Pensées et Fragments inédits de Montesquieu/VI

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Texte établi par Le baron Gaston de Montesquieu, G. Gounouilhou, imprimeur-éditeur (IIp. 83-186).


VI

PSYCHOLOGIE

I. Plaisirs et Bonheur. — II. Passions. — III. Amour-propre. — IV. Affections. — V. Patriotisme et Ambition. — VI. Cupidité et Libéralité. — VII. Curiosité. — VIII. Dévotion et Intolérance. — IX. Esprit. — X. Sottise et Préjugés. — XI. Vertus et Vices.— XII. Femmes. — XIII. Conditions et Professions. — XIV. Prêtres et Religieux. — XV. Portraits. — XVI. Caractères ethniques.

I. PLAISIRS ET BONHEUR.

989 (408. I, p. 373). — La joye même fatigue à la longue : elle employe trop d’esprits ; et il ne faut pas croire que les gens qui sont toujours à table 5 et au jeu y ayent plus de plaisirs que les autres. Ils y sont parce qu’ils ne sauroient être ailleurs, et ils s’ennuyent là pour s’ennuyer moins autre part.

Ce sont des gens qui ont demandé à leur machine des choses incompatibles : des plaisirs continuels et 1o des plaisirs vifs ; qui, ayant regardé la vie comme une jouissance, ont cru que tous les moments étoient irréparables, et ont voulu que chaque instant leur rendît.

Mais, à force de donner à lsurs fibres de grands ébranlements, ils les ont rendues lâches et se sont ôté la ressource des ébranlements médiocres.

990(587- I, f° 445 v°). — Remarquez bien que la plupart des choses qui nous font plaisir sont dérai- 5 sonnables.

991 (739. I, p. 499). — La grande joye fait toujours un de deux effets : quand elle n’égaye pas les autres, elle les attriste, comme déplacée. Le grand secret est de n’en mettre que la dose convenable ; 1o sans cela, on est très souvent tristement gai. Il faut, pour être aimable, pouvoir faire céder son caractère à l’occasion : quand il ne vous met pas en train, il vous déroute.

La joye continuelle est de même : si je suis triste, 15 la joye des autres m’afflige, parce qu’elle me tire du plaisir que j’ai à me laisser aller à ma tristesse. On me fait donc violence ; ce qui est une espèce de douleur.

992(1419. II, f° 204 Vo). — Je disois : « Les grands seigneurs ont des plaisirs ; le peuple a de la joye. * 2o

993(1’i83. II, f° 198). — L’avantage de l’amour sur la débauche, c’est la multiplication des plaisirs. Toutes les pensées, tous les goûts, tous les sentiments, deviennent réciproques. Dans l’amour, vous avez deux corps et deux âmes ; dans la débauche, 23 vous avec une âme qui se dégoûte même de son propre corps.

994*(2010. III, f° 312). — Bonheur. — M. de Maupertuis ne fait entrer dans son calcul que les plaisirs et les peines, c’est-à-dire tout ce qui avertit l’âme de son bonheur ou de son malheur. Il ne fait point entrer le bonheur de l’existence et la félicité habituelle, qui n’avertit de rien, parce qu’elle est habituelle. Nous n’appelons plaisir que ce qui n’est pas habituel. Si nous avions continuellement le plaisir de manger avec appétit, nous n’appellerions

1o pas cela un plaisir ; ce seroit existence et nature. Il ne faut pas dire que le bonheur est ce moment que nous ne voudrions pas changer pour un autre. Disons autrement : le bonheur est ce moment que nous ne voudrions pas changer pour le non-être.

995 (658. I, p. 460). — Il faut que chacun se procure dans toute la vie le plus de moments heureux qu’il est possible. Il ne faut point pour cela fuir les affaires : car souvent les affaires sont nécessaires aux plaisirs ; mais il faut qu’elles en soyent comme

-o une dépendance, non les plaisirs, d’elles. Et il ne faut pas se mettre dans la tête d’avoir toujours des plaisirs : cela est impossible ; mais, le plus qu’on peut. Ainsi, quand le Grand-Seigneur est fatigué de ses femmes, il faut qu’il sorte de son sérail. Quand

23 on n’a pas d’appétit, il faut quitter la table et aller à la chasse.

996(58.I, p. 60). — Quoi que j’aye dit du bonheur fondé sur la machine, je ne dis pas pour cela que notre âme ne puisse aussi contribuer à notre bonheur par le pli qu’elle se donne. La raison en est que, la plupart des douleurs étant beaucoup augmentées par l’imagination (ce qui paroît bien clairement dans les femmes et dans les enfants, qui se désolent pour les moindres peines et les moindres chagrins), 5 elles sont, d’ailleurs, beaucoup augmentées par la crainte des suites. Or, on peut accoutumer son âme à examiner les choses telles qu’elles sont. On ne vaincra point son imagination : car cela est impossible ; mais on en diminuera les accès. Une 1o des considérations des plus efficaces pour nous endurcir sur nos malheurs, ce sont les considérations de l’immensité des choses et de la petitesse de la sphère où nous vivons. Comme ce sont des choses que la philosophie nous prouve par les sens 15 mêmes, nous en sommes beaucoup plus touchés que lorsqu’elles nous sont prouvées par des raisonnements théologiques et moraux, lesquels ne vont qu’à l’esprit pur.

997* (69.I, p. 65). — Former toujours de nouveaux 2o désirs et les satisfaire à mesure qu’on les forme, c’est le comble de la félicité. L’âme ne reste pas assez sur ses inquiétudes pour les ressentir, ni sur la jouissance pour s’en dégoûter. Ses mouvements sont aussi doux que son repos est animé ; ce qui 2 ? l’empêche de tomber dans cette langueur qui nous abat et semble nous prédire notre anéantissement.

998(u66. II, f° 81). — L’attente est une chaîne qui lie tous nos plaisirs.

999(696. I, p. 476).— La crainte ajoute à nos peines, comme les désirs ajoutent à nos plaisirs.

1000(2070. III, f° 343).— Dans les petites villes, on n’a point de jouissances, et, dans les grandes, 3 point de désirs.

1001 (897. II, f° 11). — Nous pouvons nous faire des biens de tous nos biens, et nous pouvons encore nous faire des biens de nos maux.

1002* (1644. III, f° 5). — Pour faire un traité sur

1o le bonheur, il faut bien poser le terme où le bonheur peut aller par la nature de l’Homme, et ne point commencer par exiger qu’il ait le bonheur des Anges ou d’autres Puissances plus heureuses que nous imaginons.

15 Le bonheur consiste plus dans une disposition générale de l’esprit et du cœur, qui s’ouvre au bonheur que la nature de l’Homme peut prêter, que dans la multiplicité de certains moments heureux dans la vie. Il consiste plus dans une certaine

2o capacité de recevoir ces moments heureux. Il ne consiste point dans le plaisir, mais dans une capacité aisée de recevoir le plaisir, dans une espérance bien fondée de le trouver quand on voudra, dans une expérience que l’on n’a point un certain dégoût

2b général pour les choses qui font la félicité des autres.

Deux choses composent le malheur moral : l’ennui général, qui provient du dégoût ou du dédain de tout ; le découragement général, qui vient du sentiment de sa propre bassesse.

1003*(978. II, f° 27 v°). — Si on ne vouloit être qu’heureux, cela seroit bientôt fait. Mais on veut être plus heureux que les autres, et cela est presque 3 toujours difficile, parce que nous croyons les autres plus heureux qu’ils ne sont1.

1004(2O4b. III, f° 335 bis v°). — Bonheur. — Pour être heureux, il ne faut pas désirer de l’être plus que les autres. Si l’on avoit le cheval aîlé de 1o l’Arioste, l’anneau qui rend invisible, est-ce que l’on seroit plus heureux ? Joignez y le bouclier qui rend tous les hommes des statues.

1005 (819.I, p. 523). — Si les hommes avoient resté dans le petit jardin, nous aurions eu une autre idée 1ï du bonheur et du malheur que celle que nous avons.

1006(n53. II, f° 80). — Est miser nemo nisi cornparatus.— Si nous étions restés dans le Paradis terrestre, nous aurions une autre idée du bonheur et du malheur que nous n’avons. 2o

1007 (1201. II, f° 92). — Quand on est bien, on se lasse aisément de ce bien. C’est qu’on n’est jamais si bien qu’on n’ait quelque endroit qui cloche, et qui cause un dégoût. Or, quand nous sommes bien, on sent aisément ce dégoût, et l’on sent peu le bien. Mais, quand on est mal, on ne sent que ce mal. Le mal nouveau qui nous arrive ne se fait pas sentir non plus. De là vient qu’il n’y a pas de do5 mestiques, ni de sujets, qui aiment plus à changer de maître que ceux qui sont heureux.

1. Voyez I«f volume, page 24.

1008(33. I, p. 37). — Qui sont les gens heureux ? Les Dieux le savent : car ils voyent le cœur des philosophes, celui des roix et celui des bergers.

1o 1009*(1661. III, f° 12 v°). — Sur le Bonheur.— Le roi de Maroc a dans son sérail des femmes blanches, des femmes noires et des femmes jaunes. Le pauvre homme ! A peine a-t-il besoin d’une couleur ’.

1010*(1662. III, f ° 12 v°). — Sur le Bonheur.— 1 5 Un homme alla demander au duc d’Orléans de pouvoir porter un habit à brevet. «Je le veux, lui répondit-il, pourvu que votre tailleur y consente.» Il en est de même de toutes les choses que nous désirons ou que nous possédons dans la vie. Il y a 3o toujours quelque tailleur qui n’y consent pas.

1011 (477. I, p. 401). — J’ai ouï dire au cardinal

Imperiali : « Il n’y a point d’homme que la Fortune

ne vienne visiter une fois en sa vie. Mais, lorsqu’elle

ne le trouve pas prêt à la recevoir, elle entre par

ô la porte et passe par la fenêtre. >

1. Voyez la page 18 v°.

1012 (2168. III, f° 359). — Lorsqu’on a laissé entrer un seul désir dans son âme, on n’est plus heureux ; celui-là devient le père d’une infinité d’autres, surtout si c’est de l’argent que l’on désire : car l’argent est une chose qui se multiplie. Souvent celui qui a 5 un honneur et une place sent très bien qu’il n’en peut pas avoir une autre. Mais celui qui a désiré 100,000 francs, pourquoi n’en désireroit-il pas 200 ?

1013(1oo4. II, f° 31 v°).—J’ai toujours vu que, pour réussir parfaitement bien dans le monde, il 1o falloit avoir l’air fou et être sage 1.

1014 (113q. II, f° 78 v°). — Il faut aux hommes un peu de logique et un peu de morale.

1015(2211. III, ^464). — Les vices ont servi à une infinité de gens pour faire fortune. Je demanderois ô seulement qu’il fussent indifférents.

1016(473.I, p.400).—Jedisois : « C’est un bonheur d’être d’un grande naissance ; ce n’est pas un malheur d’être d’une médiocre : le mérite console de tout. » 3o

1017(1576. II, f° 454 v°). — Quand il s’agit d’obtenir les honneurs, on rame avec le mérite personnel, et on vogue à pleines voiles avec la naissance.

1. Voyez page 27 de ce volume et page 220 de l’autre.

1018 (158o. II, f° 455). — Je disois : « Les richesses, la naissance, etc., sont des médailles ; l’estime publique et le mérite personnel sont de la monnoye courante. >

3 1019(14. I, p. 6). — Quand on veut abaisser un général, on dit qu’il est heureux. Mais il est beau que sa fortune fasse la fortune publique.

1020(7o8.I, p. 479). — *I1 faudroit convaincre les hommes du bonheur qu’ils ignorent, lors même 1o qu’ils en jouissent*.

1021 (1o55. II, f° 61 v°). — La prospérité tourne plus la tête que l’adversité ; c’est que l’adversité vous avertit, et que la prospérité fait qu’on s’oublie.

1022 (1211. II, f° g3 v°). — Je disois : « La Fortune 15 est notre mère ; l’adversité, notre gouverneur. >

1023 (1635. III, f° 1 v°). — J’écrivois à Made deTalmont, sur la perte de son fils : « Nos malheurs diminuent à proportion de notre raison, qui veut que, comme le bonheur passé ne fait point le 20 bonheur à venir, le malheur passé soit de même. »

1024 (13Ô2. II, f° 195 v°). — Sur les malheurs de

grêle ou de gelée, je disois qu’il étoit dans la nature

que cela devoit arriver de temps en temps, et que

l’on devoit savoir cela en général ; qu’il étoit donc

z5 indifférent que cela arrivât cette année ou une autre ; que ceux qui s’affligent de ces choses devoient s’en affliger le premier jour qu’ils entroient dans leurs affaires.

1025 (1 152. II, f° 80). — C’est un malheur qu’il y a trop peu d’intervalle entre le temps où l’on est trop â jeune, et le temps où l’on est trop vieux.

1026*(1652. III, f° 10). — Malheureuse condition des hommes ! A peine l’esprit est-il parvenu au point de sa maturité, le corps commence à s’affoiblir.

1027 (2151. III, f° 352). — Notre vie n’est pas 1o comme une comédie, qui doit avoir nécessairement cinq actes : les uns en ont un ; les autres, trois ; les autres, cinq.

1028(921. II, f ° 15). — Les bêtes sont plus heureuses que nous : elles fuient le mal ; mais elles ne 15 craignent point la mort, dont elles n’ont aucune idée.

1029(547. I, f° 434). — Il est bon qu’il y ait dans le Monde des biens et des maux : sans cela, on seroit désespéré de quitter la vie. 2o

1030 (3qo. I, p. 363). — Tous les gens malheureux ont recours à Dieu, souvent par des vues humaines. Celui qu’on mène au supplice souhaite qu’il y ait un Dieu pour qu’il le venge de ses ennemis. Louis XI souhaite que Dieu communique au bon homme le 25 pouvoir de le guérir. Notre malheur nous fait chercher cet être puissant ; le bonheur nous le fait fuir ou craindre. Nous sommes curieux de savoir sa nature, parce que nous sommes intéressés à la 3 savoir, comme les sujets cherchent à savoir ce que c’est que leur roi, et comme les domestiques cherchent à connoître leur maître.

1031 (1017. II, fo 38 v°). — Le vieux Law, parlant de tant de génies beaux qui sont perdus dans le 1o nombre innombrable des hommes, disoit, comme des marchands : « Ils sont morts sans déplier. »

1032(2171. III, f° 360 v°). — Les feuilles tombent des arbres tous les hivers. Cinq ou six tiennent à l’arbre quelques jours encore et deviennent le jouet ô des vents.

IL PASSIONS.

1033 (13(5o. II, 195 v°). —Je disois : « Il faut avoir

des opinions, de[s] passions : on est pour lors à

l’unisson de tout le monde. Tout homme qui a des

o sentiments modérés n’est ordinairement à l’unisson

de personne. >

1034(15go. II, 455 v°). — Je ne sais qui a dit : « Les goûts sont avares, et les passions, prodigues. »

1035 ((535. I, f°453 v°).— Les passions lentes ne raisonnent pas plus que les furieuses. L’avarice calcule-t-elle ? Exemples : Le roi de Prusse, Louis XIII, milord Marlborough.

III. AMOUR-PROPRE.

1036 (2064. III, f° 342 v°). — M. Nicole dit très 5 bien que Dieu a donné l’amour-propre à l’Homme comme il a donné le goût aux mets.

1037* (61.I, p. 62). — Nous ne faisons jamais de retours désagréables sur nous-mêmes que la vanité ne fasse aussitôt diversion : nous nous regardons 10 d’abord par un autre côté.

1038 (106. I, p. 98). — Quand un homme manque d’une qualité qu’il ne peut pas avoir, la vanité supplée et lui fait imaginer qu’il l’a. Ainsi une femme laide croit être belle, un sot croit avoir de 15 l’esprit. Quand un homme sent qu’il manque d’une qualité qu’il peut avoir, il se dédommage par la jalousie. Ainsi on est jaloux des riches et des grands.

La vraye raison est qu’il n’est pas possible à la vanité de se tromper sur les richesses et les gran- 2o deurs.

1039(286. I, p. 3og). — Il y a autant de vices qui viennent de ce qu’on ne s’estime pas assez, que de ce qu’on s’estime trop.

1040(919. II, f° 15). — Je dis : « Les fats ne sont jamais méchants. C’est qu’ils s’admirent et ne sont irrités contre personne1.»

1041 (2045. III, f° 335 bis). — Je disois : « Les hom3 mes pleins d’eux-mêmes sont toujours de bonnes

gens. »

1042 (464. I, p. 395). — C’est l’envie de plaire qui donne de la liaison à la Société, et tel a été le bonheur du Genre humain que cet amour-propre,

1o qui devoit dissoudre la Société, la fortifie, au contraire, et la rend inébranlable.

1043(2o59. III, f° 342). — C’est une vanité inquiète qui fait l’humeur : on ne se croit pas assez bien traité.

1044 (2o58. III, f° 342). — Les hommes sont bien 13 extraordinaires : ils aiment mieux leurs opinions

que les choses.

1045 (556. I, p. 437). — Il y a bien peu de vanité à croire qu’on a besoin des affaires pour avoir quelque mérite dans le monde, et de ne se juger plus

o rien lorsqu’on ne peut plus se cacher sous le personnage d’homme public.

1046(687. I, p. 471).— Il n’est pas étonnant qu’on ait tant d’antipathie pour les gens qui s’estiment trop : c’est qu’il n’y a pas beaucoup de différence entre s’estimer beaucoup soi-même et mépriser beaucoup les autres.

1. Mis dans l’Histoire véritable.

1047(951. II, f° 21). — La vanité de la plupart des gens est aussi bien fondée que celle que je pren- 5 drois sur une aventure arrivée aujourd’hui chez le cardinal de Polignac, où je dînois. Il a pris la main à l’aîné de la Maison de Lorraine, le duc d’Elbeuf, et, après dîner, quand le prince n’y a plus été, il me l’a donnée. Il me la donne à moi ; c’est un acte 10 de mépris. Il l’a prise au prince ; c’est un acte d’estime. C’est pour cela que les princes sont si familiers avec leurs domestiques. Ils croyent que c’est faveur ; c’est mépris.

1048 (1101. II, f° 7*3 v°). — J’aime à voir un homme 15 de qualité modeste devenir vain et orgueilleux parce qu’il a épousé la fille d’un faquin qui est en crédit. Il s’enorgueillit de ce qui devroit l’humilier. J’en ai vu de ceux-là : O fœx hominum e sanguine Deorum. (Rosmadec, qui avoit épousé la nièce du Garde-des- 2o Sceaux.)

1049(952. II, f° 21 v°). — Je voyois un sot qui étoit revenu d’une ambassade et ne parloit plus que par monosyllabe. Si cet homme savoit combien il perd à faire le comte d’Avaux, et combien il ga- 2 5 gneroit auprès de nous à être simple !

1050 (1o53. II, f° 61 v°). — Je voyois un sot revenu d’ambassade et enflé. Je disois : « Il ne dit plus ses sottises qu’en monosyllabes. »

1051’ (1637. III, f° 1 vo). —La gravité est le bouclier des sots. Mais, quand il est une fois percé à 5 jour, c’est l’arme du Monde la plus méprisable. On s’indigne contre un homme, parce qu’il s’est caché, et on l’accable, parce qu’il est découvert.

1052* (1653. III, f° 10). — « Mon mérite a percé, disoit un homme qui s’étoit enrichi : j’ai fait plus d’amis

1o depuis hier que je n’en avois fait en toute ma vie. Comment se pouvoit-il que je fusse aussi méprisé que je l’étois il y a huit jours ! Il y a apparence que ce n’étoit pas ma faute ; c’étoit celle de ces gens obscurs, sans goût et sans éducation, que je voyois pour lors.

15 Mais, sûrement, je renoncerai à la mauvaise compagnie ; (ou bien) mais, sûrement, je ne les verrai plus. >

1053 (1186. II, f° 86 v°). — Je disois : « Ceux qui ont peu de vanité sont plus près de l’orgueil que les autres. >

»o 1054(384. I, p. 361). — Il y a une certaine fierté noble qui sied aux gens qui ont de grands talents.

1055(1075. II, f° 66 v°). — Une noble fierté sied aux gens qui ont de grands talents.

1056* (2040. III, f° 335 bis). — Personne n’aime à 25 être compté pour rien dans la Société.

1057 (27. I, p. 20). — L’humilité chrétienne n’est pas moins un dogme de philosophie que de religion’. Elle ne signifie pas qu’un homme vertueux doive se croire plus malhonnête homme qu’un fripon, ni qu’un homme qui a du génie doive croire 3 qu’il n’en a pas ; parce que c’est un jugement qu’il est impossible à l’esprit de former. Elle consiste à nous faire envisager la réalité de nos vices et les imperfections de nos vertus.

1058* (200. I, p. 1g5). — Les marques d’indiffé- 1o rence ne nous doivent point toucher, mais bien celles de mépris.

1059 (612.I, f° 449 v°). — Les disproportions qu’il y a entre les hommes sont bien minces pour être si vains. Les uns ont la goutte ; d’autres, la pierre. th Les uns meurent ; les autres vont mourir. Ils ont une même âme pendant l’éternité, et elles (sic) ne sont différentes que pendant un quart d’heure, c’est-àdire pendant qu’elles sont jointes à un corps.

1060(2071. III, f° 343). — Il y a ordinairement si 3o peu de différence d’homme à homme qu’il n’y a’ guère sujet d’avoir de la vanité.

1001 (1352. II, f° 194 v°). — Je suis persuadé que les Anges ne méprisent pas tant les hommes que les hommes se méprisent les uns les autres. 23

1062(2172. III, f°36ov°). — D’où vient que l’approbation fait tant de gens heureux, et que la gloire en fait 6i peu ? C’est que nous vivons avec ceux qui nous approuvent, et qu’on n’admire ni ne peut 5 guère admirer que de loin.

1. Voyez page 397.

1063*(733.I, p. 489). — Nous aimons à être estimés

et aimés des personnes présentes, parce qu’elles nous

font sentir plus souvent, et, pour ainsi dire, à tous les

instants, leur amour ou leur estime : avantage que

1 o nous ne tirons pas de celle (sic) des gens éloignés.

1064 (1312. II, f° 179).— Le grand martyre que la honte, lorsque l’on souffre dans son caractère !

1005(588. I, f° 445 v°). — Un fonds de modestie rapporte un très gros intérêt. •

o 1006 (1347. II, f° 193 v°). —Je disois : t On peut cacher son orgueil ; mais on ne peut cacher sa modestie. »

1067*(2011. III, f° 312 vo). —Je disois : « J’ai compris une chose dont je me doutois déjà : c’est que, :o pour vivre bien avec tout le monde, il ne faut pas avoir de prétentions. Si vous sortez des quatre murailles de votre chambre, on vous arquebuse. Si je revenois au Monde, je ne voudrois que me chauffer l’hiver et prendre des glaces l’été. »

.s 1008(2236. III, f° 466).—Je ne puis souffrir ces gens qui remportent des triomphes continuels sur la modestie des autres. (Insolents.)

1069 (844. I, p. 540). — Voici pourquoi nos ouvrages nous plaisent souverainement, indépendamment de l’amour-propre : c’est qu’ils tiennent à ï toutes nos autres idées et y sont analogues. Et la raison pourquoi ils ne nous plaisent plus tant après un certain temps, c’est qu’ils ne tiennent plus tant à nos autres idées et n’y sont pas si analogues.

1070(845. I, p. 540). — Quand on lit les livres, on 1o trouve les hommes meilleurs qu’ils ne sont, parce que chaque auteur, ne manquant point de vanité, cherche à faire croire qu’il est plus honnête homme qu’il n’est, en jugeant toujours en faveur de la vertu. Enfin, les auteurs sont des personnages de théâtre. 15

1071 (3o9. I, p. 329). — Les louanges sont un discours par lequel on cherche à faire paroître son esprit ou son bon naturel ; (ou bien) c’est une entreprise que l’on fait sur quelqu’un pour le décontenancer ou pour lui faire montrer son effronterie. 2o

La raillerie est un discours en faveur de son esprit contre son bon naturel ; il n’y a que la plaisanterie qui soit tolérable1.

1072* (768. I, p. 5o2). — Nous louons les gens à proportion de l’estime qu’ils ont pour nous. 25

1. Voyez page 41 S.

1073* (2041. III, f° 335 bis). — Souvent on critique ses amis pour qu’on ne laisse pas croire qu’on n’a pas assez de pénétration pour voir leurs défauts.

1074(uo5. II, f° 74). — La flatterie est une mu sique qui endort. J’ai ouï dire à M. Coste que M. Locke ne pouvoit plus vivre que dans la flatterie, et qu’en parlant de lui ; que milord Shaftesbury, ayant remarqué que M. Locke s’y étoit tellement accoutumé, y tomba lui-même, sans y penser, pour avoir vécu cinq ou six ans à la campagne avec des inférieurs ; que, M. Locke ayant été à la campagne, avec sir Isaac Newton et lui, chez milady Masham, il fut contenu par M. de Newton ; mais que, dès que celui-ci fut monté en carrosse, il commença à dire : « Pour moi, je... » C’étoit (me semble) un ressort bandé, qui se détendoit.

1075(1322. II, f° 185). — J’appelle le flatteur un esclave qui n’est bon pour aucun maître.

1076 (999. II, f° 3o). — Je disois : « On peut gronder 2o tant que l’on veut, pourvu qu’on n’en ait pas l’air. > Il en est de même de la louange.

IV. AFFECTIONS.

1077* (1554. II, f° 249). — Prévention des Pères. — Ce n’est pas la prévention de l’homme ; c’est celle 25 de la nature.

1078 (668. I, p. 465). — On aime mieux ses petits-enfants que ses fils. C’est que l’on sait, à peu près au juste, les secours que l’on tire de son fils, la fortune et le mérite qu’il a ; mais on espère et l’on se flatte sur son petit-fils.

1079 (1235. II, fo 100, vo). — Les neveux sont des enfants quand on le veut ; les enfants le sont malgré nous.

1080 (290. I, p. 310). — Quiétistes. — Il est impossible d’avoir du sens et de ne pas sentir que l’amour-propre et l’amour d’union est (sic) une même chose ; et un amant qui veut mourir pour sa maîtresse ne le fait que parce qu’il s’aime, qu’il s’imagine qu’il goûtera le plaisir de sentir qu’il a fait de si grandes choses pour elle. Son cerveau n’est pas modifié de l’idée de la mort, mais du plaisir de l’amour qu’il a pour sa maîtresse.

1081 (1012. II, fo 37, vo). — Made la p…… de Lix. m’ayant demandé mon avis sur son mariage avec M. de M., je lui envoyai ces maximes :

I. L’amour ne révèle jamais les choses que l’extrême amitié a fait dire.

II. Tout amour qu’il est, il a ses règles ; et, dans les âmes bien nées, elles sont plus fortes que ses loix.

III. Le cœur est donné tout entier à l’amour ; l’âme reste pour la vertu.

IV. Deux beautés communes se défont ; deux grandes beautés se font valoir.

V. C’est l’effet d’un mérite extraordinaire d’être dans son jour auprès d’un mérite aussi grand.

VI. *Je disois : «Je suis amoureux de l’amitié. »*

’1082 (1972. III, f° 278). — Voici le texte d’un écrit 5 fait par une femme de seize ans ; c’est la feue marquise de Gontaud. Je n’ai pas vu la pièce, qui étoit le caractère de la princesse de Clives ; mais j’en ai ouï rapporter cette pensée : « Les cœurs faits pour l’amour ne s’engagent pas aisément. >

1o Je conçois que cette pensée est vraye.

Le prince de Clèves étoit aimable ; il fallut attendre le duc de Nemours. Un cœur fait pour l’amour ne s’engage pas aisément, parce qu’un cœur qui peut être touché par tout ce qui sera aimable n’est

15 point fait pour l’amour, mais pour une passion commune. Une femme qui pourroit s’engager à un des vingt hommes aimables à qui on pourroit la lier, et s’y engager quel qu’il fût des vingt, n’a point un cœur fait pour l’amour. Un cœur fait pour l’amour

2o se rend à un assemblage de qualités aimables qui répondent à l’assemblage des siennes, qui forme (sic) une combinaison particulière qui ne se trouve point ailleurs, parce que c’est un cas particulier d’une infinité de combinaisons. C’est pour lors

25 qu’un cœur est fait pour l’amour, parce que l’objet qu’il aime n’a pu, ne peut et ne pourra jamais être suppléé. Pour lors, la perte de l’amant est sentie comme la perte de l’amour ; l’Univers n’est plus qu’un homme, et un homme est l’Univers. Le

3o cœur qui n’a rien senti se trouve si étonné de sentir : c’est un bien qu’il découvre dans la nature ; c’est un nouvel être que l’on prend, ou que l’on trouve : c’est un aussi grand étonnement à l’âme de trouver tout à coup un ordre de sentiments qu’elle ne connoissoit pas, que si elle découvroit un nouvel ordre b de connoissances tout à coup : excepté qu’ayant déjà connu l’un n’est qu’une acquisition pour elle ; mais les nouveaux sentiments sont une création dans elle.

1083 (631. I, f° 453). — Dans les affaires de galanterie, j’ai toujours pensé que celui qui y étoit le plus 1o sot jouoit (le plus dupe joue) le plus beau rôle.

1084 (1 104. II, f° 73 v°). — Il me semble que l’amour est agréable en ce que la vanité se satisfait sans avoir honte d’elle-même. Si une maîtresse me parle de moi,

si je parle de moi à ma maîtresse, si elle me fait ô moins de caresses qu’à un autre,"si elle ne me donne pas toutes les préférences, les petits sentiments de ma vanité sont excités sans que je puisse me la reprocher à moi-même ; ce qui arriveroit si j’avois les mêmes sentiments dans d’autres circonstances. 2o

1085(2215. III, f° 464 v°). — « Les gens extrêmement amoureux, disoit quelqu’un, sont ordinairement discrets. >

1086(1245. II, f° 102 v°). — Les bourgeoises cherchent dans leurs amours les titres ; les femmes de la 25 Cour y cherchent d’autres qualités que celles du blason.

1087 (719. I, p. 483).—Je pense que nous sommes jaloux par une douleur secrète du plaisir des autres, lorsque nous n’en sommes ni la cause ni la fin1 ; ou à cause d’une certaine pudeur, c*est-à-dire

5 la honte de nos imperfections qui nous a obligés de dérober aux yeux de certaines choses : d’où il est arrivé qu’un mari a regardé les secrets de sa femme comme les siens ; ou par une connoissance que chacun a du peu d’étendue des passions, trop aisément

1o satisfaites, et de cette imbécillité de la nature qui fait que le cœur partagé entre deux personnes se donne tout entieràl’uneouse détache de toutes les deux ; ou à cause d’une propriété donnée à un mari des enfants qui naissent d’une certaine femme, propriété que l’on

15 cherche toujours à rendre la moins incertaine qu’il est possible ; ou par une certaine crainte du ridicule que les mauvais plaisants de toutes les nations ont versé sur cette matière : chacun s’étant toujours plu à toucher une passion qui, remuée dans un homme,

2o aboutit à toutes les autres (parlez de la vengeance, vous ne toucherez que celui qui sera pénétré d’un affront qu’il aura reçu : tous les autres seront de glace ; mais parlez de l’amour, vous trouverez tous les cœurs ouverts et toutes les oreilles attentives) ; ou,

25 enfin, par un certain désir d’être aimé des personnes que l’on aime : lequel est dans la substance de l’âme, c’est-à.dire dans sa vanité, et n’est point différent de celui que nous avons d’être considérables à tout le monde, surtout à ceux qui ont le plus de relation avec nous : un François aime mieux être estimé en Allemagne qu’au Japon, en France qu’en Allemagne ; et, comme rien ne nous touche de plus près que les personnes que nous aimons, aussi sont-ce celles dont nous souhaitons davantage d’être aimés1.

1. -J’ai mis quelque chose d’approchant dans le chapitre x1v du livre des Loix, sur la Servitude domestique.

t. 1l. 14

1088(757. I, p. 496). — La jalousie me semble nécessaire dans les pays chauds ; la liberté, dans les climats froids : en voici une raison physique2.

Il est certain que les femmes sont nubiles dans les climats chauds à huit, dix, douze ans, et sont d’abord vieilles : c’est-à-dire que l’enfance et le mariage sont presque toujours ensemble. Or, comme c’est la raison qui donne l’empire, et qu’elle ne se trouve presque jamais avec les agréments, qui donnent un empire plus fort, il faut bien que les femmes soyent soumises. Or, la raison ne peut leur faire regagner dans leur v1eillesse le pouvoir qu’elles ont perdu lorsqu’elles avoient des charmes et de la beauté. Enfin, dans les pays chauds, les femmes ne sont raisonnables que quand elles sont vieilles, et elles ne sont belles que pendant qu’elles ne sont pas raisonnables. Elles n’ont donc jamais pu prendre un certain ascendant sur les hommes, et leur prompte vieillesse a dû nécessairement introduire la polygam1e. :

Dans les pays froids, les femmes se marient dans l’âge où leur raison est la plus forte, et leurs agréments se conservent mieux ; de façon que la

1. Voyez page 496 et à la page 489.

2. Mis dans les Loix. vieillesse de leur mari suit la leur. L’usage des boissons fortes, qui y établit l’intempérance parmi les hommes, leur donne même la plupart du temps l’avantage de la raison sur eux. Il y a des pays où, tous les soirs, toute la nation est ivre. Les femmes, qui ont, à cet égard, une retenue naturelle, parce qu’elles ont toujours à se défendre, ont donc de grands avantages sur les hommes ; qui, ayant les leurs aussi, il en résulte cette égalité.

1o C’est pour cela que la loi des Romains, qui ne permet qu’une seule femme, qui est devenue une loi chrétienne, est conforme au physique du climat d’Europe, et non au physique du climat d’Asie ; et c’est pour cela que le Mahométisme a trouvé tant

ô de facilité à s’établir en Asie et tant de difficulté à s’établir en Europe ; que le Christianisme s’est maintenu en Europe et a été détruit en Asie ; que les Mahométans font tant de progrès à la Chine, et les Chrétiens, si peu.

La Nature, qui n’a point fait les agréments pour les hommes, ne leur a donné d’autre terme que celui de leur force et de leur raison. Elle a donné aux femmes les agréments et leur a donné pour terme la fin de leurs agréments 1. De là s’est nécessairement

3 établie la pluralité des femmes, comme une chose, en quelque façon, nécessaire, et, d’un autre côté, si elle ne s’étoit pas établie, vu l’incontinence produite par le climat, la loi d’une seule femme auroit donné aux femmes un avantage prodigieux.

1. Aux femmes d’Orient, la jeunesse est au commencement de leur âge, au lieu qu’à nos femmes la jeunesse est au milieu.

1089* (2248. III, f’477 v°). — Il paroît visible par les Mille et Une Nuits (tome IV, Histoire de Ganem, fils cTAbou-Ajoub, surnommé « l’Esclave d’Amour », page 364) qu’en Orient la jalousie est peu offensée de ce qu’une femme aimeroit quelqu’un qu’elle au. ? roit vu, et qu’elle n’est offensée que de l’insulte que feroit un homme en jouissant de la femme ou de la maîtresse d’un autre. Ici Tourmente se contente de justifier Ganem, qui l’avoit respectée et avoit dit que ce qui est au maître est sacré pour 1o l’esclave. Après quoi, sans que le calife le lui demande, elle lui dit qu’elle avoit conçu de l’amour pour Ganem, ce que le calife ne désapprouve pas, et pardonne à Ganem, et dit à Tourmente qu’il veut le lui faire épouser. 15

1090 (1061. II, f° 63 v°). — Il est bien sûr que l’amour a un caractère différent de l’amitié : celle-ci n’a jamais envoyé un homme aux Petites-Maisons.

1091 (532. I, p. 426). — Les deuils introduits chez toutes les nations font bien voir qu’on suppose 2o toujours que les hommes cherchent à se faire aimer.

1092 (3o8.I, p. 328). — Amis. — Vos amis tirent sur vous par préférence, afin qu’on ne leur reproche pas le peu de finesse de leur discernement, et qu’ils n’ont pas vu les premiers les défauts que vous 25 avez.

Il y a encore des amis qui, dans les accidents qui vous arrivent, ou dans les fautes que vous faites, ont une fausse pitié ; de façon qu’à force de vous plaindre ils exagèrent votre faute.

D’ailleurs, pour faire voir qu’ils ont plus de sagesse que vous, ils vous font paroître ou opiniâtres 5 ou incorrigibles, par les belles choses qu’ils disent de leur prévoyance, ou par les discours sages qu’ils prétendent vous avoir tenus.

Si vous attrapez un bon ridicule, comptez que c’est un de vos amis qui vous l’a donné : un autre ne s’en 1o seroit pas donné la peine ou ne l’auroit pas senti.

L’amitié est un contrat par lequel nous nous engageons à rendre de petits services à quelqu’un, afin qu’il nous en rende de grands.

1093 (2062. III, f° 342). — On parloit d’un bon mot ô dit contre quelqu’un. On demanda qui l’avoit dit. Je dis : « Ce ne peut être qu’un de ses amis, » et cela se trouva vrai.

1094(1o67. II, f° 65 v°). —Je disois sur les amis tyranniques et .avantageux : «L’amour a des dédom1o magements que l’amitié n’a pas. »

1095 (880. II, f° 4 v°). — Je dis sur l’affliction de Mad’ de L. : « C’est un principe de grandes maladies que la bonté du cœur. »

1096(28. I, p. 20). — Ceux qui s’attachent aux zi grands disgraciés dans l’espérance que le retour de leur fortune sera la leur propre se trompent extraor dinair’ement : car ils en seront oubliés si tôt que la faveur leur sera revenue. Un homme qui sort de la disgrâce est charmé de trouver partout des gens qui aspirent à son amitié. Il s’attache à ces amis nouveaux, qui lui donnent une image plus vive de sa grandeur. Comme ce qui l’amusoit dans sa dis- 3 grâce ne l’amuse plus, il vous met au rang des choses qui n’amusent plus. Il a changé, et vous, qui n’avez point changé, vous vous dégoûtez. Cependant, il y a de l’injustice à vous de vouloir qu’un cœur que tout cherche à remplir, soit aussi à vous qu’il l’étoit dans 1o la solitude. Au milieu du bruit d’une grande fortune, il revient à ses anciens amis, comme il reviendroit dans une solitude. Il semble qu’ils lui rappellent sa petitesse. Que si vous le faites apercevoir que vous sentez son changement, il vous regarde comme un 15 créancier incommode : il en viendra bientôt à vous disputer la dette, et, plus il vous ôtera de son amitié, moins il croira vous devoir.

1097*(938. II, f° 17 v°). — Rien n’est plus près de la Providence divine que cette bienveillance générale 2o et cette grande capacité d’aimer qui embrasse tous les hommes, et rien n’approche plus de l’instinct des bêtes que ces bornes que le cœur se donne lorsqu’il n’est touché que de son intérêt propre, ou de ce qui est autour de lui 1. 25

1098 (1181. II, f° 82 v°). — Les gens extrêmement heureux et extrêmement malheureux sont également portés à la dureté : témoin les moines et les conquérants. Il n’y a que la médiocrité ou le mélange de la bonne et de la mauvaise fortune qui donnent de la pitié 1.

1. Mis dans l’Histoire véritable.

5 1099 (1023. II, f° 39). — J’avois le bonheur que presque tout le monde me plaisoit, et ce caractère a été la chose du Monde la plus heureuse pour moi : car, comme mon visage étoit tout ouvert, qu’il m’étoit impossible de cacher mon amour, mon mépris, 1o mon amitié, mon ennui, ma haine, comme la plupart des gens me plaisoient, ils trouvoient sur mon visage un bon témoignage d’eux-mêmes.

1100 (990. II, f° 28 v°). — Les gens qui ont de l’esprit, et qui ont beaucoup lu, tombent souvent dans 13 le dédain de tout.

1101 (479. I, p. 402). — On se «fie à un honnête homme comme on se fie à un banquier riche.

1102 (29. I, p. 22). — Le but naturel de la vengeance est de réduire un homme à ce sentiment de

2o désirer de ne nous avoir point offensé. La vengeance ne mène point à ce but ; mais à celui que l’on seroit heureux si l’on pouvoit nous offenser encore. Le pardon ramèneroit bien plus sûrement un homme au repentir.

25 Il y a encore un autre plaisir, qui est celui de

1. Mis dans les Loix. l’honneur que l’on croit obtenir pour l’avantage que l’on a pris sur son ennemi.

L’Italien qui fait faire un péché mortel à son ennemi avant de le tuer aime la vengeance par elle-même et indépendamment du point d’honneur : il veut que, pendant toute l’éternité, il se repente de l’avoir outragé.

Rien ne raccourcit plus les grands hommes que l’attention qu’ils donnent à de certains procédés personnels. J’en connois deux, qui y ont été entièrement insensibles : César et le dernier duc d’Orléans. Lorsque celui-ci parvint au gouvernement, il récompensa ses amis et soulagea ses ennemis de leurs justes craintes : ils se trouvèrent tranquilles à l’ombre de son autorité.

1103 (1056. II, f° 61 v°).— Il y a beaucoup de gens dont c’est un grand inconvénient d’être connu.

V. PATRIOTISME ET AMBITION.

1104 (634. I, f° 453 v°). — Quoiqu’on doive aimer sa patrie, il est aussi ridicule d’en parler avec prévention que de sa femme, de sa naissance ou de son bien. Que la vanité est sotte partout !

1105 (946. II, f° 20 v°). — Quoiqu’on doive aimer souverainement sa patrie, il est aussi ridicule d’en parler avec prévention, que de sa femme, de sa naissance et de son bien, parce que la vanité est sotte partout.

1106 (451. I, p. 391). —Je ne suis point étonné de voir les ambitieux se donner un air de modestie et

3 se défendre de l’ambition comme d’un vice honteux. Celui qui montreroit toute son ambition étonneroit tous ceux qui voudroient le servir. D’ailleurs, comme personne n’est assuré de réussir dans le chemin de la fortune, on se prépare la ressource de faire croire 1o qu’on l’a méprisée.

1107 (2231. III, f° 465 v°). — Les Ambitieux. — Leur ambition est comme l’horizon, qui va toujours devant eux.

1108 (1536. II, f° 240). —Je disois : « Ce n’est que 15 par ambition que la plupart des gens mentent : ils

veulent se rendre recommandables par le succès de quelque conte. »

1109* (1487. II, f°221 v°). — Ce qui fait que les gens

les plus sensés sont touchés des que l’on rend

1o uniquement à leurs dignités, c’est qu’ils sentent que leurs dignités exigent ces honneurs, et qu’ils s’imaginent aisément que, lorsqu’on ne les rend pas, c’est le défaut de la personne ; ce qui les humilie beaucoup.

1110 (85o. I, p. 542). — Je disois : «Pour n’être 2b pas déshonoré dans ce monde, il suffit de n’être qu’à demi sot et à demi fripon. >

1111* (1404. II, f° 202 v°).—Je dis que les gens d’affaires sont très heureux d’avoir un orgueil qui les porte à s’allier avec la noblesse. Sans cela, ils seroient comme une caste particulière. Cela leur est utile en ce que cela les fait dégorger. s

1112(1458. II, f° 214 v°).—J’aime ce que disoit l’abbé de Mongaut : « Dans la jeunesse, nous jugeons des hommes par les places, et, dans la vieillesse, des places par les hommes. »

VI. CUPIDITÉ ET LIBÉRALITÉ. 1o

1113 (2098. III, f° 348 v°). — Travailler à faire sa fortune est une chose qui peut amuser : on espère toujours.

1114 (3o4. I, p. 326). — Je trouve que la plupart des gens ne travaillent à faire une grande fortune 15 que pour être au désespoir, lorsqu’ils l’ont faite, de

ce qu’ils ne sont pas d’une illustre naissance.

1115* (2o38. III, f° 335 v°).— Un homme de basse naissance se tourmente bien fort pour faire fortune, c’est-à-dire pour être dans cet état où il rougira 2o toute sa vie de sa naissance et du tourment de cette idée.

1116* (73. I, p. 66).— L’avare aime l’argent par (sic) lui-même, non pas à cause des utilités qu’il en retire. Cela s’appelle appetere malum quamalum.

1117 (2089. III, f° 345 v°). — Je disois à un avare : « Vous faîtes bien d’amasser de l’argent pendant

• votre vie : on ne sait ce qui arrivera après la mort. »

1118 (1200. II, f° 92). — L’Avarice. — Elle est si sotte qu’elle ne sait pas même compter.

1119 (659.I, p. 460). — Avarice. — Souvent il y a des avares qui ne se soucient pas de dépenser en

1o gros. Il n’y a que la dépense en détail qui les fatigue. C’est qu’ils font un ouvrage qui les occupe : de faire une grosse somme avec des petites. Je les compare à cette folie des soldats d’Antoine (dans l’expédition des Parthes) qui mangèrent une herbe dont l’effet

13 étoit de leur faire amasser en un monceau toutes les pierres ; après quoi, ils ne s’en soucioient pas.

1120(552. I, f°436). — Dans les villes de commerce, comme les villes impériales et celles de Hollande, on est accoutumé de mettre un prix à tout ; on 2o met à ferme toutes ses actions ; on trafique des vertus morales ; et, les choses que l’humanité demande, on les vend pour de l’argent1.

1121 (5g3.I, f° 446). — Je disois : « II n’y a pas de petites sommes pour l’avarice. Le duc de Marlborough

1. Voyez le passage d’Ammien Marcellin. ne demanda-t-il pas un shelling qu’il avoit gagné, pour payer (disoit-il) ses porteurs, et s’en alla à pied. Pultney en étoit témoin. A la fin, il se plaignait de son avarice même. >

1122* (1401. II, f° 202 v°). — Feu M. le duc d’Antin 5 n’avoit jamais mis à aucune loterie, donné à aucune quêteuse, donné aucune étrenne, aucun présent, jamais donné pour boire à qui que ce soit en sa vie.

1123 (636. I, f° 453 v°). — L’avarice se fortifie avec l’âge. C’est que nous voulons toujours jouir. Or, 1o dans la jeunesse nous pouvons jouir en dissipant, et, dans la vieillesse, nous ne pouvons jouir qu’en gardant.

1124 (637. I, f° 453 v°). — La dépense est une comparaison entre l’argent qu’on dépense (ou le prix de 13 ce que nous voudrions imaginer d’avoir pour notre plaisir) et la chose pour laquelle on dépense. Or, dans la vieillesse, peu de choses, en particulier, nous font plaisir.

1125 (2139. III, f ° 351 v°). — Un homme libéral 2o n’est pas celui qui achète beaucoup de médailles parce qu’il les aime ; c’est un homme qui dépense hors de ses goûts.

1126(1 117. II, f° 75 v°). — Il faut savoir le prix de l’argent : les prodigues ne le savent pas, et les =3 avares, encore moins.

1127(2237. III, f° 466).—Je dirai de l’argent ce qu’on disoit de Caligula, qu’il n’y avoit jamais eu un si bon esclave et un si méchant maître.

1128(8o8. I, p. 517). —Je disois : «Il faut regarder b son bien comme un esclave ; mais il ne faut pas perdre son esclave.»

1129(2238. III, f° 466 v°). — L’argent est très estimable lorsqu’on le méprise.

1130(2o84. III, f° 345 v°). — Les richesses sont un 1o tort que l’on a à réparer, et l’on pourroit dire : «Excusez-moi si je suis si riche.»

1131 (2232. III, f° 466). — Un M. Le Prêtre, qui a 5oo,ooo livres de rente, gagna un billet de 5o,ooo fr. à la Loterie. Je dis : «je voudrois que ce coquin fût

ô mort de plaisir.»

1132 (518. I, p. 420). — Un secrétaire du prince Louis de Bade ne prenoit point d’argent, mais il vendoit des rosses à tous ceux qui avoient besoin de lui.

^o 1133 (801. I, p. 515). — Les gens qui ne sont pas rangés dans leurs affaires disent : «Je serois à mon aise si j’avois 10,000 livres de plus. » S’ils avoient ces 10,000 livres de plus, ils se dérangeroient d’abord et diroient : c Si j’avois ces 10,000 livres de plus ! »

23 et in infinitum.

1134 (2054. III, f° 341 v°).—Je disois : « La médiocrité est un garde-fou.»

1135* (1387. II, f° 199). — La médiocrité est une vertu de tous les états : car, comme elle n’est proprement qu’une économie sage et réglée de la condi- 5 tion présente, elle peut non seulement mettre des douceurs dans la vie des moindres particuliers, mais faire encore la félicité des Roix.

C’est ordinairement un malheur d’avoir plus de richesses qu’il ne convient à son état, parce qu’on 1o ne peut guère les dépenser sans insolence ou les garder sans avarice.

Un homme qui est dans la bassesse, et qui voudroit avoir de grands biens, ne pense pas qu’il n’en pourroit faire que fort peu d’usage, et que presque ô toutes les choses que son argent pourroit lui procurer seroient à son égard comme étoit autrefois la pourpre, dont l’usage n’étoit permis qu’aux Roix.

Car, comme on veut qu’un homme de haute nais- 2o sance conserve une noble fierté dans la disgrâce, on veut de même qu’un homme de néant conserve de la modestie dans sa fortune.

Sans cela, on est sûr de perdre le plus précieux de tous les biens, qui est la bienveillance du peuple, 2s et de tomber dans un grand malheur, qui est le fléau (sic) de ridicule dont il couvre ceux qui se sont offerts à ses mépris.

Si un nouveau riche va d’abord bâtir une maison superbe, il offensera les yeux de tous ceux qui la 3o verront ; c’est comme s’il faisoit au peuple cette déclaration :

« Je vous avertis que moi, qui étois autrefois le plus trivial de tous les hommes, je me fais aujourd’hui un 5 homme de conséquence ; je vais mettre entre vous et moi une vaste cour et cinq pièces de plain-pied ; vous espérerez en vain de me trouver plus tôt : car je ferai ma résidence à la sixième. J’aurai des gens mieux habillés que vous, que vous trouverez sur

1o votre chemin, comme de nouveaux obstacles jusqu’à moi. Au lieu de mes vilains habits gris, je vais me vêtir des plus riches étoffes. Enfin, vous ne trouverez plus de moi qu’une assez laide figure : je n’ai pu la changer. Mais, pour mon nom, ce nom qui

15 m’étoit si cher, je le quitterai. Puissé-je en perdre la mémoire, et puissiez-vous la perdre aussi ! >

Après les grandes maisons qui n’ont point d’origine et semblent, pour ainsi dire, être nées dans le Ciel, les meilleures familles sont celles qui sont insen

2o siblement sorties de la bassesse où elles étoient, et dont les premiers fondateurs n’ont pas eu l’insolence de se faire remarquer : car rien ne déshonore une famille comme une anecdote éternelle ou bruit populaire, et, si j’ose me servir de ce terme, une catas

25 trophe dans l’origine.

Ceux qui rougissoient de leur pauvreté, devenus riches, ont, pour lors, à rougir de leur naissance ; beaucoup plus mortifiés, parce qu’ils ne croyent plus être faits pour l’être.

3o Les enfants qui succèdent à une si grande fortune portent le poids de la mémoire de celui à qui ils doivent tant ; et cela est si vrai que rien ne paroît si héroïque sur nos théâtres que l’action d’un prince qui, dans sa gloire, retrouve avec plaisir un berger qu’il croit être son père, et dont il ne rougit pas.

J’avoue que j’ai trop de vanité pour souhaiter que =, mes enfants fissent un jour une grande fortune : ce ne seroit qu’à force de raison qu’ils pourroient soutenir l’idée de moi. Ils auroient besoin de toute leur vertu pour m’avouer ; ils regarderoient mon tombeau comme le monument de leur honte. Je puis croire 1o qu’ils ne le détruiroient pas de leurs propres mains ; mais ils ne le relèveroient pas sans doute s’il étoit tombé à terre. Je serois l’achoppement éternel de la flatterie, et je mettrois dans l’embarras ses courtisans. Vingt fois par jour, ma mémoire seroit incom- ô mode, et mon ombre malheureuse tourmenteroit sans cesse les vivants.

Ceux donc qui ont tant d’ambition, et qui l’ont si sotte, pensent aussi follement qu’Agrippine, qui disoit aux devins : « Que je meure, pourvu que mon 2o fils soit empereur ! »

1136(1106. II, f° 74). — Pourquoi est-ce que les enfants des avares sont prodigues ? C’est que les uns ont pour objet de faire une fortune ; les autres, d’en jouir. De plus, les uns sont accoutumés à l’opulence ; 25 les autres ont été élevés dans l’épargne. Ce qui est si vrai que les enfants des riches négociants ne sont pas plus prodigues que leurs pères.

1137 (1395. II, f° 202). — Il y a bien des gens qui ne regardent pour nécessaire que ce qui est superflu.

1138* (1400. II, f° 202). — La masse des joueurs gagne autant qu’elle perd, à la dépense des cartes 3 près. Mais ce qui rend le métier mauvais, c’est que ceux qui perdent font de très mauvais marchés pour payer ou pour réparer, et ceux qui gagnent font de très mauvais marchés aussi pour dépenser.

1139 (1625. II, f° 493). — On joue au biribi. Si

1o l’argent vous incommode, jetez le par la fenêtre. Si

je demandois à quelqu’un s’il vouloit jouer 70 louis

contre 63, il riroit. C’est pourtant le biribi. On ne

calcule point.

Les Anglois sont calculateurs ; c’est qu’il y a chez 15 eux deux bouts qui enveloppent le milieu : les négociants et les philosophes. Les femmes n’y sont rien ; ici elles sont tout.

1140(2078. III, f° 343 v°). — Les joueurs n’ont que le superflu ; jamais les besoins.

3o 1141* (1684. III, f° 33 v°). — Un homme qui entendoit un vieux plaideur raconter ses faits et gestes lui dit : «je comprends de tout ceci, Monsieur, que, si vous me demandez la moitié de mon bien, je vous le laisserai ; si vous me le demandez tout, je vous 25 tuerai. »

Cet homme étoit un grand philosophe et raisonnoit parfaitement bien.

VII. CURIOSITÉ.

1142 (288. I, p. 310). — La curiosité, principe du plaisir que l’on trouve dans les ouvrages d’esprit. Hobbes dit que la curiosité est particulière à l’Homme ; en quoi il se trompe : chaque animal l’ayant dans la b sphère de ses connoissances.

1143 (1632. III, f° 1). — Aimer à lire, c’est faire un échange des heures d’ennui que l’on doit avoir en sa vie, contre des heures délicieuses.

1144 (1116. II, f° 75 v°). — Il faut avoir beaucoup 1o étudié pour savoir peu.

1145 (878. II, f° 4 v°). — Mon ami N. s’attacha à quatre-vingts ans à la philosophie. C’étoit le héros du IIIe livre de Virgile : plus fort que les jeunes gens.

1146(93. I, p. 87).— Une patrie ingrate dit sans t ? cesse aux savants qu’ils sont des citoyens inutiles, et, pendant qu’elle jouit de leurs veilles, elle leur demande à quoi ils les ont employées.

VIII. DÉVOTION ET INTOLÉRANCE.

1147 (4. I, p. 2). — La dévotion vient d’une envie 2o de jouer quelque rôle dans le monde à quelque prix que ce soit.

1148 (594. I, f° 446 v°). — La dévotion est une croyance qu’on vaut mieux qu’un autre.

1149(14o5. II, f° 2o3). — J’appelle la dévotion : une maladie du corps, qui donne à l’âme une folie 5 dont le caractère est d’être la plus incurable de toutes.

1150 (1140. II, 1° 78 v°). — La dévotion trouve pour faire une mauvaise action des raisons qu’un simple honnête homme ne sauroit trouver.

1o 1151 (431. I, p. 384). — Saint Cyrille, dans une lettre, parle des acclamations du peuple d’Éphèse, lorsqu’il apprit que le concile avoit déclaré la Vierge mère de Dieu. «Tout le peuple, dit-il, étoit aux portes. Tout le monde, lorsqu’on nous vit, alloit au

15 devant de nous, nous remercioit, nous félicitoit,

nous bénissoit, » — Le peuple est toujours ravi

d’augmenter le culte et toujours porté vers ces sortes de dévotions, et, si on le laissoit faire, il iroit toujours plus loin.

2o 1152* (1969. III, f° 277). — La dévotion a des côtés favoris. La duchesse de Brissac, étant au sermon, dit à la personne qui étoit auprès d’elle : « Si l’on prêche sur la Madeleine, vous me réveillerez. Si l’on prêche sur la nécessité du salut, vous me laisserez

’b dormir. >

1153 (727. I, p. 487). — Souvent ceux qui sont sans religion ne veulent pas qu’on les oblige à changer celle qu’ils auroient s’ils en avoient une, parce qu’ils sentent que c’est un acte de puissance qu’on ne doit pas exercer sur eux. L’esprit de contradiction leur fait trouver un plaisir à contredire, c’est-à-dire un â bien. D’ailleurs, ils sentent que la vie et les biens ne sont pas plus à eux que leur religion ou leur manière de penser, et que qui peut ôter l’un peut encore mieux ôter l’autre.

IX. ESPRIT. .o

1154 (972. II, f° 27). — Deux sortes d’hommes : ceux qui pensent, et ceux qui s’amusent.

1155 (1428. II, f° 206). — Voici comme je définis les talents : un don que Dieu nous a fait en secret, et que nous révélons sans le savoir. 15

1156 (2061. III, f° 342). —Je disois : « Un grand homme est celui qui voit vite, loin et juste. >

1157 (1982. III, f° 279 v°)— Ordinairement, ceux qui ont un grand esprit l’ont naïf.

1158(1597. II, f°456). — Un des grands délices de 2o l’esprit des hommes, c’est de faire des propositions générales.

1159(2162. III, f° 354 Vo) — Il ne faut pas avoir beaucoup d’esprit pour brouiller tout ; mais il faut en avoir beaucoup pour concilier tout. L’esprit de conciliation a fait les trois quarts du (sic) héroïsme du duc de Marlborough.

5 1160(971. II, f° 27). — Les Gens sensés. — Ils ont plus de raisons pour mépriser, et ils ont moins de dédaings.

1161 (1088. II, f° 68).— La simplicité et peu de culture dans l’esprit, bonne (sic) pour les victoires : té1o moin les premiers Romains, lesTartares, les Arabes.

1162(1049. II, f° 60 v°). — Je disois : t Un homme qui a l’esprit présent est un homme qui a son bien en argent comptant. Un homme qui ne l’a pas est un homme qui a son bien en terres. >

15 1163* (1443. II, f° 211 v°). —Je disois : « La vivacité fait faire les belles reparties, et le sens froid, les belles actions. »

1164* (937. II, f° 17 v°). — Des gens peuvent croire qu’on ne met pas de feu dans ses pensées parce 2o qu’on n’en met point dans la manière de les défendre.

1165(13o3. II, f° 172). —Je disois : « L’humeur est la passion de l’esprit. »

1166(116o. II, f° 81). — On n’est pas d’accord sur l’esprit, parce que, quoique l’esprit, en tant qu’il voit, soit quelque chose de très réel, l’esprit, en tant qu’il plaît, est entièrement relatif. »

1167 (2o56. III, f° 341 v°).—Un homme qui a de l’esprit ne cherche point à en montrer : on ne se 5 pare pas des ornements que l’on met tous les jours.

1168 (1423. II, f° 2o5). — Il y a la même différence entre un homme d’esprit et un bel-esprit que l’on met entre une belle femme et une beauté. 1o

On n’est jamais bel-esprit quand on ne prétend pas de l’être.

1169 (2115. III, f° 349 v°). — Il est souvent difficile de savoir si les femmes ont de l’esprit, ou non. Elles séduisent toujours leurs juges. La gayeté leur tient 15 lieu de cet esprit. Il faut attendre que leur jeunesse soit passée. Elles pourroient dire pour lors : «Je vais savoir si j’ai de l’esprit.»

1170 (2116. III, f° 349 v°). — Quand un homme est un bon géomètre et est reconnu pour tel, il lui ÏO reste encore à prouver qu’il a de l’esprit.

1171 (1354. II, f° 194 v°). — Dans mon extrait du Journal des Sçavans, août 1736, est une chanson des Grecs :

«Le premier de tous les biens est la santé ; le 25 second, la beauté ; le troisième, les richesses acquises sans fraude ; le quatrième, la jeunesse qu’on passe avec des amis.»

On n’y parle point de l’esprit, qui est un attribut principal de nos temps modernes.

5 1172(g87. II, fo 28 vo). — Jamais l’Académie ne tombera : tandis qu’il y aura des sots, il y aura aussi des beaux-esprits.

1173(141o. II, f° 2o3 v°). —Je disois de La Popelinière : «Il y a des gens qui sont sots parce qu’ils 1o veulent avoir trop d’esprit. Celui-ci n’auroit pas d’esprit, s’il ne croyoit en avoir beaucoup.»

1174 (1081. II, f° 67). — Les gens d’esprit sont gouvernés par des valets, et les sots, par des gens d’esprit.

1b 1175 (1376. II, f° 197). — Sur l’esprit de saillies : si l’on alloit recueillir les saillies des Petites-Maisons, on en trouveroit beaucoup.

1176 (1426. II, f° 2o5 v°). — J’ai souvent remarqué que, pour que des enfants ayent beaucoup d’esprit,

2o il faut une mère un peu folle, et qui ait de l’esprit, et un père pesant, ou le contraire : la mère des Corneille et leur père, qui n’étoit qu’un bon homme, qui écrivoit de sa main les pièces imprimées de son fils ; le père de Fontenelle, dont la mère étoit des

2b Corneilles ; le maréchal de Brancas, assez lourd et sa femme, très folle, mère de M. de Forcalquier.

1177(1358. II, ^ 1g5 v°). — Je disois : « Quand on court après l’esprit, on attrape la sottise. >

1178(1o66.II, f° 65 v°). — I said : «je ne trouve rien de si difficile que d’avoir de l’esprit avec des sots. »

1179(1193. II, f" 91). — Il faut beaucoup d’esprit3 pour les conversations avec les princes : comme ce sont des gens dont la réputation est toujours faite, il ne faut leur dire, quand on les loue, que des choses que ceux qui écoutent peuvent penser comme celui qui les dit. 1o

1180 (686. I, p. 471). — Croyez-moi : l’esprit est souvent où il ne brille pas, et, comme ces pierres artificielles, souvent il semble briller où il n’est pas.

1181 (1094. II, f° 68 v°). — Combien vois-je de gens qui n’ont pas assez d’esprit, et qui en ont beau- 15 coup ! Combien en vois-je qui en ont assez, et en ont très peu !

1182(1090. II, f ° 68). — Lorsqu’une fille a sept ans, elle paroît avoir de l’esprit, parce qu’elle ne craint rien ; à douze, elle tombe dans une espèce de 2o stupidité, parce qu’elle s’aperçoit de tout. Il en est de même de ces enfants qui paroissent avoir tant d’esprit, et qui deviennent si sots. Ils lâchent toutes sortes de propos à tort et à travers, parce qu’ils ne savent ni ne sentent ce qu’ils disent ; au lieu que ces 2s enfants qui paroissent sots ont une espèce de sentiment prématuré des choses, ce qui fait qu’ils sont en quelque façon plus réservés. Qu’on y fasse attention ! Ce qui plaît dans le discours d’un enfant vient, dans le fond, de la sottise de l’enfant, qui n’a pas été 5 frappé de ce qu’il dit, comme il falloit, et n’a vu ni senti ce qu’il falloit. 11 n’y a que ceux qui ont de l’esprit qui paroissent sots.

1183 (52. I, p. 56). — Gens singuliers. — Il y a des gens si bizarres que ce sont les grotesques de notre 1o espèce.

Leur esprit décline généralement de tous les esprits.

Dès qu’un homme pense, et qu’il a un caractère, on dit : « C’est un homme singuliers 15 La plupart des gens se ressemblent en ce qu’ils ne pensent point : échos éternels, qui n’ont jamais rien dit et ont toujours répété ; artisans grossiers des idées des autres.

Il faut que la singularité consiste dans une manière 2o fine de penser (?), qui a échappé aux autres : car un homme qui ne sauroit se distinguer que par une chaussure particulière seroit un sot par tout pays.

Les pensées et les actions d’un homme singulier lui sont tellement propres qu’un autre homme ne 23 pourroit jamais les employer sans se démentir.

1184* (2163. III, f° 354 vo). — Il est aisé de sentir

en général ce qui est ridicule ; mais on a le tact fin

lorsqu’on sent ce qui est ridicule là, c’est-à-dire

devant chaque société et devant chaque personne.

X. SOTTISE ET PRÉJUGÉS.

T. 11. 17

1185* (164.I, p. 138). — Bêtise : Gens grossiers. — On peut comparer des hommes de cette espèce aux peuples que les Anciens s’imaginoient être dans les zones inconnues. « lntra, [si] credere libet, dit Pom- 5 ponius Mêla en parlant de l’Afrique, vix jam homines, magisque semiferi. — Blemmyis capita absunt ; vultus in pectore est. Satyris prœter effigiem nil humani. Gamphasantes, sine lectis et sine sedibus, vagi, habent potius terras quant habitent. » 1o

1186 (70. I, p. 65).— La plupart des hommes qu’on appelle sots ne le sont que relativement.

1187 (600. I, f° 447). — La raison pourquoi les sots réussissent ordinairement dans leurs entreprises, c’est que, ne sachant et ne voyant jamais 15 quand ils sont importuns, ils ne s’arrêtent jamais. Or, il n’y a pas d’homme assez sot pour ne savoir pas dire : « Donnez-moi cela. »

1188 (807. I, p. 517).— Les sots qui marchent dans le chemin de la fortune prennent toujours -o les routes battues. Un précepteur du Roi est-il devenu premier ministre ? Tous les petits ecclésiastiques veulent être précepteurs du Roi, pour être premiers ministres. Les gens d’esprit se font des routes particulières : ils ont des chemins cachés, nouveaux ; ils marchent là où personne n’a encore été. Le monde est nouveau.

1189 (2093. III, f° 348). —Je disois de deux fa5 milles toutes deux sottes, l’une modeste, l’autre

orgueilleuse, que l’une représentoit les sots tels qu’ils sont ; l’autre, tels qu’ils devroient être.

1190 (459. I, p. 393). — J’ai connu un ecclésiastique qui se faisait estimer parce qu’il étoit gros.

1o Il faisoit valoir un air sérieux répandu dans toutes les dimensions de son corps, et il parloit si peu qu’il lui falloit presque tout un jour pour dire trois sottises.

1191 (1229. II, f° 100).— J’envie la témérité des 15 sots : ils parlent toujours.

1192 (1244. II, f° 102 v°). — Le ton du monde consiste beaucoup à parler des bagatelles comme des choses sérieuses, et des choses sérieuses comme des bagatelles.

2o 1193 (107. I, p. 98). — Plaire dans une conversation vaine et frivole est aujourd’hui le seul mérite. Pour cela, le magistrat abandonne l’étude de ses loix. Le médecin croiroit être décrédité par l’étude de la médecine. On fuit, comme pernicieuse, toute

»5 étude qui pourroit ôter le badinage.

Rire sur rien et porter d’une maison à l’autre une chose frivole s’appelle science du monde, et on craindroit de perdre celle-ci si on s’appliquoit à une autre.

Otez des conversations continuelles le détail de quelque grossesse ou de quelque accouchement ; 5 celui des femmes qui étoient ce jour-là au Cours ou à l’Opéra ; quelque nouvelle portée de Versailles, que le Prince a fait ce jour-là ce qu’il fait tous les jours de sa vie ; quelque changement dans les intérêts d’une cinquantaine de femmes d’une certaine 1o façon, qui se donnent, se troquent et se rendent une cinquantaine d’hommes, aussi d’une certaine façon : vous n’avez plus rien.

Je me souviens que j’eus autrefois la curiosité de compter combien de fois j’entendrois faire une petite 15 histoire, qui ne méritoit certainement d’être dite ni retenue pendant trois semaines qu’elle occupa le monde poli : je l’entendis faire deux cents vingtcinq fois ; dont je fus très content.

1194* (1246. II, f° 102 v°). — Sur ce que l’on disoit 2o que les hommes n’aimoient pas la vérité, je dis qu’au lieu de : « Il faut le croire, parce que cela est vrai», on devroit dire : «Il faut le croire, quoique cela soit vrai. »

H95(n69. II, f° 81 v°). —Je disois : « La vérité i5 n’a point de clients ; elle n’a pas que martyrs. »

1196(1628. II, f° 493). — Il y a des gens qui voyent toutes choses exagérées, et dont l’esprit est, d’ailleurs, exagérateur. C’est ainsi que Mad" Duch... peignoit Lirancourt.

1197 (47. I, p. 52).— Ennuyeux.— Il y en a de bien des espèces. Les uns sont si uniformes dans

5 leurs conversations que rien n’en sort jamais. D’autres sont si paresseux qu’ils laissent tomber tout ; en vain, on se fatigue à faire revivre la conversation : on leur jette des propos, ils les abandonnent tous. D’autres nous font aller dans le vide, trahunt per

1o inania.

1198 (381. I, p. 360). — Je trouvois toujours, dans mes voyages, les lieues auprès des grandes villes plus courtes que dans la campagne, et je faisois cette réflexion que la raison en est qu’auprès des 15 grandes villes les lieues sont fixées par des gens qui s’ennuyent toujours, qui sont les grands seigneurs qui vont à leurs terres ou celles de leurs voisins, au lieu qu’à la campagne elles sont fixées par des gens qui ne s’ennuyent jamais, qui sont les paysans.

2o 1199* (1951. III, f° 256 v°). — Chose singulière ! ce

n’est presque jamais la raison qui fait les choses

raisonnables, et on ne va presque jamais à elle

par elle.

Quand on sait comment ont été produits les beaux

^3 effets qu’on voit dans le Monde, on en rougit pour le bon sens. Deux petites femmes de Rome, par leur petite vanité sotte, ne furent-elles pas cause que cette ville communiqua les honneurs aux Plébéiens et parvint par là à ce période tant vanté d’une république parfaite.

1200 (1016. II, fo 38).— Une chose ridicule est une chose qui ne s’accorde pas aux manières et aux actions ordinaires de la vie. 3

1201 (311. I, p. 329). — Rien n’est extraordinaire lorsqu’on est préparé. Nous sommes étonnés de ce que Néron montoit sur le théâtre, et non pas de ce que Louis XIV dansoit un ballet. C’est que les danses venoient des tournois (je crois) et avoient 1o une belle origine.

1202 (2225. III, f°465). — Une perruque mal mise ne met ordinairement personne mal avec le public : on fait grâce des petits ridicules ; on n’est puni que des grands. 15

1203(442. I, p. 388).— Il n’y a point de profession que la coutume ne puisse mettre en crédit et exciter une infinité de gens à l’embrasser : témoin celle des gladiateurs, qui descendirent dans l’arène par milliers, même les sénateurs, même les empe- 2o reurs : témoin Commode, qui se disoit, dans une inscription, Prince souverain des Gladiateurs, et qui en avoit, disent les auteurs, tué dix mille de sa main gauche ; — profession infame et destinée d’abord aux criminels ou des esclaves, ensuite des (sic) gens 2.5 accablés de dettes, ensuite des citoyens, ensuite des sénateurs, des empereurs.

1204 (566. I, f° 440).— La coutume peut tout mettre en crédit : les gladiateurs étoient d’abord des esclaves condamnés à mort, ensuite des chevaliers, ensuite des sénateurs, ensuite des femmes,

3 ensuite des empereurs.

1205 (2079. III, f° 343 v°). — Jusques où va l’excès des préjugés ! Les hommes ne sont-ils pas parvenus à faire aimer aux hommes l’Inquisition !

1206 (1459. II, f° 214 v°).— « Il est impossible que 1o quelqu’un qui sent si bien les ridicules n’aye de la

frivolité dans l’esprit ; c’est qu’il n’est touché que des accessoires», dit l’abbé de Mongaut.

1207 (722.I, p. 486).—Je sais un homme très ignorant qui, s’il avoit employé à étudier le temps

ô et la peine qu’il lui a fallu pour passer pour savant, seroit un des plus savants hommes de l’Europe.

XI. VERTUS ET VICES.

1208* (241. I, p. 255).—Ce qui fait la plupart des contradictions de l’Homme, c’est que la raison 2o physique et la raison morale ne sont presque jamais d’accord. La raison morale doit porter un jeune homme à l’avarice ; mais la raison physique l’en détourne. La raison morale doit porter un vieillard à la prodigalité ; la raison physique le porte à l’avarice. La raison morale donne aux vieillards de la force et de la constance ; la raison physique la lui ôte. La raison morale donne à un vieillard du mépris pour la vie ; la raison physique la lui rend plus chère. La raison morale doit donner un grand prix 5 à la vie d’un jeune homme ; la raison physique le diminue. La raison morale nous fait regarder les peines de l’autre vie comme très proches ; la raison physique, en nous attachant à tout ce qui est présent, nous les éloigne. 1°

1209* (811. I, p. 519). — Je supplie qu’on ne m’accuse pas d’attribuer aux causes morales des choses qui n’appartiennent qu’au climat. Je sais la part que le climat a dans la formation des caractères ; mais je vais faire quelques réflexions. Les Romains 15 d’aujourd’hui ont tous les principes du caractère des Romains d’autrefois : car jamais un spectacle ne leur plaira s’il n’y a des combats sur leurs théâtres. Les Athéniens sont aussi subtils ; les Lacédémoniens, aussi rudes. Mais quel est l’effet que cela 2o produit ?

Je sais bien que, si des causes morales n’interrompoient point les physiques, celles-ci sortiroient et agiroient dans toute leur étendue.

Je sais encore que, si les causes physiques avoient" la force d’agir par elles-mêmes (comme lorsque les peuples sont habitants de montagnes inaccessibles), elles ne détruisissent (sic) bientôt la cause morale : car souvent la cause physique a besoin de la cause morale pour agir. 3o

1210 (2226. III, f° 465). — On parie beaucoup de l’expérience de la vieillesse. La vieillesse nous ôte les sottises et les vices de la jeunesse ; mais elle ne nous donne rien.

5 1211 (1440. II, f° 211). — Melon disoit agréablement que l’homme est un singe manqué. Cela a un sens dans le rapport où les hommes ont des imperfections que les bêtes n’ont point.

1212(1328. II, f° 185 v°). — Chacun travaille sur 1o l’esprit, et peu sur le cœur ; c’est que nous sentons mieux les nouvelles connoissances que les nouvelles perfections que nous acquérons.

1213* (1660. III, f° 12).— Il est bien moins rare d’avoir un esprit sublime qu’une âme grande.

15 1214(1008. II, f° 37).— Presque toutes les vertus sont un rapport particulier d’un certain homme à un autre ; par exemple : l’amitié, l’amour de la Patrie, la pitié, sont des rapports particuliers. Mais la justice est un rapport général. Or, toutes les vertus

2o qui détruisent ce rapport général ne sont pas des vertus.

1215 (652. I, f° 458 v°). — Un honnête homme est

un homme qui règle sa vie par les’principes de son

devoir. Si Caton fût né dans une monarchie établie

i5 par la Loi, il auroit été aussi fidèle à son prince qu’il le fut à la République.

1216 (1126. II, fu 77 v°). — Je dis : « Quand un homme s’est fait une réputation de probité et d’humanité, il en arrive que l’on cherche à en abuser. On vient lui faire des propositions qu’on n’oseroit jamais faire à un autre. On compte sur sa gêné- 5 rosité. »

1217 (1064. II, f° «55). — Des femmes parloient dans une maison de sentiments naturels, de l’amour d’un père pour ses enfants, de ceux des enfants pour leurs pères, d’une certaine décence dans l’abandon, 1o de ce qu’on doit au mariage. Je dis : « Prenez garde de parler haut : on vous prendroit pour des caillettes. Ce sont des choses que l’on peut penser, mais

qu’il n’est pas du bon air de dire » Il est sûr

que, dans ce siècle-ci, la probité n’est plus indiffé- 0 rente, et que rien n’éloigne d’un homme un plus grand nombre de gens que de savoir qu’il est honnête homme. — Je me souviens que le commandeur de Solar vint en France après avoir pris l’investiture

à Vienne de certains fiefs, pour le roi de Sardaigne, 2o son maître, qui se déclaroit dans ce temps-là contre l’Empereur. Comme on regarda cet homme comme un homme atroce, rusé, fin’, fourbe, qui avoit vilainement trompé la cour de Vienne, tout le monde lui fit accueil : on se jetoit à sa tête. Quand on sut 25 qu’il n’étoit qu’un honnête homme, qu’il n’avoit fait simplement que suivre ses ordres, vous ne sauriez croire combien on se refroidit. Enfin, il ne fut à la mode que quand on crut qu’il étoit un fripon. 3o

1218 (1177. II, f°82). — Je disois d’un homme : « Il fait le bien ; mais il ne le fait pas bien. >

1219* (1188. II, f° 89). — Je disois : « Il y a si peu de mauvaises actions qu’un homme qui a 3o.ooo livres de rente ait intérêt de commettre, que je ne puis pas concevoir comment on les fait. »

1220* (9,59. II, f° 22).— Généreux, libéral, magnifique, prêt à faire toutes sortes de belles actions, à moins qu’elles ne fussent que bonnes.

1o 1221 (922. II, f° 15). — La plupart des hommes sont plus capables de faire de grandes actions que de bonnes.

1222* (967. II, f° 24). — Une belle action est une action qui a de la bonté, et qui demande de la force 15 pour la faire.

1223(275. I, p. 304).—Je disois : «On ne sait comment faire pour faire une grande action : si notre intérêt s’y trouve, on dit que c’est amour-propre ; s’il ne s’y trouve pas, on dit que c’est fanatisme. >

2o 1224 (1o83. II, f° 67 v°). — Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie : il ne faut pas être au-dessus des hommes ; il faut être avec eux.

1225 (438. I, p. 3(j3). — Le héroïsme (sic) que la Morale avoue ne touche que peu de gens. C’est le héroïsme qui détruit la Morale qui nous frappe et cause notre admiration.

1226(760. I, p. 499). — Il y a apparence que ce qu’on appelle valeur héroïque va se perdre en 5 Europe. Notre philosophie, plus de chevalerie, l’indifférence d’être à un maître ou à un autre pour le bonheur ! Autrefois, il s’agissoit de sa destruction, d’être vendu esclave, de perdre sa famille, sa ville, sa femme, ses enfants. 1o

1227* (761. I, p. 499). — Cet esprit de gloire et de valeur se perd peu à peu parmi nous. La philosophie a gagné du terrain. Les idées anciennes d’héroïsme et les nouvelles de chevalerie se sont perdues. Les places civiles sont remplies par des 0 gens qui ont de la fortune, et les militaires, décréditées par des gens qui n’ont rien. Enfin, il est presque partout indifférent pour le bonheur d’être à un maître ou à un autre ; au lieu qu’autrefois une défaite ou la prise de sa ville étoit jointe à la des- 2o truction : il étoit question d’être vendu comme esclave, de perdre sa ville, ses Dieux, sa femme et ses enfants. L’établissement du commerce des fonds publics ; les dons immenses des princes, qui font qu’une infinité de gens vivent dans l’oisiveté et 25 obtiennent la considération par leur oisiveté même, c’est-à-dire par leurs agréments ; l’indifférence pour l’autre vie, qui entraîne dans la mollesse dans celleci et nous rend insensibles et incapables de tout ce qui suppose un effort ; moins d’occasions de se distinguer ; une certaine façon méthodique de prendre les villes et de donner des batailles (la question n’étant que de faire une brèche et de se rendre dès 5 qu’elle est faite) ; toute la guerre consistant plus dans l’art, que dans les qualités personnelles de •ceux qui se battent (l’on sait, à chaque siège, le nombre des soldats qu’on y sacrifiera) ; la noblesse ne combat plus en corps.

1o 1228*(81o. I, p. 518). — La philosophie et j’ose même dire un certain bon sens ont gagné trop de terrain dans ce siècle-ci pour que le héroïsme (sic) y fasse désormais une grande fortune ; et, si la vaine gloire y devient une fois un peu ridicule, les con

15 quérants, ne consultant plus que leurs intérêts, n’iront jamais bien loin.

Chaque siècle a son génie particulier : un esprit de désordre et d’indépendance se forma en Europe avec le gouvernement gothique ; l’esprit monacal

2o infecta les temps des successeurs de Charlemagne ; ensuite régna celui de la chevalerie ; celui de conquête parut avec les troupes réglées ; et c’est l’esprit de commerce qui domine aujourd’hui. Cet esprit de commerce fait qu’on calcule tout.

2b Mais la gloire, quand elle est toute seule, n’entre que dans les calculs des sots.

Je ne parle ici que de la vaine gloire, non de celle qui est fondée sur les principes du devoir, de la vertu, du zèle pour le Prince, de l’amour pour la

io Patrie ; en un mot, je parle de la gloire d’Alexandre, non pas de celle d’Épaminondas. Celle-ci, comme réelle, est ou doit être de toutes les nations et de tous les temps ; l’autre, comme chimérique, a les mêmes révolutions que les préjugés.

1229 (1068. II, f° 65 v°). — Je conçois qu’un homme 5 qui s’est comporté lâchement dans quelque occasion puisse mourir avec beaucoup de courage : dans le premier cas, il a voulu conserver un bien qu’il croyoit en danger ; dans le second, il abandonne un bien qu’il voit ne pouvoir conserver. 1o

1230(2112. III, f 349 Vo). — Il est bon d’être gêné ; c’est comme un ressort qui est bandé.

1231 (2251. III, ^479). — La persécution, c’est une corde bien tordue : la force se concentre.

1232 (2209. III, f° 464). — Un beau temple seroit 15 celui que l’on érigeroit à l’opiniâtreté.

1233 (426. I, p. 382). — Les gens tranquilles qui aiment la paix n’agissent jamais dans une affaire, comme, par exemple, celle de la Constitution, aussi efficacement que ceux qui aiment la guerre : car ils 2o apportent là la tranquillité qui leur a donné leur caractère, au lieu que ceux qui aiment la guerre apportent la vivacité qui leur a donné ce caractèrelà. Un homme qui n’est donc guidé que par la raison est toujours froid en comparaison de celui qui est i5 mené par le zèle, et un homme de parti fera plus de bruit que cent hommes sages. Je me souviendrai toujours d’un beau mot dit par un Anglois’, lors de la longue dispute dans le Parlement d’Angleterre, sous Charles Ier : savoir, s’il falloit abolir les évê

5 ques, ou non. Ceux qui défendoient l’Église étoient des gens sages et modérés, qui quittoient lorsque l’heure du dîner venoit, et les autres restoient toujours. Un homme dit que ceux qui aimoient les évêques les aimoient moins que leur dîner, et que

1o ceux qui les haïssoient les haïssoient plus que le Diable.

1234 (904. II, f° 11 v°). — Il semble que la timidité est jointe à l’avarice : ainsi les vieillards, les eunuques, les femmes ; tout cela vient de foiblesse d’âme.

15 1235 (949. II, f° 21). — Tous les gens timides menacent volontiers. C’est qu’ils sentent que les menaces feroient sur eux-mêmes une grande impression.

1236 (1219 : II, f° 95). — Je disois : « Je n’estime IO pas les hommes parce qu’ils n’ont pas de défauts, mais parce qu’ils se sont corrigés des défauts qu’ils avoient. >

1237(1197. II, f° 91 v°). — Il ne faut jamais faire de chose qui puisse tourmenter votre esprit dans le i5 moment de sa foiblesse.

1. Je crois que c’était milord Falkland.

1238 (427. I, p. 383). — Un âne, pressé de fuir l’ennemi, dit : «Je sais bien ce que je puis porter ; on ne m’en fera pas porter davantage. »

L’âne qui est en dialogue avec le cheval qui lui veut persuader de venir dans son écurie : « Y bau- 5 doisine-t-on ? dit-il. — Tais toi ! dit le cheval : car le palefrenier prendroit une fourche. »

Ces ânes ont dit souvent de très bonnes choses.

1239* (71. I, p. 66).— Le monde est rempli de gens que, comme le Janus de la Fable, on peignoit 1o avec deux visages.

1240 (1579. II, f° 455).— Je disois : « Il y a des gens qui ont l’âme sur le visage, et d’autres, derrière la tête. »

1241 (1125. II, f° 77 v°).— Sur certaines gens qui 15 vivent avec leurs laquais, je disois : « Les vices ont bien leurs pénitences. >

1242* (1663. III, f° 12 v°). — Voici un beau mot de Henri IV, et je crois qu’il a été rapporté par milord Bolingbroke. Le Roi demanda à l’ambassadeur d’Es- 2o pagne si son maître avoit des maîtresses. « Sire, dit gravement l’ambassadeur, le Roi, mon maître, craint Dieu et respecte la Reine. — Eh ! quoi ? dit Henri IV, n’a-t-il pas assez de vertus pour faire pardonner un vice ? > » ; ;

1243 (101S. II, fo 38 v°). — Lorsque M. le duc de Chartres prit la Quinault, on voulut flatter M. le Régent : «il commence à être comme les autres, il a des vices... — Et comment auroit-il des vices ? dit M. d’Orléans. Il n’a pas même de ver5 tus ?» Bonne parole et très philosophique ! Ce régent avoit une philosophie de saillies.

1244(53. I, p. 57). — Paresse. — « Valet de la Société ! — Eh ! qu’est-ce que tu as de mieux à faire ? > J’excuserois plutôt la paresse des moines, qui ne 1o s’occupent que de l’éternité. Mais celle qui n’a aucun objet ne sert qu’à rendre un homme malheureux.

1 :245(786. I, p. 510). — Choses frivoles, qui ne donnent rien à ceux qui en jouissent et dégradent ceux qui s’en occupent.

15 1246(211). I, p. 240). — On ne veut pas qu’un fripon puisse devenir homme de bien ; mais on veut bien qu’un homme de bien puisse devenir fripon.

XII. FEMMES.

1247 (1624. II, f° 493). — Une femme est obligée de plaire comme si elle s’étoit faite elle-même.

1248(2094. III, f° 348). — Les femmes, à mon avis, font très bien d’être le moins laides qu’elles peuvent. Il seroit bon qu’elles fussent également laides ou également belles, afin d’ôter l’orgueil de la beauté et le désespoir de la laideur.

1249 (2221. III, f° 464 v°). — Dans les jeunes femmes, la beauté supplée à l’esprit ; dans les vieilles, l’esprit supplée à la beauté.

1250 (893. II, f° 10).— Il me semble que, dans les femmes les plus jolies, il y a de certains jours où je vois comment elles seront quand elles seront laides.

1251 (974. II, f° 27). —Je dis : « Toutes les femmes peuvent plaire à quelqu’un : chacune a un filet à sa façon ; l’une, plus grand ; l’autre, plus petit ; l’une, avec des mailles d’une espèce ; les autres, d’un[e] autre ».

1252 (984. II, f° 28). — Femmes et grands Parleurs. — Plus une tête est vide, plus elle cherche à se désemplir.

1253 (1129. II, f° 77 v°). — Pour qu’une femme passe pour méchante, il faut qu’elle ait de l’esprit : mille traits d’une sotte sont perdus ; un seul d’une femme d’esprit passe.

1254 (276. I, p. 304). — Les femmes ont de la fausseté. Cela vient de leur dépendance : plus la dépendance augmente, plus la fausseté augmente. Il en est comme des droits du Roi : plus vous les haussez, plus vous augmentez la contrebande.

1255(456.I, p. 392). — Souvent les femmes sont avares par vanité et pour faire voir que l’on fait de la dépense pour elles.

1256(221o. III, f° 464). — Quand on veut dire des 5 sottises aux femmes, il ne faut pas parler à l’oreille, mais à l’imagination.

1257 (55o. I, f° 435 v°). — Il ne faut qu’une femme galante dans une maison pour la rendre une maison connue et la mettre au rang des premières maisons. 1o Il y a des maisons illustres à peine connues, parce que, depuis deux ou trois siècles, il n’y a pas une femme qui se soit signalée.

1208(2145.III, f°351 v°). — Les femmes en quelques lieux d’Italie : elles n’ont point d’idée de résistance.

15 1259(695. I, p. 476). — Les Asiatiques ne regardent la chasteté des femmes que comme l’impuissance de faillir.

1260(2075. III, f° 343). —Tous les maris sont laids.

1261 (284. I, p. 3o8). — On dit que les Turcs ont 30 tort, qu’il faut conduire les femmes, et non pas les

tyranniser. Moi, je dis qu’il faut qu’elles commandent, ou qu’elles obéissent.

1262 (716. I, p. 481). — Saint-Hyacinthe a trouvé, dans les actes de la dissolution du mariage de Louis XII avec la reine Claude, une requête par laquelle il étoit exposé que le mariage étoit nul parce qu’il n’avoit pas couché ntid1ts cum ntida, mais avec une chemise. Je dis que c’est une marque qu’on couchoit pour lors ainsi. Notre corruption a 5 augmenté parmi nous la pudeur. La simplicité des premiers temps faisoit que toute la famille et les filles non mariées couchoient avec leurs père et mère dans le même lit 1.

1263 (59. I, p. 62). — Il n’y a pas deux cents ans IO que les femmes françoises s’avisèrent de prendre des caleçons. Elles se défirent bientôt de cet obstacle.

1264 (283. I, p. 3o8). — La manière dont on traite les femmes en France, où une jeune femme de dixhuit ans, jolie comme l’Amour, est méprisée par son 1 ? mari par air : c’est une débauche de l’esprit, non pas un vice du cœur. •

1265 (2219. III, f° 464 v°). — C’est un sexe bien ridicule que les femmes.

1266 (2087. III, f° 345 v°). — Les princesses par- 2o lent beaucoup parce qu’on les y a accoutumées dès leur enfance.

1267 (1482, II, f° 220 v°). — Je disois des princesses : « Elles aiment le petit merveilleux. >

1. Voyez ma remarque dans mon extrait d’Ammien Marcellin.

1268(2065. III, f° 342 v°). — Je compare les dames de la Reine ou de Mad° la Dauphine, qui s’habillent deux ou trois fois pour paroître devant elles, à ces comédiens qui jouent le rôle de gardes, et qui s’ha 5 billent pour s’entendre dire : « Holà ! Gardes, allez ! »

1269* (42. I, p. 48). — Les Espagnoles.— Le pays d’Espagne est chaud, et les femmes sont laides. Le climat est fait en faveur des femmes. Mais les femmes sont faites contre le climat.

1o 1270(268. I, p. 280). — Du Portugal. — Le climat est fait en faveur des femmes, et les femmes semblent être faites contre le climat. Rien n’approche d’une Portugaise pour inspirer le détachement. Les Anges se réjouissent lorsqu’un François est auprès

15 d’une Portugaise]. Elles ont des remèdes pour conserver leur beauté qu’Ovide n’a point dictés, et que l’Amour n’approuva jamais. Voilà le beau sexe ! On peut juger de l’autre. Il n’y a pour les femmes de vrais prédicateurs que les vilains hommes.

^o 1271 (840. I, p. 538). — Je dis que le rouge, bien loin d’être une marque que les femmes songent plus à leur beauté, fait, au contraire, qu’elles y songent moins. On ne sauroit croire combien les femmes étoient occupées de leur teint autrefois ; combien

25 elles se regardoient au miroir ; quelles précautions elles prenoient ; combien elles vivoient sous le masque de peur du hàle. C’est que, comme il y avoit pour lors des teints, et que la beauté étoit en propre, cela donnoit de grandes distinctions et de grands avantages. Aujourd’hui, tous les visages sont les mêmes. Idem, depuis qu’on ne met plus de corps pour leur taille.

1272 (1on. II, f° 37). — Autrefois, les femmes 3 étoient belles ; aujourd’hui, elles sont jolies. Elles étoient contraintes dans leurs manières ; peu de société ; ne songeoient qu’à leur teint ; n’osoient montrer le nez, de peur de gâter leur teint, qui les tenoit en servitude ; des lavements continuels. Cette 1o perpétuelle attention rétrécissoit leur esprit. Les romans de ces temps-là nous peignent toujours la beauté, la majesté, un nez aquilin, de grands yeux ; ils ne peignent pas les grâces. Aujourd’hui, on ne peut pas reprocher à nos femmes qu’elles n’ayent 15 une grande liberté dans l’esprit, les manières et les mœurs.

1273(802. I, p. 515). — Les femmes obtiennent mieux les grâces de la Cour que les hommes ; les princesses, plus que les princes. C’est qu’elles n’en- 2o tendent jamais les raisons qu’on leur donne du refus ; elles reviennent donc toujours à la charge et lassent.

1274(849. I, p. 541). — Sans la v , les honnêtes

femmes seroient perdues : tout le monde prendroit

des courtisanes. C’est donc la v qui produit la 25

galanterie.

1275* (1413. II, f ° 2o3 v°). — Autrefois que la physique n’étoit point si chargée de géométrie, les femmes, qui y pouvoient entendre quelque chose, la méprisoient. A présent qu’elles n’y peuvent rien entendre, elles l’estiment beaucoup et veulent la 5 savoir.

1276(1084. II, f° 67 v6). — Il faut rompre brusquement avec les femmes : rien n’est si insupportable qu’une vieille affaire éreintée.

1277 (1213. II, f° 93 v°). — Je disois : « Que les fem1o mes calculent en changeant d’amant ! Le successeur, avec plus de mérite, vaut toujours moins pour elles que le prédécesseur ; l’embarras de changer ; un homme qu’elles mécontentent ; toujours moins de considération pour elles ; le danger d’avoir bientôt ô à changer encore ; etc. >

1278(1348. II, f° Kj3v°). — Je disois : * Quand on a été femme à Paris, on ne peut être femme ailleurs. »

1279 (1069. II, f° 66). — *Femmes d’Orient. — Leur jeunesse est au commencement de leur âge, au lieu 2o qu’à nos femmes la jeunesse est au milieu*.

1280(1o89. II, f° 68).— Il n’y a pas de femme de cinquante ans qui ait une assez bonne mémoire pour se ressouvenir de toutes les personnes avec qui elle s’est brouillée, et avec qui elle s’est raccommodée.

XIII. CONDITIONS ET PROFESSIONS.

1281 (1361. II, f° 195 v°). —Je disois : « Les princes s’ennuyent de tout ce qui nous divertit, et se divertissent de tout ce qui nous ennuye. >

1282 (1980. III, f° 279 v°). — Tous les princes s’en- 5 nuyent : une preuve de cela, c’est qu’ils vont à la chasse.

1283 (1626. II, f° 493). — Les princes sont si fort environnés du cercle de leurs courtisans, qui leur dérobent tout et leur ôtent la vue de tout, que celui 1o qui viendroit à voir clair seroit comme Descartes, qui sortit des ténèbres de la vieille philosophie.

1284(2131. III, f° 35o v°). — Je pense que les roix sont malheureux parce qu’ils ne peuvent faire leur cour : car il me semble que le goût des grands est 15 plutôt de la faire que de la recevoir.

1285 (2111. III, f° 349 v°). — J’ai vu un temps où le métier de prince du sang, qui prévenoit autrefois si favorablement, étoit si décrié qu’il falloit avoir plus de mérite qu’un autre pour paroître en avoir. »o

1286(2138. III, f° 351). —En France, un prince du sang n’est qu’un Dieu d’Épicure.

1287(858. I, p. 544). — Je disois sur une querelle avec un prince du sang : «Dès qu’un prince du sang prétend être offensé, il l’est. >

1288(15.I, p. 7).— Un courtisan est semblable à 5 ces plantes faites pour ramper, qui s’attachent à tout ce qu’elles trouvent.

1289 (1o65. II, f°65 v°).— Contades, bas courtisan même à la mort. N’écrivit-il pas au Cardinal qu’il étoit content de mourir pour ne voir pas la fin d’un

1o ministre comme lui ? Il étoit courtisan par la force de la nature, ou il croyoit réchapper.

1290 (1369. II, f° 19G v°). — Je disois à un homme : « Eh ! fi donc ! Vous avez des sentiments aussi bas qu’un homme de qualité. »

15 1291(1575.II, f°454 Vo).— Les grands en France : il faut toujours qu’ils soyent nos valets ou nos maîtres.

1292(2o8o. III, f°343v°). — Je disois des gens de la Cour : « Il est impossible de les enrichir et de les ruiner. »

IO 1293 (1329. II, f° 185 v°). — La Cour, lieu où chacun croit être un personnage.

1294(222 2. III, f°465).— Il n’y arien qui approche de l’ignorance des gens de la cour de France que celle des ecclésiastiques d’Italie.

1295 (455. I, p. 392).— Nous, hommes privés, sommes étonnés de l’ardeur avec laquelle les ministres cherchent les affaires, et les grands, la Cour : nous ne savons pas les douceurs qu’ils y goûtent.— (Cher.) 5

1296(718.I, p. 482). — Je ne suis pas étonné des douceurs qu’on trouve à la Cour et de l’impossibilité de changer de vie. On est plus ensemble à tous les moments. Cent petites choses qui vous amusent ou vous attachent, et qui entrent dans le petit plan 1o d’ambition que vous vous êtes fait ; d’ailleurs, plus de part à cette loterie qui se fait des grâces du Prince sur la Nation ; le plaisir de voir que, quelque petit poste qu’on y tienne, il est envié ; enfin, cette vie active ne sauroit se remplacer par le repos. 15

1297* (159.I, p. 136). — Un prince, au milieu d’un cercle de courtisans, devient courtisan lui-même sitôt qu’un autre prince plus considérable que lui paroît ; le deuxième aura la destinée du premier si un troisième, plus grand, survient. Les adorateurs 1o changent l’objet de leur culte. Si le Roi paroît, il absorbera tous les honneurs : les courtisans oublieront ceux qu’ils viennent de rendre, et les princes, l’adoration qu’ils ont reçue.

Les femmes qui y (sic) changent d’habits quatre 35 fois par jour ressemblent à ces comédiennes qui, après avoir joué le rôle d’impératrice dans une pièce, courent se déshabiller pour faire celui de soubrette dans une seconde.

1298 (133o. II, f° 185 v°). — Il est facile de peindre à la Cour : si on y est quelquefois trop caché, on y est presque toujours trop découvert.

1299 (737. I, p. 491).— Une corruption générale 5 s’est répandue partout. Ceux qui approchent des

princes demandent sans cesse. Les dons qu’ils en retirent ne servent qu’à établir un luxe, que sont obligés d’accepter ceux qui, n’ayant pas de crédit dans les cours, ou qui ne se souciant pas d’en avoir, 1o cherchent à vivre avec le bien de leurs pères.

1300(2227. III, f°465). — Je disois sur la bassesse des courtisans de Louis XIV : « Une certaine philosophie répandue de nos jours fait que nos grands d’aujourd’hui sont peut-être plus fripons ; mais ils 1S ne sont pas si misérables. »

1301* (1465. II, f 215 v°). — La Noblesse est touchée des batailles et des victoires remportées comme les paysans sont touchés d’avoir de belles cloches. — Mongaut.

2o 1302 (2216. III, f° 464 v°). — La belle chose que d’être général d’armée : à soixante ans, on dit de lui qu’il est jeune.

1303* (1510. II, f° 228 v°). — Une idée qui entre dans

la tête vide d’un écrivain la remplit tout entière,

23 parce qu’elle n’est détruite ni croisée par aucune

idée collatérale. C’est ainsi que, dans la machine du vide, la moindre bulle d’air se répand partout et fait enfler tous les corps.

1304* (83o. I, p. 533).— Les auteurs ne sont pas bons juges de leurs ouvrages. En voici la raison : c’est que, s’ils eussent cru une phrase mauvaise, ils b ne l’auroient pas mise.

1305(875. II, f°4).— D’abord, les ouvrages donnent de la réputation à l’ouvrier ; ensuite, l’ouvrier donne de la réputation aux ouvrages.

1306 (1310. II, f° 179).— Comme l’avare disoit que 1o ses héritiers n’auroient pas plus de plaisir à dissiper son bien qu’il en avoit eu à l’amasser, un auteur peut dire que nul n’aura plus de plaisir à lire son livre que lui en a eu à le faire.

1307 (1461. II, f° 214 v°).— Les critiques sont 15 comme ce peintre qui, ayant peint un coq, défendoit

à ses apprentis de laisser approcher les coqs de son tableau.

1308 (920. II, f° 15). — Savants. — On voudro1t que, dans les livres, ils eussent appris le jargon des 2o femmes. Mais ils savent toutes les langues, excepté celle-là. Ils sont gauches quand ils veulent être frivoles, et sots quand ils veulent raisonner avec des machines qui n’ont jamais fait que sentir1.

1. *Mis à peu près dans les Loix.

1309* (983. II, f° 28). — Ces savants qui ont toute leur science hors de leur âme, et qui annoncent la sagesse des autres sans être sages eux-mêmes.

1310 (307. I, p. 327). — Parleurs. — De certains 3 métiers rendent les hommes parleurs’. Ainsi les

Persans appellent les courtiers deliai ou grands parleurs.

Les gens qui ont peu d’affaires sont de très grands parleurs. Moins on pense, plus on parle.

1o Ainsi les femmes parlent plus que les hommes, à force d’oisiveté. Elles n’ont point à penser. Une nation où les femmes donnent le ton est plus parleuse. Ainsi la nation grecque, plus parleuse que la turque.

15 Tous les gens dont le métier est de persuader les autres sont de grands parleurs, parce que leur intérêt est de vous empêcher de penser, et d’occuper votre âme de leurs raisons. Autre chose est des gens qui cherchent moins à vous persuader qu’à se per

2o suader eux-mêmes.

1311 (go3. II, f° 11 v°).— Ce ne sont pas les philosophes qui troublent les états, mais ceux qui ne le sont pas assez pour connoître leur bonheur et pour en jouir.

"1312* (1569. II, f°453 v°). — En France, le métier de plaideur est une profession : car, quand on a une fois commencé de plaider, on plaide toute sa vie. Même c’est une qualité qui passe du père au fils, comme la noblesse. Cette profession va prendre des sujets dans toutes les professions.

1. J’ai inséré dans la Différence des Génies.

1313 (1 1o9. II, f° 74 v°). — J’aime les paysans : ils 3 ne sont pas assez savants pour raisonner de travers.

1314 (1583. II, f° 455). — Nos valets : ils ont l’agrément de la vanité sans avoir les inconvénients de l’honneur.

XIV. PRÊTRES ET RELIGIEUX. ,o

1315(049.I, f°457 v°).— Il est étonnant que, dans l’Église catholique, où l’on a défendu le mariage aux prêtres, afin qu’ils ne se mêlent pas des affaires séculières, ils s’en mêlent plus qu’en Angleterre et autres pays protestants, où l’on leur a permis le mariage. 0

1316 (43o. I, p. 384). — Point de religieux pour les affaires ! S’ils sont de bons religieux, ils entendent mal les affaires du siècle. S’ils entendent les affaires du siècle, ils sont de mauvais religieux.

1317 (1366. II, f° 196). — Ecclésiastiques sont tou- 2o jours les flatteurs des princes, quand ils ne peuvent pas être leurs tyrans.

1318(2137- III, f° 351). — C’est une chose admirable que le corps qui est le plus voisin du Ciel soit le plus incommode aux hommes !... (Les Ecclésiastiques.)

1319(35.I, p. 38). — Les Théologiens. — Ils aiment

5 mieux un nouvel article de croyance qu’un million

de Chrétiens, et, pourvu qu’ils gagnent un article

de symbole, il ne s’embarrassent pas de perdre des

fidèles.

Un tyran avoit un lit de fer où il mesuroit tout 1o le monde. Il faisoit couper les pieds à ceux qui étoient plus grands, et étendre ceux qui l’étoient moins. Mais ceux-ci vont plus loin : car, pour tourmenter davantage, tantôt ils augmentent le lit, et tantôt ils le diminuent.

ô 1320* (2176. III, f°361). — Les théologiens ne s’apaisent sur une dispute qu’en faveur d’une seconde. Ils sont comme les cormorans qu’on envoye pêcher : ils viennent vous rendre le poisson qu’un anneau a arrêté dans leurs gosiers ; mais vous y mettez un

2o goujon.

1321* (980. II, f° 28). — Controversistes défendent la religion établie par la seule raison qu’elle est établie ; ils combattent ceux qui l’attaquent par la seule raison qu’ils l’attaquent.

i5 1322(439. I, p. 387).— Il y a des ordres de religieux qui sont une pénitence ; d’autres qui sont un métier.

1323 (902. II, f» 11 v°). — Les Moines : Genus hominum quod damnabitur semper et semper retinebitur.

1324 (115o. II, f°8o).

Ego odi homines ignava opera et philosopha sen

[tentia. 5 Vers [de Pacuvius], cité par Aulu-Gelle. — Il me semble que ce sont nos moines.

1325 (11. I, p. 5). — Si les Jésuites étoient venus avant Luther et Calvin, ils auroient été les maîtres du Monde. 1o

1326 (730.I, p. 488). — Les Jésuites défendent une bonne cause, le molinisme, par de bien mauvaises voyes.

1327* (104.I, p. 97).— Si les livres qui ont été faits contre les Jésuites subsistent jusque dans l’avenir 15 reculé et survivent aux Jésuites mêmes, ceux qui les liront ne croiront-ils pas que les Jésuites ont été des assassins, des gens noircis de crimes, et ne s’étonneront-ils pas qu’on ait pu les laisser vivre ? Ils ne s’imagineront pas sûrement qu’ils sont à peu près 2o comme les autres religieux, comme les autres ecclésiastiques, comme les autres hommes. « Si ces genslà existoient encore, diroient-ils, je ne voudrois pas me trouver sur un grand chemin avec eux. »

Je ne sais si Bayle n’a pas dit quelque chose de cela. 25

1328 (394. I, p. 364). — J’ai été très surpris, dans mes voyages, de trouver les Jésuites qui gouvernent Venise, et qui sont sans aucun crédit à Vienne.

1329(544.I, f°433). — Qui auroit dit que les Jésui

5 tes, si noircis d’accusations contre nos roix, tant de

fois accusés et même condamnés, viendroient à

gouverner la France avec un empire jusqu’alors

sans exemple ?

1330(715.I, p. 480). — Une chose que je ne saurois 1o concilier avec les lumières de ce siècle, c’est l’autorité des Jésuites.

1331 (395.I, p. 364).—J’ai peur des Jésuites, Si j’offense quelque grand, il m’oubliera, je l’oublierai, je passerai dans une autre province, un autre

15 royaume. Mais, si j’offense les Jésuites à Rome, je les trouverai à Paris ; ils m’environneront partout. La coutume qu’ils ont de s’écrire sans cesse étend leurs inimitiés. Un ennemi des Jésuites est comme un ennemi de l’Inquisition : il trouve des familiers

2o partout’.

1332(482. I, p. 402). — Les Jésuites, je les crains.

C’est un corps qui m’enveloppe, et qui me trouve

partout. Que j’offense un grand seigneur, je m’en

irai et ne le trouverai plus. Mais les Jésuites sont

i5 comme les familiers de l’Inquisition2.

1. Voyez page 4o2.

2. Mis plus haut. — Voyez page 364.

Les princes qui en font leurs confesseurs font bien mal : car cela répand un esprit de servitude dans la nation et fait que j’honore un père jésuite dans une province comme un homme de Cour honore le confesseur. 5

D’ailleurs, les corps ayant des intérêts particuliers, la confession, où ils traitent toujours entre le Prince et eux, leur donne la commodité d’être délateurs et de perdre qui ils veulent, sans qu’il puisse se défendre. IO

1333 (581. I,f°444v°). — Pour exprimer une grande imposture, les Anglois disent : « Cela est jésuitiquement faux, jesuiticaly false. »

•1334*(1959. III, f°2 57 v°). — Je disois : «Ceux qui, pour contenir les Jésuites, les obligèrent à tenir 15 toujours un des leurs à la Cour ne connoissoient guère la Cour, ni les Jésuites, puisqu’ils crurent qu’ils les abaisseroient par là.

1335(453. I, p. 392). — Envoyez dans un royaume nouvellement découvert un Jésuite et un Jacobin : 3o dans un an, vous apprendrez que le Jésuite sera à la Cour, et le Jacobin, parmi la canaille.

1336 (55.I, p. 58). — Les Jésuites et les Jansénistes vont porter leurs querelles jusques à la Chine.

1337(852.I, p. 542). — De tous les plaisirs, lesjan- 25 sénistes ne nous passent que celui de nous gratter.

1338(2073. III, f ° 343). — Si vous comptiez tous les biens que les Prêtres Irlandois ont laissé en Irlande, vous trouveriez que c’est le plus riche pays de l’Europe.

3 1339 (7S4. I, p. 495). — Les ecclésiastiques sont intéressés à maintenir les peuples dans l’ignorance ; sans cela, comme l’Évangile est simple, on leur diroit : « Nous savons tout cela, comme vous. »

1340(586.I, ^445 vo).— Il me semble que les

1o ecclésiastiques d’Espagne et d’Italie, qui établissent

l’ignorance des laïques, sont comme les Tartares,

qui crèvent les yeux à leurs esclaves, pour qu’ils

battent mieux leur lait1.

1341*(1559. II, f°449 v°). — Les convertisseurs ai

15 ment les grands empires, où ceux qui ont un vrai

zèle trouvent de grands objets, et où ceux qui n’en

ont guère trouvent les douceurs d’une grande cour.

1342 (1107. II, f" 74 v°). — Mauvaise besogne que

toutes ces missions chez les Infidèles ! Si le Roi se

2o convertit, il devient ennemi de ses peuples. Si les

peuples se convertissent, ils deviennent ennemis

du Roi.

1343(710.I, p. 479). — Il y a des gens qui vont au bout du Monde pour convertir, et ne pensent d’abord qu’à convertir les princes. Ils veulent soumettre à Dieu la grandeur des roix, parce qu’ils en sont éblouis eux-mêmes. Mais il n’accepte point leurs offrandes, et, comme il ne veut point de vues mondaines dans l’établissement d’une religion qui est 5 faite pour en donner d’autres, il les chasse du Japon et de la Chine, et, content du triomphe de quelques martyrs, il trouve plus sa gloire dans la destruction de leur ouvrage, qu’il n’auroit fait dans l’accomplissement. 1o

1. Mis dans les Romains.

1344 (531. I, p. 426). — Je ne voudrois pas que l’on allât prêcher les Chinois : car, comme il faut leur faire voir la fausseté de leur religion, ils sont mauvais citoyens avant que l’on puisse les faire chrétiens.

1345(570.I, f° 441). — On dit que quelques mis- ô sionnaires, pour faire battre les Sauvages, leur disoient que Jésus-Christ étoit françois ; que les Anglois l’avoient crucifié.

XV. PORTRAITS.

1346 (2156. III, f° 352 v°). — On disoit du comte 2o de Boulainvilliers qu’il ne savoit le passé, le présent,

ni l’avenir : il étoit historien ; il avoit une jeune femme ; et il étoit astrologue.

1347 (2118. III, f’ 349 v° ). — Le maréchal de Villeroy, mauvais plaisant : il visoit toujours et n’attrapoit jamais ; d’ailleurs, il étoit vain comme une sotte femme.

1348(1232. II, f°1oo). — Je disois : « On plaît et 3 déplaît par la nature : Madle de Clermont ne peut pas déplaire ; le duc de Villars ne peut pas plaire. >

1349(2149. III, f°352). — Entendant parler le cardinal de Polignac, je lui dis : « Monseigneur, vous ne faites pas des systèmes ; mais vous dites des sys1o tèmes. »

1350 (1418. II, f° 204 v°). — A Milord Waldegrave. — « Je vous ai trouvé à Paris ou ministre d’un grand roi. Vous êtes tellement aimé que ceux qui ne vous ont pas vu à la Cour comme ministre vous pren

ô droient à la Ville comme un citoyen. >

1351 (2126. III, f° 35o v°). — J’ai connu milord Bolingbroke, et je l’ai déconnu : je ne me souciois pas d’apprendre la morale sous lui.

1352(2159. III, f° 353 vo). —Je disois de milord 2o Bolingbroke, sur son apologie contre le Prétendant : « C’est contre le roi régnant qu’il devoit plutôt faire son apologie. Il n’y a point d’apologie à faire quand elle ne peut qu’achever d’accabler un prince malheureux. > 2b Milord Hyde disoit de lui : «Je ne l’ai jamais quitté sans l’admirer davantage et l’estimer moins. »

1353(1323.II, f°185).— Je disois de B qu’il ne falloit l’avoir pour ami, ni pour ennemi ; qu’il n’étoit écouté de personne ; mais qu’il l’étoit cependant de tout le monde.

1354 (2206. III, f° 464). — Mon ami et mon protec- 5 teur en Angleterre, feu M. le duc de Montaigu : il étoit comme ces pierres dont on tire du feu, et qui restent froides.

1355 (2124. m, f° 35o). — Mon ami M. Fawlkes, président de la Société royale : si on m’avoit 1o demandé quels défauts il avoit dans le cœur et dans l’esprit, j’aurois été embarrassé de répondre.

1356(132o. II, f° 185). — Mairan, si supérieur à tout dans les sciences, et qui employe tous les petits ressorts pour se faire, de tous côtés, de la repu- 15 tation. Je le compare à ce Breton, marquis de Comaduc, qui avoit cent mille livres de rente et demandoit l’aumône. Ceux qui craignent tant pour leur réputation et sont blessés des plus petites choses, ils sont comme les corps de M. de Newton, 2o sur lesquels on agit in distans.

1357(2125. III, f° 35ov°).— Il me sembloit que le chevalier Metuezen(?) ne savoit jamais que la moitié des choses.

1358* (1493. II, f° 223). — L’abbé du Vaubrun.— *5 Avec un caractère grave et un air sérieux, il fut l’homme de son siècle le plus frivole. Il n’eut aucune des singularités qui font plaisir, mais tous les ridicules qui font pitié. Avec le corps d’un homme difforme, il eut toutes les flatteries d’une femme.

5 Idiot dans la louange et dans le blâme ; impertinent dans l’admiration. Sa vanité lui donna des prétentions à la fortune, et cette même vanité les manqua toutes. Il partit, et, quoiqu’il eût pris le chemin le plus

1o facile, il n’arriva jamais.

On pourroit avilir l’esprit au point de dire qu’il en avoit ; mais il est impossible de dégrader le bon sens jusqu’au point de lui en croire. Avec tout cela, admirable dans la société, parce qu’il avoit peu de

15 vices, et qu’il n’avoit point de vertus. Il eut la faveur d’une petite cour, et il fut le seul qui ne fut pas soupçonné d’en avoir la confidence.

1359(1365.II, f° 196). — Je définissois M. de La Trémouille : un grand seigneur, qui a beaucoup de 2o petits talents.

1360(1381.ii, f° 198). — Je disois de M. de La Trémouille : « Personne au Monde ne fait mieux que lui ce qu’il ne faudroit pas faire. >

1361 (1377. II, f» 197). — Je disois de M. de Fo1fcal2s quier] : « S’il n’avoit pas beaucoup d’esprit, il n’en auroit point du tout. >

1362(1 371.II,1* 196 v°). — Je disois du ch de Play :< Si doux ! Il me semble que je vois un vers

qui file de la soye. »

1363 (1374. II, f° 197).—Je disois du marquis de

M :« Il a une familiarité indécente, qui déplaît

à ceux qui sont au-dessus de lui, et à ceux qui sont ; au-dessous. »

d364(1593. II, f ° 45b). — Je disois de V , dont

le caractère étoit misérable : « Il ressemble [à ces] cochenilles, qui donnent le plus beau coloris de la nature, et ce ne sont que des vers.» 1o

1365(1623. II, f°493). — Je disois du T :« Il est

faux par le cœur, hypocrite du corps, gauche de l’esprit, puérilement bas, stupidement haut, rusé sans lumières, fin et maladroit.

1366(2109. III, f° 349). — L. P. S.— Il paroîtêtre .3 dans la société civile, et il en est dehors, également incapable de rendre service et d’en recevoir : c’est un homme impassible.

1307 (1127. II, f° 77 v°). — Je ne suis la dupe ni de la douleur de Made de Sevac (?), ni de l’amour de 2o Mad" de Berville pour son fils : tout cela est fait pour faire du bruit.

1368(1143. II, f° 78 vo).—Je disois de Made de Bonneval que personne n’entendoit mieux qu’elle le cérémonial de l’amour et de l’amitié. 20

1369(1242. II, f° 10a v°). —Je disois de Mad« de Lixin qu’elle avoit une jolie manière d’avoir de l’esprit.

1370(137O. II, f°19f)v°). — Je disois de la d

5 d’Ég (sic) : «Elle a de l’esprit, mais c’est de

la plus pauvre espèce : elle a l’orgueil d’un pédant et tous les défauts d’un laquais. >

1371 (1393. II, f° 201 v°). — Maupertuis dit que Voltaire est l’homme qu’il connoît qui a plus d’esprit en

1o un temps donné. Je disois aussi que la duchesse [d’Éguillon] étoit la femme de France qui mentoit le plus en un temps donné.

1372 (1394. II, f° 202).— Du d’Ég (sic).

— Je disois : « Elle est bien plus amie de ses enne

15 mis que de ses amis. »

1373 (1406. II, f° 2o3). —Je disois o/Mad* [d’Éguillon] qu’elle étoit tantôt un songe, tantôt un délire.

1374 (1415. II, f° 204). — Mad° d’Éguillon (sic) nous disoit, pour se vanter, une chose qu’elle n’avoit ni

2o faite, ni dite, quoiqu’elle se l’attribuât. Je disois : « Comment est-on aussi modeste auprès de soi, pour être vain auprès des autres ?»

1375(1425. II, f°2o5).— Je disois de la princesse de Rohan : « Je commence toujours pour elle une 25 admiration que je n’achève pas. »

1376(2119. III, f° 35o).— C’étoit une dangereuse femme que milady Stafford : elle ne vous donnoit pas des ridicules ; mais elle vous en couvroit ; elle vous en inondoit, vous y submergeoit, vous y noyoit. Elle étoit dans le désespoir de la vieillesse. 5

1377(21o5. III, f°349).— La Saint-Sulpice.— Elle est ridicule, et elle y consent très patiemment.

1378(1331.II,f°186). —Le , également inférieur à la faveur et à la disgrâce : il n’a pu résister ni à l’une, ni à l’autre de ces grandes épreuves. 1o

1379(1409. II, f° 2o3 v°). — Je disois à un homme caché : « Montrez-moi votre vrai visage. »

1380* (1435. II, f° 207). —Je disois du :

« C’est l’homme du Monde qui a le plus de singularité, et c’est l’homme du Monde qui a le moins 15 de ridicule. »

XVI. CARACTERES ETHNIQUES.

1381 (348.I, p. 344). — J’appelle génie d’une nation les mœurs et le caractère d’esprit de différents peuples dirigés par l’influence dune même cour et d’une 2o même capitale ’.

1. Mis dans les Génies.

1382 (376.I, p. 35g). — Un Anglois, un François, un Italien : trois esprits.

1383* (1638. III, f° 2). — Je ne sais comment il arriva qu’un Turc se trouva un jour avec un Cannibale. 5 «Vous êtes bien cruel, lui dit le Mahométan ; vous mangez les captifs que vous avez pris à la guerre. — Que faites-vous des vôtres ? lui répondit le Cannibale.— Ah ! nous les tuons. Mais, quand ils sont morts, nous ne les mangeons pas. » 1o Il semble qu’il n’y ait point de peuple qui n’ait sa cruauté particulière ; que chaque nation ne soit touchée que de celle des autres nations, comme si la barbarie était une affaire d’usage, comme les modes et les habits.

’5 1384* (1566. II, f°453). —Il pourroit être que la constance des Japonnois dans les supplices seroit due à ce que les souffrances physiques n’y sont peutêtre pas si grandes, que la machine n’y est pas si susceptible de la douleur.

2o 1385 (646.I, f° 457 v° ). — La mort pour un Romain et la mort pour un Chrétien sont deux choses.

1386* (962. II, f° 22 v°).— On voit qu’une certaine

vanité chez les Romains n’étoit pas si ridicule que

parmi nous. On le voit dans cette fureur qu’ils ont

zb de demander à leurs amis qu’ils les louent, qu’ils les

mettent dans leurs histoires, leurs dédicaces.

Le fait particulier de la mort de César paroissoit si beau que des gens qui n’y avoient pas trempé s’en vantèrent. Trebonius écrit à Cicéron que, s’il écrit quelque chose du meurtre de César, qu’il espère qu’il n’y aura pas la moindre place. Cicéron’, qui prie qu’on le mette dans l’histoire romaine, et qu’on 3 mente même pour lui. Cet amour immodéré pour être célébré vient de l’éducation de ce temps-là.

1387* (1552. II, f° 248 v°). — Il y a des exemples étonnants de la vanité romaine. Il n’y a rien de si ridicule que Trebonius, qui écrit à Cicéron que, s’il 1o décrit quelque chose du meurtre de César, il espère qu’il n’y aura la moindre place. Il n’y a rien de si ridicule que Cicéron lui-même qui prie qu’on le mette dans l’histoire romaine, et qu’on mente même pour lui.

Cette vanité étoit entièrement différente de la va. ô nité que quelques peuples ont aujourd’hui. Celle-ci ne se porte que sur le moment présent ; l’autre étoit toujours jointe à l’idée de la postérité. Un habit de bon goût pour un certain jour suffit pour l’une ; il falloit un nom gravé sur une pierre pour flatter ^o l’autre. Ces choses sont l’effet de l’éducation de ce siècle-là et du nôtre et se reportent aux institutions des deux peuples.

1388 (1o13. II, f6 37 v°). — Les Romains me semblent n’avoir point de mot pour exprimer un petit i5 maître : leur gravité étoit trop contraire à ce genre de personnage.

1. Mis aux Loix.

1389*(12o/). II, f5137). — Cet esprit belliqueux que le climat donnoit autrefois au peuple de Rome est, par les causes morales, borné au goût qu’il a aujourd’hui pour les combats qu’il voit sur les théâtres ; et 5 ce climat qui rendoit autrefois le peuple d’Athènes si turbulent ne sert plus qu’à nous montrer des esclaves peut-être un peu moins stupides. La nature agit toujours ; mais elle est accablée par les mœurs.

1390 (2141. III, f°351 v°). — Les Vénitiens sont 1o insociables. Quand vous allez les voir, vous ne savez

si vous entrez par la porte ou par la fenêtre, si vous y faites du plaisir ou de la peine. Là, la débauche s’appelle liberté.

1391 (915. II, f° 13 v°).— François. — Leur ca13 ractère : chez les anciens Gaulois, ils alloient sur les

grands chemins apprendre des nouvelles. Railleurs : quand les ambassadeurs romains vinrent pour leur inspirer de s’opposer à Annibal, leurs jeunes gens éclatèrent de rire. Voyez l’Histoire d’Anne Comnène.

2o 1392(347.I, p. 343).— Il n’y a que les conquêtes que nous avons faites de proche en proche qui nous soyent restées. Mais nous avons toujours été malheureux dans les entreprises éloignées. On peut difficilement compter combien de fois nous avons conquis

23 et perdu le Milanois, le Royaume de Naples et autres états d’Italie. Nous sommes difficiles à vaincre sur nos frontières ; mais cavendum a nimia ambitione. Il nous est impossible de quitter notre patrie pour longtemps. L’idée du séjour de Paris attaque d’abord l’esprit de nos jeunes gens. Après la bataille de Turin, l’impatience du retour (je ne dis pas de nos petits maîtres, mais de nos généraux) ne nous fit-elle pas retirer en France et perdre l’Italie ? 5

1393(354. I, p. 345).— L’indiscrétion des François dans les insultes faites à l’honneur des maris italiens leur a fait perdre le Royaume de Naples, celui de Sicile, le Milanois, et quelques uns de ces états plusieurs fois. Ils les ont égorgés en Sicile ; ils se sont 1o révoltés ailleurs ; et, dans le temps que ces peuples étoient le plus las des François, les François ne l’étoient pas moins d’eux, par la rage de retourner en France.

1394(474. I, p. 401).— Les François travaillent 1i’ pour amasser et dépenser soudain. « Il semble, disois-je, qu’ils ayent une main avare et une autre prodigue. » Ils sont, en même temps, Milanois et Florentins.

1395 (r 164. II, f°81).—Je disois en Italie : * Les 2o François sont avares et prodigues ; ils sont florentins

et milanois tout à la fois. »

1396 (97. I, p. 88). — Mauvaise foi des François, puisqu’ils ont tant de juges pour la réprimer.

1397 *(43.I, p. 48). — Ce que c’est que les choses *5 qui font chez nous les distinctions les plus person nelles ! Le relâchement de deux ou trois fibres auroit pu rendre Made de Mazarin (?) une femme trèsdégoûtante.

"1398(56. I, p. 59).— En France, ce ne sont pas 5 les noms nobles, mais les noms connus, qui donnent du relief : une célèbre c... ou une célèbre joueuse honore sa maison en la mettant du nombre des maisons connues.

1399*(772. I, p. 5o3). — François sont agréables, 1o se communiquent, sont variés, se livrent dans leurs discours. Ils se promènent, marchent, courent, et vont toujours jusqu’à ce qu’ils soyent tombés.

1400,* (1470. II, f° 217). — Je disois : « Les François sont présomptueux, et les Espagnols aussi. Les Es

15 pagnols le sont parce qu’ils croyent être des grands hommes ; les François le sont parce qu’ils croyent être aimables. Les François savent qu’ils ne savent pas ce qu’ils ne savent pas ; les Espagnols savent qu’ils savent ce qu’ils ne savent pas. Ce que les

2o François ne savent pas, ils le méprisent ; ce que les Espagnols ne savent pas, ils croyent le savoir. >

1401 (988. II, f° 28 v°). — / never saw a nation qui pense moins que cette nation-ci : à la différence des bêtes, elle ne sait pas même ce qui lui fait du bien,

i5 ni ce qui lui fait du mal.

1402 (1355. II, f° 194. v°).— Les petites-maisons pour la galanterie, bien inventées pour le goût de la Nation : on y a l’air du mystère, sans en avoir les désavantages, qui est la mortification de la vanité.

1403 (1357. II, f° 195 V). — Ce qui fait que, de nos jours, il n’y a plus de dévotions, confrairies, 5 assemblées d’églises, sermons, c’est que la galanterie n’en a plus de besoin : on voit les femmes partout.

1404* (1439. II, f° 208 v°). — Il y a parmi nous peu de sots qui soyent en même temps stupides : la sot- 1o tise s’y trouve si près de l’esprit.

C’est ce qui produit parmi nous un prodigieux nombre de lecteurs. Dans les autres pays, ceux qui ont de l’esprit savent qu’ils en ont, et ceux qui n’en ont point le savent aussi. Dans ces pays, bien des 0 gens seroient propres à amuser les autres ; à peine se jugent-ils capables d’être amusés eux-mêmes. Quelque ouvrage agréable qu’on leur présente, ils ne daigneront pas seulement le lire.

Je dis ici la véritable raison qui a fait que j’ai eu 2o toute ma vie une estime particulière pour nos petitsmaîtres. Je ne parle pas ici en homme d’État : car, quoiqu’ils soutiennent les principales branches de notre commerce, fondé sur le changement continuel de modes et d’habits, ils rendent service à leur patrie 23 sans en exiger la moindre reconnoissance.

De toutes les nations connues, il n’y en a point de moins pédante que la nôtre, et l’on n’a que faire de tant crier contre les gens du bel-air.

C’est eux, au bout du compte, qui polissent le peuple de l’Europe qui a le plus d’agréments.

C’est eux qui lient nos sociétés, et qui mettent une heureuse harmonie entre des personnes que les 5 anciennes mœurs auroient rendues incompatibles. C’est à eux que nous devons cette vivacité qui fait que nos gens d’esprit nous paroissent plus aimables, et que nos sots ne sont pas tout-à-fait stupides. — Les uns mettent parmi nous une certaine action,

1o qui change en occupation nos amusements mêmes ; les autres sont une espèce de spectacle fort réjouissant.

C’est eux qui, au lieu de cette arrogance qui paroît dans les particuliers chez quelques peuples, chan

15 gent notre orgueil en une impertinence agréable qui se produit de mille façons. — Ils inspirent aux jeunes gens, choqués du sérieux de la robe de leurs pères, de répandre leur sang pour le service de la Patrie et de s’approcher du Prince.

2o Enfin, c’est de leur tête, quoique un peu éventée, que sort la principale branche de notre commerce, fondée sur ce bon goût qui nous fait changer de modes et d’habits avec une autorité trop absolue pour ne pas croire que nous ne changions en

35 mieux.

C’est à eux principalement que je consacre ce petit ouvrage. La plupart des gens dédient leurs livres à ceux qui les lisent ; moi, je dédie celui-ci à ceux qui ne le liront point : espérant que, si, par

3o hasard, ils apprennent qu’il leur appartient, ils voudront bien ne le point critiquer et avouer ingénuement qu’il ne l’on point lu. — Je ne désespère pourtant pas que les gens les plus graves ne me fassent l’honneur de me lire. Si mon héros n’a pas un habit de philosophe, il a quelquefois des idées assez philosophiques. 5

t. II. 23

1405* (1491. II, f° 222 v°). — Il me semble qu’en France on ne craint que les ridicules.

1406 (993. II, f° 29). — En France, rien ne sauve du mépris : honneurs, dignités, naissance. Les princes sont à peine dispensés du mérite personnel. 1o

1407 (1119. II, f° 76). — Il n’y a pas de pays où l’on ait plus d’ambition qu’en France ; il n’y en a pas où on en dut avoir moins. Les dignités les plus grandes n’y donnent aucune considération : M. de Coigny, moins estimé depuis le gain de deux batailles ; 15 d’Asfeld, depuis qu’il a été fait maréchal ; et tout le monde de même.

1408* (1651. III, f° 10). — Quand on considère les hommes de notre nation, on est étonné de voir des gens qui ne se tiennent jamais pour ruinés, et qui 2o ne se tiennent jamais pour enrichis.

Pour moi, je m’estime heureux d’avoir ... mille livres de rentes qui n’ont affaire à personne.

1409(1584. II, f° 455). — C’est la capitale qui, surtout, fait les moeurs des peuples ; c’est Paris qui fait 2b les François.

1410 (1581. II, f° 455). — C’est Paris qui fait les François. Sans Paris, la Normandie, la FrancheComté, la Picardie seroit (sic) plus allemande que les Allemands.

5 1411 (1079. H’ & 67). — A Paris, on est étourdi par le monde ; on ne connoît que les manières, et on n’a pas le temps de connoître les vices et les vertus.

1412 (1977. III, f° 279).— A Paris, je n’entends ’o parler que de deux hommes : l’un qui n’avoit rien, et qui est aujourd’hui très riche ; l’autre, un homme autrefois très riche, et qui aujourd’hui n’a rien.

1413(1975. III, f° 279). —Je disois : « Rien ne me frappe tant à Paris que l’agréable indigence des ’5 grands seigneurs et l’ennuyeuse opulence des gens d’affaires. »

1414 (1586. II, f° 455 vo). —Je disois : « J’aime Paris : on n’y fait point de réflexions ; on se défait de son âme. >

2o 1415(1587. II, f°455 v°).—Je n’aime point à Paris les dîners réglés : c’est comme les vœux des moines ; le sacrifice n’est compté pour quelque chose que la première fois.

1416 (2081. III, f° 343 v°). — C’est une bonne chose ib que de vivre en France : les mets sont meilleurs que dans les pays froids, et on y a meilleur appétit que dans les pays chauds.

1417 (1588. II, f° 455 v°).— A Paris, on passe sa vie avec des goûts. Dans les pays étrangers, il faut des passions, disoit M. Lomillini. 5

1418(2173. III, f° 361).—Je disois à des gens qui disoient qu’à Paris seul il y avoit des gens aimables : « Qu’appelez-vous des gens aimables ? Il y a cent mille choses à faire avant de penser à être aimable. » 1o

1419 (2099. III, f° 348 v°). — Dans la province, Paris, un pôle boréal pour vous attirer ; l’Intendant, un pôle austral pour vous chasser.

1420* (767. I, p. 5o2). — Anglois.— Si l’on me demande quels préjugés ils ont, en vérité, je ne 15 saurois dire lequel : ni la guerre, ni la naissance, ni les dignités, ni les hommes à bonne fortune, ni le délire de la faveur des ministres. Ils veulent que les hommes soyent hommes. Ils ont fait cas du duc de Marlborough, de lord Cobham, du duc d’Argyle, 2o parce qu’ils sont des hommes. Ils n’estiment que deux choses : les richesses et le mérite personnel.

Ils ont plus d’orgueil que de vanité ; une nation voisine a plus de vanité que d’orgueil.

Là, lorsqu’un étranger est reçu sur le pied de 23 citoyen, il est beaucoup mieux. Personne ne se méfie de lui, parce qu’il n’a d’intérêt mêlé avec personne. Ils vous méprisent comme de la boue, parce qu’ils croyent que vous n’estimez que vous.

Ils n’aiment, ni ne haïssent leurs roix, mais ils les craignent ou les méprisent.

5 1421* (321.I, p. 334). — Une marque que la nation angloise est folle, c’est que les Anglois ne font jamais bien que les grandes actions, et point les médiocres. Or, il n’y a que ceux qui font bien les grandes et les moindres qui soyent sages.

1o 1422 (702.I, p. 478). — Les Anglois ne ressemblent pas à Marius, qui ne vouloit point apprendre le grec, comme une langue [de] ceux qui n’avoient pu défendre leur liberté.

1423 (3 1o. I, p. 329). — Mort volontaire. — Si, avec ô la manière de penser des Anglois sur la mort, les

loix ou la religion venoient à la favoriser, il se feroit des ravages effroyables dans l’Angleterre.

1424 (5g1. I, f°446). — Il n’y a pas de nation qui ait plus de besoin de religion que les Anglois : ceux

2o qui n’ont pas de peur de se pendre doivent avoir la peur d’être damnés.

1425(26. I, p. 18). — Les Romains ne se tuoient que pour éviter un plus grand mal ; mais les Anglois se tuent sans autre raison que celle de leur ib chagrin.

Les Romains devoient se tuer plus aisément que les Anglois, à cause d’une religion qui ne laissoit presque aucun compte à rendre.

Les Anglois sont riches, ils sont libres ; mais ils sont tourmentés par leur esprit’. Ils sont dans le dégoût ou dans le dédain de tout. Ils sont réellement 5 assez malheureux avec tant de sujets de ne l’être pas.

1426* (1570. II, f° 454). — Les Anglois se tuent au moindre revers, parce qu’ils sont accoutumés au bonheur. Les gens malheureux conservent leur vie, 1o parce qu’ils sont accoutumés aux malheurs.

1427* (196.I, p. 192). — Vous me demandez pourquoi les Anglois, qui ont beaucoup d’imagination, inventent peu, et les Allemands, qui ont peu d’imagination, inventent beaucoup. 15

Il y a des choses qui s’inventent par hasard, et, à cet égard, on ne peut pas demander pourquoi une nation invente plus que l’autre : ainsi on ne peut mettre sur le compte ni sur l’esprit des Allemands l’invention de la poudre et autre chose de cette 2o espèce.

D’ailleurs, l’imagination fait bien inventer les systèmes, et, en cela, les Anglois ont fourni leur contingent plus que toute autre nation ; mais la plupart des découvertes en physique ne sont que 25 l’effet d’un travail long et assidu, dont les Allemands sont plus capables que les autres nations.

1. Mis cela.

Vous entendez bien que mille chimistes allemands, qui manipuleront sans cesse et ne se détourneront jamais, trouveront plus aisément les effets de la combinaison de certains principes en chimie, que 5 mille Anglois qui étudieront quelque principe de la chimie, mais qui s’occupent les trois quarts du temps à raisonner sur la Religion et sur le Gouvernement.

1428(780.I, p. 5o8). — Les Anglois sont occupés ; 1o ils n’ont pas le temps d’être polis.

1429(1161.II,f°81). — Parlez en Angleterre de Gouvernement, vous plairez comme si vous parliez de Guerre aux Invalides.

1430* (889. II, f° 8 v°). — Le caractère des Anglois 15 marqué dans tous les temps est une certaine impatience que le climat leur donne, et qui ne leur permet ni d’agir longtemps de la même manière, ni de souffrir longtemps les mêmes choses 1 : caractère qui n’est point grand en lui-même, mais qui 2o peut le devenir beaucoup, lorsqu’il n’est point mêlé avec de la foiblesse, mais avec ce courage que donne (sic) le climat, la liberté et les loix.

1431 (n36. II, f* 78 v°). — Les Anglois ne sont presque jamais unis que par les liens de la haine et i5 l’espoir de la vengeance.

1. Mis dans les Loix.

1432 (2121. III, f° 35o).— Les Anglois qui ont re- , passé la Manche semblent avoir repassé le fleuve Lethé. Ce n’est pas qu’ils soyent ingrats, mais peu sont en état de vous recevoir à Londres, où ils n’ont point souvent de maison : ils sont embarrassés à 5 vous recevoir.

1433* (1531. II, f° 234). — Anglois. — Ils parlent peu, et, cependant, ils veulent être écoutés. Chez eux, la simplicité, la modestie, la retenue, ne sont jamais ridicules. Ils font cas du mérite personnel plus qu’au- 1o cune nation du Monde. Ils ont leurs caprices ; mais ils en reviennent. Si vous leur envoyez de petites gens, ils croyent que vous voulez les tromper. Ils sont vrais, et ouverts, et même indiscrets ; mais ils ne peuvent souffrir d’être trompés. Tout ce qui s’ap- 15 pelle air leur déplaît. Ils aiment à voir la simplicité et la décence ; ils aiment à raisonner, plus qu’à converser. Naturellement honnêtes gens, si la Cour et le besoin ne les a pas corrompus ; braves, sans estimer la bravoure ; également capables de mépriser 2o l’argent et de l’aimer ; incapables de se divertir, ils aiment qu’on les divertisse. Quand les étrangers n’ont pas les défauts qu’ils leur croyent, ils sont gens à les aimera la folie. Ils aiment les talents et n’en sont point jaloux. Tout cela est couvert d’une bizarrerie, qui 25 est comme l’habit qui enveloppe toutes leurs vertus.

Voilà pour les particuliers !

Voici la Nation et le Ministère :

Trompez-les ; comme ils n’espèrent pas de pouvoir vous le rendre, vous les mettez au désespoir. 3o

La nation, insolente ; les particuliers, modestes.

Ne craignons (?) jamais un roi d’Angleterre qui n’aura pas de mérite personnel.

1434(781. I, p. 5o8). — La Différence des Anglois 5 et des François. — Les Anglois vivent bien avec leurs inférieurs et ne peuvent soutenir leurs supérieurs. Nous nous accommodons de nos supérieurs et sommes insupportables à nos inférieurs.

1435 (1286. II, f° 136). — Un gentilhomme anglois 1o est un homme, le matin, habillé comme son valet de chambre ; un gentilhomme françois est un homme qui a un valet de chambre habillé comme lui.

1436 (1326. II, f° 185 v°). — Je disois : * Les Anglois ne sont pas assez supérieurs à nous pour n’être

15 pas inférieurs. »

1437 (1135. II, f° 78). — Ils croyent en Angleterre que la moitié des François est à la Bastille, et l’autre, à l’Hôpital.

1438 (758. I, p. 498). — Les Allemands sont trop 1o indolents pour être si rompus aux affaires. C’est pour

cela qu’ils en ont moins. Ils laissent la plupart des choses comme elles sont. A Vienne, un ministre qui a travaillé deux heures, le matin, va dîner et (?) jouer le reste de la journée. Les affaires restent dans 23 les tribunaux ordinaires, et personne ne songe à les en ôter, ni à les déranger. Malheureuse vivacité de notre nation, qui met la mode jusques dans les projets des finances, et les résolutions des conseils, et le gouvernement des provinces ! Tout ce qui est établi nous déplaît, et un ministre qui ne fait rien est regardé comme un mauvais ministre. 5

1439 (215o. III, p. 352). — On voit que les Allemands ont envie de faire sortir quelque chose de leur tête ; mais cette envie est inutile.

1440 (1163. II, f° 81). — Je disois que les lieues de Bohême étoient longues, parce que c’étoient des 1o gens qui ne pensoient pas qui les avoient marquées.

1441 (592. I, f° 446). — En Hollande tout service se vend. Je disois : « Un Hollandois peut mourir à l’âge de 80 ans sans avoir jamais fait une bonne action.»