Pendant l’orage/La « Mère Henry »

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Librairie ancienne Édouard Champion (p. 71-72).

LA « MÈRE-HENRY »



26 décembre 1914.


Enfin, nous savons à peu près ce que c’est que le signal de la Mère-Henry dont nous parlèrent plusieurs fois les communiqués. C’est un groupe de rochers isolés situé au nord de Senones, lequel est lui-même au nord de Saint-Dié. Un journal en a donné la photographie. Il m’a semblé que l’on distingue sur la plate-forme du rocher principal une cabane ou une chaumière. On accède là par des passerelles fortement inclinées. Cela doit être une des curiosités du pays. Que de coins et de points pittoresques auront été ravagés au cours de cette guerre, et je ne parle ni des villes, ni des villages, ni de ces jolies habitations qui surgissaient de partout dans cette France envahie si riche, et où la nature était si doucement domptée, si plaisamment asservie par un peuple intelligent, respectueux de la beauté naturelle, mais toujours disposé à la faire tourner à ses plaisirs ou à ses besoins ! Qu’est devenue la passerelle de la Mère- Henry, qu’est devenue la chaumière que je crois apercevoir sur la plateforme ? Le rocher lui-même est-il intact ? Il n’y a pas que les maisons qui constituent un pays civilisé, il y a la manière dont les habitants ont assuré la survie des éléments pittoresques fournis par la nature. Il y en a beaucoup dans ces régions de l’Est et de l’Aisne. Quel aura été leur sort ? Certes, une cathédrale de Reims, un hôtel de ville d’Arras sont des pertes irréparables pour la civilisation, mais le signal de la Mère-Henry, s’il est détruit, ne sera-t-il pas déploré, lui aussi ?