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Pelham/58

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Pelham, ou Aventures d’un gentleman
Hachette (Tome IIp. 1-11).


CHAPITRE LVIII


Ma brochure eut un succès prodigieux. On en attribua la paternité à l’un des membres les plus habiles de l’opposition, et quoiqu’il y eût çà et là quelques écarts de style et (j’y pense maintenant, mais alors je n’y songeais guère, autrement je ne les aurais pas commis) quelques sophismes ; cependant elle atteignit le but que se propose l’ambition dans tous les genres, elle fut goûtée du public.

Quelque temps après, je descendais l’escalier du cercle d’Almack, lorsque j’entendis une altercation vive et bruyante qui avait lieu à l’entrée du salon de réception. À ma grande surprise, je vis lord Guloseton et un très-jeune homme, tous deux fort courroucés. Ce dernier venait pour la première fois à Almack et il avait oublié d’apporter sa carte d’introduction. Guloseton, qui appartenait à un tout autre monde que celui d’Almack, prétendait que son nom seul devait servir de garantie et d’introduction à son jeune ami. L’inspecteur des billets était irrité et inflexible. Comme il avait vu rarement ou peut-être même jamais lord Guloseton lui-même, il ne tenait aucun compte de son nom et de son autorité.

Comme je prenais mon manteau pour sortir, Guloseton s’adressa à moi, car la passion rend les hommes communicatifs. Enchanté d’avoir une bonne occasion de faire la connaissance de cet Épicurien, je m’offris à faire ouvrir les portes du cercle à son ami à l’instant même. L’offre fut acceptée avec empressement, et grâce à un mot écrit au crayon par lady*** le gardien des enfers, Caron, fut apaisé, et le malheureux put traverser tranquillement le Styx pour pénétrer jusqu’à l’Élysée.

Guloseton m’accabla de remercîments. Je remontai l’escalier avec lui, je manœuvrai de façon à me mettre dans ses bonnes grâces, je me fis inviter à dîner, pour le lendemain, et je revins enchanté de ma bonne fortune.

À huit heures du soir, le lendemain, je faisais mon entrée dans le salon de lord Guloseton. C’était un petit appartement meublé avec un grand luxe et avec assez de goût. Une Vénus du Titien, placée au-dessus de la cheminée, étalait la richesse et les grâces voluptueuses de sa beauté sans voile. De chaque côté se voyait un tableau à la touche délicate et aux tons dorés, de Claude le Lorrain ; c’étaient les seuls paysages qu’il y eût dans ce salon. Les autres tableaux étaient plus en harmonie avec la Vénus du luxurieux Italien. Il y avait un chef-d’œuvre de Peter Lely, une admirable copie du tableau : Héro et Léandre ; sur la table les Basia de Johannes Secundus et quelques ouvrages français sur la gastronomie.

Quant au genius loci, figurez-vous un homme de taille moyenne, d’un âge moyen, ayant les apparences d’une santé plutôt délicate que florissante. À le voir, rien n’annonçait qu’il fût adonné à la bonne chère. Ses joues n’étaient ni gonflées ni bouffies, son corps sans être mince, était cependant d’une obésité légère à porter, l’extrémité de son organe nasal avait, il est vrai, une teinte un peu plus rouge que le reste ; son front était haut et chauve, et quelques mèches qui l’ombrageaient encore étaient disposées avec art et bouclées à l’antique. Une paire de gros sourcils grisonnants que ce noble personnage avait, on ne sait pourquoi, l’habitude de relever et d’abaisser alternativement en parlant, protégeaient deux petits yeux ronds, perçants, malins, d’un vert tendre, qui roulaient sans cesse dans leurs orbites. Sa large bouche et ses lèvres épaisses, toujours souriantes, avaient une expression sensuelle.

Tel était lord Guloseton. À ma grande surprise, je ne vis pas paraître d’autre invité que moi.

« Un nouvel ami, me dit-il, comme nous descendions à la salle à manger, est comme un nouveau plat, il ne faut le partager avec personne si l’on veut en jouir et le déguster comme il faut.

— Voilà un noble précepte, lui dis-je avec enthousiasme. De tous les vices, le plus pernicieux est une hospitalité où l’on admet tout le monde sans distinction. Elle ne nous permet ni de causer ni de dîner ; et, réalisant la fable mythologique de Tantale, elle nous laisse mourir de faim au milieu de l’abondance.

— Vous avez raison, me dit Guloseton d’un air solennel, je n’invite jamais plus de six personnes à dîner, et je ne dîne jamais hors de chez moi ; car un mauvais dîner, monsieur Pelham, un mauvais dîner est la plus sérieuse, je le répète, la plus sérieuse de toutes les calamités.

— Oui, répliquai-je, car c’est une calamité sans remède ; un ami enterré peut être remplacé par un autre, l’honorabilité même se regagne, et l’on peut réparer une constitution délabrée. Un dîner perdu ne se remplace jamais, il en faut faire son deuil. L’appétit une fois chassé ne saurait revenir avant que l’estomac ait accompli de nouveau le travail long et compliqué qui le rend apte au grand œuvre de la digestion.

— Vous parlez comme un oracle, comme « l’Oracle des cuisiniers, » monsieur Pelham. Voulez-vous de ce potage à la Carmélite ? Mais qu’allez-vous faire de cet étui ?

— Cet étui, lui dis-je, contient ma cuillère, mon couteau et ma fourchette. La nature m’a affligé d’un défaut auquel je tâche de remédier par l’art, voilà pourquoi je me sers de ces instruments ; autrement dit je mange trop vite. C’est une très-malheureuse infirmité, car cela vous force à engloutir en une minute ce que l’on devrait savourer pendant cinq minutes à loisir. C’est un vice qui émousse le plaisir et qui l’abrège, c’est une affreuse profanation, une triste dilapidation d’un des bienfaits les plus précieux dont nous ait gratifiés la Providence. Aussi avais-je la conscience tourmentée ; mais cette habitude invétérée et datant de ma première enfance était difficile à vaincre. À la fin je résolus d’inventer pour mon usage une cuillère de si petite dimension, et une fourchette si mignonne, que je ne pusse porter à ma bouche que de très-petits morceaux ; et un couteau tellement émoussé et ébréché, que je fusse obligé de prendre un temps raisonnable pour découper les biens gastronomiques que le ciel mettrait à ma portée. Mylord, l’aimable Thaïs est assise près de moi sous la forme d’une bouteille de madère, permettez-moi d’en boire un verre avec vous.

— Avec plaisir, mon bon ami ; buvons à la mémoire des Carmélites à qui nous devons ce potage inimitable.

— Oui, m’écriai-je, laissons de côté les préjugés de sectes, et rendons justice à ces solitaires incomparables, qui, retirés loin des soucis, des vanités et des péchés de ce monde, se consacrèrent avec un zèle et une ardeur pieuse à perfectionner la théorie et la pratique de la science gastronomique. Il nous était réservé de payer un juste tribut de reconnaissance à la mémoire de ces illustres reclus qui, au milieu des horreurs et des ténèbres de la barbarie, enfermés dans la solitude de leurs cloîtres, nous ont gardé intacts le dépôt et la tradition du luxe et des délicatesses romaines, dont grâce à eux nous avons encore aujourd’hui le secret. Buvons donc à la secte des Carmes, mais buvons aussi aux moines en général. Si nous avions vécu à cette époque, nous aussi nous aurions été moines !

— C’est une chose bien curieuse, me dit lord Guloseton, (entre parenthèse, comment trouvez-vous ce turbot ?) que l’histoire de la cuisine. On y trouve de puissants enseignements de morale et de philosophie. Les anciens paraissent avoir apporté plus de spiritualisme et d’imagination pure que nous, dans l’invention de leurs mets. Ils nourrissaient leur corps, comme leur esprit, d’illusions ; par exemple ils attachaient un prix inestimable aux langues de rossignols, et en mangeant l’organe musical de ces oiseaux ils se figuraient déguster leur musique même. C’est là ce que j’appelle la poésie de la gastronomie.

— Oui, lui dis-je avec un soupir, ils ont sans doute eu l’avantage sur nous en quelques points. Qui pourrait songer sans regrets et sans envie aux fameux soupers d’Apicius ? Le vénérable Ude insinue que cet art n’a pas fait de progrès. La cuisine (dit-il, dans la première partie de son ouvrage) ne compte que peu de novateurs.

— C’est avec la plus grande défiance de nous-mêmes, me dit Guloseton, la bouche pleine de vérités et de turbot, que nous devons nous hasarder à être d’un avis différent de celui de ce grand homme. En vérité, ma vénération pour son autorité et sa sagesse est telle que, si j’avais d’un côté l’évidence et la raison, de l’autre la parole du grand Ude, j’inclinerais, que dis-je ? je me sentirais déterminé à passer quand même de son côté.

— Bravo ! lord Guloseton, m’écriai-je avec enthousiasme, qu’un cuisinier est un mortel divin ! Pourquoi ne serions-nous pas fiers de nos connaissances en cuisine ? n’est-ce point l’âme des fêtes en tout temps et à tout âge ? Combien de mariages ont été le résultat d’un dîner de gala ! Combien de bonnes fortunes ont été la conséquence d’un bon souper ! À quel moment de notre existence sommes-nous plus heureux que quand nous sommes à table ? Là, toute haine, toute animosité sommeillent, et le plaisir règne seul. Là, le cuisinier habile et attentif sait aller au-devant de nos goûts par le choix heureux des mets et la décoration élégante de la table. Là, nous trouvons la satisfaction de nos désirs ; notre esprit et notre corps se retrempent, et nous devenons aptes à goûter les délices de l’amour, de la musique, de la poésie, de la danse et de tous les plaisirs. Est-il juste de reléguer l’homme dont le talent a produit de si beaux résultats, au rang infime de simple domestique ?

— Oui, s’écrie le vénérable maître lui-même, dans un vertueux et prophétique paroxysme d’indignation : oui, mes disciples, si vous suivez attentivement les préceptes que j’ai formulés, l’amour-propre des hommes finira par être vaincu et ils avoueront à la fin, que la cuisine doit être rangée au nombre des sciences, et que ceux qui la professent méritent le nom d’artistes.

— Cher, cher monsieur, me dit Guloseton dans un élan chaleureux et sympathique, je découvre en vous des sentiments semblables aux miens. Buvons ensemble à la prolongation des jours du vénérable Ude.

— De tout mon cœur, lui dis-je, en remplissant mon verre jusqu’au bord.

— Quel malheur, reprit Guloseton, qu’Ude dont la science pratique était si parfaite, ait écrit ou laissé écrire par d’autres l’ouvrage qui a été publié sous son nom ! Il est vrai que l’introduction dont vous venez de réciter un passage avec tant d’âme, est composée avec une grâce et un charme inimitables ! mais les préceptes du livre sont insipides et même si erronés parfois, que nous avons lieu d’en suspecter l’authenticité. Mais, après tout, la cuisine n’est pas susceptible de devenir jamais une science écrite ; c’est une philosophie pratique.

— Ah ! par Lucullus, m’écriai-je, en interrompant mon hôte, que voilà une Béchamelle idéale ! oh ! quelle inimitable sauce ; voilà des poulets dignes de l’honneur qu’on leur a fait de les servir sur votre table ! Mylord, croyez-moi, de votre vie n’acceptez de poulet à la campagne :


J’ai toujours redouté la volaille perfide
Qui brave les efforts d’une dent intrépide,
Souvent par un ami dans les champs entraîné,
J’ai reconnu le soir le coq infortuné
Qui m’avait le matin, à l’aurore naissante,
Réveillé brusquement de sa voix glapissante ;
Je l’avais admiré dans le sein de la cour ;
Avec des yeux jaloux j’avais vu son amour.
Hélas, le malheureux, abjurant sa tendresse,
Exerçait au souper sa fureur vengeresse.


Pardonnez la longueur de ma citation en faveur de son à-propos.

— Je pardonne, je pardonne, me répondit Guloseton en riant de bon cœur de cette tirade ; puis s’arrêtant tout à coup, il me dit : Soyons sérieux, monsieur Pelham, il ne faut pas rire, cela pourrait troubler notre digestion.

— C’est vrai, répondis-je en reprenant mon sérieux, et si vous voulez me permettre encore une citation, vous verrez ce que dit mon auteur d’un dîner interrompu :


Défendez que personne, au milieu d’un banquet,
Ne vous vienne donner un avis indiscret,
Écartez ce fâcheux qui vers vous s’achemine :
Rien ne doit déranger l’honnête homme qui dîne.


— Admirable précepte ! dit Guloseton qui était aux prises avec un filet mignon de poulet. Vous rappelez-vous ce que fit le bailly de Suffren, alors qu’il était dans l’Inde, un jour qu’il fut dérangé de son dîner par une députation de gens du pays. « Dites-leur, répondit-il, que la religion chrétienne défend formellement à tout chrétien, lorsqu’il est à table, de s’occuper d’autre chose que de manger. » La députation se retira pénétrée du plus profond respect pour la dévotion de l’amiral français.

— Très-bien, dis-je après que nous nous fûmes épanouis gravement et tranquillement pendant quelques minutes pour donner à notre digestion le temps de bien s’établir ; très-bien, l’invention était bonne assurément, mais l’idée n’était pas absolument neuve, car les Grecs estimaient que manger et boire copieusement c’était rendre hommage aux Dieux. Aristote explique le sens du mot Θοιναι qui veut dire festins, par une dissertation étymologique d’où il résulte que l’on regardait comme un devoir de l’homme envers la Divinité, de s’enivrer ; cela donne assez bonne idée de nos modèles classiques de l’antiquité. Dans le Cyclope d’Euripide, Polyphème, qui était sans aucun doute un profond théologien, dit que son estomac est son seul Dieu ; Xénophon nous apprend que les Athéniens dépassant tous les autres peuples par le nombre de leurs divinités, les dépassaient également par le nombre de leurs festins. Votre Seigneurie veut-elle que je lui serve une de ces cailles ?

— Pelham, mon enfant, dit Guloseton dont les yeux commençaient à rouler dans leurs orbites et à briller d’un éclat proportionné à la quantité et à la variété des liquides qu’il s’était assimilés, j’aime votre littérature classique. Polyphème était un garçon d’esprit, de beaucoup d’esprit, et ç’a été une indignité de la part d’Ulysse de lui crever l’œil. Il n’est pas étonnant que cet ingénieux sauvage se fît un dieu de son estomac ; n’était-ce pas pour lui sur cette terre, la source d’où découlaient visiblement les plaisirs les plus vifs, les délices les plus ravissantes et les plus constantes ? Il était tout naturel qu’il honorât cette source de jouissances et qu’il lui fît des offrandes pieuses ; imitons un si bel exemple. Faisons des réceptacles de notre digestion, un temple auquel nous consacrerons les biens les plus précieux que nous possédions ; qu’il n’y ait point de sacrifice pécuniaire trop grand pour nous quand il s’agira de faire à notre autel un don digne de notre divinité ; regardons comme une impiété d’hésiter en face d’une sauce extravagante ou d’un ortolan hors de prix ; et que le dernier acte de notre existence sublunaire soit un festin solennel en l’honneur de notre estomac, notre bienfaiteur de tous les jours.

— Amen, dis-je, l’épicuréisme en gastronomie est la clef de toute moralité. En effet, ne voyons-nous pas combien on est coupable de se laisser aller à une intempérance exagérée et dégoûtante ? Ne serait-ce pas faire preuve d’une ingratitude impardonnable envers cette grande source de jouissances que de la surcharger d’un poids qui l’oppresserait, la rendrait languissante, harassée, et lui ferait souffrir de cruelles douleurs ; et enfin de couronner cette œuvre impie par l’ingurgitation de quelque boisson nauséabonde dont le résultat serait de révolter notre divinité, de la torturer, de la bouleverser, de l’irriter, de l’affaiblir et de porter le trouble dans tout son être. Combien nous avons tort de nous abandonner à la colère, à la jalousie, aux projets de vengeance et à toutes les mauvaises passions ; en effet tout ce qui agit sur l’esprit ne réagit-il pas en même temps sur l’estomac ? Et comment pouvons-nous être assez vicieux, assez endurcis, pour oublier, un seul instant, nos devoirs envers ce que vous avez si justement désigné sous le nom de notre bienfaiteur perpétuel.

— Vous avez raison, me dit lord Guloseton, buvons une rasade à la moralité de l’estomac. »

On servit le dessert. « J’ai bien dîné, dit Guloseton en étendant les jambes avec un air de suprême satisfaction. Mais (et ici mon philosophe soupira profondément) nous ne pouvons plus dîner d’ici à demain ! Heureux, trois fois heureux, le menu peuple qui peut souper ! Plût au ciel que j’eusse un appétit perpétuel. Hélas ! instabilité des joies humaines ! Mais puisque pour le moment nous n’avons plus rien à désirer, livrons-nous à des joies rétrospectives. Que pensez-vous du veau à la Dauphine ?

— Permettez-moi d’hésiter à donner mon avis avant d’être éclairé par le vôtre.

— Eh bien, à dire vrai, j’avoue que j’ai été quelque peu mécontent, désappointé, à l’endroit de ce plat ; le fait est que le veau doit être tué dès sa plus tendre enfance. On le laisse trop grandir ; il devient alors quelque chose d’hybride qui n’a du veau que l’insipidité, et du bœuf que la dureté.

— Oui, lui dis-je, la seule supériorité des Français sur nous est dans le veau. Toutes leurs autres viandes manquent de ce jus rouge, de cette fraîcheur et de cette élasticité qui caractérisent les nôtres.

— Monsieur L*** convient de ce fait avec une candeur digne de sa grande âme. Mon Dieu ! quel Bordeaux ! quel corps, et permettez-moi d’ajouter quelle âme !

— Ce vin-là n’est pas fait pour être bu, il ne devrait être permis que de le goûter. Est-il possible, mylord, qu’il ne soit point d’usage de servir des parfums au dessert, ne seraient-ils pas bien là à leur place ? La confiserie (délicate invention des sylphes) imite la forme de la rose et celle du jasmin ; pourquoi n’emprunte-t-elle pas leurs odeurs ? Qu’est-ce que la nature sans parfums ? Tant que notre dessert en sera privé, c’est en vain que le Barde s’écriera :


… L’observateur de la belle nature
S’extasie en voyant des fleurs en confiture !


— Vous avez eu là une idée exquise, dit Guloseton, et la première fois que nous dînerons ensemble, nous aurons des parfums. Un dîner digne de ce nom doit s’adresser à tous les sens à la fois :


Joie au cœur, au toucher, au goût, à tous les sens !


Après un instant de silence, — Mylord, lui dis-je, quelle succulence dans cette poire ! Cela ressemble au style des vieux poëtes anglais. Que pensez-vous de la bonne entente apparente qui a lieu entre M. Gaskell et les Whigs.

— Je m’en tourmente, peu, répliqua Guloseton en se servant des confitures, la politique trouble la digestion. »

Bien, me dis-je, si je m’attaque à l’épicuréisme de cet homme, je n’en tirerai rien ; attaquons-le sur un autre point ; tous les hommes sont vains, il s’agit de découvrir où mon hôte met sa vanité.

« Les Ultra-Tories, lui dis-je, affectent une sécurité absolue ; ils ne tiennent aucunement compte des membres du juste milieu. L’autre jour, lord *** me disait qu’il s’inquiétait fort pou de M. *** quoiqu’il disposât de quatre voix. Vit-on jamais pareille arrogance !

— Certes ! dit Guloseton, d’un air de nonchalance et de profonde indifférence. Aimez-vous les olives ?

— Non, lui dis-je, je ne les aime pas ; ce goût aigre mêlé à une saveur huileuse, offense la délicatesse de mon palais. Mais, comme je vous le disais, les Whigs au contraire se mettent en frais pour leurs partisans ; c’est un parti dont un homme d’un rang élevé et d’une grande fortune jouissant de quelque influence parlementaire n’aurait pas de peine à devenir le chef, sans encourir aucun des ennuis attachés en général à une pareille situation.

— C’est très-possible, » dit Guloseton d’un air assoupi.

Il faut que je change de batterie, me dis-je. Tandis que je songeais à un nouveau plan d’attaque, un domestique entra et me remit le billet suivant.


« Au nom du ciel, Pelham, descendez ; je vous attends dans la rue, venez à l’instant si vous ne voulez pas qu’il soit trop tard pour me rendre le service que j’attends de vous. »

« R. Glanville. »


Je me levai aussitôt. « Excusez-moi, dis-je à lord Guloseton, on me demande sans retard.

— Ha ! ha ! fit le gourmand en riant, je sais ce que c’est, quelque gibier appétissant : Post prandia Callirhoë !

— Mon cher lord, lui dis-je, sans répondre à son insinuation, je suis au désespoir de vous quitter.

— Et moi de vous voir partir ; c’est une véritable bonne fortune que d’avoir à dîner une personne comme vous.

— Adieu ! mon hôte. — Je sais vivre et manger en sage. »