Philosophie de la nature/Introduction du traducteur/6

La bibliothèque libre.
Traduction par Augusto Vera.
Ladrange (Tome 1p. 59-85).

CHAPITRE VI.

ON Y EXAMINE : LES IDÉES DE CENTRE, D’ATTRACTION, ETC., ET LA THÉORIE DE NEWTON.


Nous rappellerons d’abord que la logique hégélienne démontre comment ces notions sont des déterminations ou moments de l’idée logique, et comment, à ce titre, elles déterminent tous les centres, toutes les attractions, etc., et, par suite, comment, en dehors d’elles, il ne peut y avoir ni centre ni attraction[1]. C’est donc à la logique qu’il faut demander la démonstration et la déduction absolues et systématiques de ces notions, par la raison bien simple qu’une science, et surtout la logique, qui est la science de la démonstration absolue, ne peut se démontreren dehors d’elle-même, ou, ce qui revient au même, que les principes, ou parties constitutives d’une science ne peuvent se démontrer en dehors de la circonscription de cette science. C’est comme un édifice, dont on ne peut déterminer et ordonner les parties en dehors de sa conception générale et de son unité. Par conséquent, les catégories d’attraction et de répulsion, de force, de centre, etc., et leur déduction appartiennent à la logique, et c’est précisément parce que les physiciens ne déduisent pas ces catégories logiquement, qu’ils ne s’en forment que des notions fausses, ou incomplètes. Mais si c’est à la logique qu’il appartient de déduire ces catégories, nous ne pouvons les considérer ici que comme détachées du tout, et ne les examiner que d’une manière extérieure.

Et d’abord le centre[2] n’est tel que parce qu’il contient dans sa notion autre chose que lui-même, ou, pour nous servir de l’expression hégélienne, que parce qu’il se repousse lui-même. Car le centre n’est pas centre seulement parce qu’il attire, mais parce qu’il repousse et attire ; ce qui veut dire que le centre attire et repousse à la fois, et qu’il attire en repoussant, et repousse en attirant. Et ce qu’il attire et ce qu’il repousse, il ne l’attire ni ne le repousse comme quelque chose qui lui est étranger, mais, au contraire, comme quelque chose qui lui est intimement uni, et qui fait partie intégrante de lui-même ; ce qui veut dire que ce qu’il attire et ce qu’il repousse, ce sont d’autres centres comme lui. Et c’est ce qu’on peut déjà voir, bien qu’imparfaitement, dans la chute[3]. Car le corps, qui tombe, ne tombe que parce qu’il est à la fois uni à son centre, et séparé de lui ; de telle sorte qu’en tant que séparé, il est repoussé, et en tant qu’uni, il est attiré[4]. Et comme c’est son centre qui l’attire et le repousse, c’est par la ligne des centres, ou mieux encore, en tant qu’il est lui-même un centre, qu’il est attiré et repoussé. Car ici le rapport ne peut être que de centre à centre.

Et ce doit être le même centre qui attire et repousse. S’il y avait, en effet, deux centres différents, un centre d’attraction et un centre de répulsion, il y aurait non-seulement deux centres, mais trois, puisqu’il faudrait supposer un troisième centre qui unît les deux premiers. Car les deux centres sont en rapport, et dans un rapport tel que l’un ne saurait se concevoir sans l’autre, de telle sorte que si l’un d’eux venait à disparaître, l’autre disparaîtrait avec lui. Et c’est ce que n’aperçoivent pas ceux qui, ne saisissant pas la vraie unité du centre (qui, comme toute unité, est l’unité qui pose et renferme la différence), après avoir admis un centre et une force pour l’attraction, admettent un autre centre et une autre force pour la répulsion. Il est vrai que pour la répulsion ils n’admettent pas explicitement un centre. Car, dans l’explication du mouvement des planètes, ils disent que la force centrifuge est le résultat d’une impulsion primitive imprimée au mobile suivant la tangente, et à l’aide de lignes, de triangles, de carrés, etc., ils montrent comment ces deux forces, en se combinant, engendrent le mouvement curviligne. Mais d’abord qu’est-ce que cette impulsion primitive, et d’où vient-elle ? Car il faut bien qu’elle vienne d’un principe. Et puis, comment cette impulsion qu’on représente comme initiale se perpétue-t-elle ? Car un effet ne peut se perpétuer que par la permanence de la cause qui le produit. Or, si cette impulsion est le produit d’un principe, on ne voit pas comment ce principe, quel qu’il soit d’ailleurs, peut être essentiellement distinct de celui qui produit le mouvement selon la verticale, et comment et pourquoi, s’il est essentiellement différent de ce dernier, il peut se mettre en rapport avec lui, et persister dans ce rapport. Et c’est ce qui deviendra plus évident encore si l’on conçoit ce rapport tel qu’il est en réalité, c’est-à-dire non comme une résultante, ainsi qu’on se le représente ordinairement, non comme deux lignes, deux forces, ou deux centres réunis, on ne sait comment, pour former une troisième ligne, une troisième force, ou un troisième centre, mais comme leur unité, laquelle, par cela même qu’elle est leur unité, les présuppose, les contient et les dépasse. Et que la courbe ne soit pas une résultante est démontré par cette simple considération, ou, pour mieux dire, par le fait même qu’elle est la courbe, et qu’étant la courbe, elle n’est ni la verticale ni la tangente, mais toutes les deux prises conjointement, ce qui veut dire qu’elle est leur unité, et, par suite, que son centre est leur centre, ce centre qui est à la fois le principe de la direction centripète et de la direction centrifuge de la force et du mouvement.

Si l’on comprend ce point, on comprendra aussi comment le mouvement des corps célestes doit se faire suivant une courbe[5], comment, voulons-nous dire, ce mouvement n’est pas le résultat d’un accident, ou d’une force contingente et extérieure au mobile, mais la forme même suivant laquelle le mobile existe, et hors de laquelle il ne saurait exister. Et, en effet, par cela même que c’est le même centre qui attire et repousse, et qui attire en repoussant et repousse en attirant, il faut, pour que ce double élément, ou cette unité concrète du centre soit représentée et réalisée, que le mobile s’écarte à chaque instant de sa verticale, et qu’à chaque instant il y retourne ; ce qui constitue précisément la courbe, courbe engendrée par cette même unité centrale, qui n’est pas une simple quantité, un simple rapport de nombres et de lignes, mais le centre, centre d’attraction et centre de répulsion, qui, comme tel, contient et domine la quantité elle-même[6].

Si l’on nous demande maintenant comment le centre logique se retrouve dans la nature, ou dans le centre physique, nous répondrons qu’il s’y retrouve comme la logique en général, ou, si l’on veut, comme l’être et le non-être, le même et l’autre, la quantité, la causalité, la substance, etc., se retrouvent dans les phénomènes correspondants ; il s’y retrouve, en un mot, comme dans un système une des parties de ce système se retrouve, et se reproduit dans une autre de ses parties[7].

Si l’on demande ensuite quelle est la différence du centre logique et des centres physiques, nous répondrons qu’en tant que centres, ces deux centres appartiennent à une seule et même notion, et que, dans ce sens, il n’y a pas entre eux de différence. Leur différence vient donc de ce que, dans la nature, le centre logique se trouve, comme la quantité mathématique, à l’état d’application, c’est-à-dire il se trouve combiné avec d’autres déterminations de l’idée, telles que l’espace, le mouvement, la matière, la pesanteur, etc. Ainsi, en prenant un point, ou une molécule, ou une unité de masse, on a un point, ou une molécule, etc., mais on n’a pas le centre. Pour qu’on ait le centre, il faut y ajouter précisément la notion de centre, et tout ce qui constitue cette notion.

Si l’on nous demande enfin de définir exactement le centre, nous répéterons ce que nous avons fait observer plus haut, c’est-à-dire nous renverrons à la logique hégélienne, et, pour éclaircir la question autant qu’on peut le faire ici, nous ajouterons que le centre est un rapport, et ce rapport qui constitue l’unité mécanique des objets, en tant que simples objets, ou de l’objectivité, en tant que simple objectivité.

Ainsi donc, la notion logique et absolue de centralité détermine les centres et les mouvements dans la nature, et elle entre dans ces mouvements comme élément (forme et contenu) constitutif et essentiel. Et l’attraction universelle n’est que l’expression et la représentation de cette notion, dans son unité concrète et réalisée[8]. Car elle est fondée sur ce principe que chaque partie, ou molécule de la matière, non-seulement attire, mais attire et repousse tout ensemble, deux molécules ne pouvant s’attirer qu’autant qu’elles se repoussent, ni se repousser qu’autant qu’elles s’attirent, et cela indépendamment du plus et du moins, c’est-à-dire de tout rapport quantitatif ; car, nous le répétons, quelle que soit son importance, la quantité suppose dans les êtres, soit la qualité, soit d’autres déterminations de l’idée, de telle sorte que, lorsqu’on veut tout ramener à des rapports de quantité, et chercher dans ces rapports la raison dernière des choses, on fausse et on mutile la réalité, et par là, la quantité elle-même[9] (1).

C’est ici le lieu d’examiner la théorie newtonienne des forces centrales et de la gravitation universelle. On verra plus bas et à sa place la critique qu’en fait Hegel. Ici nous l’examinerons en nous appuyant, soit sur les données principales de cette critique, soit sur nos propres recherches, de telle façon que celles-ci puissent servir de complément et de commentaire à la critique hégélienne.

Et premièrement, Newton pose en principe qu’on peut très bien connaître les effets et le modus operandi d’une force, sans connaître la nature de cette force, car il ne veut pas, dit-il, faire des hypothèses. Par conséquent, il laisse à d’autres le soin de trouver la cause, on la raison intime de la gravité. Il ignore même comment cette force agit, si elle agit par impulsion, ou d’une autre façon quelconque. Ce qu’il sait et ce qu’il affirme, malgré cette ignorance, c’est que cette force existe, et qu’en vertu de cette force les corps s’attirent les uns les autres, suivant la loi qu’il a formulée[10]. Voilà ce que dit d’abord Newton, et ce que la physique moderne a adopté comme un credo auquel il serait téméraire et sacrilège de toucher[11]. Je dis d’abord, car, bien qu’il ne veuille pas faire des hypothèses, et qu’il condamne l’ancienne physique, qui croyait expliquer les êtres par leurs propriétés spécifiques[12], il fait cependant des hypothèses, et il a, lui aussi, recours aux propriétés spécifiques. Il nous dit, en effet, que la gravité est une force, laquelle force est un souffle, ou éther très subtil, qui, caché dans les corps, fait que les molécules s’attirent à une distance infiniment petite[13] et qui pénètre jusqu’au centre du soleil et des planètes. Et, bien que cet éther soit caché dans les corps, et dans les parties constitutives de ces corps, ou dans les molécules, et qu’il pénètre partout, Newton déclare qu’il n’est pas une propriété essentielle de la matière[14], et, de plus, il le suppose plus rare à l’intérieur, et plus dense à l’extérieur des corps[15].

Or, tout cela n’est qu’une série d’hypothèses, de qualités spécifiques occultes et d’affirmations purement gratuites. C’est encore un exemple de ce procédé qui prend les notions au hasard, les unit, ou les sépare également au hasard, et qui conduit à admettre exactement la même doctrine qu’on veut combattre, ou à dire ce qu’on ne veut, ou ce qu’on ne croit pas dire. Et, en effet, laissant de côté ici la notion de force, sur laquelle nous reviendrons plus loin, lorsqu’on nous dit que la gravité est un éther subtil, pour que cet éther subtil ne soit pas une hypothèse, il faut qu’on nous démontre qu’il est, et ce qu’il est. Car cet éther nous ne le voyons ni ne le sentons, pas plus que nous ne voyons ni ne sentons un autre principe, ou une autre qualité occulte quelconque ; de sorte qu’il faut montrer que c’est un être, ou principe réel, et tant qu’on n’aura pas établi ce point, cet éther subtil ne sera qu’un être arbitraire qu’on pourrait appeler tout aussi bien âme, ou esprit planétaire, ou d’un tout autre nom[16] (1). Et il ne faut pas oublier que Newton présente le principe de la gravité comme un éther, après avoir dit qu’il ignore la nature intrinsèque de la gravité. Mais, s’il ignore la nature de la gravité, comment peut-il dire que la gravité est un éther, ou un autre principe quelconque ? El ces considérations s’appliquent également à l’autre opinion que la gravité n’est pas une propriété essentielle de la matière. Car, pour affirmer ce qui est essentiel et ce n’est pas essentiel à un être, il faut connaître et la nature de cet être, et la nature de la propriété qu’on dit lui être, ou ne lui être pas essentielle. Ainsi, lorsque je dis que le bien, le vrai, l’ubiquité, la providence sont ou ne sont pas essentiels à la divinité, ou que la volonté, la sensibilité, la personnalité, etc., sont ou ne sont pas essentielles à l’âme, il faut que je connaisse et la nature de ces choses, et la nature de la divinité, et celle de l’âme. Or, Newton ne connaît pas, de son propre aveu, la nature de la gravité, et l’on doit supposer à fortiori qu’il ne connaissait pas la nature de la matière. Comment peut-il donc affirmer que la gravité n’est pas essentielle aux corps ? Et puis, qu’est-il en ce cas, ce même éther qui pénètre partout, et qui, notez-le bien, est le principe qui fait que non-seulement le soleil et les planètes attirent, mais que chaque molécule attire, et qui est comme le centre du soleil et des planètes et de chaque molécule ? Qu’est-il, et d’où vient-il, s’il n’est pas essentiel aux corps ? Et comment se fait-il que, n’étant pas essentiel à la matière, il est cependant le centre et le moteur de la matière et de chaque partie de la matière ? Mais, ce qu’il y a de plus singulier peut-être dans cette conception newtonienne, c’est que Newton se soit représenté cet éther comme plus subtil à l’intérieur, et plus dense à l’extérieur des corps. Car, d’abord, on ne voit pas pourquoi cet éther, en tant qu’éther qui pénètre partout, serait marqué de cette différence. En tout cas, cette condensation et cette raréfaction il faudrait les expliquer et en donner la raison. Il y a plus, c’est que, s’il y a condensation, suivant la loi de Newton lui-même, ce serait plutôt dans l’intérieur, et en allant de la surface au centre, qu’à l’extérieur, et en allant du centre à la surface que cette condensation devrait avoir lieu. Car, si un corps central n’est tel que parce qu’il l’emporte par sa masse sur les corps dont il est le centre, on devrait, en suivant ce raisonnement, considérer dans le corps central lui-même, son centre et les parties les plus proches de son centre comme les plus denses. Ce qui serait confirmé aussi par la considération de la pression des couches extérieures sur les couches intérieures. On dira probablement qu’aux yeux de Newton ces pensées n’étaient que des conjectures auxquelles il n’attachait pas une valeur strictement scientifique, et que, pour lui, sa véritable doctrine se trouve, non dans ce que peut être la nature de la gravité, mais dans la loi suivant laquelle la gravité agit et produit ses effets. À cela nous répondrons d’abord, que ces conjectures montrent que Newton sentait lui-même l’insuffisance et les lacunes de sa théorie, et qu’il s’efforçait de les faire disparaître ; et ensuite, qu’il ne s’agit pas ici de savoir ce que pensait réellement Newton, mais ce qu’on doit penser de sa théorie ; et les considérations qui précèdent montrent déjà que non-seulement dans ses conjectures, mais dans sa théorie elle-même, il y a plusieurs côtés vulnérables ; et cela surtout par la raison que nous avons signalée plus haut, savoir, que Newton ne procède pas systématiquement dans ses recherches. Et, en effet, le procédé de Newton n’est, au fond, que ce procédé arbitraire et irrationnel qui consiste à prendre un être, tel que le donne l’expérience, ou une vue confuse et indéfinie, et puis à le partager en deux, et dire : telle partie peut être connue, et telle autre ne peut point l’être, mais la connaissance de la première peut parfaitement s’obtenir sans celle de la seconde. C’est ainsi qu’on partage et qu’on morcelle Dieu, l’homme, la raison, et qu’on dit, par exemple, que de Dieu on peut connaître ses attributs, mais que son essence dépasse la mesure de notre intelligence ; ou bien, que de l’âme on peut connaître ses facultés et le mode de leur opération, mais qu’ici aussi l’essence nous échappe ; ou bien encore, qu’il y a deux raisons essentiellement distinctes, une raison divine et une raison humaine, d’où découlent aussi deux vérités, une vérité surnaturelle et une vérité naturelle, et d’autres choses semblables ; et cela sans rechercher ni définir ce qu’on doit entendre par essence et par nature des choses, ni si ces attributs, ces modes et ces facultés ne constituent pas cette nature intrinsèque, dont on dit qu’on ne sait rien, et dont on parle cependant, comme on parle de deux rai sons, et de deux intelligences, avec une seule et même raison, et une seule et même intelligence[17]. C’est ce même procédé que suit Newton, car il nous enseigne qu’on peut très bien déduire des phénomènes deux ou trois principes louchant la gravité, bien qu’on ignore ce qu’il appelle raison, ou cause de la gravité. Et il nous enseigne cette doctrine, sans nous dire en même temps ce qu’il faut entendre par principe, par raison et par cause, comme si ces choses étaient évidentes d’elles mêmes, ou parfaitement connues.

Et ainsi nous connaîtrons le principe, ou, comme les physiciens l’appellent ordinairement, la loi de la gravité, mais nous n’en connaîtrons pas la cause. Or, pour dire qu’on peut connaître la loi de la gravité, mais qu’on ne peut pas en connaître la cause, il faut, ce nous semble, pouvoir dire aussi en quoi la cause et la loi diffèrent, et non-seulement en quoi elles diffèrent, mais en quoi elles sont en rapport. Car il serait fort étrange que la loi de la gravité et la cause de la gravité ne fussent pas en rapport[18]. Si l’on sait donc nous dire en quoi la cause diffère de la loi, et en quoi elle est en rapport avec elle, et si l’on ne parle pas uniquement pour parler, on saura nous montrer aussi que la cause de la gravité est, et non-seulement qu’elle est, mais ce qu’elle est. Car c’est une erreur de croire, surtout lorsqu’il s’agit des principes, qu’on puisse affirmer l’existence d’un être, sans connaître, ne fût-ce que partiellement, la nature de cet être. Et ainsi, ou l’on sait ce qu’est la cause de la gravité, ou on ne le sait point. Dans les deux cas, cette distinction entre la cause et le principe de la gravité, dans le sens où elle est faite par Newton, n’a pas de fondement.

Mais, nous dira-t-on, la loi de la gravité est cette forme suivant laquelle les corps s’attirent et se meuvent dans l’espace, tandis que la cause serait comme la raison intime, ou l’essence de la force qui agit suivant cette forme. C’est ainsi, en effet, que les physiciens se représentent la nature. La nature, suivant eux, est un ensemble de forces, et de formes de ces forces, ou de lois. La forme est accessible à l’intelligence ; la force, au contraire, ou pour mieux dire, l’essence de la force se dérobe à notre connaissance.

Mais d’abord, si la loi de la gravité est une forme, et une forme essentielle de la gravité, c’est-à-dire cette forme qui fait que la matière est ce qu’elle est, qu’elle se meut comme elle se meut, et qu’elle ne peut ni être, ni se mouvoir d’une nuire façon, cette forme est elle-même une force, et une force plus essentielle que cette autre force qui, à ce qu’on prétend, échappe à la connaissance. Et, en effet, la forme d’un être est cette force qui fait qu’un être est, et qu’il est ce qu’il est. Ôtez la forme à l’organisme, c’est-à-dire cette force qui ordonne, enchaîne et unifie toutes ses parties, et l’organisme se dissoudra, et il ne sera plus l’organisme. Enlevez à la plante, au système solaire, comme à l’existence la plus rudimentaire, leur forme essentielle, et il ne vous restera que des êtres sans nom, des êtres qu’on ne pourrait pas même nommer des êtres, s’ils n’étaient pas marqués de la forme abstraite et universelle de l’être. La forme est donc une force ; et, en entrant plus avant dans la nature de la forme, on verrait qu’elle est la force par excellence, à laquelle cette prétendue cause elle-même de la gravité est soumise, puisqu’elle ne peut ni être, ni agir que suivant cette forme. Et ainsi la cause de la gravité et sa forme ne diffèrent pas en tant que force, et, par conséquent, si l’une nous est connue, on ne voit pas pourquoi la connaissance de l’autre nous serait interdite. Et s’il est vrai que la forme de la cause soit ou égale, ou supérieure à la cause elle-même, ou, comme on dit à sa matière, la connaissance de la cause devrait, au contraire, nous être tout aussi accessible, ou plus accessible que celle de la forme. En outre, nous pensons la cause et sa forme de la même manière, en vertu et à l’aide des mêmes principes, c’est-à-dire des idées. Et tant vaut l’une de ces idées, tant vaut l’autre, de sorte que, si nous pouvons connaître la forme de la gravité, nous pourrons, par la même raison, connaître ce qu’on appelle sa cause. Et, si nous disons que nous pouvons connaître l’une, mais que nous ne pouvons pas connaître l’autre, ce n’est pas que nous ne puissions réellement la connaître, mais c’est que, ignorant les idées, leur nature et leur rapport, et employant l’aventure les idées de cause, de forme, de force, de matière, de raison, de loi, etc., nous disons aussi à l’aventure que tels principes peuvent être connus, et que tels autres ne peuvent point l’être[19].

Examinons maintenant de plus près la théorie newtonienne, en y démêlant les traits les plus essentiels, et dans les limites où elle est passée dans la science. Cette théorie se présente d’abord comme un renouvellement de l’ancien atomisme, combiné avec les nouvelles découvertes mathématiques, avec les lois de Galilée et de Kepler, et avec la force centrifuge.

Suivant l’ancien atomisme, les éléments constitutifs de la matière sont les atomes, dont la propriété (la forme) essentielle c’est d’être pesants, et, par conséquent, de tomber suivant la verticale. Dans Newton, les atomes de viennent des molécules, et la pesanteur est une propriété qui vient s’ajouter aux molécules[20]. En tant que principes élémentaires de la matière, les molécules sont complètes. Seulement, elles demeureraient immobiles, et de plus, par la raison que ce sont des éléments complets, et comme des unités distinctes, il n’y aurait pas de rapprochement ou de cohésion entre elles, s’il ne venait s’y ajouter une force centrale qui les meut, en les attirant suivant la même direction, et qui, par là, les unit et les agrège. C’est là ce qui fait que la gravité n’apparaît à Newton que comme une force extérieure et accidentelle de la matière. Car, lorsqu’on conçoit les principes de la matière comme des atomes, et des atomes essentiellement inertes, le mouvement, et le principe du mouvement deviennent des éléments, ou des propriétés surajoutées à la matière, on ne sait par qui ni comment. Maintenant ces atomes rapprochés et agglomérés par l’attraction, forment des masses. Par conséquent, la masse est un composé d’atomes unis par l’attraction. Comme ces atomes sont des unités, plus il y aura de ces unités dans un corps, et plus sa masse sera grande ; et comme chacune de ces unités représente une unité de force, et, pour ainsi dire, une parcelle infiniment petite de cet éther qui pénètre tous les corps, la force attractive de chaque corps sera proportionnelle à sa masse, c’est-à-dire que les corps qui ont plus de masse attireront ceux qui ont une masse moindre. C’est là ce qui fait que la terre attire les corps placés à sa surface, comme c’est là ce qui fait qu’elle attire la lune, et qu’à son tour elle, ainsi que les planètes, sont attirées par le soleil. Mais l’attraction suppose un centre d’où part la force attractive, et vers lequel se dirige le corps soumis à son action. Or, si chaque molécule, ou chaque masse, par cela même qu’elle attire, a un centre, ce centre doit, d’un autre côté, être soumis à celui de la plus grande masse, laquelle formera comme l’unité des centres partiels. D’où il suit que le soleil est le centre du système planétaire[21]. Si maintenant nous considérons cette force à partir de ce centre, ou d’un centre quelconque, nous verrons qu’en s’éloignant de son centre, et par cela même qu’elle s’éloigne de son centre, elle doit aller en s’affaiblissant en raison de la distance, c’est-à-dire que l’action qu’elle exercera sur un corps sera en raison inverse de la distance. Toutefois ces principes, l’attraction et sa direction centrale, pourront bien expliquer le mouvement à la surface de la terre, mais ils ne pourront pas expliquer les mouvements des corps célestes. Car ces mouvements ne se font pas suivant la verticale, mais suivant une courbe. C’est là ce qui amène l’addition d’une autre force, opposée à la force attractive, et qu’on fait agir suivant la tangente. La force attractive se transforme ainsi en force centripète, et la force tangentielle en force centrifuge. La force centrifuge est l’effet d’une impulsion initiale imprimée ou mobile, impulsion qui, en se combinant avec la force centripète, a composé le mouvement dont les corps célestes sont animés. Et ce mouvement qui ne se fait ni suivant l’une ni suivant l’autre de ces deux forces est, comme on l’appelle, une résultante. Enfin, ce mouvement est uni formé ment accéléré et uniformément retardé. On explique ce fait, soit par la vitesse acquise, soit par la prépondérance alternée de la force centripète et de la force centrifuge.

Suivant la première explication, les corps célestes oscilleraient autour de leur centre, comme le pendule au tour de sa verticale ; et le centre, se combinant avec la vitesse acquise et la force d’inertie, ferait la fonction d’accélérer et de retarder le mouvement. Suivant la seconde explication, la force centripète l’emporterait sur le centrifuge, en allant de l’aphélie au périhélie, et, par contre, la force centrifuge l’emporterait sur la centripète, en allant du périhélie à l’aphélie[22].

Ce sont là les traits les plus essentiels de la théorie newtonienne, telle qu’elle a été conçue par Newton, et telle qu’elle a été adoptée, ou développée par la physique moderne.

Mais d’abord, cette théorie, suivant laquelle la matière serait un composé d’atomes, ou de molécules, soulève les objections que soulève toute théorie atomistique[23]. Et le premier défaut des théories atomistiques, c’est de ne pas définir l’atome. L’atome, dit-on, est un élément indivisible. Mais qu’est-ce que cet élément ? Serait-ce un point ? En ce cas, il faudra composer les corps avec des points géométriques. Et puis, le point n’est qu’une abstraction, en ce sens qu’il n’est qu’un élément de la ligne, comme la ligne est un élément du plan, etc. Ou bien serait-ce, comme on dit, une unité de force ? En ce cas, il faudra dire de quelle force on entend parler ; car l’âme aussi est une force, et elle peut être conçue comme constituant une unité de force. Et, d’ailleurs, ce ne peut pas être ici une unité de force ; car la force, la pesanteur, est un élément qui, dans cette théorie, vient s’ajouter à l’atome ou à la molécule.

Un autre reproche qu’on peut adresser à cette théorie, c’est qu’elle supprime l’unité de la matière, cette unité concrète qui contient la divisibilité et l’indivisibilité, la continuité et la discrétion ; et cela, en ne s’apercevant pas que, pendant qu’elle pose l’atome, elle le nie, et que, pendant qu’elle pose l’indivisibilité, elle pose, en même temps, la divisibilité. De fait, les atomes, atome A, atome B, atome C, etc., par cela même qu’ils sont tous des atomes, ont une nature commune, qu’on considère leur substance ou leur forme. Car, si l’on considère leur substance (quelle que soit d’ailleurs cette substance, que ce soit la quantité com binée avec l’espace, ou autre chose), ils sont tous des atomes, et l’unité du type, ou de leur idée fait leur rapport et l’unité de leur nature. Et si l’on considère leur forme, ne fût-ce que l’indivisibilité, l’on verra que, étant tous indivisibles, ils participent tous à cette forme générale et commune. Et, lorsque de l’invariabilité des relations qui existent entre le poids des éléments combinés, le physicien infère que les éléments qui entrent dans ces combinaisons, doivent être indivisibles, il ne voit pas que ce qu’il appelle combinaison constitue une nature commune, cette nature à la quelle ils participent tous, ou, pour mieux dire, dont ils ne sont que des divisions et des parties ; de même qu’ils participent tous à la pesanteur et à leur essence atomistique. Il en est de même de l’autre argument fondé sur la stabilité des propriétés chimiques. Car la permanence des propriétés ne prouve pas l’indivisibilité des éléments qui les composent, mais seulement l’invariabilité de la forme dans laquelle ces éléments se trouvent enveloppés et unifiés, ou mieux encore, l’invariabilité du rapport de la forme et du contenu. La forme et le contenu de l’organisme, par exemple, sont aussi invariables que les propriétés chimiques, ou autres de l’acide, de l’alcali, du feu, etc., et cette invariabilité consiste dans cette unité de la forme et du contenu qui constitue l’organisme, unité qui fait que la forme et le contenu s’y pénètrent si intimement l’un l’autre, qu’en dehors de ce rapport ni la forme, ni le contenu, et, par suite, l’organisme lui-même ne sauraient exister[24].

Ainsi la matière n’est ni divisible ni indivisible, mais comme l’espace, la quantité, le mouvement, elle est divisible et indivisible à la fois. De fait, un être n’est divisible qu’autant qu’il y a en lui non-seulement l’élément qu’on divise, mais un élément qu’on ne peut pas diviser. S’il n’y avait pas cet élément, sa divisibilité ne pourrait exister, car ce qu’on divise est l’indivisible. Et, par contre, il n’est indivisible qu’autant qu’il y a en lui un élément divisible. Car, s’il n’y avait pas cet élément, son indivisibilité serait l’indivisibilité de rien, ou, ce qui revient ici au même, d’un être qui lui serait absolument étranger ; ce qui veut dire que son indivisibilité est l’indivisibilité de sa divisibilité. En d’autres termes, la divisibilité implique l’indivisibilité, et celle-ci la divisibilité. Car l’indivisibilité est l’indivisibilité de l’être même qu’on divise. Ainsi, quand on dit que l’âme est simple, et qu’on la divise en suite en ses différentes facultés, on veut dire, si l’on veut dire quelque chose, que l’âme est simple et composée, divisible et indivisible. Et quand on se représente la matière comme un agrégat d’atomes, et qu’en séparant les atomes, on dit ensuite que la matière est indivisible, c’est qu’on y supprime l’autre moment essentiel, la divisibilité, et qu’on considère l’agrégation, la continuité, la pesanteur, etc., comme des éléments, des propriétés, des formes qui viennent s’ajouter extérieurement et accidentellement à elle[25].

Or, c’est là le premier défaut de la conception newtonienne de la matière, et de cette conception devait nécessairement découler la manière inexacte dont Newton se représente la pesanteur. En effet, l’élément constitutif et essentiel de la matière étant l’atome, et l’atome inerte, la force, qui le meut, lui est extérieure, et elle n’a avec lui qu’un rapport accidentel ; de telle sorte que la pesanteur apparaît dans la matière comme un étranger qui y arrive on ne sait d’où, ni comment[26]. De plus, par la raison que, d’une part, l’atome est un élément indivisible, qui n’a pas de rapport consubstantiel avec un autre atome (ce rapport constitue le moment de la continuité et de la divisibilité), et que, d’autre part, la pesanteur est une force essentiellement centrale, l’atome n’a qu’à tomber suivant la verticale. Et ainsi, la pesanteur ne sera que la force attractive, et l’autre moment de la force et de la matière, la répulsion, demeurera inexpliquée et inexplicable, ou, si on l’explique, ce sera par l’addition d’une force qui, comme nous l’avons fait remarquer, viendra s’ajouter accidentellement à la force attractive, comme la pesanteur s’est ajoutée accidentellement à la matière[27]. Or, l’attraction et la répulsion sont deux moments inséparables, et elles sont toutes deux données dans la matière, de quelque façon d’ailleurs qu’on conçoive cette dernière. Ainsi, représentons-nous la matière comme composée d’atomes. Premièrement, l’atome, par là même qu’il est l’atome, repousse tout autre atome, ce qui veut dire que les atomes se repoussent réciproquement. C’est le moment de la discrétion et de l’indivisibilité. Mais, d’un autre côté, par là même qu’ils sont tous des atomes, et des atomes qui se repoussent, les atomes doivent tous s’attirer. C’est là le moment de la continuité et de la divisibilité. Et ainsi tous les atomes se repoussent et s’attirent. Et ils ne se repoussent pas sans s’attirer, comme ils ne s’attirent pas sans se repousser, mais ils se repoussent en s’attirant, et ils s’attirent en se repoussant. Car l’atome A ne repousse l’atome B qu’autant que celui-ci tend vers A, ou qu’il se met en contact, ou dans un rapport quelconque avec lui, c’est-à-dire qu’autant que À l’attire, et, réciproquement, A n’attire B qu’autant qu’il le repousse. Car, s’il ne le repoussait pas, et au moment même où il cesserait de le repousser, son attraction cesserait par cela même. Ou bien encore, représentons-nous la matière comme composée de molécules étendues, et indéfiniment divisibles ; nous arriverons au même résultat. Car, dans cette supposition, chaque molécule sera l’unité et le centre d’un nombre indéfini de forces polaires, ou de molécules qui se repoussent et s’attirent, ou, ce qui revient au même, elle sera la molécule qui attire et qui repousse à la fois. Par conséquent, de quelque façon qu’on conçoive la matière, la pesanteur lui est essentielle, et elle lui est essentielle et comme centre d’attraction et comme centre de répulsion. Par conséquent encore, un corps n’est pas pesant, parce qu’il est simplement attiré, mais, d’une part, parce qu’il est attiré et repoussé, et, de l’autre, parce qu’il attire et repousse à son tour.

Suivons maintenant la pesanteur dans ses développements et dans son application.


  1. Voy. Logique, § 193 et suiv. ; et Introduction à la Logique, chap. XII, où nous avons discuté et éclairci ces notions
  2. Il ne faut pas confondre le centre ni avec l’un, ni avec la force, ni avec le point. Car le centre est l'unité de l'objet, et comme tel il présuppose l'un, ainsi que la force, et en les présupposant il les contient, comme des moments que l'idée a déjà franchis. Quant au point, il suffit de remarquer qu'il est le point, et qu'il n'est pas le centre, ce qui veut dire que, pour que le point devienne centre, il faut y ajouter une autre détermination qui est précisément celle de centre. Et d'ailleurs le point ne saurait être, tout au plus, que le centre géométrique.
  3. Car ce n'est que dans le mouvement absolument libre, ou des corps célestes que se trouve réalisée l'unité des centres. Voy. § 269 et suivants, et plus bas, chap. VII.
  4. Ici nous distinguons ces deux moments pour rendre plus intelligible notre pensée. Mais, suivant la dialectique absolue, il faudrait dire qu'il est attiré et repoussé, en tant que séparé, et en tant qu'uni. Car, en tant que séparé, il n'est pas seulement repoussé, mais il est aussi attiré, puisque l'attraction suppose la séparation ; et, en tant qu'uni, il n'est pas seulement attiré, mais il est aussi repoussé, car deux objets ne s'unissent qu'autant qu'ils se repoussent
  5. J'emploie l'expression la plus générale et la plus indéterminée, parce que le centre logique, en tant que notion absolue et universelle, doit embrasser tous les mouvements curvilignes possibles.
  6. La démonstration que Hégel donne (§ 270) de la forme elliptique du mouvement des planètes diffère de celle-ci. Mais il faut remarquer que la démonstration hégélienne est une démonstration partielle, c’est-à-dire applicable à un moment déterminé de la nature, et qu’elle présuppose la démonstration logique, laquelle se trouve dans sa Logique, comme nous venons de le faire remarquer. Les considérations sur lesquelles nous nous étendons ici, il ne faut point l’oublier, ont surtout pour objet de mettre en lumière tout ce qu’il y a de défectueux et d’artificiel dans la manière dont on conçoit les notions de centre, d’attraction, etc.
  7. Voy. plus haut chap. IV, et plus loin chap. IX, p. 134 et suiv., et Introduction à la Logique, chap. XI et XII.
  8. La centralité se rencontre, combinée avec d’autres déterminations, dans d’autres sphères, soit de la nature, soit de l’esprit ; mais c’est dans la sphère mécanique de la nature qu’elle trouve son application la plus simple et la plus immédiate. Il y en a qui, ne pouvant pas expliquer la répulsion mécanique de la matière, ont identifié la chaleur avec la répulsion, en la considérant comme le contraire de l’attraction. C’est là aussi un exemple de l’absence de systématisation dans l’étude de la nature, absence qui fait qu’on confond ici un degré de la nature, la chaleur, avec un autre degré, — avec son état mécanique, — et qu’on oublie, en même temps, le contraire de la chaleur, le froid. — Nous disons que l’attraction universelle exprime la notion de centralité dans son unité concrète, parce qu’elle est l’unité de tous les moments précédents, tels que le choc, la chute, etc., ou, si l’un veut, parce que la matière s’y élève de ses rapports mécaniques finis à sa forme (mécanique) absolue et infinie. (Voy. § 269 et suivants.)
  9. Voy. plus bas, chap. suiv., et chap. IX et X.
  10. « Oritur utique hæc vis (gravitas) a causa aliqua quæ penetrat adusque centra solis et planetarium, sine virtutis diminutione, quæque agit non pro quantitate superficierum particularum in quas agit (ut solent causæ mechanicæ), sed pro quantitate matériæ solidæ. Rationem harum gravitatis proprietatum ex phænomenis nondum potui deducere, et hypotheses non fingo. Satis est quod revera gravitas existat et agat secundum leges a nobis expositas. > (Princ. phil. nat., p. 676.) « To derive two or three general principles of motion from phænomena, and afterwards to tell us how the properties and actions of all corporeal things follow from these principles would be a very great step in philosophy, though the causes of those principles were not yet discovered. And therefore I scruple not to propose the principles of motion, and leave their causes to be found. » (Opticks, p. 377.) « What I call attraction may be performed by impulse, or by some other means unknown to me. I use that word here to signify only in general any force, by which bodies tend towards one another, whatsoever be the cause. » (Ib. Prop., 31, p. 351.)
  11. Laplace, Herschel, tous les physiciens, en un mot, ont admis littéralement, et nous dirions presque mécaniquement, cette doctrine newtonienne. Ils se sont même montrés plus intolérants et plus absolus que Newton sur ce point. Car Newton dit au moins qu’il laisse à d’autres le soin de rechercher la cause de la gravité. Bien plus, il essaye lui-même, comme on le voit, de la déterminer ; tandis que Laplace nous dit expressément (Exposition du système du monde, liv. I, chap. 2) que la gravité nous sera éternellement inconnue, et qu’il y a des physiciens qui vont jusqu’à dire que la physique n’a que faire de la connaissance des causes.
  12. « To tell us that every species of things is endowed with an occult specifie quality by which it acts and produces manifest effects, » is to tell us nothing. » (Optick, p. 377.)
  13. « Adjicere licet de spiritu quodam sublilissimo corpora crassa pervadente, et in iisdem latente, cujus vi et actionibus particulæ corporum ad minimas distancias sese mutuo attrahunt, et contiguæ factæ cohærent. » (Princ. phil. nat. schol. gen., t. III, p. 676.)
  14. Dans le Second avertissement, il dit qu’il ne considère pas cette force comme an essential property of bodies.
  15. « I suppose the rarer æther within bodies, and the denser without them.» (Opéra, IV, édit. Samuel Horsley, 1782, p. 386.)
  16. L’éther est une substance fort en faveur auprès des physiciens, par la raison, il faut croire, qu’elle est très subtile et très élastique, et qu’elle se prête à toutes les conceptions et à toutes les fantaisies. Ainsi les corps s’attirent-ils, c’est un éther qui accomplit cette opération. Ou bien y a-t-il une comète dont le mouvement subit certains changements, c’est aussi un éther qui produit cette altération, lequel éther, par cela même qu’il est résistant (et on a besoin de le faire résistant, pour expliquer le raccourcissement de l’orbite de la comète), ne doit pas être confondu, à ce qu’on nous dit, avec cet autre éther dont toute la matière est pénétrée. (Humboldt, Cosmos, t. III, p. 32.) On sait que la lumière est aussi un éther, et on ne voit pas, après cela, pourquoi la chaleur, le magnétisme, l’électricité, etc., ne seraient pas des éthers. L’éther remplacerait ainsi la qualité spécifique occulte. Scientifiquement parlant, l’un vaut l’autre.
  17. Nous avons montré ailleurs, et à plusieurs reprises, tout ce qu’il y a d’inadmissible et d’irrationnel dans cette manière de concevoir la science et les choses. Voy. Introduction à la Philosophie de Hégel, chap. II, § 3, chap. III, § 4, et dans nos Mélanges philosophiques, Philosophie critique, et les deux Introductions à l’Histoire de la Philosophie.
  18. D’ailleurs, deux choses ne diffèrent qu’autant qu’elles sont en rapport, et, réciproquement, elles ne sont en rapport qu’autant qu’elles diffèrent, (Voy. plus haut, chap. IV.)
  19. Voy. plus bas, chap. IX.
  20. Si Newton adopte la molécule (particula), c’est qu’elle est plus indéterminée et plus élastique que l’atome, qu’elle se prête mieux à la conception des infiniment petits, et à ce que cette conception a d’arbitraire, qu’elle dissimule les difficultés que présente l’atomisme, et qu’elle dispense de se prononcer sur la question de savoir si la matière est divisible ou indivisible, ou divisible et indivisible à la fois.
  21. Il est vrai qu’ici aussi on ne sait comment il faut entendre cette théorie. Car les physiciens, après avoir posé la loi de la proportionnalité des masses, vous disent qu’après tout ils ignorent si c’est le soleil qui attire réellement les planètes, ou si cette tendance des planètes à s’approcher du soleil ne serait due à une tout autre cause qu’à l’attraction de cet astre. Est-ce là, nous le demandons, la science ? Et comment peut-on faire la critique d’une doctrine qui vous échappe, lorsque vous croyez la tenir ? Ainsi, on nous parle de masses, de la masse gigantesque du soleil, on prétend expliquer par cette masse les mouvements des planètes, et puis on nous dit que ce pourrait bien être une tout autre cause qui produit ces mouvements. Mais alors qu’on nous dise quelle peut être cette autre cause. Et si l’on avoue qu’il pourrait bien y avoir une tout autre cause, n’est-ce pas qu’on sent qu’il y a des côtés vulnérables dans cette théorie ?
  22. Voyez chap. suiv., et chap. VIII, p. 442, 443, et § 270.
  23. Conf. sur ce point notre critique de la Monadologie de Leibnitz, dans l’Hégélianisme et la philosophie, chap. IV.
  24. D’ailleurs la chimie elle-même commence à s’apercevoir de ce qu’il y a d’irrationnel dans ses théories de la simplicité et de l’indivisibilité absolue des corps élémentaires. Il y a des chimistes qui se sont déjà déclarés contre la doctrine de la simplicité des métaux, M. Daubeny, par exemple, un des chimistes les plus distingués d’Angleterre. Et la théorie de l’isométrie qui. suivant M. Dumas lui-même, va de plus en plus pénétrant dans la chimie, et y prépare une révolution, place la stabilité et la différence des propriétés chimiques, non dans l’indivisibilité des molécules, mais dans la forme et l’arrangement moléculaire. Ainsi, tous les corps seraient identiques quant à la matière, et ils ne digéreraient que par la forme. Par exemple, l’acide cyanhydrique, ou acide prussique, serait exactement composé de la même matière que le formiate d’ammoniaque, sel des plus inoffensifs. On voit que la chimie va, si l’on peut dire, de la matière à la forme. Tantôt elle place l’élément essentiel de l’être chimique dans la matière (l’atome, la molécule), tantôt dans la forme (la combinaison, l’arrangement des atomes). Mais l’être chimique réel et concret est dans l’unité de la matière et de la forme, c’est-à-dire dans l’idée chimique qui, comme toute idée, est forme et matière, et qui ne constitue qu’un moment de l’idée entière de la nature.
  25. Il en est de la divisibilité et de l’indivisibilité de la matière, comme de l’impénétrabilité et de la pénétrabilité. On pose en principe que la matière est impénétrable Mais, comme l’unité de la matière vient ensuite s’offrir à la pensée, on place à côté de cette matière impénétrable un éther qui pénètre partout dans la matière, et on se représente cet éther comme l’essence do la matière (et il faut observer. qu’on se le représente ainsi, sans nous dire ce qu’est l’essence, et en quoi consiste l’essence d’un être), dont l’impénétrabilité devient ainsi une simple manière d’être. Et c’est ce qui est arrivé à Newton. Seulement, pour Newton, cet éther est une force (sur laquelle prudemment il ne s’explique point, si c’est une force matérielle ou immatérielle) qui pénètre partout dans la matière.
  26. C’est ainsi que dans une autre sphère on dit : l’âme est simple quant à son essence. D’où l’on conclut que la pensée, l’imagination, la volonté, etc., ne font pas partie de l’essence de l’âme. C’est là ce procédé superficiel qui parle de ce qui est essentiel, et de ce qui n’est pas essentiel, sans déterminer en quoi consiste la véritable essence des choses. Comme si l’essence d’un être résidait ailleurs que dans son idée, et dans l’unité concrète de cette idée ! Comme si dans le cercle le centre était moins essentiel que la circonférence, ou celle-ci moins essentielle que le centre ! Ou, comme si dans l’État les gouvernants et les gouvernés étaient les uns moins essentiels que les autres ! Tout est essentiel dans le tout, par cela même que tout y est nécessaire ; car si les parties ne peuvent être sans le tout, celui-ci ne peut non plus être sans les parties.
  27. Il est évident que la conception newtonienne de la pesanteur est une conception empirique, et nullement rationnelle et spéculative. Comme les corps tombent à la surface de la terre, Newton en a conclu que la pesanteur n’est que la force attractive.