Physiologie du Mariage/14

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Physiologie du Mariage
Œuvres complètes de H. de BalzacA. Houssiaux16 (p. 463-468).

MÉDITATION XIV.

DES APPARTEMENTS.

Les moyens et les systèmes qui précèdent sont en quelque sorte purement moraux. Ils participent à la noblesse de notre âme et n’ont rien de répugnant ; mais maintenant nous allons avoir recours aux précautions à la Bartholo. N’allez pas mollir. Il y a un courage marital, comme un courage civil et militaire, comme un courage de garde national.

Quel est le premier soin d’une petite fille après avoir acheté une perruche ? n’est-ce pas de l’enfermer dans une belle cage d’où elle ne puisse plus sortir sans sa permission ?

Cet enfant vous apprend ainsi votre devoir.

Tout ce qui tient à la disposition de votre maison et de ses appartements sera donc conçu dans la pensée de ne laisser à votre femme aucune ressource, au cas où elle aurait décrété de vous livrer au minotaure ; car la moitié des malheurs arrivent par les déplorables facilités que présentent les appartements.

Avant tout, songez à avoir pour concierge un homme seul et entièrement dévoué à votre personne. C’est un trésor facile à trouver : quel est l’homme qui n’a pas toujours, de par le monde, ou un père nourricier ou quelque vieux serviteur qui jadis l’a fait sauter sur ses genoux.

Une haine d’Atrée et de Thyeste devra s’élever par vos soins entre votre femme et ce Nestor, gardien de votre porte. Cette porte est l’Alpha et l’Oméga d’une intrigue. Toutes les intrigues en amour ne se réduisent-elles pas toujours à ceci : entrer, sortir ?

Votre maison ne vous servirait à rien si elle n’était pas entre cour et jardin, et construite de manière à n’être en contact avec nulle autre.

Vous supprimerez d’abord dans vos appartements de réception les moindres cavités. Un placard, ne contînt-il que six pots de confitures, doit être muré. Vous vous préparez à la guerre, et la première pensée d’un général est de couper les vivres à son ennemi. Aussi, toutes les parois seront-elles pleines, afin de présenter à l’œil des lignes faciles à parcourir, et qui permettent de reconnaître sur-le-champ le moindre objet étranger. Consultez les restes des monuments antiques, et vous verrez que la beauté des appartements grecs et romains venait principalement de la pureté des lignes, de la netteté des parois, de la rareté des meubles. Les Grecs auraient souri de pitié en apercevant dans un salon les hiatus de nos armoires.

Ce magnifique système de défense sera surtout mis en vigueur dans l’appartement de votre femme. Ne lui laissez jamais draper son lit de manière à ce qu’on puisse se promener autour dans un dédale de rideaux. Soyez impitoyable sur les communications. Mettez sa chambre au bout de vos appartements de réception. N’y souffrez d’issue que sur les salons, afin de voir, d’un seul regard, ceux qui vont et viennent chez elle.

Le Mariage de Figaro vous aura sans doute appris à placer la chambre de votre femme à une grande hauteur du sol. Tous les célibataires sont des Chérubins.

Votre fortune, donne sans doute, à votre femme le droit d’exiger un cabinet de toilette, une salle de bain et l’appartement d’une femme de chambre ; alors, pensez à Suzanne, et ne commettez jamais la faute de pratiquer ce petit appartement-là au-dessous de celui de madame ; mettez-le toujours au-dessus ; et ne craignez pas de déshonorer votre hôtel par de hideuses coupures dans les fenêtres.

Si le malheur veut que ce dangereux appartement communique avec celui de votre femme par un escalier dérobé, consultez long-temps votre architecte ; que son génie s’épuise à rendre à cet escalier sinistre, l’innocence de l’escalier primitif, l’échelle du meunier ; que cet escalier, nous vous en conjurons, n’ait aucune cavité perfide ; que ses marches anguleuses et raides ne présentent jamais cette voluptueuse courbure dont se trouvaient si bien Faublas et Justine en attendant que le marquis de B., fût sorti. Les architectes, aujourd’hui, font des escaliers préférables à des ottomanes. Rétablissez plutôt le vertueux colimaçon de nos ancêtres.

En ce qui concerne les cheminées de l’appartement de madame, vous aurez soin de placer dans les tuyaux une grille en fer à cinq pieds de hauteur au-dessus du manteau de la cheminée, dût-on la sceller de nouveau à chaque ramonage. Si votre femme trouvait cette précaution ridicule, alléguez les nombreux assassinats commis au moyen des cheminées. Presque toutes les femmes ont peur des voleurs.

Le lit est un de ces meubles décisifs dont la structure doit être longuement méditée. Là tout est d’un intérêt capital. Voici les résultats d’une longue expérience. Donnez à ce meuble une forme assez originale pour qu’on puisse toujours le regarder sans déplaisir au milieu des modes qui se succèdent avec rapidité en détruisant les créations précédentes du génie de nos décorateurs, car il est essentiel que votre femme ne puisse pas changer à volonté ce théâtre du plaisir conjugal. La base de ce meuble sera pleine, massive, et ne laissera aucun intervalle perfide entre elle et le parquet. Et souvenez-vous bien que la dona Julia de Byron avait caché don Juan sous son oreiller. Mais il serait ridicule de traiter légèrement un sujet si délicat.


LXII.

Le lit est tout le mariage.




Aussi ne tarderons-nous pas à nous occuper de cette admirable création du génie humain, invention que nous devons inscrire dans notre reconnaissance bien plus haut que les navires, que les armes à feu, que le briquet de Fumade, que les voitures et leurs roues, que les machines à vapeur, à simple ou double pression, à siphon ou à détente, plus haut même que les tonneaux et les bouteilles. D’abord, le lit tient de tout cela pour peu qu’on y réfléchisse ; mais si l’on vient à songer qu’il est notre second père et que la moitié la plus tranquille et la plus agitée de notre existence s’écoule sous sa couronne protectrice, les paroles manquent pour faire son éloge. (Voyez la Méditation XVII, intitulée : Théorie du lit.)

Lorsque la guerre, de laquelle nous parlerons dans notre Troisième Partie, éclatera entre vous et madame, vous aurez toujours d’ingénieux prétextes pour fouiller dans ses commodes et dans ses secrétaires ; car si votre femme s’avisait de vous dérober une statue, il est de votre intérêt de savoir où elle l’a cachée. Un gynécée construit d’après ce système vous permettra de re connaître d’un seul coup d’œil s’il contient deux livres de soie de plus qu’à l’ordinaire. Laissez-y pratiquer une seule armoire, vous êtes perdu ! Accoutumez surtout votre femme, pendant la Lune de Miel, à déployer une excessive recherche dans la tenue des appartements : que rien n’y traîne. Si vous ne l’habituez pas à un soin minutieux, si les mêmes objets ne se retrouvent pas éternellement aux mêmes places, elle vous introduirait un tel désordre, que vous ne pourriez plus voir s’il y a ou non les deux livres de soie de plus ou de moins.

Les rideaux de vos appartements seront toujours en étoffes très-diaphanes, et le soir vous contracterez l’habitude de vous promener de manière à ce que madame ne soit jamais surprise de vous voir aller jusqu’à la fenêtre par distraction. Enfin, pour finir l’article des croisées, faites-les construire dans votre hôtel de telle sorte que l’appui ne soit jamais assez large pour qu’on y puisse placer un sac de farine.

L’appartement de votre femme une fois arrangé d’après ces principes, existât-il dans votre hôtel des niches à loger tous les saints du Paradis, vous êtes en sûreté. Vous pourrez tous les soirs, de concert avec votre ami le concierge, balancer l’entrée par la sortie ; et, pour obtenir des résultats certains, rien ne vous empêcherait même de lui apprendre à tenir un livre de visites en partie double.

Si vous avez un jardin, ayez la passion des chiens. En laissant toujours sous vos fenêtres un de ces incorruptibles gardiens, vous tiendrez en respect le Minotaure, surtout si vous habituez votre ami quadrupède à ne rien prendre de substantiel que de la main de votre concierge, afin que des célibataires sans délicatesse ne puissent pas l’empoisonner.

Toutes ces précautions se prendront naturellement et de manière à n’éveiller aucun soupçon. Si des hommes ont été assez imprudents pour ne pas avoir établi, en se mariant, leur domicile conjugal d’après ces savants principes, ils devront au plus tôt vendre leur hôtel, en acheter un autre, ou prétexter des réparations et remettre la maison à neuf.

Vous bannirez impitoyablement de vos appartements les canapés, les ottomanes, les causeuses, les chaises longues, etc. D’abord, ces meubles ornent maintenant le ménage des épiciers, on les trouve partout, même chez les coiffeurs ; mais c’est essentiellement des meubles de perdition ; jamais je n’ai pu les voir sans frayeur, il m’a toujours semblé y apercevoir le diable avec ses cornes et son pied fourchu.

Après tout rien de si dangereux qu’une chaise, et il est bien malheureux qu’on ne puisse pas enfermer les femmes entre quatre murs !… Quel est le mari qui, en s’asseyant sur une chaise disjointe, n’est pas toujours porté à croire qu’elle a reçu l’instruction du Sopha de Crébillon fils ? Mais nous avons heureusement arrangé vos appartements d’après un système de prévision tel que rien ne peut y arriver de fatal, à moins que vous n’y consentiez par votre négligence.

Un défaut que vous contracterez (et ne vous en corrigez jamais) sera une espèce de curiosité distraite qui vous portera sans cesse à examiner toutes les boîtes, à mettre cen dessus dessous les nécessaires. Vous procéderez à cette visite domiciliaire avec originalité, gracieusement, et chaque fois vous obtiendrez votre pardon en excitant la gaieté de votre femme.

Vous manifesterez toujours aussi l’étonnement le plus profond à l’aspect de chaque meuble nouvellement mis dans cet appartement si bien rangé. Sur-le-champ vous vous en ferez expliquer l’utilité ; puis vous mettrez votre esprit à la torture pour deviner s’il n’a point un emploi tacite, s’il n’enferme pas de perfides cachettes.

Ce n’est pas tout. Vous avez trop d’esprit pour ne pas sentir que votre jolie perruche ne restera dans sa cage qu’autant que cette cage sera belle. Les moindres accessoires respireront donc l’élégance et le goût. L’ensemble offrira sans cesse un tableau simple et gracieux. Vous renouvellerez souvent les tentures et les mousselines. La fraîcheur du décor est trop essentielle pour économiser sur cet article. C’est le mouron matinal que les enfants mettent soigneusement dans la cage de leurs oiseaux, pour leur faire croire à la verdure des prairies. Un appartement de ce genre est alors l’ultima ratio des maris : une femme n’a rien à dire quand on lui a tout prodigué.

Les maris condamnés à habiter des appartements à loyer sont dans la plus horrible de toutes les situations.

Quelle influence heureuse ou fatale le portier ne peut-il pas exercer sur leur sort !

Leur maison ne sera-t-elle pas flanquée à droite et à gauche de deux autres maisons ? Il est vrai qu’en plaçant d’un seul côté l’appartement de leurs femmes, le danger diminuera de moitié ; mais ne sont-ils pas obligés d’apprendre par cœur et de méditer l’âge, l’état, la fortune, le caractère, les habitudes des locataires de la maison voisine et d’en connaître même les amis et les parents ?

Un mari sage ne se logera jamais à un rez-de-chaussée.

Tout homme peut appliquer à son appartement les précautions que nous avons conseillées au propriétaire d’un hôtel, et alors le locataire aura sur le propriétaire cet avantage, qu’un appartement occupant moins d’espace est beaucoup mieux surveillé.