qui, je le savais, avait peu de chances de réussir auprès d’une personne d’un goût si pur et si délicat. Je découvris en elle non-seulement une âme charmante, pleine de candeur et de fraîcheur, mais un esprit élevé et profond. Elle était, au fond du cœur, peut-être aussi ambitieuse que moi, mais avec cette différence que mes aspirations étaient masquées par mon affectation, tandis que les siennes étaient adoucies par sa timidité et purifiées par sa piété. Il y avait des moments où je m’ouvrais à elle et où je puisais dans la sympathie et dans l’enthousiasme de ses regards, une force nouvelle.

Oui, me disais-je, je désire les honneurs mais c’est pour qu’elle les partage et qu’elle les ennoblisse. En un mot j’aimais comme aiment les autres hommes, et je me plaisais à mettre en elle une perfection, et à puiser dans cet amour une émulation, dont le temps devait montrer plus tard les effets.

Où me suis-je laissé ? comme dit l’Irlandais, je me suis laissé au moment où je me rendais chez lord Dawton. J’eus le bonheur de trouver chez lui ce personnage ; il était occupé à écrire sur une table couverte de brochures et de rapports.

« Chut ! Pelham, me dit Sa Seigneurie qui était un petit homme, grave, à l’air méditatif, et qui semblait toujours ruminer ; chut ! faites-moi donc le plaisir de chercher dans ce livre, la date du concile de Pise.

— C’est bien, mon jeune ami, me dit Sa Seigneurie une fois en possession du renseignement qu’elle me demandait ; je voudrais pour tout au monde avoir fini cette brochure pour demain ; c’est une réponse à… mais je suis si occupé que…

— Peut-être, lui dis-je, en lui demandant pardon de l’interrompre, pourrai-je réunir vos notes et, de vos feuilles sibyllines, faire un volume. Votre Seigneurie fournira la matière et moi la main-d’œuvre. »

Lord Dawton se confondit en remercîments ; il me développa le sujet de sa brochure et me laissa entièrement libre de lui donner la forme que je voudrais. Il n’avait pas la prétention de me le dicter. Je lui promis, s’il me fournissait pour cela les livres nécessaires, de lui livrer la brochure entièrement finie, pour le lendemain soir.

« Et maintenant, me dit lord Dawton, que nous avons arrangé cette affaire, quelles nouvelles de France ? »

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« Je pense, me dit tout bas lord Dawton en récapitulant les forces de son parti, qu’il nous faut gagner lord Guloseton.

— Quoi, ce facétieux disciple d’Épicure ?

— Lui-même, nous avons besoin d’un homme qui donne des dîners, il fait bien notre affaire ; du reste, il dispose de quatre voix à la chambre.

— Bien ! il est indolent et indépendant, l’affaire n’est pas impossible.

— Vous le connaissez ?

— Non. »

Dawton soupira. « Et le jeune A*** ? me dit l’homme d’État, après une pause.

— Il a une maîtresse qui le ruine, et il fait courir. Votre Seigneurie peut être sûre que tant qu’elle sera au pouvoir il lui appartiendra, et que sitôt qu’elle n’y sera plus, il ne faudra plus compter sur lui.

— Et B*** ? me dit Dawton.

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