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Pensées d’août/Le Joueur d’orgue

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Pensée d’aoûtMichel Lévy frères. (p. 242-243).

LE JOUEUR D’ORGUE


Nous montions lentement, et pour longtemps encore ;
Les ombres pâlissaient et pressentaient l’aurore,
Et les astres tombants, humidement versés,
Épanchaient le sommeil aux yeux enfin lassés.
Tout dormait : je veillais, et, sous l’humble lumière,
Je voyais cheminer, tout près de la portière,
Un pauvre joueur d’orgue : il nous avait rejoints ;
Ne pas cheminer seul, cela fatigue moins.
Courbé sous son fardeau, gagne-pain de misère,
Que surmontait encor la balle nécessaire,
Un bâton à la main, sans un mot de chanson,
Il tirait à pas lents, regardant l’horizon.

« Vie étrange, pensai-je, et quelle destinée !
Sous le ciel, nuit et jour, rouler toute l’année !
Jeune, l’idée est belle et ferait tressaillir ;
Mais celui-ci se voûte et m’a l’air de vieillir.
Que peut-il espérer ? Rien au cœur, pas de joie ;
Machinal est le son qu’aux passants il envoie. »
Et je continuais dans mon coin à peser
Tous les maux ; et les biens, à les lui refuser,
Et par degrés pourtant blanchissait la lumière ;
Son gris sourcil s’armait d’attention plus fière ;
Sa main habituelle à l’orgue se porta :
Qu’attendait-il ?… Soudain le soleil éclata,
Et l’orgue, au même instant, comme s’il eût pris flamme,
Fêta d’un chant l’aurore, et pria comme une âme.

Salut attendrissant, naïf et solennel !
Cet humble cœur comprend les spectacles du ciel.
À l’éternel concert, sous la voûte infinie,
Pour sa part il assiste, et rend une harmonie.
Ainsi, Nature aimée, aux simples plus qu’aux grands,
Souvent aux plus chétifs, souvent aux plus errants,
Tu livres sans replis ta splendeur ou ta grâce.
L’opulent, l’orgueilleux, a perdu loin ta trace ;
Le petit te retrouve : un beau soir, un couchant,
Quelque écho de refrain sous la lune en marchant,
Le taillis matinal que le rayon essuie ;
Le champ de blés mouvants, rayés d’or et de pluie ;
Un vieux pont, un moulin au tomber d’un flot clair,
Bruits et bonheurs sans nom qu’on respire avec l’air,
Souvent on les sent mieux dans sa route indigente,
Et, même sous le faix, l’âme s’éveille et chante.