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Pelham/73

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Pelham, ou Aventures d’un gentleman
Hachette (Tome IIp. 136-145).


CHAPITRE LXXIII


Je me levai de bonne heure comme à mon ordinaire ; le sommeil avait servi à calmer, et, je l’espère, aussi à améliorer mes sentiments. J’avais eu le loisir de réfléchir que n’ayant embrassé mon parti par aucun motif privé ou intéressé, ce n’était pas par un motif privé ou intéressé non plus qu’il m’était permis de l’abandonner. Nos passions sont de terribles sophistes ! Quand Vincent m’avait dit, la veille, que c’était des hommes, et non des principes que j’aurais à me séparer, et qu’un tel divorce méritait à peine le nom de changement, mon cœur avait adopté ce sophisme, et l’avait pris pour une vérité.

Mais maintenant je commençais à en reconnaître l’illusion ; si le gouvernement était aussi parfait dans son mécanisme qu’il est loin de l’être (quoique j’aie la confiance qu’il peut le devenir), peu importerait quelles pures machines régleraient ses ressorts. Mais le caractère principal d’une constitution comme la nôtre est l’incertitude. Les hommes y proportionnent invariablement les mesures de leur politique à la hauteur de leur talent ou de leurs désirs ; et au rebours de la maxime du tailleur, les mesures y font rarement l’homme. Il ne fallait donc pas une grande pénétration pour voir combien il était dangereux de confier aux préjugés aristocratiques de Lincoln, ou à la véhémente imbécillité de Lesborough, l’exécution des mêmes mesures qui pouvait être remise en toute sécurité au sens droit de Dawton, et, surtout aux talents éminents et variés de ses auxiliaires. Mais la différence vitale entre les deux partis était moins dans les chefs que dans la masse. Sous la bannière de Dawton étaient enrôlés les hommes les meilleurs, les plus purs, les plus sages du jour. Ils prenaient sur eux l’initiative de toutes les mesures actives, et lord Dawton était simplement leur instrument. L’esprit droit, sans prétention, un peu faible de lord Dawton, cédait volontiers aux plus capables de son parti une autorité qu’il était si désirable qu’ils exerçassent. Dans le parti de Vincent au contraire, à l’exception de lui, il y avait à peine un individu qui eût l’honnêteté requise pour s’intéresser aux projets qu’ils faisaient semblant de prendre au sérieux, ou les talents nécessaires pour les amener à bien ; ni l’arrogant Lincoln, ni son brusque et despote compagnon Lesborough, n’étaient de trempe à souffrir cette tranquille mais puissante intervention des autres à laquelle Dawton se soumettait sans hésiter.

Je n’en étais que plus résolu à rendre toute la justice possible au parti de Dawton, en me sentant une inclination naturelle qui m’entraînait vers l’autre. Car dans toutes les matières où la vanité blessée et l’intérêt personnel peuvent se trouver en jeu, j’ai toujours appelé toute la maturité de mes réflexions sur l’examen particulier du côté de la question que ces mauvais conseillers sont le moins disposés à faire valoir. Pendant que je me sentais peu à peu mais sûrement entraîné vers une décision, je reçus de Guloseton le billet suivant :


« Je ne vous ai rien dit hier soir de ce qui va faire le sujet de ma présente lettre, de peur que vous ne fussiez tenté de l’imputer plutôt à l’effet subit des vapeurs du vin, qu’à ma sincère estime pour votre esprit, à ma sincère affection pour votre cœur, à ma sympathie sincère pour votre ressentiment et vos intérêts.

« On me dit que le triomphe de lord Dawton ou sa déconfiture dépendent entièrement du succès de la motion sur la question de ***, qui doit être présentée à la Chambre des Communes, le ***. Je me soucie fort peu, vous le savez, pour mon propre compte, de la façon dont cette question sera décidée ; ne pensez donc pas que je fasse aucun sacrifice en vous demandant de me permettre de suivre votre avis pour disposer de mes quatre voix. J’imagine, naturellement, que vous ne serez pas fâché qu’elles suivent le parti opposé à lord Dawton ; et sur le reçu d’une ligne de votre main à cet effet, mes quatre voix recevront leur direction.

« Ayez l’obligeance aussi, je vous prie, de prendre sur vous tout le mérite de cette mesure, et de dire (partout où cela peut vous être utile) que les votants et leur influence sont à votre discrétion. J’ai la confiance que nous ferons voir à ce dragon que Bel n’est pas mort, et que nous le renverserons de son piédestal.

« Plaignez-moi, mon cher ami ; je dîne aujourd’hui en ville, et je sens déjà, à un frisson intuitif, que la soupe sera froide et que le xérès sera chaud. Adieu.

Tout à vous,
« Guloseton. »


Maintenant, donc, mon triomphe, ma vanité et ma vengeance pouvaient se trouver satisfaits. Devant moi se présentait une occasion d’or pour déployer ma propre puissance et humilier celle du ministre. Ma poitrine se gonflait à cette pensée. Qu’on me pardonne, si, pour un moment, tous mes calculs de haute moralité s’évanouirent, et si je ne vis plus que l’offre de Vincent et la générosité de Guloseton. Cependant je réprimai les élans de mon cœur et je forçai mon esprit orgueilleux à l’obéissance.

Je plaçai la lettre de Guloseton devant moi ; et, comme je la relisais pour y répondre, la bonté désintéressée et la délicatesse d’un homme que j’avais longtemps, dans l’injustice de mes pensées, taxé d’égoïsme, se présentèrent à moi avec tant de force, et contrastèrent si profondément avec l’inanité d’autres amis plus retentissants qui faisaient grand bruit de leur dévouement et de leurs principes que mes yeux se remplirent de larmes.

Mille déceptions font moins de peine qu’un bon procédé ne fait de plaisir.

J’écrivis en réponse une lettre bien sentie de remercîments empressés pour une offre dont la bonté m’avait pénétré jusqu’au fond de l’âme. Je détaillai avec quelque étendue les motifs qui m’avaient amené à la décision que j’avais prise ; j’esquissai aussi la nature de l’importante motion qu’on allait présenter à la Chambre, et fis voir combien, en conscience, il m’était impossible de m’opposer au parti de lord Dawton dans le débat. Je terminai en répétant les expressions que me suggérait ma reconnaissance ; et après avoir décliné toute influence sur les voix de Guloseton, je me hasardai à ajouter que, si j’avais voulu en faire usage, c’eût été pour appuyer Dawton, non comme homme, mais comme ministre, non comme ami personnel, mais comme serviteur des intérêts de l’État.

Je venais d’expédier cette lettre quand Vincent entra, je le mis au fait de ma détermination, quoique de la manière la plus respectueuse et la plus amicale. Il parut grandement désappointé et essaya d’ébranler ma résolution ; mais quand il vit que tout était inutile, il finit par sembler satisfait, et même touché de mes raisons. Quand nous nous séparâmes, ce fut avec la promesse réciproque qu’aucun différend politique ne viendrait altérer de nouveau l’estime que nous avions l’un pour l’autre.

Lorsque je me retrouvai seul et que je me vis ramené au pied même de l’échelle que j’avais gravie si haut et si heureusement, quand je vis qu’en rejetant toutes les ouvertures de mes amis, j’étais laissé totalement seul et sans secours au milieu de mes ennemis, quand je regardai au delà et que je n’aperçus pas la plus faible lueur d’espérance, pas un marchepied pour me remettre en selle et recommencer ma carrière brisée dès le début, peut-être une atteinte de regret me traversa-t-elle l’esprit. Mais il y a un merveilleux réconfort dans une bonne conscience, et l’on apprend bientôt à regarder avec confiance dans l’avenir, quand on se sent autorisé à jeter les yeux avec orgueil sur le passé.

Mon cheval arriva à la porte à l’heure habituelle de mes promenades ; avec quelle joie je m’élançai sur son dos ! je sentis le grand air rafraîchir mes joues fiévreuses et je courus vers les avenues de verdure qui bordent la grande cité du côté de l’ouest. Je ne connais rien qui dispose mieux à la gaîté qu’un cheval ardent. Je ne m’étonne pas que l’Empereur romain ait fait un consul de son coursier. C’est à cheval que je sens toujours le mieux ce dont je suis capable, que j’apprécie le mieux mes ressources. C’est à cheval que je conçois toujours mes plans les plus subtils et que je devine le mieux les moyens d’exécution. Donnez-moi seulement un bout de bride et l’espace libre devant moi, et je suis Cicéron-Caton-César. Démontez-moi : une fois à pied, je redeviens une simple motte de cette terre que vous me condamnez à toucher : le feu, l’énergie, la substance éthérée se sont envolés ; je suis la terre sans le soleil, le tonneau sans le vin, les habits sans l’homme.

Je retournai au logis l’esprit remonté et l’âme recueillie ; j’arrachai ma pensée aux soucis de ma propre situation, pour l’arrêter sur ce que lady Roseville m’avait dit de l’intervention de Réginald Glanville en ma faveur. Cet homme extraordinaire continuait toujours à exciter puissamment mon intérêt ; et je ne pouvais, sans être ému des sentiments les plus doux, songer aux efforts qu’il avait faits pour ma cause, efforts que je n’avais pas sollicités et qui me seraient restés inconnus, sans la communication de lady Roseville. Quoique les agents de la justice fussent encore activement occupés à la poursuite du meurtrier de Tyrrel, et que les journaux fussent toujours pleins de conjectures sur leur peu de succès, la curiosité publique avait commencé à se refroidir sur cette affaire. Je m’étais trouvé une ou deux fois dans la société de Glanville lorsque ce meurtre avait été mis sur le tapis, et j’avais examiné de près sa tenue en présence d’un sujet qui devait le toucher si cruellement. Cependant je n’avais pu remarquer ni confusion ni changement extraordinaire dans sa contenance ; peut-être ses joues pâles le devenaient-elles un peu plus, son œil rêveur, plus distrait encore, ses pensées errantes plus vagues qu’auparavant ; mais combien d’autres causes que le crime supposé pouvaient expliquer des signes aussi douteux et aussi futiles !

« Bientôt vous saurez tout. » Ces dernières paroles qu’il m’avait adressées, résonnaient encore à mes oreilles ; et avec la plus grande ardeur mes désirs allaient au-devant de l’accomplissement de cette promesse. L’espoir aussi, ce flatteur décevant, trop souvent l’antithèse de la raison, m’insinuait tout bas que ce n’était pas là l’assurance d’un coupable. Cependant il avait dit à lady Roseville, qu’il ne s’étonnait pas que je me fusse éloigné de lui. N’étaient-ce pas là des paroles qui ne semblaient pas admettre une interprétation aussi favorable que celles qu’il m’avait adressées à moi-même ? De plus, en faisant cette réflexion à part moi, une autre encore, d’une nature moins flatteuse pour le désintéressement de Glanville, se présentait d’elle-même. Son intervention en ma faveur auprès de lord Dawton ne pouvait-elle pas être dictée plutôt par une bonne politique, que par l’amitié ? ne pouvait-il pas se dire, si, comme je l’imaginais, il était instruit de mes soupçons et en reconnaissait la terrible justesse, qu’il ferait bien de mériter au moins mon silence ? Telles étaient les pensées qui venaient m’assaillir en foule, et laissaient mon âme se débattre dans le doute.

Mes réflexions ne me faisaient pas non plus illusion sur la nature de l’affection de lady Roseville pour Glanville. À en juger par l’apparente froideur et l’austérité prétendue de sir Réginald, il était vraisemblable que cette affection était innocente, au moins dans le fait. Il y avait même quelque chose de candide dans la manière dont elle paraissait se glorifier de son attachement plutôt que s’en cacher. Il est vrai qu’elle n’était retenue par aucun lien, elle n’avait ni mari ni enfants dont l’oubli pût rendre son amour criminel. Libre et sans empêchement, si elle avait donné son cœur à Glanville, il lui était toujours facile de rendre ce don légitime et éternel par les bénédictions de l’Église.

Hélas ! renfermée comme elle l’est, dans le cercle étroit et limité de ses devoirs, combien la femme connaît peu de chose de la vie errante et des actions variées de son amant ? Lady Roseville, par exemple, lorsque dans la chaleur de son enthousiasme, elle parlait du caractère élevé et généreux de Glanville, ne se doutait guère de l’infâme et lâche forfait dont il était plus que soupçonné. Pendant que son plus ardent désir était peut-être de s’allier à la destinée de cet homme, les fantaisies les plus déréglées de son imagination n’auraient jamais été jusqu’à deviner le sort qui tôt ou tard attendait le scélérat si la mort ne se hâtait pas de l’y soustraire.

Quant à Thornton je ne l’avais point revu et je n’avais jamais entendu parler de lui depuis mon départ de chez lord Chester, mais ce n’était qu’un délai qui devait expirer bientôt. J’avais à peine gagné Oxford Street, en retournant chez moi, quand je l’aperçus traversant la rue avec un autre homme. Je me retournai pour examiner avec attention les traits de son compagnon, et, en dépit d’un grand changement de toilette, d’une énorme paire de fausses moustaches et des dehors factices d’un âge plus avancé, mon tact d’observation habituelle me fit reconnaître à l’instant mon spirituel et vertueux ami, M. Job Jonson. Ils disparurent dans une boutique, et je ne pensai pas que ce fût la peine de les surveiller davantage quoique je conservasse toujours contre M. Job Jonson un dépit rétrospectif que j’étais fermement résolu à satisfaire à la première occasion favorable.

Je passai près de la porte de lady Roseville. Quoique l’heure fût avancée et que je n’eusse par conséquent que peu de chances de la rencontrer chez elle, je pensai cependant que cette chance valait du moins la peine de m’en informer. À mon agréable surprise, je fus reçu : il n’y avait personne au salon. Le domestique me dit que lady Roseville était occupée en ce moment, mais qu’elle pourrait me voir bientôt et me priait de vouloir bien attendre.

Agité comme je l’étais par diverses réflexions, j’allais et venais (dans mon humeur impatiente) par les chambres spacieuses qui formaient les appartements de réception de lady Roseville. À l’extrémité la plus éloignée se trouvait un petit boudoir, dans lequel n’étaient admis que les favoris peu nombreux de la déesse. Comme j’approchais de ce côté, j’entendis des voix, et le moment d’après je reconnus les tons graves de celle de Glanville. Je me retirai à la hâte de peur d’entendre la conversation ; mais à peine avais-je fait trois pas que le son convulsif d’un sanglot de femme arriva à mon oreille. Bientôt après, des pas descendirent l’escalier, et la porte de la rue s’ouvrit.

Les minutes s’écoulaient, et je devenais impatient. Le domestique rentra. Lady Roseville se trouvait si soudainement et si sérieusement indisposée qu’elle était incapable de me recevoir ; il me fallut quitter la maison pour retourner chez moi, l’âme en proie aux conjectures les plus étranges.

Le jour suivant fut un des plus importants de ma vie. Je me tenais pensif près de ma cheminée, écoutant avec la plus morne attention une vielle poussive qui stationnait en face de ma fenêtre, quand Bédos annonça la visite de sir Réginald Glanville. Il se trouvait, que le matin même, j’avais tiré la miniature que j’avais trouvée dans le champ funeste, de l’endroit secret où je la gardais ordinairement, pour l’examiner de près. Je craignais qu’une recherche plus minutieuse n’y fît découvrir quelque indice fatal à son propriétaire, quelque preuve plus convaincante que les initiales et l’interprétation de Thornton.

La peinture était posée sur la table quand Glanville entra : mon premier mouvement fut de la saisir et de la cacher : mon second, de la laisser et de surveiller l’effet que sa vue pourrait produire sur lui. En prenant ce dernier parti, je voulus cependant rester maître de choisir le moment où je jugeais à propos de découvrir la miniature ; et, passant devant la table, je jetai négligemment mon mouchoir sur le portrait. Glanville m’aborda tout d’un coup, et son visage, ordinairement d’une expression froide et réservée, prit un air plus franc et plus décidé.

« Vous avez depuis peu changé à mon égard, me dit-il ; comme je tiens à votre ancienne amitié, je suis venu vous en demander la raison.

— La mémoire de sir Réginald Glanville, répondis-je, ne peut-elle lui en fournir aucune raison probable ?

— Elle le peut, reprit Glanville, mais je ne voudrais pas m’en rapporter seulement à elle. Asseyez-vous, Pelham, et écoutez-moi. Je lis dans vos pensées, et je pourrais affecter d’en mépriser le sens ; peut-être depuis deux ans cela m’était-il permis. Mais à présent je ne puis que les plaindre et les excuser. Je suis venu à vous aujourd’hui, avec la confiance et l’affection de nos premières années pour réclamer comme alors votre bonne opinion et votre estime. Si vous demandez quelque explication qui dépende de moi, elle vous sera donnée. Mes jours touchent à leur fin. J’ai réglé mes comptes avec les autres, je voudrais faire de même avec vous. Je confesse que je souhaiterais ardemment laisser après moi dans votre cœur le même souvenir d’affection que j’aurais pu réclamer jadis ; quels que soient vos soupçons, je n’ai rien fait pour la perdre. J’ai, d’ailleurs, un intérêt plus cher que le mien encore à consulter dans ce souhait que je vous exprime. Vous rougissez, Pelham, vous savez à qui je veux faire allusion ; pour l’amour de ma sœur, si ce n’est pour moi, vous m’entendrez. »

Glanville s’arrêta un moment. Je levai le mouchoir de dessus la miniature que je poussai vers lui : « Reconnaissez-vous cela ? » lui dis-je tout bas.

Avec un cri sauvage qui vibra dans mon cœur, Glanville se précipita pour saisir le portrait. Il le regarda ardemment et profondément et ses joues s’enflammèrent, ses yeux étincelèrent, sa poitrine se souleva. Le moment d’après il se renversa sur son siège, dans un de ces demi-évanouissements auxquels chaque émotion soudaine et violente soumettait ses nerfs épuisés.

Avant que j’eusse pu venir à son aide, il était remis. Il me regarda d’un air égaré et courroucé. « Parlez, s’écria-t-il, parlez ; où avez-vous eu cela ? par pitié, répondez ?

— Rentrez en vous-même, lui dis-je sévèrement. J’ai trouvé ce témoignage de votre présence sur le lieu où Tyrrell a été assassiné.

— C’est vrai, c’est vrai, » dit Glanville lentement et d’un ton distrait et concentré. Il s’arrêta brusquement, et se couvrit le visage de ses mains ; puis, sortant de cette attitude par un mouvement soudain :

« Dites-moi, demanda-t-il avec un accent étouffé et triomphant, n’était-il pas… n’était-il pas rouge du sang de l’homme assassiné ?

— Misérable ! m’écriai-je, vous glorifiez-vous de votre crime ?

— Arrêtez ! dit Glanville se levant. Et prenant tout à coup un ton de hauteur. Ce n’est pas vos accusations que je dois écouter en ce moment. Si vous êtes toujours désireux d’en peser la justice avant de les juger une bonne fois, je vous en fournirai l’occasion : je serai chez moi à dix heures ce soir ; venez me trouver et vous saurez tout. À présent la vue de cette peinture m’a ôté mes forces. Vous verrai-je ? »

Toute ma réponse se borna à l’expression rapide de mon assentiment ; et Glanville quitta aussitôt la chambre.

Pendant toute la durée de ce jour, mon esprit fut tourmenté par un état d’excitation fiévreuse tout à fait extraordinaire. Je ne pouvais rester un seul instant à la même place : mon pouls battait avec l’irrégularité du délire. La dernière heure je plaçai ma montre devant moi et je tins constamment mes yeux fixés dessus. Ce n’était pas seulement la confession de Glanville que j’avais à entendre ; mon propre destin, mon union future avec Hélène reposaient sur l’histoire de cette nuit. Pour moi, quand je rappelais à mon esprit la vivacité avec laquelle Glanville avait reconnu ce portrait et la lenteur, presque la répugnance avec laquelle il s’était souvenu du lieu où il avait été trouvé, je ne pouvais permettre à mon esprit, si confiant qu’il pût être, de conserver le moindre espoir.

Quelques minutes avant dix heures je me rendis à la maison de Glanville. Il était seul. La peinture était devant lui.

Je tirai ma chaise près de la sienne en silence, et levant accidentellement les yeux, je rencontrai le miroir qui se trouvait en face. Je tressaillis à la vue de mon propre visage ; la vivacité de l’intérêt que je m’attendais à trouver dans ces explications l’avait rendu plus pâle encore que celui de mon compagnon.

Il y eut une pause de quelques moments ; après quoi Glanville commença ainsi.