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Physionomies de saints/Saint Isidore

La bibliothèque libre.
Librairie Beauchemin, Limitée (p. 41-44).

SAINT ISIDORE

LE PATRON DES CULTIVATEURS

Fête : 15 Mai

Saint Isidore, patron des cultivateurs, vivait au XIIe siècle. Il était fermier d’un gentilhomme de Madrid, nommé Jean de Vergas.

Ses pauvres parents n’avaient pu lui faire donner aucune instruction, mais ils lui avaient appris à aimer Dieu, à tout faire, à tout souffrir pour lui plaire. Le temps développa les germes divins jetés dans le cœur de l’enfant et il en sortit cette agreste fleur de sainteté qui s’est épanouie si magnifique en plein champ, embaumant de son parfum salubre l’Espagne et l’Église.

Isidore était encore fort jeune quand il se chargea de cultiver l’une des terres de Jean de Vergas. Mais le désir de plaire à Dieu lui fit faire ce que la passion de s’enrichir fait faire à d’autres.

Il avait épousé Marie Torribia — tendre et pure créature dont il fit une sainte (elle a en Espagne les honneurs du culte public). Quoique pauvres eux-mêmes, les deux époux étaient merveilleusement charitables et c’est avec un grand bonheur que Marie accueillait et servait les pauvres.

Un jour, son mari lui amena un inconnu qu’il avait rencontré épuisé, défaillant.

« — Ma chère Marie, demanda-t-il, après avoir fait asseoir son hôte, n’avez-vous rien à lui donner ?

— Hélas, je n’ai plus rien », répondit la compatissante fermière qui avait déjà fait dîner douze pauvres ce jour-là.

Malgré cela, Isidore la pria de regarder dans la marmite. Elle obéit et constata qu’il n’y restait pas une cuillerée de soupe, mais, comme Marie allait tristement replacer le couvercle, la marmite se remplit soudain à pleins bords.

Ces saints époux n’avaient qu’un enfant. Un jour, échappant à la surveillance de sa mère, il tomba dans un puits. Aux cris de sa femme désespérée, Isidore accourut. L’eau était très basse, il n’y avait aucun moyen d’arriver jusqu’à l’enfant.

Le saint se mit en prière et, comme il priait, l’eau bouillonnant se mit à monter ; elle s’éleva jusqu’aux bords du puits portant le bébé. Plein de vie et fort amusé de l’aventure, il tendit les bras à sa mère.

Dieu n’avait pu résister à la prière de son serviteur, mais l’enfant, objet de ce miracle charmant, mourut jeune.

Le don des miracles excepté, il n’y a rien d’extraordinaire dans la vie du saint. C’est la vie du laboureur dans sa rude et mâle simplicité. Isidore se fatiguait au travail, il portait le poids du jour et de la chaleur, mais, aux heures que Dieu fit pour dormir, il se reposait. Il n’a pas plus peiné, pas plus souffert que bien d’autres cultivateurs. Mais il a su profiter de ce qu’ils laissent perdre : il a sanctifié son travail — ce dur travail des champs auquel tant d’hommes sont condamnés. Plus sa journée devait être fatigante, plus il la commençait avec joie. Il avait compris que le travail est la plus salutaire des pénitences, il avait compris aussi que la prière est le grand bonheur. Il priait comme il respirait. Le ciel et la terre lui criaient sans cesse d’aimer Dieu et, pendant que sa main conduisait la charrue, il le louait, le bénissait en son cœur.

Les esprits célestes, dont il faisait ainsi l’office, venaient au besoin l’aider dans son travail. À côté du saint laboureur on apercevait parfois deux anges conduisant chacun une charrue attelée de bœufs blancs.

Isidore ne les voyait point, mais sa femme les voyait souvent quand elle venait lui porter à dîner. Craignant d’exposer son mari à l’orgueil, elle ne lui en dit pourtant jamais rien.

Jean de Vergas fut moins discret. L’amitié qu’il témoignait à Isidore avait fait quelques jaloux parmi ses employés. Ils s’ingéniaient sans cesse à nuire au saint et dirent un jour à Jean de Vergas :

« — Isidore passe ses matinées à courir les églises. Il ne vient jamais à l’heure. Nous vous en avertissons, parce que cela vous porte préjudice.

Le gentilhomme fit venir son fermier.

— J’entends la messe tous les jours, répondit-il à ses reproches, et pour rien au monde, je n’y voudrais manquer. Mais soyez tranquille, vous n’y perdez rien et vous en aurez la preuve à la moisson ».

Les accusations continuèrent. Le propriétaire s’inquiéta ; il voulut voir à quelle heure Isidore se mettait à l’ouvrage. Il sortit donc un jour de grand matin, et, caché derrière un rocher, constata que son fermier arrivait plus tard que les autres.

Plein de colère, il s’avançait pour lui reprocher sa conduite, quand il vit tout à coup, à chaque côté de la charrue du saint, deux autres charrues tirées par des bœufs blancs.

Il regarde avec étonnement et, pour comble de surprise, comme il s’approche, les attelages et leurs mystérieux conducteurs s’évanouissent.

Fort radouci, le seigneur aborde son fermier amicalement et lui dit :

« — Au nom du ciel, quels sont ces deux hommes qui t’aidaient à labourer ?

Le saint sourit sans répondre.

— Je l’affirme, continua le maître, que j’ai vu deux autres laboureurs qui ont disparu comme je m’approchais.

— Je n’ai appelé que Dieu à mon aide », répondit simplement Isidore.

Dieu avait envoyé ses anges. Jean de Vergas le comprit, il ne crut plus que la messe nuisît au travail et n’écouta jamais aucune plainte contre son fermier.

Le saint honorait singulièrement son maître. Plusieurs fois il usa en sa faveur de son crédit auprès de Dieu. Ainsi pour soulager sa soif, d’un coup de gaule, il fit un jour, jaillir une fontaine de la terre aride. Une autre fois, touché de son affliction, il ressuscita sa fille.

Isidore prédit sa dernière heure et s’en alla de cette vie aussi tranquillement qu’il revenait des champs, sa journée faite. D’éclatants miracles attestèrent sa sainteté. Son corps, retiré du cimetière, fut déposé dans l’église de saint André. Il est encore frais et entier.

Le patron des cultivateurs est aussi le patron de la capitale de l’Espagne.

« Philippe iii, roi d’Espagne, revenant de Lisbonne, se trouva si mal à Casarubios del Monte que les médecins désespérèrent de sa vie. On ordonna une procession du clergé, de la cour et du peuple de Madrid dans laquelle on porterait les reliques du saint à la chambre du prince mourant. À peine la châsse fut-elle sortie de l’église que la fièvre quitta Philippe, et il se trouva parfaitement guéri lorsqu’elle entra dans sa chambre ».

Ce miracle est appuyé sur des témoignages qu’on ne peut récuser.

L’année suivante, on tira le corps de saint Isidore de la châsse où il était, afin de le mettre dans une autre beaucoup plus riche. Elle coûta seize cents ducas d’or.