Pensées et Fragments inédits de Montesquieu/VII

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Texte établi par Le baron Gaston de Montesquieu, G. Gounouilhou, imprimeur-éditeur (IIp. 189-293).


VII

HISTOIRE

I. Critique historique. — II. Chronologie. — III. Histoire générale. — IV. Asie. — V. Afrique. — VI. Grèce et Turquie. — VII. Rome. — VIII. Italie. — IX. Espagne. — X. France. — XI. Angleterre. — XII. Allemagne, Hollande et Suisse. — XIII. Peuples du Nord. — XIV. Amérique.

I. CRITIQUE HISTORIQUE.

1442 (916. II, f° 14). — Les histoires sont des faits faux composés sur les vrais ou bien à l’occasion des vrais.

5 1443(149. I, p. 131). — Ce qu’a dit La Bruyère : «Un homme a inventé une histoire ; à force de la raconter, il se persuade à la fin qu’elle est vraye, » est très bien dit. C’est qu’il se souvient mieux qu’il l’a racontée qu’il ne se souvient qu’il l’a inventée.

1o Si cela est vrai, quelle doit être la force des préjugés de l’enfance !

1444 (782. I, p. 509). — Dans la Gazette d’Amsterdam, du 12 février 1734, que j’ai insérée dans mon Spicilège, il y a une lettre du Grand-Visir au prince Eugène, sur les affaires de Pologne ; dans laquelle, parlant du feu roi Auguste II, il met : « .... Or leur roi, surnommé Nal-Kyran, étant décédé il y a déjà longtemps. » Sur quoi, je dis qu’on aille chercher b les vrais noms des roix de Babylone et d’Assyrie ; puisque, chez les Turcs, le roi Auguste, leur voisin, s’appelle Nal-Kyran.

On voit, dans cette lettre, un caractère d’une grande bonté et douceur. 1o

1445 (13o8. II, f° 178). — Quand on veut chercher quelque chose dans l’Antiquité, il faut prendre garde que les choses qui sont citées en preuve par les auteurs ne doivent pas toujours être prises pour exactement vrayes ; parce que le besoin qu’on en a eu 15 peut faire que l’auteur leur a donné une plus grande extension qu’elles n’ont réellement.

1446 (2102. III, f° 348 v°). — Sur une nouvelle qui paroissoit si bien apprêtée qu’elle paroissoit avoir été faite dans le cabinet : «Il en [est] comme des »o perles, qui sont fausses lorsqu’elles sont trop belles. »

1447 (409. I, p. 373). — Le vrai n’est pas toujours vraisemblable. En voici un exemple. Lorsque Denysle-Tyran, Phalaris et Caligula exerçoient toutes leurs barbaries, on pensoit d’abord que ces gens-là 25 croyoient faire mal, et l’on passeroit pour extravagant si l’on disoit aujourd’hui qu’ils croyoient faire bien. Mais que dira-t-on quelque jour d’un genre d’hommes qui exercent journellement et exactement les mêmes cruautés que ces gens-là, et qui croyent faire bien ?— Ce sont les Inquisiteurs d’Espagne et de Portugal.

5 1448 (693.I, p. 476). — On ne peut pas dire qu’une chose n’a pas été faite, parce qu’elle est extravagante. Séjan ne faisoit-il pas des sacrifices à luimême ?

1449(911. II, f°13). — On ne jugera jamais bien des 1o hommes si on ne leur passe les préjugés de leur temps.

1450* (78. I, p. 68).— Le père Calmet doute de l’existence du (sic) Sanchoniathon, et les raisons qu’il en apporte ne peuvent faire que pitié.

15 Il dit que Porphyre, grand ennemi des Chrétiens, l’a supposé afin de faire rapporter aux Payens tout ce que Moïse attribue aux Juifs. Il est vrai que tout ce qui part des mains de Porphyre doit nous être suspect. Mais, si l’on fait attention au récit du San

3o choniathon, on le verra si différent, et conforme en de si petites circonstances, et si peu essentielles, qu’on ne peut se servir de cette conformité pour rejeter un auteur vénérable par son antiquité, et le seul qui nous représente tous le9 auteurs de l’histoire

23 phénicienne.

2o Si une telle raison de conformité a lieu, il faudra aussi rejeter Phérécide, qui commence son livre comme celui de Moïse. Il faudra rejeter Ésope, dont saint Paul copie une pensée ; cet autre auteur dont saint Paul a pris « Cretenses semper mendaces, ventres pigri*. Il faudra rejeter toute la secte platonicienne, qui a parlé comme saint Jean. Il faut faire le procès à M. l’Évêque d’Avranches, qui a soutenu que les 5 patriarches n’étoient point différents des héros de l’Antiquité. Il faut foudroyer le père Thomassin comme un homme qui veut avilir le législateur des Juifs, et regarder ces deux grands hommes comme de nouveaux Porphyres. 1o

Porphyre n1avoit-il que ces sortes d’avantages à prendre contre les Juifs ?

Ce n’est pas, au moins, comme raisonnoit Appion. Il alloit droit au but : il leur disoit que, dans leur origine, ils étoient une multitude de lépreux ; que l5 Moïse étoit un prêtre d’Héliopolis ; qu’il leur donna une loi en haine des Égyptiens, qu’ils avoient servis. Il nioit, ensuite, atténuoit ou expliquoit à sa fantaisie tous les miracles de l’Ancienne Loi. Voilà quels coups il portoit, et non pas de ces coups détournés « qui sont des coups perdus.

1451*(142.I,p.126).— Contradiction de Marsham ’, qui fonde son livre sur un passage de Syncelle, qui est un auteur ancien, et qui, une page après, dit que le Syncelle est un homme sans foi et sans jugement2. 15

1452 (1378. II, f° 197 v«). — Il faut réfléchir sur la Politique d’Aristote et sur les deux Républiques de

1. Examinez cela.

2. Cet article n’est pas de moi. Platon, si l’on veut avoir une juste idée des loix et des mœurs des Grecs. Les chercher dans leurs historiens, c’est comme si nous voulions trouver les nôtres en lisant les guerres de Louis XIV.

5 1453 (324.I, p. 334). — Nous avons des auteurs de l’ancienne histoire de France favorables aux Bourguignons ; d’autres, aux Austrasiens •.

Aujourd’hui, que ces différents intérêts ont cessé, à peine cette partialité se fait-elle sentir.

1o Un auteur cesse d’être partial à force d’être ancien, et il faut bien croire que les écrivains d’autrefois étoient comme ceux-ci.

1454(1073. II, f° 66). — La plupart de nos François qui ont écrit eux-mêmes leurs mémoires sont

’5 si visiblement vains qu’il est impossible qu’ils soyent vrais. Ils ont tout fait dans la guerre et dans les affaires. Mais, les hommes ayant à peu près les mêmes passions, les mêmes inquiétudes, les mêmes talents, il n’est pas possible que, sans être réprimés

2o par quelque force majeure, ils résignent à un seul l’emploi d’agir et de penser.

1455* (1462. II, f° 215). — Depuis la découverte de

l’imprimerie, il n’y a plus d’histoire vraye, dit le

père Cerati. Les princes n’y étoient point attentifs,

23 et la police ne s’en mêloit pas. Aujourd’hui, tous

les livres sont soumis à l’inquisition de cette police, qui a établi des règles de discrétion. Les violer, c’est une offense. On a appris par là aux princes d’être offensés de ce qu’on disoit d’eux. Autrefois, ils ne s’en soucioient pas ; on disoit donc la vérité. 5

1. Voyez ce qui est dit dans l’extrait de l’Académie des BellesLettres, sur les ouvrages de Frédégaire.

t. 11. 25

1456* (1525. II, f» 231 v°).— C’est un problème si l’imprimerie a servi, ou non, à la vérité de l’histoire.

Autrefois, les auteurs de partis déguisoient la vérité plus hardiment : leurs ouvrages étoient peu 1o répandus et n’étoient guère lus que de quelques gens de leurs sectes ; ils craignoient donc moins de dire des choses absurdes, ils chargeoient plus les caractères, et ils crioient plus fort, parce qu’ils étoient moins entendus. 15

D’un autre côté, les princes ont fait de cet art le principal objet de leur police ; les censeurs qu’ils ont établis dirigent toutes les plumes.

Autrefois, on pouvoit dire la vérité, et on ne la disoit pas ; aujourd’hui, on voudroit la dire, et 2o on ne le peut pas.

II. CHRONOLOGIE.

1457* (67.I, p. 64). — S’il n’y avoit point de temps avant la Création, il s’ensuivroit nécessairement que le Monde seroit aussi ancien que Dieu et lui seroit 25 coéternel.

1458* (206.I, p. 2o3). — De l’Éternité du Monde.— L’argument de Lucrèce contre l’éternité du Monde prouve trop :

Prœterea, si nulla fuit genitalis origo 5 Terrai et Cœli, semperque ceterna fuere Cur supra bellum Thebanum etfunera Trojœ Non alias alii quoque res cecinere poetœ ? Quo tôt fada virum toties cecidere ? nec usquam AZternis famœ monumentis insita florent ? 1o Verum(ut opinor) habet novitatem summa, recensque Natura est Mundi, neque pridem exordia cepit.

Je dis qu’il prouve trop. Nous ne connoissons rien avant les Olympiades, c’est-à-dire avant deux mille cinq ou six cents ans. Tout le reste est fable

15 et obscurité. Nous sommes, cependant, sûrs que le Monde dure depuis au moins six mille ans. Nous avons donc trois mille cinq cents ans, au moins, de la durée du Monde pour lesquels l’histoire nous manque.

2o Pour que l’argument de Lucrèce fût bon, il faudroit que nous eussions une histoire bien exacte et bien suivie depuis l’époque de la naissance du Monde.

Alors on pourroit dire : «il faut bien que le

î5 Monde n’ait pas commencé avant, puisque nous

n’avons point de mémoire que rien ait précédé. »

Mais ici il y a un âge constant qui a précédé,

dont nous n’avons point de mémoire, et, pour la

connoissance duquel, nous avons besoin de la Ré

3o vélation.

Son autre preuve :

Quare etiam quœdam nuttc artes expoliuntur, Nunc etiam augescunt ; nunc addita navigiis sunt Multa :...

ne vaut pas mieux ; car il faudroit auparavant 5 prouver qu’il n’est point arrivé sur la Terre de catas- trophe pareille à celle dont les Grecs parlent dans leur Déluge, et Moïse, dans sa Genèse. Car, si un homme ou un très petit nombre d’hommes restent dans un grand pays situé de manière que la com- 1o munication soit difficile, il faut nécessairement que tous les arts tombent et s’y oublient, fussent-ils les plus savants de la nation : un homme ou deux ne connoissant que peu d’arts et pouvant encore moins les pratiquer ; quand ils le sauroient faire, ils le 15 négligeroient. D’ailleurs, la pauvreté, nécessaire- ment attachée à un petit nombre d’hommes, fera qu’on oubliera tous les arts, excepté ceux qui peu- vent procurer les plus indispensables besoins1. Ne croyez point qu’un Noé et un Deucalion pensassent 2o à l’imprimerie et s’exerçassent à faire des lunettes de longue-vue, ni des microscopes, qu’ils missent en usage de la monnoye. Incapables de construire un vaisseau, se souviendroient-ils ou même se sou- cieroient-ils de la boussole ? 25

Imaginez-vous un pâtre dans sa bergerie. De combien peu d’arts a-t-il connoissance ? — Un paysan dans un lieu peu fréquenté. Combien a-t-il peu d’idées ?— Il faudroit donc que tout le peuple partît de ce petit nombre d’idées. Et, avant qu’il eût fait le moindre progrès, quel temps ne se passeroit-il pas ? Car la plupart des arts concernent un grand 5 peuple, non pas une certaine quantité d’hommes. Avant qu’ils n’eussent fait de bonnes loix, qu’il n’eussent pris ce tour d’esprit qui fait fleurir un État, combien de temps s’écouleroit-il ? Il est certain que l’origine du Monde ne se prouve

1. D’ailleurs, les arts se tiennent presque tous : une aiguille est le résultat de bien des arts.

1u que par les Livres sacrés ; car, pour les preuves historiques, elles sont toutes contre le système reçu. Le concert unanime de tous les historiens étant pour une plus grande antiquité forme une démonstration dans ce genre. Dire que tous les peuples par

15 vanité ont reculé leur origine, c’est parler sans raison : la vanité ayant peu de part à cela. N’avonsnous pas un écrivain de notre histoire qui a retranché nos premiers roix ? (C’est le père Daniel). Il semble que l’opinion du Monde indestructible

2o suppose aussi qu’il n’a pas eu de commencement. L’opinion de la destruction du Monde par le feu, qui est l’opinion des anciens philosophes, et celle qui est parmi nous orthodoxe, ne porte qu’un dérangement, auquel, par les règles du mouvement, doit

23 nécessairement succéder un autre arrangement. Toute notre théologie, la résurrection des corps, la destruction par le feu, tout cela ne suppose qu’un nouvel arrangement. Et, supposé que le mouvement de la matière soit inadmissible, le Monde doit sub

3o sister éternellement, et Lucrèce raisonne peu philosophiquement, lorsqu’il dit que la destruction que nous voyons dans les parties du Monde suppose une destruction dans le tout. Mais, dès que le mouvement subsiste, il ne peut pas y avoir de destruction totale, chaque chose s’arrangeant à mesure que l’autre se dérange. Un tourbillon, par exemple, ne pouvant 5 être détruit qu’il n’en agrandisse ou en forme un autre ; une planète, mise en pièces, qu’elle n’en forme d’autres petites ou ne se range plus près ou plus loin de son soleil.

La plupart des raisonnements des Anciens ne sont 1o pas exacts ; ce qui vient de ce qu’ils n’avoient pas les idées que les découvertes de nos jours ont données du Monde. Ils ne faisoient presque attention qu’à la vaste étendue de la Terre, qu’ils considéroient presque seule comme le Monde, et ils concevoient 15 facilement qu’elle pouvoit périr. Et voici comment ils raisonnoient, et avec raison ; surtout Lucrèce et les Épicuriens, qui croyoient que les astres n’avoient que leur grandeur apparente. «Si vous avouez, disoientils, que les peuples ont péri, que des grandes villes 2o ont été détruites, que des neuves se sont formés et ont couvert les campagnes, il faut que vous avouiez aussi qu’il est très facile que la Terre et le Ciel se dissolvent, si les causes devenoient plus grandes. »

Quod si forte fuisse antehac eadem omnia creais, 25 Sed periisse hominum torrenti sœcla vapore, Aut cecidisse urbeis magno vexa.mine Mundi, Aut ex imbribus assiduis exisse rapaceis Per terras amneis, atque oppida cooperuisse : Tanto quippe magis victus fateare necesse est, 3o Exitium quoque Terrai Cœlique futurum. Nam cum res tantis morbis tantisque periclis Tentarentur, ibi si tristior incubuisset Causa ; darent late cladem, magnasque ruinas1.

5 1459* (208.I, p. 212). — Que sait-on s’il n’y a pas eu successivement plusieurs mondes avant celui-ci ? Cette hypothèse donneroit bien naturellement l’origine des bons et des mauvais anges. Il seroit convenable d’ajouter à chaque monde un jugement

1o universel. Les destructions de ces mondes ne seroient point des anéantissements, mais des arrangements.

1460 (12.I, p. 6). — On pourroit peut-être dire que

la raison pourquoi la plupart des peuples se donnent

une si grande antiquité, c’est que, la Création ne

15 se comprenant pas par l’entendement humain, ils

croyoient que le Monde avoit été de tout temps.

1461* (41.I, p. 45). — Voici comme il me paroît qu’on a accourci les temps, et comment la différence du calcul des Septante d’avec celui du texte

2o hébreu s’est introduite.

Lors de la venue de Jésus-Christ, et longtemps après, il y avoit une tradition que le Monde ne devoit durer que six mille ans. Lorsque Jésus-Christ vint au Monde, on comptoit que la fin du Monde

25 étoit proche ; c’est-à-dire que les six mille ans étoient fort avancés. C’est ce qui a fait parler à saint Paul de la consommation des siècles, des derniers temps. Saint Barnabé suit la même idée dans l’épître qu’on lui attribue. Selon Tertullien, on faisoit des prières publiques pour reculer cette fin du Monde : « Oremus etiam pro Imperatoribus, pro 5 statu sœculi, pro rerum quiete, pro mora finis. »

1. Voyez pages 45, 46 et 47.

Dans le m* siècle, comme cette fin n’arrivoit pas, et que personne ne vouloit qu’elle arrivât sitôt, on ne compta que cinq mille cinq cents ans, et c’est la chronique de Jules Africain. 1o

Dans le Ve siècle, il fallut reculer encore, personne ne voulant voir cette fin du Monde ; de manière qu’on ne mit plus que cinq mille deux cents ans.

Lactance, suivant le calcul de Jules Africain, et 15 sur la pensée que le Monde ne devoit durer que six mille ans, écrivant l’an 320, dit que le Monde ne devoit durer encore que deux cents ans.

Enfin, comme le temps prescrit se passoit, il fallut reculer encore et ne mettre, jusqu’à la venue de 2o Jésus-Christ, que quatre mille ans ; et, vers la fin du vu" siècle, on trouve, dans le Talmud, la tradition de la maison d’Hélie, qui porte que le Monde doit durer six mille ans : deux mille ans d’inanité ; deux mille ans sous la Loi ; deux mille ans sous le Messie ; 25 ce qui donne bien du temps avant que les six mille ans ne soyent finis.

On voit donc qu’à mesure que le temps depuis Jésus-Christ augmentoit, il falloit que le temps avant Jésus-Christ diminuât. Remarquez que les retran- 3o chements ont été faits fort à l’aise, parce qu’ils ont été faits sur des temps vides. Remarquez aussi combien cette division de la durée du Monde de deux mille ans en deux mille ans est bien ajustée. Nota que c’est la lecture de l’extrait de la Défense 5 de l’Antiquité des Temps, de la Bibliothèque universelle (page 104, tome XXIV, février an 1693), qui m’a donné occasion de produire cette idée i.

1462 (2224. III, f° 465). — Il ne résulte de tous les panégyriques et de toutes les inscriptions que le 1o temps auquel elles ont été faites.

III. HISTOIRE GÉNÉRALE.

1463 (291. I, p. 3n).— C’est mal à propos que M. de Ramsay, Fréret et les siens font leur système de l’idée des trois états de l’Homme chez tous les ô peuples : de la félicité et innocence, de la dégradation et corruption après la chute, et de la réparation. Car, primo, les anciens philosophes sont très inconnus, et, quoiqu’ils disent (?) les mêmes termes,

1. Voyez ma remarque, avec un astérisque, sur le raccourcissement des temps. Elle est (je crois) à l’occasion de la chronologie perse ou arabe ; où l’on met (je crois) Abraham et ensuite (?) David. Voyez donc ou l’extrait de l’Alcoran (?), ou de Chardin, ou de Hyde. — Voyez aussi mon extrait de Justin (livre XXXVI, page 65). L’histoire de Joseph y est rapportée avec assez d’exactitude. Il dit que Moïse fut son fils. Preuve que l’ignorance de l’histoire fait plutôt l’effet d’abréger les temps que de les allonger. — Voyez page 2o9. ils n’ont pas les mêmes idées. La philosophie grecque nous est très inconnue : nous n’en avons guère que quelques fragments dans Diogène de Laërte, auteur peu exact. Aristote et Platon sont les deux seuls originaux qui nous restent ; Platon ne dit 5 presque rien que des paroles, et Aristote est très obscur. Il ne faut que ce que nous savons des systèmes de ces philosophes pour nous faire voir que nous ne les avons pas. Ainsi, quand un philosophe nous dit que le principe des choses est l’eau, 1o nous voyons bien que nous n’avons qu’un mot, et que nous ignorons le sens. Mais, si nous ne savons presque rien de la philosophie des Grecs, combien ignorons-nous celle des Égyptiens, des Perses et des Chaldéens. Si nous savons la philosophie des .5 Grecs comme un dixième est à un, nous ne savons celle des Égyptiens que comme un deux-centième est à un ; et celle des Perses et Chaldéens comme un millième est à un. Ainsi on ne peut faire un système commun de ces trois religions. J’ajoute 2o que l’idée des trois états ne se trouve pas même dans la philosophie grecque, qui est la plus connue. L’idée de l’âge d’or des Grecs, qu’on veut qui réponde à l’état d’innocence chez les Hébreux et Chrétiens, ne vient pas de la même origine : elle 35 n’est venue aux Grecs que de la vie pastorale, qui étoit innocente et tranquille, et que les hommes quittèrent pour aller habiter les villes ; ce qui fut suivi du commerce, de l’industrie, des arts, des affaires et, par conséquent, des crimes, qui engen- 3o drèrent le siècle de fer. L’abbé de Mongaut croit que l’idée des quatre âges du Monde vient des quatre âges de la vie de l’homme. Si donc la seule philosophie un peu connue échappe au système, que dire de celle des autres peuples ?

h 1464(396.I, p. 365). — Horace et Aristote nous ont déjà parlé des vertus de leurs pères et des vices de leur temps, et les auteurs, de siècle en siècle, ont parlé de même. S’ils avoient dit vrai, les hommes seroient à présent des ours. Il me semble que ce qui 1o fait raisonner ainsi tous les hommes, c’est que nous avons vu nos pères et nos maîtres qui nous corri geoient, et que nous les croyons exempts des défauts dont ils nous corrigeoient. Ce n’est pas tout. Les hommes ont si mauvaise 15 opinion d’eux qu’ils ont cru, non seulement que leur esprit et leur âme avoient dégénéré, mais aussi leur corps, et qu’

ils étoient devenus moins grands, et non seulement eux, mais les animaux ; la terre, moins fertile ; eux, moins parfaits. C’étoit l’opinion des Stoï

2o ciens, Égyptiens. (Voyez mon extrait de Coringius, De Habitu Corporum Germanorum.) Saint Cyprien, qui raisonne fort mal, avertit un hérétique qu’il n’y a plus tant de pluie l’hiver, tant de chaleur l’été, moins de marbres dans les montagnes, moins d’or etd’ar

25 gent, moins de concorde dans les amitiés, moins de laboureurs dans les champs, et autres sottises.

De plus, on voit, dans les histoires, les hommes peints en beau, et on ne trouve pas tels ceux que l’on voit ; et il y a de certains défauts qu’il faut voir

3o pour les sentir, tels que les habituels.

1465(87.I, p. 80).— Quand on voit des statues antiques, on trouve une très notable différence des visages des Anciens aux nôtres, et il est impossible que cela ne soit ainsi, chaque nation ayant, pour ainsi dire, sa couleur, sa taille et sa physionomie. S Mais, depuis les Grecs et les Romains, les nations ont tellement changé de place, tout a été si dérangé que toutes les anciennes physionomies des peuples se sont perdues, et qu’il s’en est formé de nouvelles, et il n’y a plus dans le Monde de visage grec ni 1o romain.

Notre imagination nous trompe extraordinairement. Comme nous savons que les Romains étoient un peuple victorieux et maître des autres, nous nous imaginons que c’étoit un peuple d’une grande sta- 15 ture, et une petite femme ne nous réveillera jamais l’idée d’une dame romaine. Cependant, dans les statues antiques qui ne sont pas flattées, les yeux trouvent toujours quelque chose de raccourci, et effectivement nous devons être plus grands qu’eux, 2o parce que, depuis eux, les peuples du Nord ont inondé l’Europe.

Végèce dit en termes exprès que les Romains ne sauroient disputer aux Gaulois de grandeur.

Pour peu que notre commerce avec les Indes Occi- 25 dentales devînt plus grand, c’est-à-dire si les Espagnols faisoient cesser la défense qu’ils ont faite, sous peine de la vie, à tous les Européens d’aborder aux Indes, la couleur blanche courroit risque de se perdre dans le Monde, et il ne resteroit plus seule- 3o ment l’idée de nos beautés d’aujourd’hui.

Une preuve de cela, c’est que, dans les Indes Occidentales, où les trois couleurs (la noire, la blanche et celle des visages de l’Amérique) se sont mêlées, il n’y a plus proprement de blancs, et, de deux cents 5 visages, il n’y en a pas un de même couleur.

La nation turque et la persane sont des nations faites par art, par les mâles de ces nations et des femmes de Circassie, de Mingrélie et de Géorgie.

Si une nation plus reculée que la tartare avoit 1o conquis la Chine, adieu les visages chinois, et, si les peuples jaunes d’Asie se répandoient en Europe, de quoi deviendrions-nous ?

Et que savons-nous les (sic) changements qui arriveroient dans notre espèce même, non seuleô ment sur la figure, mais aussi sur la raison, si on n’avoit soin de tuer tous les monstres ?

  • Les sculpteurs d’aujourd’hui ne doivent donc point prendre pour modèle une statue grecque, ni juger des statues grecques par nos figures moder2o nes*.

A l’égard de l’esprit, je ne voudrois pas dire qu’il ne pût y avoir un certain mélange de nations, tel qu’il se formât une nation la plus ingénieuse, par rapport aux organes corporels, qu’il fût possible.

iâ 1466* (871. II, f° 3). — Les anciennes fables s’expliquent très bien par la situation où se trouvoient les premiers hommes avant qu’ils n’eussent trouvé les armes offensives et défensives. Ils étoient en proye aux bêtes farouches, foibles et timides, et leur état

3o a dû être incertain ou, du moins, périlleux jusques à l’invention du fer ou, au moins, des matières équivalentes. Voilà pourquoi ceux qui tuoient des monstres étoient des héros. Les hommes, occupés contre les bêtes farouches, ne songeoient point à s’attaquer. Ils étoient trop timides et trop peu nombreux. 5

1467 (1336. II, f° 186 v°).—Je ne suis pas étonné des anciennes histoires où vous voyez des hommes recommandables pour avoir tué des monstres qui ravageoint les campagnes. Cela a dû être dans des pays peu habités, comme dans ces temps-là, où il 1o pouvoit entrer par des rivières et se conserver dans les pays des crocodiles, qu’on nommoit des dragons, qui faisoient ces sortes de ravages. Voyez les Relations de Thomas Gage (tome II, partie 1v, chapitre 4) : comment, en passant près d’un lac, ils 15 furent poursuivis par un caïman ou crocodile, qui alloit aussi vite que leurs chevaux. Les hommes et les bêtes cherchent à s’entredétruire et se disputent

la terre. Ces pays-ci sont trop peuplés pour qu’on y laisse prendre un établissement à des caïmans ; 2o nos rivières ne sont pas d’une largeur assez grande ; on les auroit aussitôt détruits. Et il ne faut pas douter que, si les François ou les Anglois habitoient l’Égypte, ils n’eussent bientôt trouvé le moyen de la purger des crocodiles. Les requiens (sic) sont une 25 autre espèce d’animal (me semble).

1468 (994. II, f° 29 v°). — On se trompe beaucoup sur la grandeur et la puissance des anciens états, parce que l’on en juge souvent par les idées que la crainte a données aux peuples qui ont eu à faire à eux : ainsi les Juifs pour les Assyriens ; les Grecs pour les Troyens. Les Grecs ne nous ont pas parlé de même des Assyriens et Babyloniens.

5 1469 (750.I, p. 493). — L’Asie n’étoit point autrefois si forte qu’est l’Europe aujourd’hui ; [elle] n’étoit guère plus forte autrefois, où, dans chaque état, on ne songeoit qu’à mettre en sûreté le lieu de la résidence du Prince. Aussi, dans les anciennes histoires,

1o trouve-t-on des expéditions et rarement des guerres, des invasions plutôt que des conquêtes.

1470* (3oo. I, p. 322). — N’allons point chercher les merveilles dans l’Antiquité1. Celles de Babylone et de ces autres villes qui contenoient un monde

15 d’habitants, c’étoit une seule ville dans un état. On avoit employé l’art et un travail immense à faire des murailles qui pussent empêcher l’escalade. Cette ville faisoit la force de l’État : tout le reste n’étoit rien. C’est ce qui faisoit que, chez les Anciens, vous

2o voyez les (sic) expéditions, et jamais des guerres, et il n’étoit pas possible qu’un prince qui avoit perdu plusieurs batailles ne vît son pays envahi. Le merveilleux, c’est la France, la Flandre, la Hollande, etc. Nous avons vu, sous Louis XIII et sous Louis XIV,

25 des choses qui ne se trouvent que dans notre histoire. Sous Louis XIII0, les Espagnols, pendant vingt ou vingt-cinq campagnes, presque toujours malheureux,

1. *J’ai mis cela dans les Romains* sans perdre, cependant, qu’une petite partie d’un petit pays qu’on attaquoit. Louis XIV, dans la dernière guerre, accablé des plus cruelles playes qu’un prince peut recevoir : Hochstaedt, Turin, Ramillies, Barcelone, Oudenarde, Lille, soutenir la 5 supériorité continuelle et les foudres des ennemis, sans avoir presque rien perdu de sa grandeur. C’est ce qui ne se trouve point chez les Anciens, et il n’y a rien de comparable à cela chez eux que la guerre du Péloponèse ; encore ne dura-t-elle ainsi que parce 1o que la victoire fut très longtemps partagée, et, dès qu’elle se détermina contre un parti, il fut soudain anéanti.

Les villes d’Asie pouvoient être plus grandes, primo, parce qu’il faut beaucoup moins de choses 15 pour la subsistance des Asiatiques que pour celle des Européens : car ce qui peut empêcher l’accroissement des villes, c’est la nécessité d’y faire subsister un peuple ; ce sont les mortalités, les pestes, etc. ; c’est la difficulté des communications, la cherté 2o presque inévitable par les transports d’un quartier à un autre.

Je trouve qu’il y a plus de merveille au roi de France d’avoir deux cents places bien fortifiées sur les frontières de ses états, et d’y en avoir trois 25 rangs, qu’il n’y en avoit au roi de Babylone d’en avoir une au centre, dans laquelle il avoit employé toute sa puissance.

1471 (419.I, p. 379). — Remarquez que tous les pays qui ont été beaucoup habités sont très mal- 3o sains : ainsi le territoire de Rome devenu très malsain ; l’Égypte devenue très malsaine. Apparemment que les grands ouvrages des hommes, et qui s’enfoncent sous la terre, les canaux, caves, souterrains, 5 reçoivent les eaux, qui y croupissent. Le pays se détruit peu à peu, et la destruction augmente par la négligence à entretenir les anciens canaux. Ainsi l’Égypte a-t-elle la peste toutes les années.

1472(429. I, p. 384). — Il me semble que les lieux 1o qui ont été très peuplés autrefois et ne le sont plus, comme la Campagne de Rome et le Royaume de Naples, l’Égypte, sont devenus malsains : l’intempérie, dans l’un (sic) ; la peste, dans l’autre.

1473(731. I, p. 488). — Les Anciens devoient avoir 15 un plus grand attachement pour leur patrie que nous : car ils étoient toujours ensevelis avec leur patrie. Leur ville étoit-elle prise ? Ils étoient faits esclaves ou tués. Nous, nous ne faisons que changer de prince.

1474* (1568. II, f°453 v°). — Comme on faisoit un 3o grand butin dans la prise des villes, il arrivoit souvent que les gens d’une ville qui se sentoit prise se brûloient avec toutes leurs richesses, leurs femmes, leurs enfants, afin que le vainqueur n’eût rien qui pût lui marquer sa victoire, et qu’il n’eût que 25 ses pertes, sans aucun profit.

A Numance, dit Orose, « unum Numantinum vietoris catena non tenuit ; unde triumphum dederit Roma non vidit ».

1475*(1oo.I, p. 91). — H se fait de temps en temps des inondations de peuples dans le Monde, qui font recevoir partout leurs mœurs et leurs coutumes. L’inondation des Mahométans apporta le despotisme ; celle des hommes du Nord, le gouvernement 3 des nobles. Il a fallu neuf cents ans pour abolir ce gouvernement-là et établir, dans chaque État, le gouvernement d’un seul. Les choses subsisteront de même, et il y a apparence que nous irons, de siècle en siècle, au dernier degré de l’obéissance, jusqu’à 1o ce que quelque accident change la disposition des cerveaux et rende les hommes aussi indociles qu’ils l’étoient autrefois. Voilà comme il y a toujours eu flux et reflux d’empire et de liberté.

1476(8o3.I, p. 515). — Les peuples du Nord d’Eu- 15 rope, source de la liberté. Les peuples qui vinrent du Nord d’Asie portoient avec eux la servitude, comme je l’ai remarqué.

1477 (545. I, f° 433 v°). — Les historiens romains ont constamment observé que les peuples du Nord, 2o presque indomptables dans leur pays, n’étoient pas, à beaucoup près, tels dans des pays plus chauds. Ils font sans cesse cette remarque sur les Gaulois, les Allemans, les Suèves et les Germains. C’est pour cela que Marius ne voulut combattre les Cimbres et -5 les Teutons que dans des pays et dans des temps les plus brûlants. Et il n’y a point d’historiens qui, sur ces matières, puissent nous aider à former des conjectures plus solides, parce que les Romains ont été huit cents ans toujours en guerre, successivement avec tous les peuples du Monde.

Ceci n’empêche pas que les peuples du Nord n’ayent toujours subjugué les peuples du Midi, parce 5 que ce sont des peuples éternels, indomptables (principalement parce qu’ils ne valent pas la peine d’être domptés), qui prennent les empires du Midi dans les temps de leur décadence, et en précipitent la chute.

1478 (65o. I, f° 458). — Il ne faut pas juger la force

1o que les différents pays d’Europe avoient autrefois par celle qu’ils ont aujourd’hui. Ce n’étoit pas seulement l’étendue et la richesse d’un royaume qui en faisoit la puissance ; mais plutôt la grandeur du domaine du Prince1. Les roix d’Angleterre, qui

1=. avoient de très grands revenus, firent de très grandes choses, et les roix de France, qui avoient de plus grands vassaux, en furent longtemps moins aidés qu’embarrassés.

Lorsque les armées conquirent, les terres furent

2o partagées entre elles et les chefs. Mais, plus la conquête étoit ancienne, plus on avoit pu dépouiller les roix par des usurpations ou par des récompenses. Et, comme les Normands furent les derniers conquérants, le roi Guillaume2, qui se réserva tout le

i5 domaine ancien, avec ce qu’il eut par le nouveau partage, fut le plus riche prince de l’Europe.

1. Mis cela dans la Monarchie universelle.

2. Ses revenus montoient à 1o61 livres sterling par jour (Oderici Vitalis liber 1) : ce qui, dans la proportion d’aujourd’hui, revient à 4 ou 5 millions sterling par an.

1479(789.I, p. 510). — Il y a dans l’Europe une espèce de balancement entre les peuples du Nord et ceux du Midi. Ceux-là, avec une abondance de toutes choses, qui les met en état de se passer de tout, de vivre de chez eux et de n’avoir que peu de b besoins, auroient trop d’avantages sur les autres, si le climat et la Nature ne leur donnoit (sic) une paresse qui les égalise ; tandis que. les autres ne peuvent jouir des commodités de la vie que par leur travail et industrie, que la Nature semble ne leur 1o avoir donnés que pour égaliser leur condition et leur fortune : sans quoi, elles ne pourroient subsister que comme barbares. Chacune partie est défendue par son climat autant que par ses forces.

1480* (187.I, p. 187). — Remarquez qu’après les ô guerres civiles les plus funestes des États, ils deviennent tout à coup dans le plus haut degré de puissance ’.

Nous l’avons vu trois (sic) fois en France : sous Charles VIIe, sous Henri IVe, Louis XIII et Louis XIV ; 2o nous l’avons vu en Angleterre, sous Cromwell et sous Henri VIII ; à Rome, après les guerres de Sylla et celles du parti de César. C’est que, dans la guerre civile, tout le peuple s’aguerrit, et, lorsque, par une paix, les arts recommencent à refleurir et 25 que les forces sont réunies, l’État a un avantage très grand sur celui qui n’a que des bourgeois2.

1. Voyez page 394. — J’ai mis cela dans mes Considérations sur l’Espagne.

2. Mis cela sur les Romains, jusqu’à la raye.

Chaque État doit songer à faire des soldats, et celui qui en a plus est le plus puissant.

1481 (463.I, p. 394). — Il n’y a point d’État si dangereux, et qui menace si fort les autres États de la

3 conquête, qu’un État qui est dans la guerre civile1. C’est que tout le peuple (nobles, bourgeois, laboureurs) devient soldat. D’ailleurs, il s’y forme de grands hommes, parce que, dans la confusion, ceux qui ont du mérite se font jour, au lieu que, dans la

1o tranquillité de l’État, on choisit les hommes, et on choisit mal. Les Romains, après les guerres civiles de Marius et de Sylla, de César et de Pompée ; les Anglois, après les guerres civiles sous Cromwell ; les François, après les guerres civiles sous Henri IV,

>b après les guerres civiles sous Louis XIII, après les guerres civiles sous Louis XIV ; les Allemands contre les Turcs, après les guerres civiles d’Allemagne ; les Espagnols, sous Philippe V, en Sicile, après les guerres civiles pour la succession. Si donc l’État

2o n’est pas détruit (ce qui arrive aisément), il devient plus fort. Il se détruit par le partage ou l’usurpation d’un voisin.

1482* (188.I, p. 188). — Projet chimérique d’une paix perpétuelle en Europe, lequel on donne à 25 Henri IVe : bon pour armer l’Europe contre l’Espagne ; mais mauvais si on l’avait envisagé en lui-même : les premiers Barbares auroient subjugué l’Europe.

1. Voyez page 187. —J’ai mis cela dans les Considérations sur la République romaine.

1483(2 39.I, p. 254). — Depuis Louis XIV, il n’y a plus que de grandes guerres : la moitié de l’Europe contre la moitié de l’Europe. Les alliés de Hanovre ont 585,ooo hommes ; ceux de Vienne, 555.

1484(523.I, p. 422). — Depuis la Quadruple -Al- 3 liance, les grands princes de l’Europe font comme les Romains : ils disposent des États des petits par les vues de leur intérêt, et non de la justice.

1485 (639. I, f° 454). — Il n’est plus possible qu’une petite puissance aujourd’hui en arrête une grande, et 1o les États sont plus disproportionnés qu’ils n’étoient autrefois1. Dans la plupart des petites républiques de Grèce et d’Italie ou plutôt d’Europe d’autrefois, il y avoit un partage de terres : chaque citoyen, également riche, avoit un intérêt égal et dominant à défen- 1 h dre sa patrie, et sa vie étoit peu de chose quand il la comparoit avec la perte de sa liberté, de sa famille et de ses biens. Voilà qui faisoit une nation entière propre à la guerre, autant qu’une armée disciplinée.

Mais, quand le partage n’étoit plus égal, le nom- »o bre des citoyens diminuoit aussitôt : la vingt ou trentième partie du peuple avoit tout, et le reste, rien. De là, les arts, tant pour satisfaire au luxe des riches que pour être un état pour l’entretien des pauvres. De là, deux choses : de mauvais soldats (car 25 les artisans n’ont pas proprement de patrie et jouissent de leur industrie partout : car ils ont partout des

1. Mis dans les Romains. mains) ; de là, encore, peu de soldats (car il faut que le produit de ces fonds de terre, qui ne nourrissoit que des soldats, nourrisse aussi tout le train des riches et un certain nombre d’artisans, sans 5 quoi l’État périroit. Et c’est une chose éprouvée aujourd’hui qu’un État qui a un million de sujets ne peut qu’en vexant beaucoup les peuples entretenir 10,000 hommes.

A Lacédémone, Lycurgue avoit établi parts,

1o d’où il tiroit autant de citoyens. La Loi ayant permis d’acheter (?), il n’y eut plus que 700 citoyens. — Voyez Plutarque, Vie de Clêoménès.

i486 (568.I, f° 440 v°>. — L’Europe, qui a fait le commerce des trois autres parties du Monde, a été

ô le tyran de ces trois autres parties. La France, l’Angleterre et la Hollande, qui ont fait le commerce de l’Europe, ont été les trois tyrans de l’Europe et du Monde ; mais cela ne subsistera pas. C’est ce qui a fait que, dans la dernière guerre, ces trois puissances

2o ont fait des efforts si prodigieux.

IV. ASIE.

1487* (235.I, p. 252). — Les Chinois, quoi qu’on en dise, étoient des peuples barbares : ils ont mangé de la chair humaine, etc. 15 *Ce fait est (je crois) faux, quoique rapporté par la Relation des deux voyageurs arabes*.

1488 (433. I, p. 385). — C’est une chose étonnante que toutes les histoires de l’Orient sentent toujours la servitude. Le vieux empereur de la Chine s’étant enivré, celui avec qui il s’étoit enivré se fit prendre et supposa que, dans l’ivresse, le Roi l’avoit condamné 5 à mort ; ce qui fit qu’il (sic) ne s’enivra plus.

1489* (234.I, p. 251). — Ce que j’ai dit de la dépopulation de l’Univers demande quelque modification à l’égard de la Chine, qui semble être dans un cas particulier1. 1o

Il faut que la constitution du climat de ce pays favorise la génération ; à quoi on peut ajouter l’abondance générale de toutes les choses nécessaires à la vie, l’impuissance où sont les Chinois d’avoir la guerre avec leurs voisins, excepté les Tartares : leur 15 pays étant entièrement séparé des autres. Ce pays ne doit pas être si peuplé à présent que le disent les anciennes relations, à cause des guerres des Tartares et de l’introduction de la secte de Foë, etc.

La merveille de la durée de l’empire chinois s’éva- 2o nouit lorsqu’on en approche de près. Ce n’est pas plus le même empire, que celui de Perse est le même que celui de Cyrus, et que le gouvernement d’Europe est le même que du temps de César. La

1. La population de la Chine : 1° Il n’y a point d’eunuques, comme dans le reste de l’Asie ; 2o Les Chinois peuplent par religion, afin de donner aux ancêtres des gens qui leur puissent rendre un culte. — Voyez ce que j’ai recueilli de M. Fouquet sur la Chine.

Riz, cause de la population de la Chine et des autres pays où il en vient. Chine étant séparée des autres nations, on l’a toujours regardée comme un empire particulier, quelque révolution qu’elle ait subie.

1490*(192.I, p. 191). — Les annales chinoises ob5 servent qu’en 1196 avant J.-C. les Barbares du Nord se répandirent dans les îles orientales à cause de leur multitude.

1491 (1338. II, f° 187). — Ce qui (me semble) rend l’Écriture sainte vénérable, c’est la vérité de la pein1o ture. La vie et les mœurs des Patriarches sont vrayes : parce que, encore aujourd’hui, les Arabes et les peuples des pays des Patriarches ont vécu comme cela. C’est un grand préjugé pour la vérité de tout le livre.

’5 1492(292.I, p. 313). — J’ai vu dans Prideaux que la raison qui fit que Cyrus renvoya les Juifs chez eux fut que Babylone étoit une ville nouvellement conquise, que les Juifs étoient autour et dans Babylone, et qu’il vouloit l’affoiblir. Si cela étoit vrai, la

2o Providence auroit disposé les choses de façon que la politique de Cyrus eût été obligée de la suivre.

1493 (680. I, p. 469). — Le seul Mithridate, avec

un grand génie et une âme plus grande encore,

suspendit la fortune des Romains1. Il vieillit dans

25 sa haine, dans la soif de se venger et dans l’ardeur de vaincre. Il s’indignoit des coups qu’il recevoit, tel qu’un lion qui regarde ses blessures. Toujours présent ou prêt à reparoître, jamais vaincu que sur le point de vaincre, construisant sans cesse une nouvelle puissance, il alloit chercher des nations 5 pour les mener combattre encore ; il les faisoit sortir de leurs déserts et leur montroit les Romains. Il mourut en roi, trahi par une armée effrayée de la grandeur de ses desseins et des périls qu’il avoit conçus. 1o

1. Mis à peu près dans les Romains.

T. 11 28

1494 (604. I, f° 448). — Tigrane, roi d’Arménie, également foible et présomptueux. Il se faisoit servir par des roix, parce qu’il n’étoit pas seulement un homme. Il entreprit la guerre contre les Romains, et il n’eut pas seulement l’esprit de douter qu’il ô pût ne pas vaincre. Il faisoit mourir tous ceux qui venoient lui dire que les Romains osoient avancer. Un seul jour — que dis-je ? — un moment l’abattit, et son découragement acheva de l’anéantir.

1495(295.I, p. 314). — J’ai trouvé dans Chardin 2o ce développement : la singularité du détrônement du dernier roi de Perse, qui, assiégé dans Ispahan par Mir-Mahmoud, sortit de son palais, fit à pied une espèce de procession dans les rues d’Ispahan, en habit de deuil, et ensuite alla au camp de Mah-z3 moud, lui mit la couronne sur la tête, et lui céda le royaume à condition qu’il lui sauvât la vie et épargnât ses femmes. C’est que les Perses croyent que le dernier iman reviendra ; que, pour lors, le Roi sera obligé de lui céder la couronne et de prendre la vie privée. Apparemment les Persans s’imaginèrent que Mahmoud étoit le dernier iman. Il est vrai, cependant, que Mahmoud n’étoit pas de 5 la même secte.

V. AFRIQUE.

1496* (167. I, p. 139).— Quand on dit que les

Égyptiens ont pris les coutumes des Hébreux, c’est

comme si on me disoit que les François ont pris

1o des Irlandois jacobites leur manière de parler et de

se mettre.

1497*(232.I, p. 249).— Il falloit que les Hébreux fussent bien séparés des Égyptiens pour n’avoir pas pris d’eux le dogme de l’immortalité de l’âme. C’est ô que les Hébreux ne descendirent point proprement chez les Égyptiens, mais chez les Pasteurs, d’Avaris à Céthron1.

1498 (243. I, p. 256). — Le plus grand projet qui ait jamais été conçu2, c’est la fondation d’Alexandrie 1. Une preuve que les Hébreux ne descendirent pas chez les Égyptiens, mais chez ceux de Céthron, c’est qu’ils ne prirent pas d’eux le dogme de l’immortalité de l’âme. Mais comment prirentils tant d’autres choses des Égyptiens ? C’est que ceux de Céthron avoient les superstitions qu’ils prirent, et, d’ailleurs, les Hébreux étoient si ignorants, si grossiers, si misérables, qu’ils ne prenoient rien que leurs superstitions propres.

1. Mis à peu près dans les Romains. par Alexandre, après la ruine de Tyr. Par là, il ouvrit le commerce avec les deux mers, affaiblit celui des Carthaginois, et ouvrit, pour ainsi dire, l’Orient. Il n’y a qu’à voir ce qu’en firent les Ptolomées, les plus riches roix du Monde ; l’Égypte, le 5 plus beau royaume de l’Univers par sa situation, sa fertilité, le nombre des habitants.

  • Un roi de France ou d’Espagne, avec 3o,ooo hommes et une flotte bien pourvue, conquerroit toute l’Égypte et auroit le plus beau royaume du 1o Monde pour le commerce et le plus bel établissement pour un cadet. Exercice de toutes sortes de religions libre partout. Point d’alliés ; mais de la surprise (?). Point de gens qui eussent leur fortune faite. L’Égypte toujours conquise d’un coup de main. 15 Cependant elle est facile à garder, hors du côté de la mer*.

1499(245.I, p. 257). — Il est dit, dans la préface du Dictionnaire de Commerce, que les douanes d’Alexandrie montoient à plus de 3o,000,000 de livres par 2o an du temps des Ptolémées, somme prodigieuse !

1500 (1390. II, f° 201 v°). — Soudans d’Égypte détruisent les Croisés. Ils étoient très puissants, parce qu’ils faisoient le commerce des Indes Orientales. i5

1501*(15o3.II,fo225 vo).— «Baal régna dix ans sur les habitants de Tyr. Après quoi divers magistrats qui n’étoient qu’à temps gouvernèrent la ville de Tyr, sous le nom de juges : on les appeloit sujffètes, nom connu chez les Carthaginois. Ce nom est dérivé du mot hébreu shophetim, qui signifie juge. » (Page 168, Histoire des Juifs par Prideaux. — 3 Pages 11 et 12, *Hist.* vol. *universelle*).

Cela peut expliquer comment ceux de Carthage, après Didon, changèrent leur gouvernement en république : Tyr, leur métropole, avoit fait de même. Il falloit que, dans les mœurs de ces peuples, 1o la royauté ne fût regardée que comme une espèce de magistrature, qui pouvoit aisément se changer en une autre. * 1502*(15o1. II, f° 225). — Liaisons intimes des Carthaginois avec les Toscans, du temps d’Aristote. 1 s Choses communes entre eux. Leurs traités. (Il" volume Politique, page 106 v°.)

Il pouvoit être que la destruction des Toscans avoit donné de la jalousie aux Carthaginois.

1503 (33.I, p. 39). — Les Carthaginois, leur For1o tune et leur Humiliation subite1. — De grandes richesses, et point de vertu militaire ; de mauvaises armées, mais qu’ils réparoient aisément.

Leur foiblesse venoit de ce que leurs grandes forces n’étoient point dans le centre de leur puis25 sance. Vice intérieur.

1" Les villes d’Afrique n’étoient point ceintes de murs.

1. J’ai mis ceci dans les Considérations sur la République romaine.

2° Ils avoient des voisins peu affectionnés, et qui les abandonnoient lorsqu’ils pouvoient le faire sans péril ; et, pour lors, les ennemis du dehors et du dedans joints ensemble les mettoient à deux doigts de leur perte. 5

3° Leurs imprudences continuelles : ils envoyent la moitié d’une armée en exil ; ils punissent leurs généraux de leurs malheurs, de manière qu’ils songeoient plus à se défendre contre les citoyens que contre les ennemis. 1o

4° Leurs divisions funestes.

5° La mauvaise administration.

6° La fureur des conquêtes lointaines : Carthage songe à conquérir la Sicile, l’Italie et la Sardaigne, pendant qu’elle paye un tribut aux Africains. 15

Aussi tous ceux qui débarquèrent en Afrique les (sic) mirent-ils au désespoir : Agathocle, Regulus et Scipion.

Chaleur africaine. Domination pesante. Carthaginois hais comme étrangers. 2o

1504* (1504. II, f° 226). — Annibal. — Il imagina, entreprit avec hardiesse ; un esprit juste, maisétendu ; réglé, mais fécond ; prudent, mais hardi ; son ascendant fut égal sur l’esprit et sur le cœur.

Qu’on se figure un général hollandois qui mène, 25 à cinq ou six cents lieues de chez lui, des Suisses et des Allemands pendant vingt ans, et sans qu’il leur vînt dans l’esprit de se plaindre. Annibal fit la seule bonne armée que Carthage ait eue pendant toute la guerre. La jalousie d’une faction contraire lui ôte 3o tous les secours ; il les trouve dans son génie. Ces secours, tant attendus, arrivent enfin ; ils sont détruits ; Annibal reste ferme avec sa vieille armée. Après la paix, Annibal se sauve de Carthage ; il 5 trouve partout les Romains, et les Romains trouvent partout Annibal. Il va, de cour en cour, animer des princes lâches, et il semble que sa présence seule (quelques conseils qu’il leur donne) augmente leur puissance et les rende formidables.

1o 1505 (7o5. I, p. 478). — Si Annibal fût mort d’abord après la bataille de Cannes, qui est-ce qui n’eût pas dit que, sans sa mort, Rome eût été perdue ? Il y a souvent dans les États une force inconnue.

15 1506* (1567. II, f°453). — Il arriva à Annibal ce qui arrive toujours lorsque les guerres sont trop longues : les deux partis s’aguerrissent ; la guerre se termine toujours en faveur de celui qui a les plus véritables forces et plus de constance.

2o 1507 (49.I, p. 54). — Annibal, par une trop longue guerre, aguerrit les Romains. Il se pressa trop d’attaquer Sagonte ; il falloit auparavant confirmer sa puissance en Espagne. Rome, qui avoit seule une guerre continuelle,

23 vainquit toutes les républiques, les unes après les autres. Elle vainquit ensuite les roix par le moyen des roix : Philippe, avec le secours d’Aftale, et Antiochus, avec le secours d’Attale et de Philippe.

1508 (94.I, p. 87). — On a pitié de voir Annibal, de retour de Trébie, de Cannes et de Trasimène, aller faire la police dans Carthage !

1509*(1526. II, f°231 v°). — Dans les guerres puniques, Carthage eut sans doute d’aussi grands succès 5 que les Romains1. Toute la différence fut que les uns firent la paix dans le temps de leur prospérité ; les autres, dans celui de leurs malheurs.

VI. GRECE ET TURQUIE.

1510 (212.I, p. 219).— Ce qui fit paroître les 1o Grecs dans le Monde, c’est une crise qui se fit dans

le corps de la Grèce, que cent petits tyrans gouvernoient. Toutes ces monarchies s’érigèrent en républiques. Dans ces temps nouveaux, la fureur pour la liberté leur donna un amour de la patrie, un courage 15 héroïque, une haine des roix, qui leur fit faire les plus grandes choses. Leur puissance et leur gloire attirèrent chez eux les étrangers, et, par conséquent, les arts. Leur situation sur la mer leur attira le commerce. 2o

1511 (1206. II, f° 92 v°). — Je disois : « Une preuve de la nouveauté des Grecs, ce sont les sentences qui ont rendu si célèbres ceux qui les ont dites, et qui

1. Je ne parle que des deux premières : car la troisième ne fut point une guerre, mais une Conjuration. nous paroissent si communes qu’on ne les remarqueroit pas aujourd’hui si un artisan les disoit. »

1512* (1547. H, f° 247). — « Les Crétois ont eu des roix. Ils s’en sont défaits, et ce sont les dix cosmes 5 qui commandent en guerre, » dit Aristote (chapitre x, De Republica Cretensium, livre II). — Même manquement de ressort qu’en Hollande, depuis qu’elle n’a plus de stathouder.

1513 (210. I, p. 217). — Lacêdêmoniens.— Il n’y 1o a rien qui résiste à des gens qui observent les

loix par passion, qui soutiennent un État par passion, et non pas avec cette froideur et cette indifférence que l’on a le plus souvent pour la société où l’on est ’. 15 Idem, la plupart des républiques de Grèce et les premiers Romains.

1514 (1324. II, f 185). — Les Roix de Sparte. — Il n’y en a peut-être pas eu dont la vie ait été plus exposée aux périls et peut-être plus longue : Agésilaûs

2o vécut jusques à ... ans. Il faut voir l’âge des roix de Sparte et le comparer avec celui des roix de Perse et d’Égypte.

1515* (34.I, p. 38). — Les Athéniens soumettoient

à leur empire les peuples vaincus ; les Lacédémo

25 niens leur donnoient leurs loix et leur liberté. Ceux-ci faisoient comme Hercule et Thésée ; ceux-là, comme firent depuis Philippe et Alexandre. Chose merveilleuse ! il n’y avoit pas plus d’ambition à Sparte qu’à Capoue, qu’à Crotone, qu’à Sybaris.

1. Je le mettrai dans les Romains. — Je l’ai mis. T. 11. 29

1516* (1943. III, f’ 158). — La Grèce, du côté des b terres, étoit d’une force invincible. Il falloit passer deux chaînes de montagnes, qui vont d’une mer à l’autre. Elle étoit invincible pour les Perses : car, ces montagnes une fois passées, ils se trouvoient dans un pays très fort d’assiette, entre ces montagnes et 1o l’isthme de (sic) Peloponèse, qu’ils ne pouvoient passer ; avec des (sic) petites armées, ils ne pouvoient pas conquérir ; avec des (sic) grandes armées, ils le pouvoient moins encore.

1517* (1944. III, f° 159). — La Grèce étoit invin-15 cible pour les Perses : avec de petites armées, ils ne pouvoient pas conquérir ; avec de grandes armées, ils le pouvoient encore moins. Il falloit qu’ils passassent les Thermopyles, qui séparoient la Phocide et la Locride de la Thessalie. Il falloit qu’ils 2o passassent la chaîne de montagnes qui séparoit la Thessalie de la Macédoine. Après quoi, il falloit vivre dans les pays qui sont entre ces montagnes et l’isthme de Corinthe, lesquels sont très bornés.

1518* (37.I, p. 41). — Les Grecs avoient un grand 25 talent pour se faire valoir. Il n’y avoit rien de bien merveilleux dans la guerre contre Xerxès. Ce prince fait bâtir un pont de bateaux sur l’Hellespont : chose peu difficile. Il y fait passer son armée. Les Lacédémoniens se saisissent du passage des Thermopyles, où le nombre ne pouvoit donner de l’avantage qu’à la longue. Les Lacédémoniens sont extermi5 nés ; le reste des troupes grecques est battu et se retire. Xerxès passe, conquiert presque toute la Grèce. Tous ses avantages s’évanouissent par la bataille qu’il perd sur mer, où il y avoit peu d’inégalité. Il fallut mourir de faim, n’étant plus

1o maître de la mer. Il se retire avec la plus grande partie de son armée et laisse Mardonius pour conserver ses conquêtes. Le combat se donne. Il est disputé. Les Perses sonts défaits et sont chassés de la Grèce.

15 Voilà, aux déclamations près, ce qui résulte des histoires grecques, ce qui fait une guerre semblable à mille autres ; de laquelle on peut seulement conclure qu’une puissance maritime ne se détruit guère que par un autre puissance maritime supé

2o rieure, et que c’est une grande témérité d’exposer contre elle une armée de terre, si l’on n’est pas maître absolu de la mer.

Quant à l’histoire d’Alexandre, quoique la conquête soit vraye, il n’y a point d’homme de bon sens qui ne

25 la voye, dans presque toutes les circonstances, grossièrement fausse.

Des gens qui avoient la fureur de faire imiter à leur prince Hercule et Bacchus imaginoient des aventures qui y cadrassent. Mais le monde du

3o temps d’Alexandre n’étoit pas fait comme du temps d’Hercule.

1519* (99. I, p. 90). — Telle étoit, du temps d’Alexandre, la situation du Monde que tout ce qui n’étoit pas grec paroissoit à peine, et qu’il n’y avoit d’Univers que son empire.

Je ne trouve rien de si beau que l’embarras et la !’ consternation de l’Univers après sa mort. Tout le monde se regarde dans un profond silence. La rapidité de ses conquêtes avoit prévenu toutes les loi-x. Le Monde pouvoit être soumis aux conquérants ; l’admiration le maintenoit fidèle. On avoit vu le 1o Monde une conquête, mais non pas une succession. Tous ses capitaines se trouvoient également incapables d’obéir et de commander. Alexandre meurt, et c’est peut-être le seul prince dont la place n’ait pu être remplie : l’homme manqua comme le roi ; la 15 succession légitime fut méprisée, et on ne put pas seulement convenir d’un usurpateur.

Cette grande machine, privée de son intelligence, se démembra. Tous ses capitaines partagèrent son autorité ; personne n’osa, par respect, succéder à 2o son titre’. Le nom de Roi parut enseveli avec lui, non pas, comme il est arrivé quelquefois, par la haine, mais par le respect qu’on avoit pour celui qui l’avoit porté.

Les nations captives oublient leurs chaînes et le 25 pleurent ; il sembloit qu’elles crussent que leur captivité ne commençoit que de ce jour, après avoir perdu celui-là seul à qui il n’étoit pas honteux d’obéir.

1. Mis dans Y Esprit des Loix.

1520* (1499. II, f° 224 v°). — Persée, roi de Macédoine, avoit des qualités qui éblouirent d’abord son siècle ; mais son esprit sembloit être fait pour sa propre ruine. Dès qu’il avoit le moindre succès, il

5 trompoit ses alliés ; au moindre revers, il tomboit dans une consternation qui lui ôtoit le sens. Il avoit une avarice stupide qui lui faisoit regarder la conservation de ses trésors comme indépendante de celle de son royaume. Il se sentoit l’esprit assez fin

1o pour aimer les affaires ; mais son cœur étoit assez lâche pour l’empêcher d’y réussir.

Les particuliers n’ont souvent besoin que des qualités de l’esprit ; les princes, plus exposés aux caprices de la Fortune, ont encore besoin des qua

15 lités de l’âme. Ils peuvent trouver les qualités de l’esprit dans leurs ministres ; les sentiments, ils ne les trouvent qu’en eux-mêmes.

1521*(1522. II, f° 231). — Après la première prise de Constantinople, l’Europe, craignant pour elle, 3o reconnut qu’elle avoit affoibli elle-même sa barrière, et ce fut une faute qu’elle chercha en vain à réparer.

1522* (771.I, p. 5o3). — Dans la dernière révolution de Constantinople, lorsque l’empereur nouveau 25 a vu que les Janissaires rebelles avoient commis assez d’insolences pour se rendre odieux, il les a exterminés et punis.

VII. ROME.

1523(7o6.I, p. 479). — Dans le livre Origo Gentis Romance, qu’on croit d’Aurelius Victor, les Latins, colonies d’Albe faites sous le règne de Latinus Sylvius : Préneste, Tibur, Gabies, Tusculum, Cora, 5 Pometia, Locri, Crustumium, Cameria, Bovillae, cœteraque oppida circumquaque.

Cependant, toutes ces villes n’étoient pas de la nation latine. Cora et Pométie étoient de la ligne des Volsques. Ces villes changeoint souvent de 1o parti. Aussi Tite-Live (Ire décade, livre II) distingue les anciens Latins de ceux qui étoient entrés dans l’alliance de ces peuples. Crustumère, d’abord, dans la ligue des Sabins ; ensuite, dans celle des Latins. ’*

1524* (1476. II, f° 218 v°).— A Venise, comme à Rome, la monarchie a été avant la république. TiteLive dit que, sans les Roix, l’Empire n’eût pas été fondé. Je ne sais pas si sa réflexion est juste. Ces roix électifs n’opprimèrent point le peuple. Ils le 2o tinrent toujours en guerre, parce que leur principale fonction étoit de commander. Ils l’endurcirent ; ils l’augmentèrent. Leur gouvernement avoit beaucoup de force mêlée avec beaucoup de douceur.

1525* (1507. II, f° 228). — Le Peuple ne suit point 25 les raisonnements des orateurs. Il peut être frappé parles images et par une éloquence qui a des mouvements ; mais rien ne le détermine bien que les spectacles, et, si l’on suit l’histoire des passions du 3 Peuple dominateur, on verra que tous ces grands mouvements ne sont venus que par la vue de quelque action inopinée. La mort de Lucrèce fait chasser Tarquin. L’action de Brutus, qui fait mourir ses enfants, établit la liberté. La vue de Virginie, tuée

1o par son père, fait chasser les Décemvirs. Le spectacle de ce débiteur qui sort des prisons déchiré de coups fait retirer le peuple de la Ville. Celui de ce jeune homme à la pudicité de qui un créancier a attenté fait faire des loix nouvelles. Quand Manlius

15 est accusé, le peuple, qui le voit tendre les mains vers le Capitole qu’il avoit sauvé, ne peut se résoudre à le trouver coupable, et il faut faire l’assemblée dans un lieu d’où l’on ne puisse voir ce grand objet pour qu’il soit condamné. La robe ensanglantée de

io César mit le peuple en fureur et perdit tout.

1526* (1549. II, f° 247). — Les disputes sur les loix agraires n’attaquèrent pas les fondements de la constitution. Les loix faites ou proposées à ce sujet furent, au contraire, un renouvellement de la dis

35 cipline ancienne, des mœurs des ancêtres et une correction du mal qu’on avoit fait en éludant les loix. Les particuliers ne pouvoient pas même s’en plaindre : car, quoique les sociétés n’ayent été principalement établies que pour que chacun conserve

3o son bien, cependant personne ne pouvoit appeler son bien, ce qu’il avoit acquis en faisant une fraude à la Loi.

1527*(1551.II,f° 248).—Mais, enfin, cette démocratie (Rome) se corrompit et suivit, pour sa perte, le même chemin que prennent presque toutes les 5 démocraties. Le peuple, qui déjà avoit toute la législation, voulut avoir toute l’exécution et ôta la force à toutes les magistratures, éluda toutes les loix et, pour ôter les mœurs, énerva la censure même. Toutes les affaires furent portées devant le peuple, 1o débattues devant lui ; rien, devant le Sénat ; et les tyrannies de la liberté devinrent si insupportables que les principaux la défendirent sans courage, et que le peuple la perdit sans regret.

1528 (48.I, p. 53). — Il étoit permis à Rome à tout 15 le monde d’accuser ceux qui étoient soupçonnés de vouloir opprimer la liberté de la République1. Mais, comme toutes ces accusations ne produisoient que des débats, elles ne faisoient qu’augmenter la division, armer les principales familles les unes contre 2o les autres, et les remèdes contre les factions naissantes étoient bien longs, puisqu’on n’avoit recours qu’aux harangues. — A Venise, au contraire, le Conseil des Dix étouffe, non pas seulement les factions, mais les inquiétudes. — C’est une grande prudence 2S que celle des Vénitiens, de ne réunir jamais, dans une même personne, les honneurs et la puissance.

1. ’J’ai mis cela dans ce que j’ai fait sur la République romaine*.

1529(44o. I, p. 387). — Bonheur des Romains, qui n’eurent jamais qu’une seule guerre, et dont les ennemis ne se liguèrent jamais ; de façon qu’ils les opprimèrent l’un après l’autre. Ils devenoient 5 plus fiers à mesure des mauvais succès. Aussi Tacite dit qu’il étoit possible de les surmonter dans un combat, jamais dans une guerre : « Facile superari posse prœlio, bello numquam. »

1530(748.I, p. 493).— Ce qui rendoit inaltérable 1o la fortune des Romains, c’est que, sûrs de leur supériorité dans l’art militaire, ils faisoient les guerres offensives avec peu de troupes et employoient des forces prodigieuses dans les défensives.

1531* (15oo. II, f° 225).— La situation de l’Italie 15 favorisoit les Romains. Elle est très étroite du nord au midi, et elle est coupée de l’est à l’ouest par l’Apennin. Les Romains se tenoient sur les montagnes, d’où ils avoient l’œil sur toute la plaine et sur Annibal. Polybe dit qu’au siège de Capoue ils 2o firent de grandes choses, parce qu’étant retranchés ils ne craignoient point la cavalerie numide.

1532* (1498. II, f° 224 v°). — Les conditions de paix imposées par les Romains étoient prises des idées de ces temps-là, où l’on ne cherchoit pas tant à 2S s’agrandir qu’à affoiblir ses ennemis. Ainsi la paix que les Lacédémoniens donnèrent aux Athéniens fut telle qu’ils auroient les mêmes amis et les mêmes ennemis, les mêmes galères, etc.

1533*(15o2.II, f°225v°). — La République romaine avoit un grand avantage sur la carthaginoise : lors de la seconde guerre punique, la première étoit une démocratie qui se gouvernoit selon l’ordre et les règles d’une aristocratie ; la seconde étoit une ans- 5 tocratie qui tournoit à l’oligarchie1.

1534* (1247. II, f* IQ3).— Voyez la destruction que causa l’Empire romain ! Tite-Live dit que, de son temps, à peine pourroit-on trouver dans le pays des

Samnites de gens de guerre. Plutarque dit 1°

que, de son temps, on pourroit à peine trouver dans

toute la Grèce de gens de guerre. C’est

qu’avant les Romains le Monde étoit divisé en une infinité de petits États. Les Macédoniens et les Carthaginois en ébranlèrent plusieurs ; les Romains les 15 détruisirent tous. Or, dans toutes ces petites républiques, etc.

1535* (1483. II, f° 220 v°). — Établissement de la puissance de Rome, c’est-à-dire de la plus longue conjuration qui ait jamais été faite contre l’Univers. 2o

1536 (605.I, f° 448 v°). — Les Romains se croyoient dans un état de grandeur où ils n’avoient plus rien à espérer, ni à craindre, lorsqu’ils se virent en danger de périr. Les Cimbres et les Teutons parurent en un moment : ennemis inconnus, qui étonnoient 25 par leur nombre, leur férocité, leurs cris ; qui attaquoient,

1. Voyez mon extrait d’Aristote, page 1o3. comme Annibal, Rome dans l’Italie ; enfin, qui venoient pour détruire ou pour être détruits. Marius eut le bonheur de les exterminer et recula de plusieurs siècles la grande révolution que les 5 nations du Nord devoient faire.

1537 (707.I, p. 479). — La conjuration de Catilina n’est fameuse que par le nombre des scélérats qui la formèrent et des grands personnages qui cherchèrent à la favoriser : car, d’ailleurs, c’étoit un 1o dessein mal conçu, mal digéré, et qui étoit moins l’effet de l’ambition que de l’impuissance et du désespoir.

1538(1o63. II, f° 64 v°). — Il n’est pas étonnant que Pompée et César fussent jaloux l’un de l’autre : 15 chacun de ces premiers hommes du Monde ne pouvoit avoir de supérieur que l’autre. Mais nous, pourquoi serions-nous jaloux de quelqu’un ? Que nous importe qu’il soit au-dessus de nous, ou non, puisque tant d’autres y sont déjà ?

.o 1539* (1521. II, f° 231). — Pompée se vantoit mal à propos, en abandonnant l’Italie, de suivre l’exemple de Thémistoclès : car il fuyoit devant G,000 hommes, et Thémistoclès, devant 900,000 1.

1540* (194.I, p. 191). — République romaine, Sylla. 2b — La victoire de César eut le même effet à l’égard de la République romaine qu’auroit eu la victoire de Marius contre Sylla, s’il l’avoit eue ’ ; et, si Pompée avoit eu le dessus, peut-être auroit-il rendu la liberté à sa patrie, comme Sylla : car celui qui soutient le peuple, peuple lui-même, a des intérêts 5 bien plus noyés que le noble qui soutient le parti des nobles.

1. Plutarque ne dit-il pas quelque chose de cela ? —Voir Plutarque.

Toutes les anciennes républiques périssoient par le peuple, qui autorisoit un homme contre le sénat.

Deux causes occasionnelles de la chute de la 1o République romaine : la reddition de comptes que Caton fit faire aux Chevaliers ; les partages des champs aux soldats.

Cause de la chute de l’Empire : le siège transporté par Constantin à Byzance. 1.s

15il* (195.I, p. 192). — Il ne faut point être étonné du changement d’esprit des Romains après César2. Ils étoient les mêmes que du temps des Gracches, des Marius et des Catilina ; sans compter que ce changement n’est pas plus grand que celui que nous 2o avons vu dans notre France, de siècle en siècle ; surtout le passage de Charles VII à Louis XI.

1542* (961. II, f° 22 v°).— On trouve, dans les premiers temps de la République, l’explication de ce qui se fit lorsqu’elle ne subsista plus. C’étoit les ^ mêmes Romains dans d’autres circonstances. Les historiens, qui, pour la brièveté de la narration,

1. Mis dans le Journal.

2. *Mis cela dans la République romaine*. nous disent les faits sans entrer dans les causes, nous représentent les Romains, après la Révolution, comme un peuple tout neuf, et qui aimoit l’esclavage, parce qu’il sembloit le chercher.

5 1543* (1517. II, f° 23o). — On peut juger du séjour enchanteur de Rome par les Lettres de Cicéron dans son exil, et par les Tristes d’Ovide et ses Lettres du Pont.

1544(1399. II, f° 202).— Rome, esclave après Ti1o bère, Caius, Claude, Néron, Domitien : tous les coups portèrent sur les tyrans ; aucun, sur la tyrannie 1.

1545*(1515. II, f° 229 v°). — Cette idée de diviniser les hommes n’étoit pas nouvelle, et Caligula 13 n’avoit pas tant de tort que l’on s’imagine de trouver étrange que les Juifs ne voulussent pas placer sa statue dans son (sic) temple ; et ce prince, qui rioit si fort de ce qu’ils ne mangeoient pas de cochon, devoit regarder comme une pure opiniâtreté de 2o ce (sic) qu’ils ne vouloient point faire pour lui, ce que les peuples d’Asie et de Grèce avoient fait pour leurs magistrats romains.

Séjan portoit ce système jusqu’au bout : il faisoit des sacrifices à lui-même. > 25 1546* (Ô23. II, f°231). — Cette coutume (de se faire adorer) ne pouvoit pas être plus ancienne chez les Grecs que le règne d’Alexandre, puisque sa folie à cet égard souleva si fort sa nation. Il y a apparence que cette manie passa de lui aux roix grecs, ses successeurs, et delà aux magistrats romains1. 5

1. Mis dans les Loix.

1547* (1518. II, f°23o). — Comme Galba, Othon et Vitellius furent faits, coup sur coup, empereurs par les soldats, et ces deux derniers, presque en même temps, on sentit, sous leur règne, un mal nouveau, qui n’avoit pas paru jusqu’alors, qui est le ’<’ pouvoir que diverses provinces et armées se donnèrent d’élire ; et, quoique ces empereurs ne fussent pas plus méchants que les autres, on leur a prodigué les noms de tyran, et on a fait tomber le malheur de la chose sur leurs personnes. 1 ?

1548 (24.I, p. 18). — Quand Commode fit son cheval consul, il se fit un grand affront : il ôta l’illusion des dignités, et même de la sienne.

1549* (1538. II, f» 240 vo). —Cette impuissance irritée qui inspira aux roix de Perse de donner des 2o prix à ceux qui inventeroient des voluptés nouvelles, fit établir à quelques empereurs des Romains une charge de tribun des voluptés, dont parle Cassiodore.

1550(98. I, p. 88). —Julien n’étoit point apostat : car jamais il ne fut proprement chrétien ; car on ne 25 sauroit être chrétien sans renoncer au Paganisme, au lieu qu’on peut être payen sans renoncer au Christianisme : le Paganisme adoptant toutes les sectes, même les intolérantes. C’est pour cela que 5 le changement de Constantin ne fit pas de révolution dans l’Empire.

1. Voir si M. l’abbé de Mongaut a fait cette réflexion.

Du temps de Constantin, [de] ses enfants et de Julien même, le Christianisme étoit très peu étendu. Le Paganisme florissoit comme avant sous Gons

1o tantin, et il ne fut détruit que sous Théodose.

Il y a apparence que Julien, à son retour de Perse, auroit été fatal au Christianisme ; mais sa mort, fortifiée du préjugé de punition divine, fut un coup très favorable, parce qu’il frappa les esprits chan

15 celants.

On ne sauroit assez admirer la modération de cet empereur sur les discours séditieux que le clergé chrétien tenoit contre lui, même en sa présence, et jamais on n’a porté le crime de lèse-majesté plus

2o loin que l’on fit contre lui.

1551 (699. I, p. 477).— La raison qui fit établir aux Goths, qui envahirent l’Empire romain le gouvernement républicain, c’est qu’ils n’en (sic) connoissoient point d’idée d’un autre, et, si, par hasard, un 25 prince s’étoit avisé, dans ces temps-là, de parler d’autorité sans bornes et de puissance despotique, il auroit fait rire toute son armée, et on l’auroit regardé comme un insensé.

1552*(1512. II, f°229). — Sur Justinien. — Si César avoit exécuté son dessein de compiler les livres des anciens jurisconsultes, il l’auroit bien mieux fait que Justinien, qui n’étoit pas assez ferme.

1553* (9(36. II, f° 23 v°). — On pourroit croire que Dieu qui aime les hommes, * et qui ne s’embarrasse 5 pas si sa religion est, quant au pouvoir (?) extérieur, dans la gloire ou dans l’humiliation, parce que, dans l’un et l’autre cas, elle est également propre à faire son effet naturel, qui est de sanctifier ; on pourroit croire (dis-je) que Dieu, par amour pour la ’° Nature humaine*, souffrit pour lors l’affreuse inondation des Mahométans dans l’Empire, afin de la délivrer de tant de tributs, impôts et maltôtes qui s’y faisoient.

Les hommes furent étonnés de se voir sous un 15 gouvernement où ils ne virent ni avarice, ni rapines ; où, au lieu de cette suite continuelle de vexations que l’avidité subtile des Empereurs avoit imaginée, [ilsj ne se virent soumis qu’à un tribut simple, payé aisément, reçu de même : ce qui fut sans doute la ao cause de la facilité qu’ils (sic) trouvèrent dans leurs conquêtes.

1554 (n 56. II, f° 8o v°). —J’ai lu, dans Pithou, le Sextus Ru/us, qui est un abrégé de l’histoire romaine fait en faveur de Valentinien. Tout se réduit à un 25 détail de la manière dont chaque pièce qui formoit l’Empire romain y a été attachéer et est en cela curieux.

VIII. ITALIE.

1555(522.I, p. 422). — Le bonheur des Papes fut que le Royaume d’Italie fût joint avec l’Empire, et que les Empereurs allèrent habiter dans le Royaume de Germanie. Ainsi les Empereurs étant Allemands, 5 les Papes eurent occasion de prendre la défense de l’Italie contre l’invasion des Allemands’.

1556(441. I, p. 388).— Il me paroît que ce qui fit

que Rome se peupla dans un quartier qui ne l’étoit

point autrefois, c’est qu’au retour des Papes à (sic)

1o Avignon, ils allèrent loger au Vatican, et non au

Palais de Latran.

1557 (618. I, f° 45o v°).— Jamais les portes de l’Enfer ne s’ouvrirent davantage que lorsqu’on vit le plus méchant des hommes sur la chaire de saint 15 Pierre ; chose qu’il faut moins attribuer à la perversité de ceux qui l’élurent, qu’à un secret jugement de Dieu sur les fidèles (Alexandre VI).

1558* (179. I, p. 163). — Sixte-Quint, dans cinq ans de pontificat, par son bon gouvernement, par 2o l’austérité des mœurs qu’il établit, par la destruction des bandits, par la protection continuelle donnée aux loix, se vit en état de faire des ouvrages immenses dans Rome, d’amasser un grand trésor et de donner de la jalousie aux Espagnols.

1. Mis dans la Monarchie universelle. t. u. 3 I

1559 (62 3. I, f° 451).— Sixte -Quint avoit fait la plus grande fortune qu’un moine né même pour ambitionner cet état-là puisse faire. Il étoit du 3 nombre de ceux que la Fortune élève quelquefois pour irriter les espérances de ceux qui l’adorent. Peu de papes l’ont précédé, aucun ne l’a suivi qui ait porté plus loin l’orgueil du rang suprême. Il osa voir, dans le désordre et dans la confusion des cho- 1o ses, qu’il falloit relever la Religion et abaisser les Espagnols, qui la protégeoient.

1560 (1633. III, f° 1). — J’aime ces hommes qui savent faire des grandes choses contradictoires. Sixte-Quint put mettre pour inscription à plusieurs 15 de ses beaux ouvrages : « Primo Pontificatus Anno, > et ce même Sixte-Quint mit six millions d’or au Château-Saint-Ange, pour être employés dans les dangers du Saint-Siège. Ainsi cet homme savoit agir avec rapidité et pour sa gloire ; il savoit agir 3o lentement et pour la gloire des autres.

1561 (387. I, p. 362). — Quand je vois Rome, je suis toujours surpris que des prêtres chrétiens soyent parvenus à faire la ville du Monde la plus délicieuse, et qu’ils ayent fait ce que la Religion de i5 Mahomet n’a pu faire à Constantinople, ni à (sic) aucune autre ville, quoique celle-ci ait pour base les plaisirs, et l’autre, la contradiction des sens.

Les prêtres de Rome sont parvenus à rendre la dévotion même délicieuse par la musique continuelle qui est dans les églises, et qui est excellente1. Ils ont établi les meilleurs opéras et en profitent. On y vit 5 avec une liberté sur les amours de l’un et de l’autre sexe, que les magistrats ne permettent point ailleurs.

Pour le Gouvernement, il est aussi doux qu’il puisse être.

1562 (389. I, p. 363). — On a grande raison à Rome

1o d’établir une inquisition sévère contre ceux qui

sont assez malheureux pour parler ou écrire contre

la Religion : car, dans les autres pays, c’est impiété ;

mais, à Rome, c’est impiété et rebellion.

1563(447-i, P’ 390). — L’État du Pape périroit s’il 15 n’étoit attaché à un ressort éternel (qui ne peut s’user) : car qui est pape souverain n’est que précaire, et que ceux qui ont les biens n’en jouissent encore que précairement.

1564 (361. I, p. 353).— Le cardinal Corsini a dit 2o que l’invention des perruques a perdu Venise, parce que les vieillards, n’ayant plus de cheveux blancs, n’ont plus eu honte de faire l’amour. —J’ajoute que, dans le Conseil, on n’a plus distingué l’avis des vieillards d’avec celui des jeunes gens.

25 1565* (1546. II, f° 246).— J’ai vu rapidement une partie d’un manuscrit qu’on attribue à Frapaolo, qui contient des avis sur le gouvernement de Venise, à lui demandés, par quelque officier principal de cette république, sur les moyens d’en perpétuer la gloire. 5

1. Tous les chefs-d’œuvre de l’art qui sont dans les églises.

Il l’a divisé en trois parties : ce qui regarde le Souverain ; ce qui regarde l’État, c’est-à-dire les sujets ; et la manière de se conduire avec les étrangers. Il trouve que le Grand-Conseil, étant composé d’un très grand corps de noblesse, sans choix, a 1o trop d’autorité. 11 voudroit qu’on augmentât celle du Sénat et du Conseil des Dix, qui sont choisis par leur mérite, et il croit que Yavogadore, magistrat qui peut appeler le Sénat et le Conseil des Dix devant le Grand-Conseil, est une magistrature qu’il 15 faudroit restreindre, et qu’il faudroit prendre pour cette magistrature des gens qui n’auroient point trop de crédit, ou même qui auroient quelque tache, afin qu’ils fussent retenus par la crainte du Sénat ou du Conseil des Dix. »o

Il est certain que le Conseil des Dix et le Sénat appartiennent à l’aristocratie, et le Grand-Conseil, à l’oligarchie : on n’y vient point par la vertu, mais par la naissance.

Frapaolo désireroit que les sénateurs fussent 15 choisis pour plus d’un an, et, en cela, il a raison : cela étoit ainsi à Rome et à Lacédémone.

Les Inquisiteurs d’État jugent sans formalité et peuvent faire mourir le Doge même, s’ils sont tous trois du même avis ; mais le Conseil des Dix a des so formalités.

1566 (Sp., f°473vo).— Horrible faute du roi Victor de n’avoir pas pris le marquisat de Finale, que l’Empereur lui offroit pour ses prétentions sur le Vigevano. Il n’eut ni le Vigevano, ni le marquisat de Finale. Par 5 là, il auroit eu une communication du Piémont à la Mer, qu’il n’a pas. Oneille n’est rien et est détaché du Piémont. Nice est de l’autre côté des Alpes. Ce prince, dans la guerre passée, perdit cinq places, qu’on lui démolit : Nice, Montmélian, Verceil, Ivrée 10 et Verrue. Tous les ducs de Savoye y avoient travaillé. Mais il a été bien dédommagé.

1567(355. I, p. 345). — La vraye puissance d’un prince ne consiste que dans la difficulté qu’il y a à l’attaquer. Ainsi il s’en faut bien qu’un duc de Savoye 13 soit aussi puissant avec la Sardaigne que sans la Sardaigne ; parce qu’on peut d’abord le prendre par ce côté foible, et que, s’il le fortifie, ou pendant la paix, ou pendant la guerre, il affoiblit ses états.

1568(313.I, p. 331).— *Le duc de Savoye auroit un 2o intérêt très grand d’échanger sa Sardaigne contre la Rivière du Ponant de l’État de Gênes. Les Génois aussi. Ils mettroient le centre de leur puissance à Bonifacio, qui est à la pointe de l’île de Corse, qui touche presque la Sardaigne, et formeroient là une i5 grande puissance maritime.

’Primo, il est de l’intérêt du roi de Sardaigne de ne point partager ses forces, et plus il peut être attaqué par grand nombre d’endroits, plus il est foible.

  • La Rivière du Ponant est extrêmement à sa bienséance. Par le moyen de Savone, il pourroit faire même commerce que Gênes, et Gênes viendroit presque à rien. Mais elle s’en dédommageant par la puissance nouvelle. Si les États de Sardaigne et 3 de Corse devenoient puissants, ce seroit l’intérêt du prince qui possèderoit la Savoye et le Piémont : les princes les moins puissants ne se soutenant mieux que lorsque la puissance en Europe est plus partagée. 1o
  • Il ne doit point craindre de perdre le titre de roi, ayant déjà celui de roi de Chypre, qui lui en donnoit déjà les honneurs dans l’Europe, et il ne faut pas douter qu’augmentant sa puissance on disputât les honneurs*. 15

1569 (314.I, p. 332). — La Sardaigne sera toujours un misérable royaume entre les mains d’un prince chez qui elle ne sera que l’accessoire : en cas de guerre, occupée ou défendue avec de grande diminution de forces’. *°

D’autre part, quels avantages les Vénitiens ont-ils tirés de leur Morée ?

1570 (315. I, p. 332). — Charles-Emmanuel prit la Rivière du Ponant.

1. Tite-Live (livre X, IV* décade) dit : « On donna en Sardaigne plusieurs combats contre les Iliens, peuples qui ne sont pas, encore aujourd’hui, ni vaincus, ni assujettis de tous côtés. » (Page 3o4.)

Ce qui a fait la misère de ce royaume, c’est qu’il a toujours dépendu presque d’une puissance étrangère.

1571* (1490. II, f° 222 v°). — Qui l’eût dit, que, les maximes les plus cruelles du despotisme, ce seroit un peuple qui se vante d’être libre qui les auroit établies contre de malheureux sujets ? 5 Les Corses, dans leurs traités, ont été obligés de stipuler le Droit naturel, et la République de Gênes a signé le traité qui la couvre à jamais de confusion, par lequel elle s’engage de ne plus faire mourir les Corses sans procès, ni sur la conscience informée 1o du Gouverneur.

Cette république, dans l’impuissance de réduire des peuples maltraités, envoye, de cour en cour, importuner tous les roix et acheter d’eux la vie de ces peuples, après l’avoir tant de fois vendue.

15 1572* (960. II, f° 22 v°). — L’Italie n’est plus au centre depuis la découverte du Cap et des Indes Occidentales : elle est à un coin du Monde ; et, comme le commerce du Levant est dépendant de celui des Indes, elle ne le fait qu’accessoire.

2o IX. ESPAGNE.

1573* (207. I, p. 209). — On ne peut penser sans indignation aux cruautés que les Espagnols exercèrent contre les Indiens, et, quand on est forcé d’écrire sur ce sujet, on ne peut s’empêcher de iS prendre le style de déclamateur.

Bartholomeo de Las Casas, témoin oculaire de toutes ces barbaries, en fait un récit horrible. Les hyperboles dont les rabbins se servent pour décrire la prise de Biter ne présentent pas des idées si affreuses que la naïveté de cet auteur. Adrien punissoit des révoltés. Ici l’on extermine des peuples 5 libres. Des peuples aussi nombreux que ceux de l’Europe disparoissent de la Terre. Les Espagnols, en découvrant les Indes, ont montré en même temps quel étoit le dernier période de la cruauté.

Il est heureux que l’ignorance dont les Infidèles 1o font profession leur dérobe nos histoires. Ils trouveroient là de quoi se défendre et de quoi attaquer. S’ils jugeoient de notre religion par les idées que leur en auroient donné la destruction des Indiens, la Saint-Barthélemy et cinq ou six traits aussi marqués 15 que ceux-là, qu’auroit-on à leur répondre ? Car, enfin, l’histoire d’un peuple chrétien doit être la morale pratique du Christianisme. On a fait voir, dans les Lettres persanes, la vanité des prétextes qui avoient forcé les Espagnols à en venir à cette «> extrémité : moyen unique de conserver, et que, par conséquent, les Machiavélistes ne sauroient nommer cruel. On l’a prouvé par la conduite opposée des Portugais, .qui ont été chassés de presque partout. Mais le crime ne perd rien de sa noirceur 25 par l’utilité qu’on en retire. Il est vrai qu’on juge toujours des actions par le succès ; mais ce jugement des hommes est lui-même un abus déplorable dans la Morale.

Si la Politique a éfé le motif, la Religion a été le 3o prétexte. Il y a longtemps qu’un poëte s’est plaint que la Religion avoit enfanté les plus grands maux, et il faut bien que cela fût vrai dans la Religion payenne, puisque cela n’est pas même toujours faux dans celle de Jésus-Christ. 5 Quel abus de faire servir Dieu à ses passions et à ses crimes ? Y a-t-il de plus mortelle injure que celle que l’on fait sous prétexte d’honorer ?

1574 (611. I, f° 44g v°).— Il auroit fallu que les

Espagnols eussent tiré autant d’Indiens pour l’Es

1o pagne qu’ils ont envoyé d’Espagnols dans les Indes.

1575(620. I, f° 45o v°). — Le roi d’Espagne étoit catholique de bonne foi : c’est-à-dire d’une religion qui accommodoit si bien son ambition.

1576* (898. II, f° 11). — Dans VHistoire d’Espagne 15 de M. l’abbé de Bellegarde, le grand-inquisiteur Turrecremata (fut le premier) ayant offert une amnistie générale, plus de 17,000 personnes vinrent volontairement avouer leurs crimes dans l’espérance de l’absolution. « Mais on les trompa : » plus de 2,000 2o furent brûlés, et les autres se sauvèrent en divers royaumes.— On ne peut pas lire ces mots : « Mais on les trompa », sans sentir dans son cœur de la tristesse.

1577 (1074. II, f° 66 v°). — Je disois que Philippe V 23 devoit sa couronne aux chevauxd’Andalousiejquifsù :,) montoient ses Espagnols, et au vin d’Espagne, qui tuoit les Anglois.

1578* (1678. III, f° 29 v°). — Espagne. — Patino a fait une sottise ; c’est de mettre toutes ses forces de mer à Cadix. Cela coûta plus. Les matelots de Biscaye et de Catalogne ont 200 lieues avant d’arriver chez eux, depuis qu’ils sont débarqués.

Le roi de France n’a pas tous ses vaisseaux dans un seul port.

1579 (2220. III, f° 464 v°).— Les Espagnols et les Portugais sont encore en tutelle dans l’Europe.

X. FRANCE. 1o

1580* (927. II, f° 16). — Sur les historiens de France : « Ut, sicut prima œtas vidit quid ultimum in libertate esset, ita nos quod in servitute. »

1581* (189.I, p. 188). — Le père Lecointe soutient contre toute l’antiquité, dans ses Annales ecclésias- 15 tiques, que l’assemblée des François n’envoya point au Pape pour le consulter sur la déposition du dernier roi de la première race. Le père Châlons, de l’Oratoire, dans une Histoire de France dont l’extrait est au 18’ Journal des Sçavans de l’année 3o 1720, dit qu’il n’y a pas d’apparence que le Pape eût voulu commettre une si grande injustice. Cela est plaisant : il ne veut pas que le Pape puisse faire une chose qu’il avoue que tous les seigneurs ont faite. i5

1582* (190. I, p. 189). — Je ne puis concevoir les historiens françois.

Voyez comme le père Alexandre révoque en doute les faits les plus constants de l’histoire fran5 çoise, pour diminuer l’autorité du Pape. Comment peut-on démentir tous les historiens contemporains ? Peut-on nier que l’aveuglement ne fût grand dans ces temps-là sur l’autorité du Pape ? Nier un de ces faits particuliers qu’est-ce que cela avance ? Toute

1o l’histoire en corps n’est-elle pas un monument de l’aveuglement de nos pères à cet égard ? Pour moi, j’aimerois mieux ne point écrire d’histoire que d’en écrire pour suivre les préjugés et les passions du temps.

1ï’ Tantôt, l’un vous fera descendre les Capets des Mérovingiens ; tantôt, l’autre voudra que le nom de très chrétien ait été toujours affecté aux princes françois.

On ne fait pas un système après avoir lu l’histoire ;

2o mais on commence par le système, et on cherche ensuite les preuves ; et il y a tant de faits dans une longue histoire, on a pensé si différemment, les commencements en sont ordinairement si obscurs, qu’on trouve toujours assez de quoi faire valoir

25 toutes sortes de sentiments.

1583(925. II, f° 15 v°). — Si le système de l’abbé Dubos est vrai, quelle seroit l’origine des servitudes en France ?

1584*(1488. II, f°222). — lime semble qu’ilmanque toujours quelque chose aux ouvrages qu’on nous a donnés sur l’histoire de France. Peut-être peut-on dire de la plupart des auteurs qui en ont écrit, que les uns avoient trop d’érudition pour avoir assez de génie, et que les autres avoient trop de génie pour 5 avoir assez d’érudition.

1585 (1 171. II, f° 81 vo). — Je trouve dans Tacite, De Moribus Germanorum, la raison bien naturelle de la grande autorité que les évêques prirent chez les Francs convertis au Christianisme’. Cela étoit 1o dans leurs anciennes mœurs. iReges ex nobilitate, duces ex virtute sumunt ; nec Regibus infinita aut

libera potestas Ceterum neque animadvertere,

neque vincire, neque verberare quidem, nisi sacerdotibus est permissum ; non quasi in pœnam, nec 0 Ducis jussu, sed velut Deo imperante, quem adesse bellatoribus credunt. »

Le même Tacite nous fait voir l’origine de notre coutume d’être toujours armés : « Nihil... neque publicœ neque privatœ rei, nisi armati agentes. » *«

De même, la coutume de se louer à la guerre : « Si civitas in qua orti sunt longa pace et otio torpeat, plerique nobilium adolescentium petunt ultro eas nationes quœ tum bellum aliquod gerunt. »

1586 (1172. II, f° 81 v°). — De ce que Tacite dit des 23 Germains : « Omnibus iis idem habitus, > cela prouve qu’ils n’avoient point été vaincus, et qu’ils n’avoient

1. Mis dans les Loix. fait qu’envoyer des colonies ailleurs, sans en recevoir.

1587* (1 548. II, f° 247). — Les Germains. — * Reges ex nobilitate, duces ex virtute sumunt, > dit Tacite, 5 De Moribus Germanorum ’. C’est ce qui fit la différence du pouvoir des maires et des roix, et de leurs différents titres. Cela fut cause que les roix de la seconde race furent électifs, parce que la couronne fut jointe à la mairerie (sic) du Palais.

1o 1588*(125o. II, f° 1o3 v°). — Les Francs s’incorporèrent d’abord avec les nations vaincues ; non, les Saxons, ni les Bretons ; et les Goths, pendant trois cents ans qu’ils régnèrent en Espagne, ne contractèrent de mariages, ni ne se mêlèrent avec les

15 Espagnols. De là, je tire l’origine de leur décadence et de la supériorité des Francs.

1589(1o87. II, f° 67 v°). — L’histoire du soldat que Clovis tua parce qu’il ne vouloit pas rendre un vase du butin où il avoit part, et que l’abbé Dubos 2o employe pour prouver l’autorité de Clovis, prouve bien mieux son impuissance. Ne croyez pas qu’un Janissaire refuse quelque chose au Grand-Seigneur. Le corps des Janissaires le tuera bien ; mais un Janissaire ne lui désobéira jamais.

25 1590(199.I, p. 195). — Voici ma raison pour prou

1. Mis dans les Loix,

ver que la première race étoit héréditaire : c’est cette longue suite de roix, tous sans puissance et sans autorité. Il falloit donc que les François eussent pour la famille de Mérovée un respect à peu près pareil à celui que les Turcs ont pour le sang d’Othoman (sic) : 5 ce qui présuppose une couronne héréditaire et non élective. Et, si elle avoit été élective, comment auroit-on élu tous ces insensés ?

1591* (1961. III, f° 261 v°). — Dagobert. — Ses actions sont pesées : d’un côté sont ses péchés, qui 1o trébuchent ; un moine met dans l’autre plat de la balance l’abbaye de Saint-Denis, des moines bien gros et bien pesants. Il auroit fallu bien des péchés pour résister à cela.

1592*(2o36. III, f°334). —Je remarque que, quand 15 les Barbares inondèrent l’Empire romain, ils n’exercèrent point de cruauté particulière contre les ecclésiastique et ne firent pas paroître de zèle de religion : uniquement curieux du butin et de la subsistance. Mais les mêmes Barbares, qui inondèrent 3o l’Empire de Charlemagne, exercèrent d’étranges barbaries contre les ecclésiastiques, l’Église (sic), les monastères.

Quand les Romains chassèrent les Barbares et les obligèrent, par frayeur, de refouler vers la Scandi- 25 navie, ils ne leur parlèrent point de religion, mais de prendre les mœurs romaines, de payer des tributs, d’obéir. Quand les Francs rentrèrent dans la Germanie, ils ne leur parlèrent que de baptême, d’églises, de monastères, de prêtres ; de sorte que les Saxons et autres peuples qui refluèrent se retirèrent enragés contre la Religion chrétienne et s’attachèrent d’autant plus à leur culte qu’on avoit 5 voulu les faire changer, et ils établirent une rude inquisition parmi eux. Ainsi, quand ils sortirent, ils sortirent avec leur haine et leurs préjugés. Ainsi les mêmes peuples différèrent de conduite et de fureur dans leurs invasions.

1o On ne peut douter que les Germains n’ayent été se mêler avec les Scandinaviens. Tacite parle des Suions. L’ancienne langue suédoise et l’ancienne langue danoise ont de la conformité avec l’ancienne langue germaine, soit que ce fût le même peuple

15 qui se fût grossi par les raisons susdites, soit qu’en se retirant en foule dans le fond du Nord, ils soyent devenus la principale partie de la Nation.

1593 (197. I, p. 194). — Charlemagne. — Son injustice en dépouillant les Lombards et favorisant 3o l’usurpation des Papes.

Les Papes favorisent la Maison carlienne dans

son usurpation, et les Carliens favorisent les Papes

dans la leur.

Les Mérovingiens furent exclus sans cause.

25 Charlemagne releva la puissance des Papes, parce

que son autorité étoit fondée sur cette puissance.

J’ai ouï faire cette réflexion : que la raison pour

laquelle il donna des terres au Saint-Siège étoit

qu’elles étoient frontières des deux empires et ser

3o voient de barrière entre l’Empire d’Occident et d’Orient. Or, il ne craignoit pas que l’Empereur d’Orient et le Pape, lesquels se portoient une haine mortelle, s’accommodassent jamais.

1594 (7Î2. I, p. 495). — Charlemagne. — Sous lui, les peuples du Nord furent soumis, et le fleuve 5 remonta vers sa source.

1595 (753.I, p. 495). — Du (?) temps des premiers successeurs de Charlemagne, il n’y avoit point de troupes réglées, et on ne mettoit point de garnisons dans les villes ; il n’y avoit point de citadelles ; de to façon qu’il étoit impossible de maintenir dans la f1delité une nation éloignée, comme l’exemple des Saxons et des Italiens le fit voir.

1596 (1o51. II, f°61). — J’ai dans la tête (et, pour cela, il faudroit bien lire toutes les chroniques de 15 France et de Normandie recueillies par André Duchesne) que la Bretagne ne fut pas donnée tout entière aux Normands ; mais seulement le pays de Nantes, et ce qui environnoit la basse Loire. C’étoit une pratique constante chez les Normands de se 2o saisir d’une île, à l’embouchure d’une rivière, où ils se fortifioient1. De là, ils portoient leurs brigandages partout. Mais les pays qui étoient près de la partie basse du fleuve étoient ruinés par préférence.

1. Voyez mon Spicilège, où le czar Pierre Ier, avec de petits bâtiments qui contenoient quarante hommes à cheval, ravagea toutes les côtes de Suède : 1ls alloient plus vite que les gardécotes. D’où je conclus qu’on leur donna d’abord la partie de la Bretagne la plus ruinée. Il paroît même par le père Lobineau, livre IIIe, qu’il y avoit en même temps des comtes de Rennes, qui étoient restés, et

5 il se pourroit de même, selon le sentiment du père Lobineau, qu’on n’auroit donné d’abord à Rollon qu’une partie de la Normandie, comme le diocèse de Rouen et les terres voisines, et que le Cotentin avoit déjà été donné aux Bretons. La partie orientale de la

1° Normandie, étant plus près de l’embouchure de la Seine, me paroît avoir dû être ravagée par préférence.

1597 (627.I, f° 452 v°).— Les seigneurs françois n’usurpèrent point l’autorité royale : ils ne pouvoient usurper des roix ce que les roix n’avoient pas. Ils ne

15 firent que continuer dans leurs familles de certaines charges, comme il arriveroit en Pologne si les palatinats devenoient héréditaires : le Roi ne perdroit d’autre droit que celui de nommer le palatin. Pour les fiefs, ils étoient à eux sous les conditions que les

3o loix y mettoient, c’est-à-dire tandis qu’on pouvoit faire le service.

1598 (226.I, p. 246). — Notre duché de Guyenne a fait faire deux actions d’une grande probité 1 : Louis-le-Jeune et Saint-Louis la (sic) rendirent,

25 l’un, à Aliénor, l’autre, aux Anglois.

1599(1974. III, f° 279).— A la bataille de Bouvines, sous Philippe-Auguste, nous perdîmes les Chartres de la Couronne et les registres qui contenoient le service que devoit chaque seigneurie ; de sorte que nous savons ce que chaque ville grecque payoit, pour chaque seigneurie, au Conseil des Am- 5 phictions, et nous ne savons pas ce que chaque seigneurie payoit ou donnoit de gens de guerre à la Couronne.

1. Mais Louis-le-Jeune y lut forcé : jamais les sujets d’Aliénor ne lui auroient obéi.

T. 11 33

1600* (191. I, p. 190). — La Pucelle d’Orléans.— Les Anglois la prirent pour sorcière ; les François, 1o pour prophétesse et envoyée de Dieu. Elle n’étoit ni l’une, ni l’autre. Voyez le même Journal, où on paroît porté à croire que c’étoit une fourberie, et voyez les raisons historiques qu’on en dit. Dans un fait de cette nature, pour peu que l’histoire se prête 15 à une pareille explication, on doit l’embrasser, parce que la raison et la philosophie nous apprennent à nous défier d’une chose qui les choque si fort, l’une et l’autre. Le préjugé des sorciers n’est plus, et celui des inspirés ne subsiste guère1. 2o

Si l’histoire de la Pucelle est une fable, que peuton dire de tous les miracles que toutes les monarchies s’attribuent, comme si Dieu gouvernoit un royaume avec une providence particulière de celle avec laquelle il gouverne ses voisins. i5

1601 (225. I, p. 245), — On a si fort loué l’action de Regulus que l’on ne sauroit guère louer celle de François Ier, qui, prisonnier de Charles-Quint, ayant cédé la Bourgogne pour sa rançon, s’excusa, dès qu’il fut libre, sur ce que la Bourgogne ne vouloit pas changer de maître. Mais il ne retourna 5 pas à Madrid, comme Regulus, à Carthage.

1. Voyez l’histoire de Jacques Cœur sur l’histoire de France : il étoit argentier de Charles VII.

1602 (615. I, f° 45o). — Catherine de Médicis. — Elle étoit toujours entourée d’astrologues, de devins et de toutes ces sortes de gens qui suivent les âmes foibles.

1o 1603(621. I, f° 45o v°). — Catherine, femme dans le cabinet comme dans les ruelles, fit assembler les vieux Huguenots et plusieurs Catholiques, et prétendit leur prouver par une harangue que fit Pibrac, tirée de l’exemple des Persans, Turcs et Moscovites,

15 la (?) soumission : exemples, à mon avis, très incapables de séduire des gens qui ont les armes à la main. C’est comme ce proconsul qui fit assembler tous les philosophes, sur la place d’Athènes, pour les accorder.

2o 1604(622. I, f° 451). — Catherine, femme qui fut la comète de la France. Heureuse, la France, si ce mariage n’avoit fait qu’avilir la majesté de ses roix !

1605(619. I, f° 450 vo).— Chancelier de VHôpital. — Sa mort peut être mise au rang des calamités 25 publiques.

1606* (236. I, p. 252). — Ce qui soutint le parti huguenot dans la guerre civile qui se fit en Poitou et provinces de delà la Loire, sous Charles IX, fut la vente qui fut faite par les chefs des Huguenots des biens ecclésiastiques : les Huguenots de ces contrées y employant hardiment ce qu’ils avoient, à cause du 5 bon marché et de l’espérance qu’on leur donnoit que l’autorité du Roi ni la Religion catholique ne rentreroient jamais dans ces contrées.

l607(614. I, f° 450). —Jamais prince n’a fait une plus rude pénitence de ses vices que Henri III. 1o

1608 (616. I, f° 450). — ’Assassinat du duc de Guise. — Dans quelques circonstances que le Roi se trouvât, il est impossible d’approuver ce qu’il fit. Il faut ou condamner cette action, ou, pour l’honneur de la Vertu, n’en porter point de jugement. Mais, pour 15 Loignac et ses Quarante-Cinq, ils resteront toujours couverts d’une éternelle infamie*.

1609 (617. I, f° 45o). — L’envie de Philippe IId, de voir sa fille sur le trône de France, et celle de Louis XIV, de voir son petit-fils sur celui d’Espagne, 2o ont également affoibli leur puissance.

1610 (2223. III, f° 465). — Le cardinal de Richelieu, meilleur sujet que citoyen ; encore même mauvais sujet : car il sacrifioit le Prince quand il falloit le sacrifier à lui-même. 25

1611 (1368. II, f° 196). — Le cardinal de Retz étoit plus propre à être à la tête d’une faction, et le cardinal de Mazarin, plus propre à être dans un cabinet.

1612(279. I, p. 3o5). — Louis XIV avoit l’âme

5 plus grande que l’esprit. Made de Maintenon abais

soit sans cesse cette âme pour la mettre à son point.

1613 (1145. II, f»79). — Louis XIV, ni pacifique, ni guerrier. Il avoit les formes de la justice, de la politique et de la dévotion, et l’air d’un grand roi.

1o Doux avec ses domestiques, libéral avec ses courtisans, avide avec ses peuples, inquiet avec ses ennemis, despotique dans sa famille, roi dans sa cour, dur dans les Conseils, enfant dans celui de conscience, dupe de tout ce qui joue les princes : les ministres,

15 les femmes et les dévots ; toujours gouvernant et toujours gouverné ; malheureux dans ses choix, aimant les sots, souffrant les talents, craignant l’esprit, sérieux dans ses amours et, dans son dernier attachement, foible à faire pitié. Aucune force d’esprit

1o dans ses succès, de la fermeté dans ses revers, du courage dans sa mort. Il aima la gloire et la religion, et on l’empêcha toute sa vie de connoître ni l’une ni l’autre. Il n’auroit eu presque aucun de tous ces défauts, s’il avoit été mieux élevé, ou s’il avoit eu un

i5 peu plus d’esprit1.

1614 (1218. II, f° g5). — Louis XIV.— Il avoit dans 1. Voyez page 95 de ce volume. leur perfection toutes les vertus médiocres et le commencement de toutes les grandes.... ; trop peu d’esprit pour un grand homme.... ; grand avec ses courtisans et les étrangers, petit avec ses ministresi.

1615 (745. I, p. 493). — Louis XIV acheta Dun- 5 kerque 4 millions. Il n’a guère assiégé de places qu’il ait eues à meilleur marché.

1616 (1592. II, f° 455 v°). —J’ai ouï dire je ne sais où (ou ai lu) que Mad" de Montespan sentit quelque atteinte de dévotion et vint à Paris. Il (?) ne vouloit 1o pas qu’elle revînt à la Cour. M. de Meaux fut d’avis qu’elle revînt, mais à condition qu’elle seroit toujours entre trois ou quatre prudes. Le Roi vint, lui parla dans une embrasure ; de là passa dans le cabinet. De

là naquit ce visage moitié amour, moitié jubilé, qui ô est Mad" d’Orléans.

1617(728.I, p. 488).—Quand je vois Louis XIV mené par les Jésuites, et envoyer à ses ennemis des sujets, des soldats, des négociants, des ouvriers, son commerce, et chasser les Huguenots, j’ai plus pitié 1o de lui que des Huguenots.

1618* (954. II, f°21 v°). — Lorsque je vois un grand prince qui a régné de nos jours, malgré son bon sens naturel, séduit par un conseil aveugle, envoyer tout à coup à ses ennemis des sujets, des soldats, 25 des négociants, des ouvriers, son commerce, je plains plus la Religion catholique, et, si je l’ose dire, je le plains plus lui-même que les Protestants.

1. Voyez page 79 de ce volume.

1619 (1112. II, f°75 v°). — Je n’ai point encore vu 5 la lettre de Scarron où il dit : «Je me souviens

encore de cette fille qui vint chez moi, qui avoit un jupon trop court de trois doigts, et qui pleuroit. » Cela a été imprimé, m’a dit M. de Fontenelle. Il faut voir les lettres de Scarron. Il étoit étonné lui-même 1o de l’avoir épousée. Il faut savoir comment elle avoit passé de chez Scarron à la Cour. Elle alloit chez Ninon L’Enclos. On dit qu’elle descendoit de d’Aubigné, qui a écrit l’Histoire.

1620 (557. I, f° 437). — La France, qui se crut 15 maîtresse de toute l’Europe parce qu’elle avoit eu

de grands succès, entreprit la guerre pour la succession d’Espagne. Elle étoit déjà épuisée. Elle mit sur pied plus de troupes qu’elle ne pouvoit. Elle étendit ses forces : occupa l’Italie, d’un côté ; se porta

20 en Espagne et sur le Danube. Les vieilles troupes battues ou détruites sont suppléées par des troupes nouvelles, par des paysans. On croit que ce sont des troupes françoises ; ce n’en sont point : ce sont d’autres armées que celles qui battoient (sic) dans

25 les précédentes guerres. Jamais les bataillons complets, pendant que ceux des ennemis l’étoient toujours. D’ailleurs, les officiers misérables. Quand les officiers sont riches, ils peuvent secourir le soldat qui est malade : il a un chariot, un cheval ; il y met un soldat malade. Quand un officiera été à pied, et que vous lui dites, en arrivant, d’aller à une expédition, il n’a plus bonne volonté. Les soldats crèvent. Le grand secret, c’est d’avoir des troupes qui ne périssent point. Quand un soldat est malade, qu’il reste 5 dans un buisson, il meurt, il déserte. Dans la dernière guerre, les bataillons ennemis plus forts débordoient toujours les nôtres. Si on avoit mis une corde, un bataillon ennemi auroit tiré deux de nos bataillons. 1o

1621 (362. I, f° 438 vo).—Je dis qu’il n’est pas vrai que, quand nous aurions gagné la bataille d’Hochstaedt, nous eussions été les maîtres de l’Europe. Notre frontière devenoit trop étendue. Les Allemands se seroient réveillés, et, au lieu de vendre 15 des troupes, auroient fait leur affaire propre1.

1622* (1529. II, f° 232 v°). — La frayeur nous fit faire à Turin la chose du Monde la plus prudente : ce fut d’abandonner l’Italie et de défendre les Alpes. Nous avions sujet d’espérer par la nature des choses 2o de faire la guerre supérieurement en Espagne. Nous étions inattaquables en Alsace. Nous n’avions qu’à défendre la Flandre et laisser ranimer ce feu que tant de malheur avoit éteint.

1623 (645.I, f° 457). — Nous avons vu dans la der- 25 nière guerre une puissance dont la principale force

1. Mis dans les Romains. consiste dans son crédit et dans son commerce, se servir de ces deux avantages pour envoyer combattre contre nous autant d’hommes qu’elle en pouvoit acheter. Tranquille au dedans, sans pourtant une 5 seule place qui pût la défendre, elle réalisoit contre nous des richesses de fiction et devenoit spectatrice tranquille de ses mercenaires, qu’elle perdoit sans regret et réparoit sans peine ; tandis que, par un esprit de vertige, nous attendions les coups pour

1o les recevoir, et mettions sur pied de grandes armées pour voir prendre nos places, et décourager nos garnisons, et languir dans une guerre défensive, dont nous ne sommes point capables. Il falloit aller à cette nation, tenter sans cesse de passer la mer,

15 et arroser de son sang et du nôtre sa terre natale. Lui faire la guerre, c’étoit la vaincre ; la mettre en péril, c’étoit pour nous la conquérir. Nous lui faisions perdre ce crédit qui nous étoit si fatal, et jetions des soupçons sur celui d’une autre puissance

zo maritime. Nous l’aurions contrainte de rappeler son Annibal, avec sa vieille armée, ou de faire la paix, ou de s’arrêter devant nous.

La seule grande entreprise que nous fîmes au dehors nous fut fatale. Nous allâmes réveiller la

25 jalousie, la crainte et la haine d’une nation qui n’étoit qu’un instrument de cette guerre, qui, lente et presque immobile d’elle-même, recevant (sic) tout son mouvement d’ailleurs. C’étoit comme Antée, qui retrouvoit sans cesse les forces qu’il avoit perdues.

3o 1624 (726.I, p. 487). — La constance de la Grandet. 11. H Alliance contre la France est presque une chose inouïe dans l’histoire, et, cependant, elle n’eut pas réellement l’effet qu’elle sembloit devoir attendre de tant de succès : qui étoit d’abaisser la France.

1625* (2039. III, f° 335 v°). — Lorsque le feu Roi 5 voulut obliger Philippe V de chasser la princesse des Ursins, ayant longtemps tenté et jamais réussi, il chargea M. de Berwick d’en parler. Il y avoit dans la lettre : « Dites-lui qu’il me doit cela, non seulement parce qu’il est mon petit-fils, mais aussi parce que 1o je lui ai mis la couronne sur la tête. Dites-lui tout ! Mais ne lui dites pas que je l’abandonnerai : car il ne le croiroit jamais. >

1626(38o. I, f° 360). — Je veux faire une liste et voir combien de fois les François ont été chassés d’Italie, 15 combien de fois ils en ont été chassés par leur indiscrétion avec les femmes. J’ai supputé, dans mon extrait de Pufendorf, qu’ils en ont été chassés neuf fois ; presque toujours par leur indiscrétion, sans compter, après la bataille de Turin, leur retraite 3o vers la France, qui ne vint que de leur impatience.

Je veux voir aussi combien de fois les Papes ont excommunié les Empereurs, et combien ils ont fait de fois révolter l’Italie et l’Allemagne.

1627 (1388. II, f° 200 v°). — Le seul homme que 15 Saint-Cernin connût admirable, c’étoit le maréchal de Villars. Ce n’est pas qu’il n’eût du mérite ; peutêtre plus que Saint-Cernin ne lui en connoissoit.

1628* (2144. III, f° 351 v°).— Je ne pardonnerai jamais au père Le Tellier : il est cause d’un nombre innombrable de nos sottises.

1629*(1958.III,^257 vo). — Le moindre frère J

5 avoit l’habit du père Le Tellier, et il falloit compter avec lui. Barsac (?) ne disoit-il pas ? «Nous sommes venus ici de notre chef. >

1630 (800.I, p. 514). — Le duc d’Orléans ne craignoit que les ridicules pour lui. C’étoit le siècle

1o des bons mots : il se conduisoit par un bon mot, et on le gouvernoit par un bon mot. On détruisit la cabale du Parlement, en lui disant que Mad° de

Maisons espéroit le pas sur la princesse de

Le duc de Brancas détruisit M. de Canillac, grand

15 parleur, en lui disant qu’un laquais étoit venu se louer à lui, ennuyé de M. de Canillac, qui lui faisoit passer les nuits à l’écouter. « Et de quoi l’entretient-il ?— De ses querelles avec M. de Luynes et des conseils qu’il donne à M. d’Orléans. » Ainsi

2o on ne peut pas définir le caractère d’un homme pareil. Pourquoi fut-il subjugué par l’abbé Dubois ? Ceux qui l’ont connu sont obligés de s’écrier : O altitudo !

1631 (Sp., f°470 v°). — M. d’Orléans, étant régent, 25 dit à Mad" d’Orléans qu’il lui donnoit tous ses livres, excepté pourtant ceux de chimie.

Le caractère de M. d’Orléans ne tenoit en rien ni de son père, ni de sa mère.

Voyez dans Burnet le caractère de Charles IId, très semblable à celui de M. d’Orléans.

1632 (1396. II, f° 202).— M. le duc d’Orléans.— Il n’avoit point de suite ; il étoit indéfinissable ; on ne peut le définir qu’en ne le définissant pas. 5

1633(1407. II, f’ 2o3). — Je disois de M. d’Orléans (Régent) qu’il avoit fait du bien, mais qu’il ne faisoit pas le bien.

1634(912.II, f°1 3). — Rien ne prouve la facilité qu’il y a de gouverner un grand État que M. d’Orléans, to malgré les défauts essentiels qu’il avoit pour une bonne administration.

Si M. le Duc n’avoit pas eu la sottise de se croire peu capable, il auroit gouverné tout comme un autre.

1635(2132.III, p. 351). — La régence du duc d’Or- 15 léans étoit un beau spectacle.

1636* (1949. III, f° 256).— Le D. est un petit homme, sans mérite et naissance, qui a appris une espèce de jargon de finance, instruit par Chamil..., rebut de Démare..., échoppé à la Chambre de Jus- »°

tice, introduit chez , uniquement propre à

l’emploi où on le destine, qui est d’avilir une grande dignité. Il a vu avec plaisir les sceaux, de main en main, de reflux en reflux, descendre et tomber jusqu’à lui, et, comme si c’étoit le comble de sa fortune 25 que la dégradation du poste qu’il va remplir, il est charmé de la générosité de ceux qui, en le refusant, ont achevé de les (sic) mettre à sa portée.

1637 (2143. III, f° 351 v°). — On disoit que M. Law avoit eu beaucoup d’ennemis en France. « Oui, dis5 je, et des ennemis qu’il n’avoit jamais vus. On ne peut se raccommoder avec ceux-là. »

1638* (2042. III, f° 335 bis). — ]e disois de M. le Duc qu’il cherchoit toujours la vérité et la manquoit. toujours.

’o 1639 (1964. III, f° 271). — Je disois : « On sait qu’il n’a tenu qu’à feu M. le Duc de faire épouser sa sœur au Roi. On voit, par les Mémoires de l’abbé de Montgon, qu’il avoit consenti que la branche d’Espagne succédât à la Couronne, au préjudice de

15 la ligne d’Orléans et, par conséquent, [de] celle de Bourbon. Eh bien ! il a su faire cela ! Eh bien ! il ne s’est pas donné la réputation d’homme magnanime, et, parce qu’il étoit un sot, il s’est donné la réputation d’être un marchand de bled. »

2o 1640(n67. II, f° 81). —Le maréchal de Villeroy parloit toujours à son pupille de ses sujets, et jamais de ses peuples.

1641 (2113. III, ^464 v°). —Je me souviens du Roi dans sa jeunesse : il n’avoit d’autre passion que de 25 crever cinq ou six chevaux par semaine, et on s’en plaignoit.

1642 (375. I,p. 359).—Je disois : «Je ne crois pas, comme Louis XIV, que la France soit l’Europe, mais la première puissance de l’Europe.»

1643 (3g 1. I, p. 364). — Cette grande puissance que Dieu a mise entre les mains du Roi, mon 5 maître, ne le rend pas plus redoutable à ses voisins. C’est un gage du Ciel pour la paix et la liberté de l’Europe. Et, comme les moindres princes mettent le courage à étendre leur pouvoir, les grands le mettent à modérer le leur. 10

1644* (933. II, f° 16 v°). — Cette grande puissance que Dieu a mise entre les mains du Roi, mon maître, ne le rend pas plus redoutable à ses voisins. C’est le gage de la paix de l’Europe. Plus fier du titre d’ami qu’il ne le seroit de celui de conquérant, le Ciel, en 15 le faisant naître a fait toute sa grandeur, et il n’y ajoute que des vertus. Il croit que les Roix ne sont pas nés seulement pour faire le bonheur de leurs sujets, mais qu’ils sont destinés encore à faire la félicité du Genre humain. Tels sont les sentiments 1o de la grande âme du...

1645 (914. II, f° 13). — Le cardinal de Fleury. — Il est parvenu à abattre le Jansénisme et à faire recevoir la Constitution \ ; et cela, per alluvionem, en marchant lentement et ne faisant pas un pas qui ï5 n’allât à son but. L’allure contradictoire à elle-même

1. *Cela a bien changé". de M. d’Orléans, l’impétuosité de la plupart des autres, auroient rendu le mal sans remède.

1646* (1484. II, f<’ 220 v°). — J’ai trouvé dans un fragment de YHistoire de Salluste un passage qui 5 convient merveilleusement au caractère du feu cardinal de Fleury : « Modestus ad omnia alia, nisi ad dominationem. »

1647* (1509. II, f° 228 v°). — Le cardinal de Fleury, — L’histoire s’attendrira toujours sur celui qui fut ’° les délices du peuple romain.

1648 (1976. III, f° 279). — Mad" de disoit du

cardinal de Fleury, qu’il connoissoit les hommes assez pour les tromper, mais pas assez pour les choisir.

1649 (1595. II, f° 456). — Je disois que, du temps 15 du Cardinal, on avoit toutes les incommodités de

l’ordre, et qu’on n’en avoit aucun des avantages. »

1650 (1511. II, f° 229). — Le maréchal de Belle-Isle et Chauvelin. — Parce qu’ils avoient de l’ambition, ils se sont élevés. Parce qu’ils avoient de la folie,

2o ils sont tombés.

1651*(1463. II, f° 215). — Il est singulier que, parmi

nous, on fasse continuellement tout ce qu’on peut

pour tenir le peuple dans l’ignorance et lui ôter, sur

les affaires de l’État et celles de l’Europe, toutes

25 sortes de lumières, et que, dans le même temps, on suive si fort les préjugés, les impressions et la futilité des discours de ce même peuple, surtout de celui de la Cour. Ce sont de pareils discours qui ont fait entreprendre les deux guerres de 1733 et 1741.

1652* (152o. II, f° 23o v°). — Projet de 1741. — Je 5 pourrois faire voir de même que les choses qui ont perdu notre royaume sont venues de gens qui avoient trop d’esprit pour en avoir assez, qui voyoient loin, et qui ne voyoient pas de loin, et qui ne sentoient pas que les grandes choses ne diffèrent des petites Io que par l’objet et se ressemblent dans la manière de faire.

1653 (1582. II, f° 455). — Nous avons vu, dans cette guerre de 1741, que les François, mauvais guerriers les trois premières années, deviennent admirables la" quatrième. Ils apprennent ce métier et l’oublient. C’est Paris et les petites villes qui le fait (sic) oublier ; mais, quand ils ont vu les camps, ils apprennent.

Les Italiens, mauvais guerriers, parce qu’ils habitent tous les villes. *°

1654(1447. II, f° 212).—Je disois du projet de M. de Belle-Isle : « C’est un projet de plomb : on le relève sans cesse, et il retombe toujours. »

Je disois qu’il étoit comme les singes, qui montent toujours jusques au haut de l’arbre, jusques à ce i5 qu’arrivés au bout ils montrent le c... »

1655(1452. II, f° 213).—J’entends tous les jours dire : « Il faut faire la guerre pour abaisser la Maison d’Autriche. » C’est pour cela que Belle-Isle a persuadé d’envoyer 1oo millions et 80,000 hommes en Allemagne. Cela est une bêtise. Vous n’avez qu’à vous 5 agrandir vous-mêmes par un bon gouvernement, et vous abaissez la Maison d’Autriche. C’est le seul moyen d’abaisser ses voisins qui soit raisonnable. Tout n’est-il pas relatif ?

1656* (2020. III, f° 315). — Du 2 Février 1742. —

1o Nos affaires de Bavière sont désespérées. Nous sommes à présent, pour celles de Bohême, entre les mains du plus grand fou qui fut jamais. Il est parti du bal : car il part toujours du bal ; il a été en Saxe, il a été à Dresde, pour que l’Électeur lui donnât le comman

15 dement. De là, il s’est mis dans son chariot de poste et arrivé (sic) dans une auberge à Prague ; et cela, pour demander à l’intendant Séchelles qu’il lui fournît du pain pour ses troupes. De façon que nous en sommes pour 100,000 écus par mois, pour donner du

2o pain de munition à ce roi. Quand la France et l’Angleterre auroient tous les trésors de l’Univers, ces gueux d’Allemands les leur tireroient ! Et, moi, je ne puis assez admirer la démence qui nous fait envoyer 100 millions et 80,000 hommes hors de chez nous,

25 dont la moitié n’a presque plus de vie, pour exécuter le projet qui tourmentoit la tête d’un homme que le Diable berce depuis qu’il est au Monde.

Adieu, Monsieur, je vous parle comme un bon François, mais comme un François qui n’est point

3o ivre.

XI. ANGLETERRE.

1657(373.I, p. 358). — Un historien anglois a dit de Henri VIII, ce que nous pouvons fort attribuer à Louis XI, que, si l’on avoit perdu la mémoire des Denys, des Néron, des Caligula, ce règne pourroit 5 en retracer l’idée. Henri VIII pendoit les Catholiques, qui ne le croyoient pas chef de l’Église ; il brûloit les Protestants, qui s’éloignoient du sentiment des Catholiques. Pour (Sous) Louis XI, aucun seigneur n’étoit sûr d’être en vie le lendemain. 1o

1658(583. I, f<" 445). —Je voyois dans l’Histoire de Burnet que Henry VIII, dans une loi qu’il fit,

ordonnoit à tous ses sujets de croire que La

vie de Néron ne fait pas voir un tyran si cruel que celle de Henry VIII. Le peuple étoit gouverné, 15 sous les formes de la justice, de la façon la plus injuste.

1659(626.I, f° 452).— C’est une cruelle histoire que celle de Henry VIII. Pas un honnête homme dans tout son règne ! Il en faut peut-être excepter 3o Cranmer et sûrement More. C’est là que l’on voit que les tyrans qui veulent se servir des loix sont aussi tyrans que ceux qui les foulent aux pieds. Ce roi faisoit faire à son parlement les choses qu’il n’auroit jamais osé entreprendre lui-même. Quelles 25 loix qu’il fît faire, qui obligeoient une fille qu’un roi épouseroit de déclarer si elle n’étoit pas vierge, à peine de trahison. Idem, aux mères et parents qui l’auroient su, de faire pareille déclaration, à peine

5 de misprision et de trahison. On n’osa pas lui annoncer sa mort prochaine, de peur qu’il ne punît par le statut fait contre ceux qui auroient prédit la mort du Roi, qui étoit devenu trahison1. . En 1539, sous ce règne, on commença à faire le

1o procès aux gens sans les entendre, et les condamner. Peut-être cela a-t-il pris son origine dans des temps plus barbares, comme (je crois) les bills àHattainder.

1660 (651.I, f° 458 v°). — Henry VIII, homme con15 tradictoire ! Il faisoit pendre les Catholiques et brûler les Protestants. Il demandoit à son parlement des subsides pour la guerre ; ensuite, il en demandoit pour la paix : laquelle (disoit-il) lui avoit coûté plus que la guerre la plus onéreuse. Il fit 2o déclarer son mariage nul avec Anne de Boulen, et la fit, en même temps, condamner comme adultère. Tout le reste de sa vie est de même pièce. Il fit Cromwel pair et chevalier de la Jaretière, et, ensuite, lui fit couper la tête pour cela.

25 1661 (787. I, p. 510). — Je ne suis pas étonné que Henry VIII eût une puissance tyrannique ; c’étoit dans le moment où la puissance de la Noblesse

1. Voyez les deux roix Philippe III et IV, dans l’extrait de Sidney : ce qui est dit sur eux. venoit d’être abolie, et où celle du Peuple commença à prendre le dessus. Dans cet intervalle, le Roi devint tyran.

1662 (648.I, f° 457 v°). — Dans les différents changements de religion en Angleterre, les ecclésias- 5 tiques des différents partis se brûloient tour à tour.

1663* (75.I, p. 66). — Quand Élisabeth donna des juges à Marie Stuart, elle affoiblit, dans l’esprit des Anglois, l’idée de la grandeur souveraine.

Il y a apparence que Cromwell n’auroit jamais 1o imaginé de faire couper la tête à l’un (sic), si on n’avoit fait couper la tête à l’autre.

1664 (1142. II, f° 78 v°). — Mare liberum sive de Jure quod Batavis competit ad Anglicana Cornmercia’. — Ils ne demandoient, d’abord, que la 15 liberté ; à présent ils demandent l’empire.

1665 (681.I, p. 470). — Si Charles Ier, si Jacques II, avoient vécu dans une religion qui leur eût permis de se tuer, auroient-ils reçu tant d’outrages de la Fortune ?— Quelle mort que celle de l’un ! et quelle 2o vie que celle de l’autre2 !

1666(1514. II, f° 229 Vo). — De nos jours, ceux qui jugèrent Charles Ier eurent presque tous une fin tragique. Il est impossible de faire des actions pareilles sans avoir, de tous côtés, des ennemis mortels, c’est-à-dire sans courir une infinité de périls.

1. Livre imprimé à Leyde, 1689.

2. Mis dans l’ouvrage sur les Romains.

1667(372. I, p. 358).— La République d’Angleterre n’a subsisté que pendant un petit intervalle : b c’est celui qui est après l’abattement du parti du Roi et avant le commencement de la puissance militaire de Cromwell. Pendant Cromwell, ce fut tyrannie. Après lui, jusqu’au rétablissement, partie tyrannie, partie anarchie.

1o 1668 (584.I, f° 445). —Je crois que c’est du temps de Charles II que l’on fit le procès à un homme pour avoir dit que le roi d’Angleterre ne guérissoit pas des écrouelles.

1669 (12o3. II, f° 92 v°). — Le roi Guillaume, dans 15 un débat, à qui on dit : « Mais, Sire, il pourroit bien arriver que l’on se mettroit en république, » répondit avec son sang-froid ordinaire : «Oh ! C’est ce que je ne crains pas : vous n’êtes pas assez honnêtes gens pour cela. > Beau mot ! et je m’étonne qu’un 2o roi l’ait dit. Aussi étoit-ce un roi de nouvelle création. Il voyoit bien qu’il faut de la vertu et de l’amour pour le bien public pour faire une république. Aussi, après Cromwell, n’en put-on pas faire une d’un jour. On changeoit tous les huit jours 25 de gouvernement ; chacun ne songeoit qu’à ses intérêts ; et il fallut, enfin, rappeler le Roi.

1670(26o. I, p. 271). — Par l’union avec l’Ecosse, la puissance de l’Angleterre s’est extraordinairement augmentée : car il falloit auparavant que le gouvernement envoyât de l’argent pour faire passer ce qu’on vouloit dans le Parlement, et on (sic) ne revenoit (sic) rien ou presque rien en Angleterre. 5 Aujourd’hui, l’Écosse, qui ne devoit rien, est entrée en part des dettes de la Nation : elle paye à proportion. Tout le monde sort du royaume pour aller en Angleterre : les gens riches, les cadets des maisons ; plus de Parlement à Édimbourg. Les tributs 1o enlèvent tout l’argent.

Il est vrai que l’Ecosse s’est cultivée et s’est attachée au commerce. Les paysans ont quitté les armes pour travailler. Ainsi elle ne s’est pas appauvrie ; au contraire, s’est enrichie malgré les désavantages 15 susdits.

1671 (528.I, p. 424). — Il n’est pas étonnant que Londres s’augmente : elle est capitale des trois royaumes et de tous les établissements des Anglois aux deux Indes. 1o

1672* (151. I, p. 131).— Les Anglois ont la commodité de faire courir toutes sortes de libelles par le moyen de leur poste à pied’. La Reine témoigna au Parlement de 1713 qu’elle désireroit qu’on établît une loi pour réprimer la fureur des libelles. Le Par- 25 lement le refusa, et un membre dit que cela rendroit le Gouvernement trop puissant.

1. C’est pour cela qu’on n’a pas voulu l’établir à Paris.

1673* (814.I, p. 520).— En Angleterre, comme on

voit, une liberté effrénée dans les papiers, on croit

d’abord que le peuple va se révolter ; mais là, comme

ailleurs, le peuple est mécontent des ministres, et

5 l’on y écrit ce que l’on pense ailleurs.

1674 (655.I, f° 459 v°). — Je disois : « S’il n’y avoit pas de roi en Angleterre, les Anglois seroient moins libres. » Cela se prouve par la Hollande, où les peuples sont plus dans l’esclavage depuis qu’il n’y a 1o plus de stathouder : tous les magistrats de chaque ville, de petits tyrans.

1675(625.I,f°451). — Jacobites, à présent ridicules

en Angleterre. C’est que le dogme de l’obéissance

passive l’est devenu. En effet, il est inconcevable

15 qu’il ait eu tant de crédit. Mais que ne peut pas

soutenir et persuader le Clergé ?

1676(657.I, ^459 v°). — L’Angleterre est comme la mer, qui est agitée par les vents, qui ne sont pas faits pour submerger, mais pour conduire au port.

2o 1677 (816.I, p. 523). — L’Angleterre est agitée par des vents qui ne sont pas faits pour submerger, mais pour conduire au port.

1678*(1429. II, f° 206).—Je disois que M. Wal

pole avoit toujours un foudre à la main et un bras

25 de laine : DU lanatos pedes habent. Les seigneurs qui

protestoient contre lui dirent qu’il n’y avoit jamais eu de ministre plus entreprenant dans les affaires domestiques et plus timide dans les étrangères.

1679* (2o5o. III, f° 339 v°). — Ce qu’il y a de malheureux actuellement en Angleterre, c’est que les gens le (sic) plus capables de la gouverner ne veulent 5 point, d’autres ne peuvent point être ministres.

1680* (2049. III1 f° 339 v°). — Les Anglois viennent de donner de l’argent à des électeurs pour faire l’Archiduc roi des Romains. C’est de l’argent perdu : la France ne veut point faire la guerre, et l’Aile- 1o magne avoit assez d’intérêt à faire l’Archiduc roi des Romains pour le faire ntotu proprio.

1681 (529. I, p. 424). — Cicéron, dans son livre De la Nature des Dieux, dit : « Si, dans la Bretagne, on voyoit des maisons, ne diroit-on pas qu’il y a 15 des hommes ? Et, si on trouvoit une horloge, ne diroit-on pas qu’il y a là d’habiles ouvriers ? Donc,

lorsqu’on voit cet ordre de l’Univers » — Ce

qu’il y a de plaisant, c’est que c’est de cette Bretagne barbare qu’aujourd’hui viennent les meilleures 2o montres par tout le Monde. — Pembroke.

XII. ALLEMAGNE, HOLLANDE ET SUISSE.

1682 (346. I, p. 342). — Il n’y avoit personne qui ne dût juger que Charles-Quint alloit tout sou mettre, et les Papes le crurent si fort que, par crainte de sa puissance, ils perdirent l’Angleterre. La France, qui devoit lui résister, n’avoit ni cette autorité chez elle, ni cette puissance au-dehors

5 qu’elle a à présent. Elle avoit de moins : Calais, partie de la Flandre, le Hainaut, l’Artois, le Cambrésis, la principauté de Sedan, partie du Luxembourg, la Lorraine, les Trois-Évêchés, l’Alsace, Strasbourg, Franche-Comté, Bresse, Bugey, Val

1o romey et Gex, le Roussillon, le Béarn et la BasseNavarre, et ses établissements aux Indes. Elle lui résista, cependant. C’est que la puissance de Charles étoit trop partagée.

1683(353. I, p. 344). — L’Empereur seroit un des 15 grands princes du Monde, si les Pays-Bas étoient abîmés par un tremblement de terre. C’est son foible que les Pays-Bas.

1684 (2117. III, f° 349 v°). — La dignité de l’Empereur tourne toujours la tête au Conseil de Vienne.

2o 1685(2 123. III, f° 35o).—Je trouvois à Vienne les ministres très affables. Je leur disois : « Vous êtes des ministres le matin et des hommes le soir. »

1686 (890. II, f° 9). — Sur les mauvais succès de

l’Empereur dans la guerre de 1733 et 1734, je

disois :

25 « Ce qui fait la vraye foiblesse de l’Empereur,

c’est que cette cour n’est pas accoutumée à jouer un premier rôle, ni en politique, ni en guerre. Du temps de la monarchie d’Espagne, c’étoit elle qui le jouoit en Italie et aux Pays-Bas ; ensuite, les Hollandois ; ensuite, le roi Guillaume ; ensuite, la reine Anne. Ils ont été bien embarrassés quand il a fallu 5 jouer un premier rôle. Sa (sic) monarchie a été faite tout-à-coup de pièces et de morceaux ; la nôtre est une monarchie faite peu à peu. A mesure qu’on a vu un inconvénient, on l’a réparé. Mais la monarchie de Vienne n’a pas eu les établissements néces- 1o saires pour conserver sa puissance. N’ayant pas eu d’établissement d’ingénieurs, elle n’a pas su défendre les places. Elle a eu d’assez bons ordres pour l’artillerie. Elle a regardé les États d’Italie comme des ruisseaux qui devoient lui apporter de ô l’argent, et a consommé les revenus de ces pays-là en pensions. Il falloit employer tous les revenus de ce pays-là à le maintenir ; avoir toujours une armée de 3o,ooo hommes complète en Lombardie ; vers les frontières du Pape, 10,000 hommes ; dans le royaume 2o de Naples, aussi (vers les frontières du Pape) ; et 10 autres mille hommes, partie à califourchon sur le détroit. Cela auroit joint en quelque façon toutes ses forces, et il les auroit avancées là où il auroit voulu. »

T. ». 36

Autrefois, la providence des Empereurs étoit dans *5 l’Empire et du côté de la Hongrie ; le reste n’étoit presque pas de leur bail.

1687* (1402. II, f° 202 v°).

Francorum regis socero diadema negasti, 

Carole ! Quid genero, si tibi sceptra neget ? 3o

1688(351. I, p. 344).—Je regrette cette dernière branche de la Maison d’Autriche qui, depuis Ferdinand, a produit de si bons princes.

1689* (1431. II, f° 206 v°). — On a vu la Maison 5 d’Autriche travailler continuellement à opprimer la liberté hongroise. Elle ne savoit pas de quel prix lui seroit quelque jour cette liberté. Lorsqu’on partageoit et envahissoit tous ses États, toutes les pièces de sa monarchie, immobiles et sans action, 1o tombèrent, pour ainsi dire, les unes sur les autres. Il n’y avoit de vie que dans cette noblesse qui oublia tout sitôt qu’elle crut la couronne insultée1, et qu’il étoit de sa gloire de servir et de pardonner.

15 1690*(958. II, f° 22). — La France n’est plus au milieu de l’Europe ; c’est l’Allemagne.

1691 (15ç)1. II, f° 455 v°). — Le père du feu roi de Prusse étoit magnifique : il mourut à onze heures ; le dîner ne fut pas servi ; il servit pour huit jours.

2o 1692 (701. I, p. 478). — Le roi de Prusse, qui veut absolument ressembler au roi de Suède, est comme les roix successeurs d’Alexandre dont parle Plutarque (Vie de Pyrrhus), qui cherchoient à l’imiter par ses habits, par ses gardes, par la façon de

23 pencher le col et sa manière de parler hautaine ;

1. Mis dans les Loi*. mais ne l’imitoient pas dans son impétuosité et son mouvement dans les combats.

1693*(15oô. II, f° 228). — J’aime bien que le nouveau roi de Prusse ait traité le sujet de l’antimachiavélisme, et il est beau que ces maximes, qui b ont fait, jusques ici, horreur aux sujets, fassent encore horreur aux princes. Un roi qui fait un pareil ouvrage fait une espèce de serment de bien régner. Il est bien plus fort que ceux que l’usage établit, puisque ce serment est fait à lui-même. 1o

1694(2024. III, f° 317). — Le roi de Prusse demandoit la raison pourquoi il n’aimoit pas les femmes. « Vous vous fâcherez si je vous la dis. — Non, dit-il. — Sire, c’est que vous n’aimez pas les hommes. > C’est une belle réponse, parce qu’elle est contradic- 15 toire à celle que l’on attend.

1695(21oo. III, f° 348 vo). —Le roi de Prusse écrivit à Gresset une lettre comme un poétereau l’écriroit. Les bonnes lettres des roix sont des lettres de change. 2o

1696(379.I, p. 36o). — Les guerres des Pays-Bas n’alloient pas bien vite, parce que c’étoit (sic) les guerres des nations du Monde les plus lentes : les Espagnols et les Hollandois.

1697 (340. I, p. 339). — Cause de la Puissance de i5 la Hollande. — C’est le pays le plus bas de tous ces côtés (?) ; de manière qu’un très grand nombre de fleuves s’y jettent : comme l’Escaut, qui reçoit la Lys et autres ; la Meuse, qui reçoit la Sambre et autres ; le Rhin, qui reçoit le Mein, la Moselle, la Lippe et s autres ; et enfin l’Ems s’y jette, dont elle est la maîtresse par Embden. De plus, elle est la maîtresse de toute la navigation de ces fleuves et rivières, par le moyen des places qu’elle a eues par les traités, et celles qu’elle a fait démolir : Dunkerque est dé

1o moli ; sur la mer, Nieuport ne vaut rien, et elle (sic) gêne le commerce d’Ostende. Elle a garnison dans Menin, sur la Lys. Elle a l’Escaut par le moyen de Tournay, place de la Barrière, et de Dendermonde, où elle a la moitié de la garnison par le

15 traité. Elle a ôté le port d’Anvers sur l’Escaut, et elle l’a gêné encore plus par les terres qu’elle s’est fait céder dans le Bas-Escaut, par le traité de la Barrière. Elle a garnison dans Namur, au confluent de la Sambre et la Meuse. Elle a fait raser sur la

2o Meuse les forteresses de Huy et Liège. Elle a Maestrich, Stevenvoort et Venlo. Le Rhin se partage chez elle, et elle a l’Ems par le moyen d’Embden.

1698* (2017. III, f° 314). — Su1sses. — La Suisse est indomptable, parce qu’il n’y a pas un homme en

15 Suisse qui ne soit armé et ne sache manier les armes ; et il n’y a guère d’État à qui la politique permette d’armer tous ses citoyens. Ils (sic) pourroient faire revenir leurs troupes de dehors. On trouveroit peu de vivres dans le pays ; le pays seroit difficile par

3o lui-même.

XIII. PEUPLES DU NORD.

1699* (2018. III, f° 314). — Danemark. — A la bataille que le général Stinbock gagna contre les troupes danoises, il n’y avoit presque [que] des paysans. Stinbock avoit quatre pièces de canon, si 5 bien servies qu’elles tiroient continuellement. On ne connoissoit pas encore cela dans ce temps-là, de manière que les Danois crurent que les Suédois avoient une terrible artillerie, les Suédois passèrent et attaquèrent les Danois là où ils ne les attendoient 1o pas.

1700(198.I, p. 194).—Dans mon extrait des Ouvrages des Sçavans, novembre 1690, page 114, vous verrez les horribles persécutions en Suède et découvrirez le génie de ces temps-là et du règne de Char- 15 lemagne.

1701* (140. I, p. 125). — Il seroit difficile1 de trouver dans l’Histoire deux princes qui se soyent si fort ressemblés que le roi de Suède Charles XII et le dernier duc de Bourgogne : même courage, même 2o suffisance, même ambition, même témérité, mêmes succès, mêmes malheurs, mêmes desseins exécutés dans la fleur de l’âge et dans le temps que les autres

1. J’ai mis cela dans le Journal. princes sont encore régentés par leur gouverneur. Charles XII a entrepris de détrôner le roi Auguste, comme le Charolois entreprit de détrôner Louis XIe ; et, lorsqu’il étoit couvert de gloire, il va perdre 5 toute son armée devant Pultovat (sic), comme l’autre perdit la sienne devant Morat.

1702 (734. I, p. 490). — Les princes changent les

significations des mots : le roi de Suède Charles XII,

dans l’acte le plus cruel de notre siècle, la condam

1o nation de Patkul, prit le titre de prince très clément.

1703(736. I, p. 490). — Le roi de Suède, battu, disoit toujours des Moscovites : « Mais des Moscovites pouvoient (sic) devenir des hommes ! »

1704 (744. I, p. 492). — On pourroit comparer

15 Charles XII, roi de Suède, à ce cyclope de la Fable,

qui avoit une force très grande, mais étoit aveugle.

Le même roi, après avoir longtemps abusé de ses

succès, fut moins qu’un homme dans les revers,

c’est-à-dire dans cet état de la vie où il faudroit être

2o plus qu’homme.

Le même, toujours dans le prodige, et jamais dans le vrai ; énorme, et non pas grand.

1705* (774.I, p. 504). — La Suède, depuis environ

un siècle, a fait de grandes choses1. Mais ses res.

25 sources s’épuisent aisément : la pauvreté l’empêche de réparer ses pertes. Ses voisins la craignent, et ses ennemis déclarés sont toujours encouragés par des ennemis secrets.

1. Mis dans le livre X» des Loix.

Elle n’est propre qu’à servir aux desseins de quelque grand État. Mais, si elle a des succès, elle est 5 bientôt arrêtée par la puissance même qui la fait agir.

Charles XII, qui n’employa que ses seules forces, détermina sa chute en formant des desseins qui ne pouvoient être exécutés que par une longue guerre, 1o chose dont son royaume n’étoit point capable.

Ce n’étoit pas un empire qui fût dans la décadence qu’il entreprit de renverser, mais un empire naissant. Les Moscovites se servirent de la guerre qu’il leur faisoit comme d’une école. A chaque défaite, ils 15 s’approchoient de la victoire, et, perdant au dehors, ils apprenoient à se défendre au dedans.

Charles se croyoit le maître du Monde dans les déserts de la Pologne, où il erroit, et, dans lesquels, la Suède étoit comme répandue, pendant que son 2o principal ennemi se fortifioit contre lui, serroit son royaume, s’établissoit sur la mer Baltique, détruisoit ou prenoit la Livonie.

La Suède ressembloit à un fleuve dont on coupoit les eaux dans sa source, et dont on les (sic) détour- 25 noit dans son cours.

Ce ne fut point Pultova (sic) qui perdit le roi de Suède : s’il n’avoit pas été détruit dans ce lieu, il l’auroit été dans un autre. Les accidents de la fortune se réparent aisément ; ceux de la nature des 3o choses ne se réparent point.

Mais la nature ni la fortune ne furent jamais si fort (sic) contre lui que lui-même.

Il ne se régloit point sur la disposition actuelle des choses, mais sur un certain modèle qu’il avoit 5 pris ; encore le suivoit-il très mal. Il n’étoit point Alexandre ; mais il auroit été le meilleur soldat d’Alexandre.

Le projet d’Alexandre ne réussit que parce qu’il étoit sensé. 1o Les mauvais succès des Perses dans les invasions qu’ils firent de la Grèce, les conquêtes d’Agésilas et la retraite des Dix Mille avoient fait connoître au juste la supériorité des Grecs dans leur manière de combattre et dans le genre de leurs armes, et l’on 15 savoit bien que les Perses étoient incorrigibles. Ils ne pouvoient plus troubler la Grèce par ses divisions. Elle étoit alors réunie sous un chef qui ne pouvoit avoir de meilleur moyen pour la contenir, que de l’éblouir par la destruction de ses ennemis 2o éternels et l’espérance de la conquête de l’Asie. Un empire cultivé par la nation du Monde la plus industrieuse, et qui travailloit les terres par principe de religion, fertiles et abondantes en toutes choses, donnoit à un ennemi toutes sortes de facilités pour "y subsister.

On pouvoit juger par l’orgueil de ces roix, toujours vainement mortifiés par leurs défaites, qu’ils précipiteroient leur chute en donnant toujours des batailles, et que la flatterie ne permettroit jamais 3o qu’ils pussent douter de leur grandeur.

Et non seulement le projet étoit sage ; mais il fut T. u. 37 sagement exécuté : Alexandre, dans la rapidité de ses actions, dans le feu de ses passions mêmes, avoit, si j’ose me servir de ce terme, une saillie de raison qui le conduisoit, et que ceux qui ont voulu faire un roman de son histoire, et qui avoient l’esprit plus 5 gâté que lui, n’ont pu nous dérober.

1706 (1636. III, f’ 1 V). — En 1748 et 4g. — C’est

un phénomène bien singulier que ce que nous voyons dans la nation suédoise ! Une nation qui a obtenu, par le bonheur le plus extraordinaire, un gouverne- 1o ment libre, et qui en jouit pendant deux règnes, qui a été accablé par le gouvernement arbitraire pendant un règne, où elle a vu périr presque tous les sujets par l’opiniâtreté et l’obstination d’un roi arbitraire, et chez laquelle s’élève un parti puissant, 15 pour priver cette nation de son gouvernement libre et rétablir le gouvernement arbitraire :

Ambitio tantum potuit suadere malorum.

1707* (2019. III, f° 314 v°). — Suède. — Ce sont

aujourd’hui les états qui gouvernent, et qui ont eux 2o seuls la puissance législative : car le Roi ni le Sénat n’ont pas plus de part à la législation qu’en Pologne. Le gouvernement incline vers la démocratie, et plus qu’autrefois, parce qu’il y avoit autrefois plusieurs chambres de noblesse. Je crois que c’étoit 25 trois chambres distinguées par la prééminence, et l’on donnoit sa voix par corps, et non par tête comme aujourd’hui : ce qui avoit du rapport à la division de Servius Tullius chez les Romains. La réunion des domaines sous Charles XI perdit la Noblesse. L’opération fut violente, en ce que, non seulement on reprit les domaines, mais on demanda compte des revenus ; ce qui causa des procès entre les familles. 5 La Noblesse sent sa décadence et ne paroît pas affectionnée à ce gouvernement. Dans la guerre où la Suède perdit la Finlande, les états n’osèrent confier le gouvernement au Roi, et on ne peut pas dire que cette constitution soit bien ferme. Les Moscovites

•° la demandent parce qu’ils craignent l’esprit de conquête. Ce que les Suédois ont perdu de la Finlande est considérable, parce qu’ils ont perdu leur défensive, c’est-à-dire les défilés par où on étoit obligé de passer pour aller jusqu’à eux, et cette paix, de la

15 part des Moscovites, a été faite avec intelligence. La Finlande fut conquise et convertie à la manière de Charlemagne, et l’on voit, dans une église de Finlande, le convertisseur ayant à la main un fouet de chaînes de fer ; c’est (je crois) Woldemar.

2o 1708* (777. I, p. 507). — Pufendorf, dans son Histoire, dit que, dans les États où les citoyens sont renfermés dans une ville, les peuples sont plus propres à l’aristocratie et à la démocratie’ : car, si quelqu’un gouverne tyranniquement une ville, les peuples

15 peuvent se réunir en un instant contre lui ; au lieu que, dans les pays dispersés, ils ne peuvent s’unir. — J’en donne une autre raison. Quand celui qui n’a qu’une ville est chassé par ses sujets, le procès est fini. Lorsqu’il a plusieurs villes et provinces, et qu’il est chassé d’une, le projet (sic) n’est que commencé. Et c’est une mauvaise disposition au royaume de Naples, où presque la moitié d’un royaume est dans la Ville. ([Page] 245.) 5

1. Mis dans les Loix.

En Suède, dit Pufendorf, il y a peu de villes. Les paysans assistent aux états : car ils font plutôt le corps de la nation, que la bourgeoisie. Us y assistent pour donner leur consentement aux impositions seulement. — J’ajoute que la Suède n’ayant pas été >° subjuguée comme la Moscovie, Hongrie, Pologne, Bohême, Silésie et autres pays d’Allemagne près la mer Baltique, les paysans n’en ont pas été faits esclaves. (Page 269.)

1709* (25o. I, p. 259). — Pologne. — Le Roi ne ô tire pas 600,000 écus de ses revenus en Pologne. Rien n’est si facile au Prince que d’acquérir un grand crédit en Pologne : il donne toutes sortes de grâces. Dans chaque village, il y a les mêmes officiers que dans le royaume. Le Roi donne tout cela. 2o Le royaume est partagé entre plusieurs grands seigneurs, qui viennent porter la feuille des charges à la nomination du Roi. Si le Roi laisse seulement quinze jours cette feuille sans y répondre, voilà l’homme qui a le plus de crédit qui tombera dans le 25 néant. Ainsi bassesse des Grands à l’égard de ceux qui ont quelque crédit à la Cour.

1710 (1373. II, f° 197). —Je disois : «Le Czar n’étoit pas grand ; il étoit énorme.>

XIV. AMÉRIQUE.

1711*(38.I, p. 43).— Les peuples de ce continent

de l’Amérique qui est entre le pays espagnol et

anglois nous donnent l’idée de ce qu’étoient les

5 premiers hommes, avant l’établissement des grandes

sociétés et la culture des terres.

Les peuples chasseurs sont ordinairement anthropophages. Ils sont souvent exposés à la faim. D’ailleurs, comme ils ne se nourrissent que de 1o viande, ils n’ont pas plus d’horreur pour un homme qu’ils ont pris, que pour une bête qu’ils ont tuée.

1712 (1159. II, f° 81). — Dans l’Amérique, les peuples soumis aux roix despotiques, comme ceux du Mexique et du Pérou, ont été trouvés vers le midi,

15 et les nations libres ont été trouvées vers le nord.

1713 (2068. III, f° 343). — On dit que les Iroquois ont mangé soixante nations, et qu’ils ont fait rôtir le dernier Huron. Je ne le crois pas. On dit qu’ils aiment mieux les François que les Espagnols.