Petites Misères de la vie conjugale/2/17

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ULTIMA RATIO.


Voici notre dernière observation. Aussi bien, cet ouvrage commence-t-il à vous paraître fatigant, autant que le sujet lui-même, si vous êtes marié.

Cette œuvre, qui, selon l’auteur, est à la Physiologie du Mariage ce que l’Histoire est à la Philosophie, ce qu’est le Fait à la Théorie, a eu sa logique, comme la vie prise en grand a la sienne.

Et voici quelle est cette logique fatale, terrible. Au moment où s’arrête la première partie de ce livre, plein de plaisanteries sérieuses, Adolphe est arrivé, vous avez dû vous en apercevoir, à une indifférence complète en matière matrimoniale.

Il a lu des romans dont les auteurs conseillent aux maris gênants tantôt de s’embarquer pour l’autre monde, tantôt de bien vivre avec les pères de leurs enfants, de les choyer, de les adorer ; car, si la littérature est l’image des mœurs, il faudrait admettre que les mœurs reconnaissent les défauts signalés par la Physiologie du Mariage dans cette institution fondamentale. Plus d’un grand talent a porté des coups terribles à cette base sociale sans l’ébranler.

Adolphe a surtout beaucoup trop lu sa femme, et il déguise son indifférence sous ce mot profond : l’indulgence. Il est indulgent pour Caroline, il ne voit plus en elle que la mère de ses enfants, un bon compagnon, un ami sûr, un frère.

Au moment où finissent ici les petites misères de la femme, Caroline, beaucoup plus habile, est arrivée à pratiquer cette profitable indulgence ; mais elle ne renonce pas à son cher Adolphe. Il est dans la nature de la femme de ne rien abandonner de ses droits. Dieu et mon droit… conjugal ! est, comme on sait, la devise de l’Angleterre, surtout aujourd’hui.

Les femmes ont un si grand amour de domination qu’à ce sujet nous raconterons une anecdote qui n’a pas dix ans. C’est une très-jeune anecdote.

Un des grands dignitaires de la chambre des pairs avait une Caroline, légère comme presque toutes les Carolines. Ce nom porte bonheur aux femmes. Ce dignitaire, alors très-vieillard, était d’un côté de la cheminée et Caroline de l’autre. Caroline atteignait à ce lustre pendant lequel les femmes ne disent plus leur âge. Un ami vint leur apprendre le mariage d’un général qui jadis avait été l’ami de leur maison.

Caroline entre dans un désespoir à larmes vraies ; elle jette les hauts cris, elle rompt si bien la tête au grand dignitaire, qu’il essaye de la consoler. Au milieu de ses phrases, le comte s’échappe jusqu’à dire à sa femme : ─ Enfin, que voulez-vous, ma chère, il ne pouvait cependant pas vous épouser !

Et c’était un des plus hauts fonctionnaires de l’État, mais un ami de Louis XVIII, et nécessairement un peu Pompadour.

Toute la différence de la situation d’Adolphe et de Caroline existe donc en ceci : que si monsieur ne se soucie plus de madame, elle conserve le droit de se soucier de monsieur.

Maintenant, écoutons ce qu’on nomme le qu’en dira-t-on ? objet de la conclusion de cet ouvrage.