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SECTION SEPTIÈME.

DE L’HISTOIRE.


CHAPITRE I.

DES HISTORIENS DES PREMIERS TEMPS DU MONDE, DE LA GRÈCE
ET DE ROME. — LA BIBLE ET HÉRODOTE. — THUCYDIDE,
XÉNOPHON, PLUTARQUE.

L’histoire générale offre d’abord trois grandes époques : le monde avant Moïse, puis les temps qui ont précédé le Christ et ceux qui l’ont suivi. Le monde avant Moïse, n’est raconté que dans la Bible. En vain l’Égypte a élevé des pyramides, creusé des hypogées et gravé sur ses temples l’histoire de ses héros et de ses dieux, les inscriptions gardent leurs secrets, et les pyramides sont muettes comme les momies qu’elles renferment. Seulement la Bible nous a dit que ce peuple de cadavres dormait là depuis trois mille ans.

Ces monuments inintelligibles d’une pensée qui n’est plus, ces livres de granit et de marbre que le temps n’a pas effacés et qui cependant ne peuvent rien nous apprendre, existent partout. L’Égypte, le Mexique, Babylone, la Chine, le vieux et le nouveau monde sont unis par une chaîne d’hiéroglyphes qui renferment peut-être les annales du genre humain, mais qui marquent à coup sûr l’unité de son origine.

Il y a dans l’histoire générale une époque hiéroglyphique oubliée par tous les historiens, et dont les mystères symboliques ne nous seront peut-être jamais révélés !

Ainsi la Bible est toujours la première page de l’histoire du monde. Nous y trouvons le commencement de toute chose. C’est notre registre de naissance ; le globe sort du chaos et la vie du néant. Dieu dit à la lumière de briller dans le ciel et à l’homme de se lever de la poudre. Il n’y a que Dieu qui ait pu raconter son œuvre.

Alors commence la vie patriarcale, scène délicieuse, interrompue par la naissance du grand empire des Pharaons. Les membres de la famille humaine se divisent et se méconnaissent ; puis, à travers les magnificences du despotisme et de la barbarie, sous des lois de fer et de sang, la mission morale du genre humain se manifeste par deux grands faits qui résument toute l’histoire des premiers temps du monde, la connaissance du vrai Dieu et les institutions libres de la Grèce !

Admirable synchronisme qui, bien compris, sera un jour le point de départ de toutes les histoires universelles.

Eh bien ! ces deux grandes pensées qui doivent nous délivrer de l’erreur, naissent en Égypte, au milieu des profondes ténèbres de l’idolâtrie et de l’esclavage. Là, dans le silence mystérieux des temples, elles grandissent invisibles et muettes, et tout à coup, lorsque les temps sont venus, Moïse et Cécrops, presque à la même époque, entreprennent de les donner au monde. On voit ces deux grands hommes sortir avec leur colonie de ce vaste tombeau des vivants et des morts, et prendre leurs routes, l’un vers les rives de l’Illyssus, l’autre vers les sommets du Sinaï, où ils se retrouvent chacun avec sa pensée civilisatrice, Moïse, l’unité de Dieu, Cécrops, la liberté des peuples. Tels sont les deux grands faits providentiels des temps anciens. Ils révèlent le mouvement moral de l’humanité, ils sont la lumière de l’histoire. Les hommes avaient marché trois mille ans avant de rencontrer ces hautes vérités qui brisent les chaînes et régénèrent les nations ; mais ce n’est pas assez de les rencontrer, il faut les confondre dans l’unité qui est leur essence. Tant qu’elles resteront isolées et comme partagées entre les peuples, la régénération ne sera pas complète. Ce fut la mission de Jésus-Christ. Il vint réunir ce qui était séparé, la vérité politique et la vérité religieuse ; et n’opposant aux idoles que la conscience, aux tyrans que la résignation, sans autre violence qu’une charité toute divine, il replaça le genre humain dans sa dignité et dans sa liberté sous un seul Dieu.

Après les trois grands faits humanitaires, de Moïse, de Cécrops et de Jésus-Christ, il n’y a que des faits historiques. Au sein de l’Asie, de la Grèce et de l’empire Romain, toujours les mêmes démences et les mêmes fureurs, toujours le meurtre des peuples et le pillage du monde, mais dès lors en face d’une doctrine qui les condamne et d’un Dieu qui les punit. Enfin, la doctrine s’étend, le point lumineux s’agrandit ; les conquêtes armées de Rome ouvrent la voie aux conquêtes pacifiques de Jésus, puis viennent le bas-empire, le moyen-âge et les temps modernes. Le bas-empire, espèce de chaos d’où la nouvelle civilisation est sortie, tenant d’une main l’épée des barbares et de l’autre l’Évangile. Le moyen-âge, première apparition des belles-lettres et des beaux-arts sous l’influence des guerres d’Orient et des guerres d’Italie, se résumant par l’Europe catholique et féodale. Enfin les temps modernes, drame puissant qui s’ouvre avec Luther et se dénoue dans le grand cataclysme de la révolution française.

De nombreux historiens ont exploré ces différentes époques : Hérodote, Thucydide, Xénophon parmi les Grecs, Salluste et Tacite parmi les Romains, résument les formes et les idées antiques jusqu’à l’avénement des historiens du christianisme. Dans cet intervalle, les Commentaires de César et les Vies de Plutarque présentent seuls une forme nouvelle ; Tite-Live comme Virgile n’est qu’une admirable inspiration de l’art grec. Depuis Eusèbe et les pères de l’Église jusqu’au dix-huitième siècle, rien de nouveau que le Discours de Bossuet sur l’histoire universelle, ouvrage prodigieux, écrit sous l’inspiration des prophètes et avec leur autorité. Après Bossuet vient Montesquieu qui cherche dans les lois humaines les causes finales des événements que Bossuet avait entrevues dans les lois divines. Enfin Voltaire paraît, et avec lui toute l’école philosophique du dix-huitième siècle. Le sarcasme fait le fond de son histoire universelle comme de ses amères facéties ; il se passionne contre l’erreur, mais sans amour de la vérité. Deux choses seulement le frappent dans les sociétés humaines, les superstitions imbéciles qui les dévorent et les créations sublimes du génie qui les immortalisent. Ce point de vue étroit absorbe son génie. Il voit les époques remarquables de l’esprit humain et méconnait les grandes époques religieuses qui ont régénéré le monde.

À la suite des historiens originaux de la Grèce et de Rome, viennent se grouper Polybe, Diodore de Sicile, Denys d’Halycarnasse, Velleius Paterculus, Florus, Suétone, Dion Cassius, Hérodien, Quinte-Curce, etc. ; puis, les historiens de l’Église et du bas-empire, dont les écrits composent la byzantine et les chroniques du moyen-âge qui rappellent quelquefois, par leur naïve crédulité, les vieilles traditions de la Grèce, car les premiers collecteurs d’annales affectent tous les mêmes formes. Tous vont à la quête des faits et des aventures ; ce sont des conteurs et des voyageurs plutôt que des philosophes et des historiens, et sous ce point de vue au moins Hérodote se rapproche de Froissard !

C’est ce fait singulier qui a trompé Vico ; en voyant l’esprit humain reproduire les mêmes formes et quelquefois les mêmes événements aux mêmes époques de civilisation, il s’est dit que l’humanité parcourait éternellement le même cercle et il en a conclu que l’histoire présente n’est que la répétition de l’histoire passée ; erreur grave qui renouvelait la fatalité. Nous parlerons plus tard du système de Vico. Ce beau génie est le premier qui ait conçu l’idée de tracer la formule générale de l’histoire de tous les peuples. Mais cette formule il ne l’a pas trouvée ; les faits non accomplis, les événements nouveaux lui échappent ; son système ne peut comprendre ni la destruction de l’idolâtrie, ni la suppression de l’esclavage. Et comment les comprendrait-il lorsqu’il forclôt le genre humain de toute espèce de progrès ?

Revenons à l’histoire de l’antiquité.

Homère a chanté la première lutte de la Grèce contre l’Asie, lutte misérable dans son principe, magnifique dans ses développements, et où le poète fait combattre les héros et les dieux ! Il y eut là un immense mouvement des peuples. Toutes les puissances se déplacent, toutes les idées s’échangent, les empires tombent, les hommes souffrent, la pitié et le malheur se font jour à travers la barbarie ; la pitié et le malheur, les deux plus puissants correcteurs de l’humanité !

La seconde lutte de l’Asie et de la Grèce échut à Hérodote. Celle-là fut grande dans son principe et plus grande dans ses résultats. Les Grecs n’étaient plus les agresseurs. Il ne s’agissait ni de l’enlèvement d’une femme ni du sac d’une cité. C’était l’Orient qui de tout son poids se précipitait sur le berceau de la civilisation occidentale ; c’étaient les nations esclaves qui voulaient absorber les nations libres et progressives, c’était le passé qui se levait menaçant contre l’avenir. Or, cette guerre où se débattait le sort du monde, Hérodote voulut en proclamer la gloire. Dans ce but, il remonte plus haut et raconte les conquêtes des Perses, la chute de l’empire des Assyriens, celle du royaume de Lydie et l’expédition terrible de Cambyse en Égypte ! Historien de ses ennemis, il signale leurs nombreux triomphes et les trônes renversés sur leur passage, puis tout à coup, il montre ces armées de plusieurs millions d’hommes, ces rois toujours victorieux, se précipitant sur la Grèce comme sur une proie assurée, et dans la plénitude de leur puissance formidable allant se briser contre une poignée d’Athéniens et de Spartiates à Salamine, à Platée, à Marathon. Quelle gloire pour la Patrie ! quel tableau pour l’historien ! La chute des Perses, ce n’était pas seulement le triomphe de la Grèce, c’était le salut de l’humanité !

Et voyez ! quel est au milieu de cette immense assemblée cet homme dont chaque parole passe sur la foule comme le vent sur la mer ? Ne semble-t-il pas qu’il appelle à témoin des choses qu’il raconte, le ciel, la terre et les hommes ? C’est Hérodote aux jeux olympiques, lisant à la Grèce assemblée la bataille de Marathon et la gloire des Thermopiles ! À cette voix toutes les âmes s’émeuvent, tous les cœurs battent à l’unisson, un cri d’enthousiasme s’élève de la foule, et Thucydide, fils d’Olorus, de race royale, à peine âgé de quinze ans, pleure en silence ! mais ces pleurs ont été vus d’Hérodote. Je te félicite, dit-il à Olorus, d’avoir un fils si heureusement né pour les études, et posant sa main sur la tête de l’enfant, Hérodote semblait se désigner un successeur !

Nous terminerons cet examen trop rapide d’un des monuments les plus précieux de l’antiquité, par un rapprochement qui montre jusqu’à quel point l’étude des livres anciens a pu quelquefois faciliter les découvertes des modernes. Hérodote raconte[1] qu’un voyage autour de l’Afrique, en doublant le cap de Bonne-Espérance, fut effectué en deux années par des vaisseaux phéniciens sortis des ports de l’Égypte. À ce fait déjà si merveilleux il ajoute des détails plus merveilleux encore, sur lesquels il appelle lui-même le doute, et qui servent aujourd’hui à prouver la vérité de son récit. Or, la première édition d’Hérodote fut publiée en 1474 par les soins de Laurent Valla, qui, voulant en faciliter la lecture, y joignit une traduction latine. Ce livre circula dans toute l’Europe, et ce fut seulement trois ans plus tard, en 1477, que Vasco de Gama doubla le cap des Tempêtes et ouvrit la route nouvelle des Indes orientales. Il serait glorieux pour Hérodote d’avoir éveillé le génie du grand navigateur !

Thucydide continue l’histoire d’Hérodote, mais quel changement ! Vous venez de voir la Grèce dans toute sa gloire, luttant seule contre des millions de barbares et se dévouant pour le salut du monde. Vous allez la voir dans les horreurs d’une guerre de famille, jalouse d’elle-même et comme saisie d’un esprit de vertige, déchirant ses entrailles, se baignant dans son propre sang, appelant le fer, le feu, les proscriptions au secours de son suicide, et après vingt-huit ans de honteuses défaites et de plus honteuses victoires, consommant sa chute par la chute d’Athènes et de la liberté !

Historien de cette guerre impie, Thucydide en reflète toutes les douleurs. On sent qu’il s’est trouvé mêlé à ces désastres, qu’il a vécu dans l’exil, au milieu des tempêtes et que la foudre l’a frappé. Ses pensées sont graves, son génie est austère, méditatif, forgé au feu des passions et de la guerre civile. Il n’y a pas jusqu’à son dialecte qui ne peigne la tristesse et la vigueur de son âme. Il a choisi le plus congru, le plus sévère, celui dont le propre est de contracter les voyelles, d’abréger les mots, et de leur donner ces concisions pittoresques qui font jaillir et voir la pensée. Ainsi son sujet, sa manière, ses malheurs, tout, jusqu’à sa langue un peu rude, le sépare d’Hérodote, dont l’éloquence moins passionnée, dont le génie plus calme, plus riant adopta le dialecte ionien, si doux à l’oreille, si harmonieux au cœur et qui fait le charme des grandes poésies d’Homère !

Le caractère le plus saillant de Thucydide c’est la critique. Il ne se contente pas de raconter les événements, il remonte à leur source, étudie les passions et les ambitions, et pénètre dans les profondeurs du cœur humain pour y chercher la cause de ce qu’il voit. Sous ce rapport, il est supérieur à Hérodote, écrivain naïf, conteur un peu crédule, qui a beaucoup de charme et point de philosophie. Ainsi, l’idée politique et critique apparaît ici pour la première fois, l’historien comprend sa mission, et la pensée devient la lumière des faits, c’est une révolution qui s’opère, nous entrons dans une voie nouvelle !

Chaque historien reçoit l’inspiration de son époque. Il faut que Tibère règne pour que Tacite écrive. Thucydide devient un historien politique sous le coup de la guerre civile, et Xénophon un historien philosophe à la voix de Socrate, ce grand législateur de la Grèce, et qui le serait du monde si Christ ne nous avait été donné !

Xénophon est à la fois historien, philosophe et guerrier. Comme historien il continue Thucydide, imite Hérodote et devance César en lui offrant le modèle de ses admirables Commentaires !

Comme philosophe sa part est moins large. Il cherche le beau sur la terre, sans jamais s’élever jusqu’à son type céleste : moraliste pratique, les régions de l’infini lui sont fermées, le sens abstractif lui manque. Qui peut reconnaître dans le Socrate des choses mémorables, le véritable Socrate, le Socrate de l’Apologie, du Criton et du Phedon ? Vous me montrez une tête sublime, mais sur ce front d’où jaillit la pensée je ne vois ni la couronne du martyr ni son auréole lumineuse !

Rejeté à la seconde place comme philosophe, Xénophon reprend la première comme guerrier. Ce qu’il a fait, personne ne l’avait fait avant lui et personne ne l’a fait après. Sa retraite des dix mille est la plus grande action militaire qui ait été vue sur le globe, non-seulement par une multitude infinie de combats, de passages de montagnes et de rivières, mais comme l’a divinement remarqué l’illustre auteur des Études de la nature, parce qu’elle n’a été souillée d’aucune injustice et qu’elle n’a eu d’autre but que de sauver des citoyens !

La Mothe Levayer est, je crois, le premier qui ait loué Xénophon de n’avoir pas détruit l’unique copie de l’histoire de Thucydide, dont le hasard l’avait fait dépositaire. Sous une autre plume un pareil éloge serait une injure ; on ne loue point un homme de la valeur de Xénophon de s’être abstenu d’une bassesse. La Mothe Levayer est une preuve que le bon goût ne s’associe pas toujours aux grands travaux de la mémoire, et qu’il ne suffit pas de lire les anciens dans leur langue pour en avoir l’intelligence.

Hérodote, Thucydide, Xénophon, tels sont les trois grands historiens de l’antiquité grecque : Plutarque les résume tous. Son livre est l’encyclopédie de l’histoire. Mais ce que j’admire en lui ce n’est pas cette profonde connaissance des anciens, qui vous révèle leurs mœurs, leurs habitudes, et les actions les plus secrètes de leur vie, c’est son respect pour le malheur, c’est son amour de la vertu. Voilà Plutarque ! la vertu et le malheur sont, après les dieux, les premiers objets de son culte. On reconnaît cette pensée dominante jusque dans le choix des grands hommes dont il écrit l’histoire. Tout ce que la sagesse, l’héroïsme, l’amour de la patrie et l’amour de l’humanité ont produit de plus beau, il en a fait notre héritage. Nous lui devons l’admiration sainte de Sparte et d’Athènes ; nous lui devons les pensées vertueuses de notre jeunesse, lorsque transportés de l’admiration d’Aristide, d’Épaminondas et de Thémistocle, nous demandions au ciel une patrie et l’occasion de mourir pour elle. Je ne connais pas de lecture plus fécondante, je ne connais pas de livre qui peigne mieux son auteur. Quelle simplicité, quel bon goût ! Quelle tolérance des faiblesses humaines ! quel enthousiasme des grands dévouements à l’humanité ! Comme il nous arrache à notre propre petitesse pour nous identifier aux âmes les plus larges et les plus hautes de l’antiquité ! Oui, c’est bien là le Manuel des grands hommes, mais c’est aussi, comme aurait dit Montaigne, le Bréviaire des honnêtes gens.

CHAPITRE II.

DES HISTORIENS LATINS. — TITE-LIVE, SALLUSTE, TACITE, ETC.

Il y a dans la naissance, la grandeur et la chute de l’empire romain quelque chose de fatal, ou plutôt de providentiel, dont Montesquieu lui-même ne nous paraît pas avoir été assez frappé. Cette vie si longue, ces conquêtes si puissantes, cette mort si honteuse, ne prouvent-elles pas qu’indépendamment des lois humaines, nous sommes soumis à des lois éternelles, expressions visibles de la volonté de Dieu, posées comme une barrière à nos débordements, qu’on ne viole jamais sans mourir !

Si je contemple les premiers temps de Rome, je vois la grandeur et le pouvoir naître de la justice, je vois le respect de la foi jurée, la pudeur des vierges, la fidélité des épouses, la valeur et la discipline des guerriers. Si je contemple les époques de décadence tout change ! Au lieu de la tempérance c’est la débauche, au lieu de la vertu c’est le vice. Les vainqueurs disparaissent dans les monstruosités du crime, dans les raffinements de l’infamie : je ne vois plus sur le trône du monde que des histrions, des chanteurs et des bourreaux !

Voilà donc les causes qui élèvent : tempérance, obéissance, vertu, pudeur, justice ! Voilà donc les causes qui abaissent : violence, déportements, dépravations, crimes ! Entendez-vous la voix de Dieu qui proclame les lois éternelles de la nature ! Quel tableau, et quelle leçon ! Et ce tableau s’est déroulé, non dans un coin ignoré du globe, mais sous les yeux du peuple-roi, en présence de toutes les nations de la terre, réunies à cet effet par la victoire. Dieu voulut que cette révélation historique fût universelle, et que sur les ruines du grand empire du monde le genre humain pût en méditer la leçon.

Alors apparut le Christ ! la révélation religieuse vient compléter la révélation historique, et toutes deux disent la même chose, et toutes deux nous appellent aux mêmes principes, nous imposent les mêmes lois. Seulement la première tue les empires, et la seconde les renouvelle. L’une se fait par le corps et l’autre par l’esprit. C’est la résurrection de l’humanité dans la doctrine du pardon et de l’amour !

La révélation religieuse est écrite dans l’Évangile.

La révélation historique se trouve partagée entre Tite-Live, Salluste, Tacite et Suétone. Le premier peint les progrès de la cité et la puissance que lui donne la vertu ; les trois derniers expriment tous les degrés de la dépravation et du crime qui mènent à la mort.

L’histoire de Rome depuis sa fondation jusqu’au règne d’Auguste, tel est le vaste et majestueux sujet de Tite-Live. Il comprend les diverses fortunes de la république, toutes les époques de gloire et tous les genres de progrès ; suites brillantes de siècles où les prodiges de l’héroïsme sont couronnés par les prodiges de l’intelligence !

Tite-Live croit à l’éternité de Rome, et il sait si bien que cette éternité tient aux vertus de sa patrie qu’il refuse même de croire à ses vices. Jamais il ne la voit coupable, jamais il ne la voit injuste. Il justifie les abus, dissimule les violences, et lorsque par hasard l’oppression devient trop éclatante pour la nier, il prend parti contre l’opprimé lui-même et cherche s’il n’a pas mérité son sort, en trahissant la république, ou seulement en négligeant de la servir.

Et cependant Tite-Live écrit de conscience : chez lui l’homme ne dément pas l’historien. S’il est injuste, ce n’est pas qu’il aime l’injustice, c’est qu’il aime sa patrie et qu’il connaît mieux ses devoirs de citoyens quêtes droits de l’humanité. Quant au style, il est moins rapide, moins incisif que celui de Tacite et de Salluste, mais aussi il est plus ample, plus insinuant, plus majestueux ; il n’étonne pas l’esprit, il touche le cœur : c’est Virgile en prose. Pourquoi faut-il que des cent quarante livres dont se composait l’ensemble de ce magnifique ouvrage trente-cinq seulement aient échappé aux incendies successifs de Rome et aux ravages des Alaric, des Genseric et des Totila ? Heureux de n’avoir point à placer parmi ces noms barbares le nom calomnié, mais toujours pur, du pape Grégoire-le-Grand !

J’arrive à Salluste. Lorsqu’il prit la plume, Sylla avait régné ; César voulait le trône, et la dissolution la plus effrontée dégradait Rome. Cette époque est horrible : c’est celle du vice qui déjà a besoin du crime pour s’amuser. En voyant la gloire de César, la bassesse du peuple, la vénalité du sénat, le mépris de toutes les vertus qui ont élevé Rome, l’âme s’attriste, l’avenir hideux se dévoile, on a comme un pressentiment de Tibère et de Néron !

Salluste a peint tout cela avec une grande puissance de pensée et de style : il est nerveux, concis, abrupte. Sa parole est un fer rouge sur le front du coupable. On dirait qu’il hait le crime, tant il en témoigne l’horreur. Et ne croyez pas que le criminel puisse lui échapper : conspirateur, il vous connaît ! concussionnaire, il a les yeux sur vous ! Ambitieux vous êtes en lui ! Contradiction étrange ! cet homme dont la pensée est libre, grave, sévère, qui parle comme le vieux Caton, fut l’esclave des vices les plus honteux et des passions les plus monstrueuses. Il égala Lucullus, il eût surpassé Sylla : il l’a loué !

Les anciens ont remarqué la noblesse de sa figure, et ils ont dit qu’elle était l’expression de la noblesse de ses pensées : que n’ajoutaient-ils ce que Salluste lui-même disait de Pompée ? Chez lui la physionomie de la vertu cache le vice !

Il ne reste de Salluste que la conjuration de Catilina et la guerre de Jugurtha. C’est dans cette guerre qu’il s’enrichit par la violence et la concussion ; ce qui a fait dire à Dion Cassius avec une vigueur digne de celui qu’il voulait caractériser : César ayant conquis la Numidie préposa Salluste de nom, au gouvernement, mais de fait, à la ruine du pays ! Cette ruine il l’effectua. Puis tout chargé des dépouilles de ses victoires, il paya un million à César et se crut innocent parce qu’il achetait un illustre complice !

Il avait écrit une histoire générale civile et militaire de la république, divisée en cinq livres et adressée à Lucullus. Elle commençait où finit Jugurtha et finissait au consulat de Tullus et de Lépidus où commence la conjuration ; en sorte que ces trois morceaux formaient une histoire à peu près complète du septième siècle de Rome. Une étude approfondie des fragments dispersés de cet ouvrage, et dont Carrion n’a recueilli qu’une faible partie, nous a appris que Salluste y avait développé le tableau de la lutte de Marius et de Sylla, la guerre de Sertorius en Espagne contre Métellus et Pompée, l’expédition de Lucullus contre Mithridate, le siége de Cézique, l’invasion de Marc-Antoine dans l’île de Crète, et de Curion dans la Mésie, les efforts des tribuns pour reprendre le pouvoir et rendre au peuple le droit de juger. La guerre des Pirates, la révolte de Spartacus, enfin tous les événements connus ou inconnus, depuis l’abdication de Sylla jusqu’à la loi Manilia qui livra la république au pouvoir de Pompée. Quel sujet pour une plume comme celle de Salluste ! Rome se dégrade et tombe, mais sa dégradation n’est pas sans grandeur : il y a encore de la gloire, même sous Sylla, il y a encore de la vertu ; même sous César ! Caton existe : les derniers soupirs de la liberté seront sublimes !

Le règne d’Auguste sépare l’époque de Salluste de l’époque de Tacite, c’est-à-dire Sylla, Catilina, Pompée, César, de Tibère, Caligula, Claude et Néron. Ce fut comme une trève accordée à l’humanité entre la guerre civile et le travail des bourreaux et pendant cette trève, les poètes chantent, Horace célèbre la volupté, Virgile le repos des champs, les travaux des abeilles et la naissance de Rome. Harmonie divine de deux belles intelligences, à travers laquelle on entend le bruit lointain d’un peuple qu’on enchaîne et de la république qui tombe !

Tacite a porté dans l’histoire l’amour de la vérité, et un grand caractère avec le génie qui sait tout voir, tout peindre et tout approfondir. Chez lui point d’hypocrisie : il élève la vertu parce qu’il l’honore ; il châtie le vice parce qu’il le hait. Bien différent en cela de Salluste, qui avec le même talent et la même ardeur contre son siècle poursuivait insolemment dans les autres tous les vices qui étaient en lui !

L’époque de Tacite offre les contrastes les plus étranges ; la lumière et les ténèbres s’y rencontrent sans se mêler. L’imagination s’effraie de voir Tibère succéder à Auguste, Domitien à Titus ; le bourreau de l’humanité aux délices du genre humain. Plus tard le spectacle continue, et Commode s’assied à la place de Marc-Aurèle. C’est l’agonie de Rome entre le crime et la vertu. Tacite avait peint ces contrastes ; mais le règne de Titus est perdu, et le règne d’Auguste ne fut probablement jamais achevé. De tant de belles pages consacrées à la vertu, il ne nous reste que la vie d’Agricola et le portrait de Trajan ; encore ce dernier morceau nous est-il parvenu tout mutilé, comme ces statues antiques dont nous ne possédons que des débris, mais des débris sublimes où respirent le génie de l’artiste et l’âme d’un Dieu !

Les écrits de Tacite ont un caractère particulier, on y sent une âme méditative et solitaire qui se repose en elle-même. Témoin d’une corruption inouïe, il la juge sans colère, partagé entre la tristesse qui naît du spectacle de tant de vices et la sérénité que lui inspire sa confiance dans la justice des dieux. Ce double sentiment est empreint dans toutes ses pages ; il lui doit cette raison calme et réfléchie qui domine les événements, et ce courage inflexible qui juge les tyrans en leur présence. C’est le secret de ce beau génie ! Sa philosophie est toute religieuse ; et sans doute il fallait une philosophie sur-humaine pour peindre des monstres tels que Tibère, Caligula, Claude, Néron, et cette bête féroce qu’on appelait le peuple Romain, sans désespérer de l’humanité !

Nous avons signalé l’esprit religieux de Tacite ; d’autres l’ont accusé d’impiété ; mais ces derniers ne s’appuient que d’un passage de ses histoires mal interprété, plus mal traduit, et qui prouve précisément le contraire de ce qu’on a voulu lui faire dire. Après un tableau effrayant des proscriptions et des malheurs de Rome, il ajoute en rappelant la mort des bourreaux : « Les dieux n’ont jamais mieux prouvé que s’ils ne préviennent point le crime, du moins ils le punissent. » Pensée religieuse qui maintient l’homme dans sa liberté et Dieu dans sa justice, et dont le géomètre D’Alembert trouva le moyen de faire une impiété en traduisant : les dieux ne veillent sur les hommes que pour les punir[2].

Tacite a épuisé les éloges ; on a pu dire de lui et sans exagération, que c’est l’historien le plus profond, l’écrivain le plus puissant, et selon l’expression de Racine, le plus grand peintre de l’antiquité !

Nous avons de lui la Vie d’Agricola, livre sans tache, resté le modèle des biographies, même avant Plutarque, le maître éternel, comme disait nos pères, dans l’art de peindre la vertu !

Les Mœurs des Germains, le plus ancien titre de noblesse de l’Europe, et la préface indispensable de toute l’histoire moderne.

Enfin les histoires et les annales, œuvres de justice providentielle, résumé effroyable de l’avilissement et de la chute de l’empire du monde, complété par les monstruosités de Suétone !

Les historiens secondaires de la Grèce et de Rome ont été nommés plus haut, ceux-là offrent quelques faits curieux, quelques développements nouveaux, mais rien d’assez caractéristique pour mériter que nous les tirions de la foule. Passons donc aux monuments de la troisième époque intellectuelle et morale de l’histoire de l’humanité : le règne du Christ sur la terre. Cette époque offre, pendant quelques siècles, le spectacle unique d’un monde qui naît et d’un monde qui meurt, tous deux se rencontrant dans la même arène ; le puissant armé du glaive, le naissant armé de la prière ; ils combattent et c’est le fort qui succombe, et c’est le faible qui triomphe. En voyant cette lutte inégale et cette victoire inespérée, on sent qu’un grand mystère est sur le point de s’accomplir. Ce n’est pas seulement un changement de maîtres ou de dynastie, c’est une révolution complète : le renouvellement de l’univers par la pensée.

CHAPITRE III.

DE L’HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE,
DES CHRONIQUES, DES MÉMOIRES, ETC.

Jamais tableau plus sublime dans sa simplicité ne fut offert à l’admiration des hommes. Le Christ vient de mourir. Les fidèles se réunissent à Jérusalem pour élire un apôtre à la place de Judas ; l’assemblée est complète ; on y voit la Vierge au milieu des disciples et les saintes femmes qui pleuraient au pied de la croix : il s’y trouva environ six-vingts personnes, les plus faibles des créatures et les derniers du peuple. Voilà le commencement de la société nouvelle : c’était là toute l’armée de Jésus ; Dieu le voulait ainsi pour mieux signaler sa puissance en lui donnant le monde !

Après cette assemblée viennent les enseignements des apôtres, les actes des martyrs, l’exaltation des évêques et la gloire des saints, au milieu desquels l’Église se lève rayonnante. Alors tout change, tout se renouvelle ; les vieilles nations disparaissent et les nations barbares se civilisent. Désormais l’histoire ne datera plus de la création du monde terrestre sorti de la main de Dieu, mais de la création du monde moral sorti du cœur de Jésus-Christ. Une croix plantée au sommet du Golgotha devient la limite des deux mondes !

L’histoire de l’Église, comme on voit, est une histoire à part, une histoire morale jetée à travers l’histoire matérielle des peuples et destinée à la spiritualiser. Au milieu de toutes les choses qui passent, de toutes les croyances qui meurent, de tous les dieux qui s’en vont, on est surpris de rencontrer quelque chose d’immuable, une société qui ne meurt pas, une religion qui grandit. C’est que cette Église n’est pas née de l’ignorance des peuples, ou de l’ambition des hommes comme toutes les autres religions, mais des lumières du ciel et des besoins de l’humanité. Son point de départ est la perfection même vers laquelle gravite le genre humain, et quand nous la voyons plus belle, ce n’est pas elle qui change, c’est notre intelligence qui est en progrès.

Aussi quelle puissance ! comme elle dompte les rois, comme elle soumet les peuples ! Son histoire est encore l’histoire du monde. Après Rome conquérante, vient Rome religieuse et civilisatrice. L’Europe lui doit sa marche progressive et l’Occident son unité.

Que n’est-elle toujours restée grande par la doctrine et par l’esprit ? le monde n’aurait pas à déplorer l’inquisition, les bûchers, les massacres sous Médicis, les dragonnades sous Louis XIV, et ces guerres religieuses qu’il faudra bien un jour appeler de leur véritable nom !

Tel est le vaste sujet embrassé par l’abbé Fleury, et auquel il donna le titre modeste d’Histoire ecclésiastique. Trente années de lecture et de méditation ne le conduisirent qu’au vingtième volume.

En écrivant cet ouvrage, Fleury se donna la mission difficile et périlleuse de chercher la vérité et de la dire, de la chercher au milieu des ténèbres des premiers âges, et de la dire en face des esprits étroits qu’elle blesse, des tyrannies puissantes qu’elle tue, de tous les préjugés et de tous les mensonges qui dévorent l’humanité ! « Il y a, dit-il, des chrétiens faibles et crédules qui respectent jusqu’à l’ombre de la religion et craignent toujours de ne pas croire assez. Quelques-uns manquent de lumière, d’autres se bouchent les yeux et n’osent se servir de leur esprit ; ils mettent une partie de la piété à croire tout ce qu’ont écrit les auteurs catholiques et tout ce que croit le peuple le plus ignorant. D’autres croient le peuple incapable ou indigne de connaître la vérité. Ceux-là n’ont jamais examiné les preuves solides de l’Évangile, c’est pourquoi ils n’osent approfondir. Ils veulent croire qu’on a toujours vécu comme aujourd’hui, parce qu’ils ne veulent pas changer de mœurs ; comme s’il pouvait jamais être utile de se tromper, ou si la vérité pouvait devenir fausse à force d’être examinée…… La critique est donc nécessaire, et sans manquer de respect aux traditions, on peut examiner celles qui sont dignes de créance[3]. »

C’est avec cet esprit supérieur que Fleury déroule toute la suite de l’Église, ou plutôt de l’humanité, n’oubliant aucune vertu, mais aussi ne ménageant aucun vice, débarrassant la route des superstitions qui la couvrent ; condamnant avec une sainte indignation, et les fraudes pieuses, et les richesses mal acquises, et les violences théologiques, et les moines trop pauvres, et les moines trop riches, et les reliques inventées dans le but d’obtenir des offrandes, tous les relâchements et toutes les tentations de Rome ; blâmant les papes lorsqu’ils s’attribuent la puissance temporelle, et les saints lorsque leur zèle les égare. Puis rejetant, comme des choses indifférentes, toutes les petites pratiques, toutes les adorations subalternes dont la cupidité et la crédulité surchargent nos croyances. Ces choses, dit-il, sont hors de la véritable religion ; on peut porter un scapulaire, dire tous les jours le chapelet sans pardonner à ses ennemis, ou sans quitter sa concubine[4]. La piété n’est pas là, elle est dans les œuvres. Que saint Jacques ne soit jamais venu en Espagne, ni Madeleine en Provence, que nous ignorions l’histoire de saint Georges et de sainte Marguerite, l’Évangile en sera-t-il moins vrai ? serons-nous moins obligé de croire à la Sainte-Trinité et à l’incarnation, à porter notre croix, à renoncer à nous-même et à mettre toute notre espérance dans le ciel[5].

Personne n’a tracé d’une main plus ferme la limite de la puissance ecclésiastique, de cette puissance dont, suivant une sainte parole, le royaume n’est pas de ce monde. Il blâme les évêques d’avoir distribué des couronnes de la part de Dieu, et il traite la déposition des rois par les papes d’attentat à la dignité royale ; il condamne les guerres religieuses comme des impiétés, l’usurpation des pouvoirs comme une violation de la justice, et l’accumulation des trésors dans l’Église comme une cause de corruption, s’appuyant de l’exemple même de Jésus-Christ, qui nous enseigne que la vertu toute seule vaut mieux que la vertu riche, puissante et couronnée.

Un trait particulier à cette histoire, et que Fleury a pris soin de mettre dans tout son jour, c’est que l’esprit de la primitive Église était la tolérance, et le pardon sa doctrine ; c’est que jamais cette Église n’a persécuté, que jamais elle n’a versé le sang et qu’elle peut se présenter à Dieu dans sa pureté évangélique avec ses vêtements d’innocence et de charité !

Dieu ne veut pas la mort du pécheur ; proverbe sublime né avec l’Église, expression d’une doctrine nouvelle et qui résume toute une époque !

En effet, rien n’est plus remarquable, dans ces premiers temps, que la douceur des chrétiens envers la mort ; ils donnent leur vie avec joie sans la défendre. Pendant que la hache tombe, ils se souviennent du Christ et prient pour leurs bourreaux.

Les croisades, l’inquisition, les bûchers, les massacres, toutes les guerres religieuses et tous les moines armés, signalent donc une révolution dans la doctrine. Avant le huitième siècle, par exemple, l’Église ne cesse d’implorer la douceur des juges contre les assassins des chrétiens ; elle sauve la vie à tous les criminels ; son but est la conversion, jamais la mort. Les œuvres de saint Augustin témoignent de cette horreur du sang ; la clémence y est de droit ecclésiastique. Dans sa lettre à Macédonius, il déclare positivement que l’Église veut qu’il n’y ait en cette vie que des peines de correction, pour détruire, non l’homme, mais le péché, car détruire l’homme dans le péché, c’est le jeter au supplice éternel qui est sans remède. Douceur touchante, dit Fleury, et qui rendait l’Église aimable, même aux païens.

Il est glorieux pour l’Église d’avoir protesté la première, contre le sang versé, soit au nom de la justice, soit au nom de la religion[6]. Ses supplications pour supprimer la peine capitale sont d’autant plus dignes de reconnaissance, qu’elles retentirent à une époque où toute la morale humaine reposait sur la mort, seule borne du crime, seul recours du malheur, seul juge des nations dans l’antiquité ! Les chrétiens s’élevèrent plus hauts : en spiritualisant la vie, ils en comprirent le but. Dès lors, l’homme n’eut plus le droit de retrancher à l’homme une seule minute du temps que Dieu lui accorde, non pour le bonheur sur la terre, il n’y en a pas de complet, mais pour le repentir ou la vertu, deux routes que le Christ nous ouvre jusques à lui !

Ainsi fut écrite, par l’abbé Fleury, l’Histoire du Christianisme avec les lumières de la science et la foi d’un père de l’Église. Lorsqu’on se rappelle l’esprit théologique de la fin du règne de Louis XIV, la sévérité coupable de ses actes et la dévotion étroite et susceptible que l’exemple du roi imposait à la cour, on s’étonne et de la sagesse de l’auteur et des vérités hardies qu’il proclame. Mais tout s’explique dès qu’on interroge sa vie ; Fleury fut l’ami de Fénelon ; ses plus belles années s’écoulèrent dans l’intimité de cette âme toute divine. Attaché à l’éducation du duc de Bourgogne, il s’imprima les leçons du maître : on n’approche pas de l’autel sans emporter avec soi le parfum de l’encens qu’on y brûle !

Après avoir caractérisé l’Histoire ecclésiastique par la vertu de son auteur, il ne nous reste qu’une chose à dire, c’est que l’étude de ce beau livre devrait faire partie de toute bonne éducation. Mais qui songe aujourd’hui à l’éducation morale et religieuse de la jeunesse ? Quel est le ministre dont la parole ne flatte les passions ambitieuses de la jeunesse ? Quelle est la mère de famille qui s’inquiète de l’âme de ses enfants et de leur véritable avenir ? L’instruction qui donne un état, la science qui mène au pouvoir, tout ce qui comprime l’homme dans le cercle étroit du monde matériel, voilà le but. Et en vérité la religion et la morale n’ont rien à faire là !

Après l’ouvrage de Fleury, nous avons placé l’ouvrage de Néander, intitulé : Histoire générale de la religion chrétienne et de l’Église. Le but de Néander n’est pas seulement de tracer la suite chronologique des faits, mais d’étudier l’action du christianisme sur la vie morale et la vie pratique de l’humanité. C’est l’histoire de l’Église au point de vue de la réforme et quelquefois aussi au point de vue philosophique. Les principes de l’auteur sont larges, lumineux ; il porte la critique où les autres historiens n’ont porté que la foi ; il juge le catholicisme dans ses doctrines, dans sa constitution organique et dans ses rapports avec le monde. Ces trois points répondent aux divisions suivantes :

Établissement et propagation du christianisme par l’apostolat. Persécutions des empereurs. Polémiques des écrivains païens. L’Église devenue après Constantin pouvoir politique de l’État.

Sa constitution, sa discipline, son culte, ses schismes, ses mœurs et le développement du christianisme comme doctrines philosophiques forment le complément de l’œuvre.

Placé à cette hauteur, Néander considère le christianisme comme la seule doctrine religieuse qui soit en rapport avec les progrès indéfinis de l’humanité. Il y voit l’avenir du monde !

Le paganisme avait déifié les forces matérielles de la nature : enfermé dans le cercle étroit des nationalités, il ne pouvait constituer que des civilisations ennemies, des peuples isolés. Le christianisme au contraire, en donnant une même origine à tous les hommes, a constitué le genre humain. Il embrasse tous les temps, tous les lieux, toutes les nations. Pour conquérir le monde, il reconnait partout des frères, et pour conquérir le ciel, il spiritualise l’humanité !

Telles sont les doctrines développées par Néander : son livre pourrait être intitulé : Philosophie de l’histoire du Christianisme.

Nous avons dit que toute l’histoire moderne se concentre dans les annales de l’Église, et nous avons signalé les deux beaux ouvrages qui résument ces annales. Si nous remontons aux sources, nous trouvons d’abord pour le Bas-Empire les écrivains de la Byzantine ; puis les chroniques des moines qui du fond de leurs cellules gouvernent le monde. Ces chroniques commencent avec les peuples nouveaux de Clovis et de Charlemagne ; elles sont en latin. Viennent ensuite les histoires rimées des troubadours et des trouvères : c’est le règne de Philippe-Auguste et la gloire des croisades. Les langues nationales naissent pour chanter cette gloire. À la même époque commencent avec Ville-Hardouin et un peu plus tard avec Joinville les récits aventureux des grands barons, mélange brillant de barbarie gauloise, de sentiments évangéliques et de légèreté française. Après ces récits, sans modèle dans l’antiquité, nous trouvons les bibles historiales des clercs, les mémoires chevaleresques des hauts et puissants seigneurs féodaux, et les mémoires politiques des ministres : ainsi les poètes succèdent aux moines, les chevaliers aux poètes, les clercs et les hommes politiques aux chevaliers : la société se transforme, et déjà dans la force brutale vient se fondre la force intelligente. Le moyen-âge n’est pas comme on le croit vulgairement un temps perdu pour l’humanité. On y voit les combats de l’Évangile contre la triple barbarie des guerres, des moines et des peuples, et ce combat le monde en a recueilli quelque chose, puisque l’Évangile est resté triomphant.

Chaque jour on répète que la France n’a point d’histoire. Si on entend par histoire le tableau des événements tracé à la manière de Tacite, il faut en convenir, la France n’a point d’histoire. Mais les formes sévères de Tacite conviennent-elles également à toutes les époques et à tous les genres de récits ? Nous sommes loin de le croire : Tacite est l’expression de son temps ; d’autres temps exigent d’autres formes, amènent d’autres pensées, et par exemple la gaîté française de Joinville, ses plaisanteries au milieu des combats les plus désespérés, ses aveux naïfs de la peur qui le saisit, lui le brave chevalier, sous le couteau des Sarrazins, son admiration sans bornes pour saint Louis, calme, impassible, étonnant les Barbares, ses vainqueurs, et pour toute réponse à leurs menaces, leur imposant sa volonté ; ces choses racontées simplement, sans apprêts, sans phrases, mais aussi avec une émotion profonde, comme on raconte, le soir au coin du feu, les périls de la journée, peignent mieux cette époque de foi et de croyance que n’auraient pu le faire la concision un peu sèche de César ou les traits les plus vigoureux de Tacite.

Disons-le hardiment, l’histoire de France est écrite dans nos chroniques et dans nos mémoires, et cette histoire est la plus complète, la plus dramatique, la plus pittoresque qu’il soit possible d’imaginer ; elle est écrite comme les poèmes d’Homère sur tous les modes et dans tous les idiomes ; elle est écrite de siècle en siècle, en face même des événements. Vous pouvez voir à la fois les progrès de la langue et les progrès de l’humanité. Ils vont d’un même branle sinon d’un même pas. Et quelle prodigieuse variété de ton, de mœurs, d’usages, de lois ! Chaque époque a ses héros et aussi ses chroniques qui en résument l’esprit et le caractère. C’est Godefroy, Tancrède, Lusignan, Baudoin, de simples chevaliers qui vont se faire rois ; c’est Boucicaut, Duguesclin, Clisson, Bayard, Jeanne d’Arc, de hardis capitaines qui conquièrent des couronnes, mais qui n’en portent pas. Leurs historiens vivaient avec eux sous la même tente ou combattaient à leur côté. Nul désir de gloire ne les a poussés à ce travail : ils écrivent pour l’exaulcement de la beauté des dames, pour conserver le souvenir des grands faits d’armes, et aussi, comme dit Froissard, pour tout noble cœur encourager et à eux montrer l’exemple en matière d’honneur ! Il y en a dont la modestie est si grande qu’ils oublient de se nommer à la tête de leurs ouvrages. L’auteur des mémoires sur le bon chevalier Bayard n’est connu que par le titre qu’il se donne de loyal serviteur. Et cependant ces mémoires sont un livre charmant, un véritable chef-d’œuvre digne de Plutarque, écrit dans le style d’Amyot et qui a pu lui servir de modèle.

La vie de Bayard c’est l’expression la plus morale des siècles de chevalerie c’est la loyauté et la valeur se personnifiant dans un seul homme. Simple capitaine il mérita le titre de chevalier sans peur et sans reproche, et on peut lui appliquer ces belles paroles du poète divin de l’antiquité : « Tout ce qu’il cachait dans le sanctuaire de son cœur, il le fit éclater à la lumière du soleil, sous la forme de grandes actions[7] !!  »

L’intérêt de ces mémoires s’accroît encore par la variété des sujets et aussi par la variété des formes ; les uns vous disent les aventures d’un simple chevalier qui se trouva à toutes les guerres, les autres les actions politiques d’un grand personnage qui fut le centre de son époque. Celui-ci décrit lui-même ses périls et ses victoires ; j’étais ici, j’étais là, si l’on avait suivi mon conseil ! Celui-là se donne le plaisir de se faire raconter sa vie par ses secrétaires : vous souvient-il de telle bataille ; vous y étiez, eh Dieu ! les ennemis en eurent du mal. Monseigneur n’a point oublié les éloges que lui donna le roi, et encore vous parla-t-il si longtemps que les petits marjolets de cour ne savaient plus que dire. Telles sont les Économies royales de Sully. Enfin il y a des mémoires comme ceux du cardinal de Richelieu qui offrent la discussion approfondie des affaires et la raison politique des événements, ou comme les chroniques de Froissard qui racontent tout un siècle les carrousels, les tournois, les pas d’armes ; vous voyez la lutte terrible de la France et de l’Angleterre, les désastres de Crécy et de Poitiers, le brigandage dans les châteaux, la faim dans les chaumières, et au milieu de ce chaos quelques nobles chevaliers qui ne désespèrent pas du salut de la patrie, et une page sublime, la plus sublime peut-être de nos annales : le dévouement des six bourgeois de Calais !

Telle est l’histoire de France étudiée dans les mémoires. Elle nous place au milieu des événements et nous fait vivre de la vie de chaque époque. Là nous pouvons trouver des erreurs, des vanteries, des mensonges mêmes, mais point d’anachronismes de costumes, de coutumes ou de caractères. Idées, langages, usages, mœurs, tout est du siècle, tout est varié, tout éveille l’intérêt, jusqu’à la forme qui n’a rien de la sévérité historique et qu’on croirait souvent empruntée aux drames et aux romans. Quel roman, par exemple, pourrait être comparé pour le merveilleux, aux mémoires de Ville-Hardouin, à ceux du loyal serviteur et du jeune adventureux, où même au récit original du procès de Jeanne d’Arc. Quel romancier aurait tracé le portrait de saint Louis tel qu’on le voit dans Joinville, ou les hauts faits des nobles chevaliers, la barbarie et la loyauté de leurs caractères, tels qu’on les voit dans Boucicaut, Duguesclin, Bayard, Froissard, Monstrelet. Le plus grand romancier, ou plutôt le plus grand historien des temps modernes, Walter Scott, n’a-t-il pas essayé la lutte avec notre Philippe de Commines, eh bien ! toutes les ressources de son génie n’ont pu empêcher sa défaite, et le roman quoique plein de beautés de premier ordre, est resté au-dessous de l’histoire !

CHAPITRE IV.

PHILOSOPHIE DE L’HISTOIRE. — BOSSUET, VOLTAIRE, HERDER.

Tous les historiens anciens et modernes, Bossuet excepté, n’ont vu dans l’histoire que le simple récit des faits, développés sous l’influence d’une politique plus ou moins large, ou d’une morale plus ou moins parfaite. Chez les anciens surtout l’histoire n’était que cela. Ce qu’on loue dans Tite-Live, c’est l’éloquence de ses harangues et le charme de ses narrations ; ce qu’on loue dans Tacite c’est la haine des tyrans, son style énergique et ses jugements profonds des hommes et des choses. Hérodote peint, Thucydide réfléchit, César raconte : les uns recueillent les souvenirs du passé, les autres se contentent de chanter le présent. Ceux-ci sont de simples voyageurs qui interrogent les hommes et les monuments, ceux-là de grands capitaines qui veulent asservir leur pays. Tous écrivent dans l’intérêt d’une ambition, d’une cité ou d’un empire, mais sans jamais s’élever à des considérations humanitaires. Ce qui frappe le plus en les lisant, c’est l’égoïsme national, c’est l’isolement orgueilleux où deux grands peuples veulent rester de tous les autres peuples. Il y a là une effroyable aristocratie qui déclare, soit les Grecs, soit les Romains, peuple noble, peuple privilégié, et qui ne veut voir dans le reste du globe que des barbares, des serfs et des esclaves. Ainsi les frères se haïssent, ils ont oublié leur origine première et ne se rencontrent plus que le fer à la main. Vainement Socrate interrogé sur sa patrie, s’est proclamé citoyen de l’univers, cette parole n’a pas été comprise. Ce n’est pas la philosophie, c’est la religion qui doit retrouver les titres de notre parenté universelle ; nous n’arriverons à l’unité du genre humain qu’après avoir compris l’unité de Dieu !

Ce fut la grande révélation du Christ. À sa voix, les peuples élus et les peuples privilégiés disparurent. Il n’y eut plus sur la terre qu’un seul peuple, le peuple de Dieu ; c’est-à-dire des frères, enfants d’un même Créateur ; c’est-à-dire des hommes fils d’un même Père. Le Christ déposa cette vérité civilisatrice dans une simple prière qui commence par ces mots Notre Père ! Remarquez bien notre Père, et non mon Père. C’est un homme seul qui parle, et cependant il parle au nom de tous. En s’adressant à Dieu, en l’invoquant sous le titre le plus sacré, il ne lui est pas permis de s’isoler. Sa prière est collective, elle lui rappelle sa famille, la grande famille qui couvre le globe, la famille de Dieu. Prière vraiment céleste, où chaque individu ne se présente à son père qu’environné de tous ses frères, et où du fond de la solitude il parle au nom du genre humain !

Telle est la vérité qui, en changeant le monde, a élargi les bases de l’histoire et créé, si l’on peut s’exprimer ainsi, un système historique tout nouveau. Aujourd’hui l’histoire est quelque chose de plus que le simple récit du triomphe d’un héros, ou de la chute ou de l’élévation d’un empire ; elle est l’observation philosophique et religieuse des développements de l’humanité !

Ainsi est née la philosophie de l’histoire. Science chrétienne et prophétique qui tend à constater les progrès du monde social, c’est-à-dire sa tendance éternelle vers l’unité !

Toutefois cette science ne fut entrevue que bien tard ; il lui fallut pour se faire jour le plus beau siècle littéraire de la France et le plus puissant génie de l’Église moderne. Grande et magnifique époque, quoique sanglante. Le catholicisme réunissait toutes ses forces, et s’appuyant sur l’unité royale, fondée par Richelieu et personnifiée en Louis XIV, il s’était remis, sublime, chancelant, mais toujours armé du glaive d’acier, entre les mains souveraines de Bossuet. Le père de l’Église se lève, et embrassant d’un regard toute la succession des siècles, il pousse cette longue et éternelle lamentation : Vanitas vanitatum et omnia vanitas ! puis il montre cet immense cortége funéraire de rois et de peuples qui passe de la vie à la mort sous la direction de Dieu même ; tous les événements de la terre prévus dans l’éternité, toutes les gloires et tous les crimes, œuvres d’une loi providentielle que rien ne peut fléchir, et un seul but à toutes ces choses si tristes et si diverses : les progrès du genre humain vers l’unité catholique. Les empires tombent, les dynasties s’éteignent, la route de l’humanité se couvre de ruines, les ruines disparaissent sous la poussière des nations ! n’importe ! faites place et taisez-vous : c’est la justice de Dieu qui passe. La providence de Bossuet nous apparaît toute empreinte de la fatalité antique.

Étonnez-vous donc qu’une pareille inflexibilité ait enfanté Voltaire ? Étonnez-vous que les hommes, las d’être annihilés comme hommes, écrasés comme peuple, aient tout à coup élevé la voix contre l’autorité et la tradition ? Comparez l’histoire universelle de Voltaire à l’histoire universelle de Bossuet, et voyez si les incrédulités du philosophe ne sont pas la conséquence logique des implacables doctrines du prêtre. Ici la raison lutte contre la foi, l’examen contre l’adoration, la raillerie contre la menace. Les excès ont amené la révolte, et parce que dans Bossuet tout se termine par la violence et la damnation, il faut que dans Voltaire tout se termine par la dérision et l’impiété.

Voltaire a fait précéder l’Essai sur les mœurs des nations d’une longue préface intitulée Philosophie de l’histoire. C’est un recueil de questions sérieuses résolues par des facéties. Il y est dit que les bancs de coquillages qui couvrent les montagnes du globe y ont été oubliés par des troupes de pèlerins, ce qui dispense le philosophe de croire au déluge ; que les populations indigènes de la vieille Amérique y furent plantées par la Providence, comme l’herbe des champs et les arbres des forêts, ce qui dispense le philosophe de croire à la création. L’état sauvage y est considéré comme l’état primitif de l’humanité et les cultes religieux, comme une dégradation de l’espèce, les hommes ayant imaginé les dieux comme ils ont imaginé les rois et les hauts barons. Voilà cependant ce qu’un grand esprit est obligé de croire pour ne croire à rien. Quant à la science nouvelle, à la philosophie de l’histoire, il n’en est parlé que sur le titre du livre ; Voltaire la confond avec le doute et souvent avec l’impiété. Sous ce rapport, comme sous beaucoup d’autres, il reste inférieur à Bossuet. On sent que la force lui manque pour s’élever si haut, et que c’est d’en bas qu’il juge l’adversaire sublime dont il ne sait ni comprendre les transports ni mesurer les pensées !

Jusqu’ici la philosophie de l’histoire est plutôt entrevue que fondée. Bossuet en a eu le sentiment : il a inventé la science, mais sans la formuler. À cette science Voltaire vient donner un nom, mais sans la définir, même sans la comprendre, sans y voir autre chose que la critique et le choix des événements. Averti par ces deux grands hommes, Herder se présente ; il conçoit l’idée large et puissante de chercher la loi qui dirige l’humanité sur le globe, et dès lors la science est fondée. Longtemps avant Herder, Vico avait eu cette pensée ; mais son livre, resté inconnu, fut pour ainsi dire une découverte de notre siècle. Voyons donc l’œuvre de Herder ; nous reviendrons plus tard sur Vico, le véritable inventeur de la philosophie de l’histoire, si Bossuet ne l’est pas.

Avant de tracer l’histoire de l’homme, Herder trace l’histoire du globe que nous habitons. Vu du ciel, c’est un astre parmi les astres ; vu de la terre, c’est une sphère elliptique et montagneuse dont les mille sommets opposés sortent des flots qui leur servent de ceinture. Sur ces mille sommets, sillonnés par le feu et par les eaux, habite le genre humain. La direction des montagnes et des vallées, leur position sous le soleil qui les éclaire et qui les féconde, produit la variété des climats, qui produit la variété des peuples et la variété des spectacles. Cette partie de l’ouvrage est éblouissante de poésie. L’auteur s’y montre à la fois grand naturaliste et grand peintre. Il dit les harmonies de la nature et le but providentiel de ces harmonies. Il trace l’histoire des végétaux et des animaux dans leurs rapports avec les eaux, les lieux, l’air et l’homme. Ce qu’il cherche dans la matière, c’est l’intelligence qui les dirige ; ce qu’il voit dans l’humanité, c’est l’avenir qui lui est promis ; l’humanité n’est pour lui qu’un état de transition : c’est la fleur sacrée des Indiens qui en s’épanouissant doit enfanter un Dieu !

Il y a des pages dans ce livre où l’on croit reconnaître le génie et l’âme de Bernardin de Saint-Pierre : ce sont des impressions et souvent des pensées identiques ; ces pensées, elles naissaient à la même époque chez deux peuples amis, quoique nourris dans des doctrines différentes, et, ce qu’il y a de plus singulier, ce fut aussi à la même époque que les ouvrages qui les renferment furent publiés : l’année 1784 vit paraître à Paris les Études de la nature, et à Weimar l’Histoire philosophique de l’humanité.

De l’étude du globe, le philosophe passe à l’étude de l’homme. Ici se termine l’histoire naturelle de la terre, et commence l’histoire politique des peuples. Mais déjà l’auteur a tiré de graves conclusions de son premier travail. Il veut que la beauté ou l’âpreté des sites, la fécondité ou l’aridité des terres, la hauteur des montagnes, la profondeur des vallées, marquent d’un trait ineffaçable la physionomie des peuples, leurs caractères, leurs mœurs, leur civilisation, leurs lois. En un mot, il fait ressortir toutes les actions humaines de l’influence du monde extérieur. Voilà le fond de son livre et ce qu’il se hâte un peu trop tôt d’appeler : philosophie de l’histoire ! Sa théorie, comme on le voit, est toute sensuelle, elle répond au système de Locke, et comme lui, elle n’est vraie qu’à moitié. Sans doute l’homme est soumis par son corps à l’influence des climats et des saisons, mais c’est la pensée et non le corps qui règne sur la terre : et qu’est-ce donc qui élève ou abaisse la pensée, si ce n’est l’éducation et les institutions ? La preuve que le climat n’est pas tout ; la preuve que l’âme humaine peut le dominer, c’est que sur le même sol où l’antiquité vit des héros, vous ne rencontrez aujourd’hui que des barbares ; c’est que sur le même sol où l’antiquité vit des barbares, vous rencontrez aujourd’hui les peuples civilisés. La terre de la liberté a enfanté l’esclavage, comme la terre de l’esclavage a enfanté la liberté !

Au reste la théorie de Herder était loin d’être nouvelle, et pour la retrouver à sa source, il faut remonter plus haut que Montesquieu et Bodin. En effet, il y a aujourd’hui plus de vingt-deux siècles qu’un grand observateur, Hippocrate, en posa les principes dans une page admirable, dont la philosophie de l’histoire de l’humanité n’est que le développement exagéré jusqu’au sophisme. Écoutez ceci : « Les Européens qui habitent les montagnes, les pays rudes, élevés, arides, où les saisons amènent de grandes variations, sont naturellement de haute stature, laborieux et braves ; leur caractère tient de l’agreste et du sauvage. Dans les vallées, dans les pays abondants en herbe, dans les lieux étouffés, plus exposés aux vents chauds qu’aux vents froids, la stature des hommes ne saurait être grande, ni bien droite : ils y deviennent gros, leur couleur est brune, plus près du noir que du blanc ; ils sont moins pituiteux que bilieux, ils ne manquent ni de force ni de courage. Toutefois leur nature n’est pas toujours la même ; elle se modifie suivant les circonstances. Si dans les pays qu’ils habitent, il coule de grandes rivières qui reçoivent beaucoup d’eau des terres, et de celle qui tombe du ciel, et de celle des lacs, ils ont bonne mine, et ils jouissent d’une bonne santé. Si au contraire ils manquent de rivières, de sorte qu’ils fassent leur boisson d’eau stagnante, ou d’eau de fontaines puantes, ils ne peuvent les digérer, et elles portent à la rate. Ceux qui vivent dans des contrées élevées, découvertes, exposées aux vents, et en même temps humides, sont grands, ils se ressemblent beaucoup entre eux ; ils sont bien faits, et d’un caractère doux. Tous ceux dont le pays est sec et découvert, où les saisons varient et sont bien tranchées, ont nécessairement le corps dur et robuste. Leur couleur approche plus du blond que du noir. Leurs mœurs sont libres, ils ne se gênent pas dans leurs passions ; et chacun y tient fortement à ses idées ; enfin partout où les saisons amènent de grands changements, on voit de grandes variétés dans les figures, dans les tempéraments, dans les mœurs et dans les coutumes. Ainsi les différences des saisons peuvent être regardées comme la première cause de la différence dans la nature des hommes. Ensuite vient la qualité des eaux… en général tout ce qui croit sur la terre, participe à la qualité de la terre ![8] »

Voilà des faits bien observés, des généralités bien saisies. Mais le puissant observateur n’en reste pas là. Après avoir étudié l’action du physique sur le moral, il apprécie l’action du moral sur le physique, action tellement supérieure qu’il lui attribue le double pouvoir de faire les grands peuples et les grands hommes. Ainsi la nature physique est dominée par la nature spirituelle. Ne vous effrayez pas des influences de la première ! Si la superficie de l’histoire est souvent hideuse, ses profondeurs sont sublimes, et le résultat invincible de tous les événements humains, c’est le triomphe du bien sur le mal, de la vérité sur le mensonge, de l’esprit sur la matière. Écoutez Hippocrate : « Le courage naît de l’exercice et du travail. Les Européens (les Grecs) doivent donc être plus propres à la guerre que les Asiatiques : leurs lois y concourent aussi parce ce qu’ils ne les reçoivent pas d’un roi. Là où les rois (les despotes) gouvernent, il y a nécessairement peu de bravoure. Je l’ai déjà dit, des âmes esclaves ne doivent pas naturellement s’exposer de bon cœur aux dangers pour augmenter la puissance du maître. Si donc parmi de tels hommes il en naissait quelques-uns de courageux, leur courage serait énervé par les lois sous lesquelles ils sont appelés à vivre. Au contraire, ceux qui se donnent des lois eux-mêmes, qui courent au péril pour leur profit, non pour celui d’autrui, le font avec plaisir ; ils supportent facilement les fatigues parce qu’ils doivent partager le prix de la victoire. Il est donc vrai que le gouvernement concourt à faire naître le courage[9]. »

C’est ainsi qu’Hippocrate, après avoir démontré l’influence des climats, signale avec soin la puissance invincible des institutions. Herder ne lui a emprunté que la première moitié de ses observations : son point de vue est inférieur parce qu’il est incomplet ; bien plus, il manque de nouveauté, à moins qu’on ne veuille accepter comme une nouveauté l’introduction de la météorologie dans la politique et de la physiologie dans la morale, théories aventureuses dont le temps a montré le vide, et que tout le talent de Cabanis, sa science pittoresque, son style si pur, si clair, et si puissant n’ont pu faire revivre, même un seul jour !

Au reste le matérialisme de Herder fut un accident imprévu de son système et non une erreur réfléchie de son esprit. Il ne vit pas le terme de sa route ; il ne sentit pas qu’au lieu de donner du mouvement à l’histoire, il la pétrifiait. Si l’influence des circonstances physiques est irrésistible, il faut nécessairement que l’humanité reste immobile ; car il n’y a pas de progrès dans les circonstances physiques, et les mêmes causes produisant toujours les mêmes résultats, la barbarie des peuples serait éternelle. Ainsi la théorie de Herder se trouve démentie par les faits ; le genre humain marche, les sociétés se perfectionnent, partout les influences physiques de la terre sont dominées par la puissance morale de l’homme et par l’action éternelle de la loi de perfectibilité !

CHAPITRE V.

VICO. — THÉORIES DES LOIS PROVIDENTIELLES DE L’HISTOIRE.

L’époque de Vico est une des plus brillantes de l’histoire. Lorsqu’il vint au monde, la pensée humaine s’était renouvelée dans le mouvement de deux grands siècles. La terre tournait d’après les lois de Galilée, Bacon avait ouvert des routes inconnues à toutes les sciences, et d’un trait de son génie Descartes venait de balayer la scolastique et la théologie du moyen-âge. Enfin Vico naquit au milieu du règne de Louis XIV, au moment où Bossuet, Fénelon, Newton, Locke produisaient leurs chefs-d’œuvre. Né en France, il eût augmenté la foule de ces grands hommes, et participé à leur gloire ; né en Italie, il vécut isolé, misérable, sans autres contemporains que des savants obscurs et des cardinaux indifférents ; aucun génie ne stimula son génie, il fut seul ; jeta quelques lumière dans les ténèbres, et mourut oublié.

L’oubli fut si complet que ses doctrines se perdirent et que plus d’un siècle s’écoula avant leur résurrection. Ce fut en Allemagne qu’elles reçurent pour la première fois une vie nouvelle[10]. Alors le pauvre Vico eut des disciples, mais des disciples indociles qui essayaient de corriger le maître et qui pour la plupart se montraient plus habiles à le dépouiller qu’à l’honorer. Notre intention n’est pas de signaler ici les nombreux emprunts dont Vico fut la victime ; il suffit de savoir que son livre a fait révolution dans les sciences historiques, qu’il a inspiré, qu’il a créé toutes les théories modernes, et que, malgré ses erreurs, sa place est marquée parmi les livres originaux qui remuent fortement les âmes et donnent l’impulsion à la pensée !

Deux idées puissantes absorbèrent la vie scientifique et philosophie de Vico. Il voulut 1o  tracer le code des lois providentielles qui gouvernent le genre humain depuis le commencement du monde, et les donner pour règles de l’avenir ; 2o  résoudre le problème tant cherché du principe de certitude, en d’autres termes découvrir le criterium de la vérité. Ainsi les études de Vico comprennent Dieu et l’homme, le secret des pensées de Dieu dans le gouvernement politique et moral de l’univers, et la direction à donner aux actions des hommes dans l’accomplissement de leurs devoirs. La première science est tout ce que le genre humain peut concevoir de plus élevé ; et d’abord il fallait six mille ans pour sa conception, car elle ne pouvait sortir que de l’expérience de l’histoire. Aussi cette idée manqua-t-elle à Platon, à Socrate, à toute l’antiquité. Elle devait naître du temps et de l’Évangile : c’était le résumé de la doctrine du Christ et de l’action du temps. Mais quelle puissance il fallait pour la concevoir, je ne dis pas pour l’exécuter, même après l’Évangile ! Comment une faible créature osa-t-elle regarder si haut ? Ah ! sans doute, Vico eut raison de donner le titre de science nouvelle à cette création de son génie ! Elle était nouvelle, en effet, la science qui, par le seul secours de l’observation, tentait de pénétrer le secret des lois providentielles et de tracer sur ce code révélé tout l’avenir du globe !

Ainsi fut créée la science nouvelle ; elle le fut presque en présence de Montesquieu ; car il voyageait alors en Italie, où, par une fatalité qu’il faut déplorer, il n’entendit parler ni de Vico ni de ses œuvres, et cependant Vico vivait, et cependant la sienza nuova était publiée depuis trois ans. Nous osons le dire : le peu d’éclat de ce livre, à son apparition, fut un malheur pour Montesquieu : il eût trouvé là l’idée du lien céleste qui manque à son immortel ouvrage. Et qui sait si la grande loi qui dirige les Peuples dans leur passage sur la terre, et que nous cherchons encore, ne se fût pas révélée à son génie !

Quant à Vico, il fut écrasé sous le poids de sa propre conception. La vue de la carrière qu’il venait d’ouvrir lui donna le vertige ; il ne put en supporter ni l’immensité ni la majesté, et dès l’abord on le vit travailler à lui tracer des limites. Le voilà qui remonte aux premiers jours du monde pour y chercher l’histoire complète d’une civilisation, son commencement, ses progrès et sa fin, et c’est dans cette histoire qu’il trouve le dernier mot de la Providence, la loi suprême qui doit à jamais régir l’univers. Toute histoire, suivant lui, se compose de trois époques : l’âge divin ou l’idolâtrie, l’âge héroïque ou la barbarie, l’âge humain ou la civilisation ; et ce triple tableau qu’il trace à grands traits devient le cercle étroit dans lequel il renferme le passé, le présent et l’avenir de l’humanité. Voilà ce que nous sommes condamnés à recommencer sans cesse ; voilà le moule dans lequel les nations doivent se précipiter éternellement ; chaque révolution de la société humaine fera revivre la barbarie des premiers jours du monde ; il y aura toujours sur la terre l’âge de l’idolâtrie et l’âge de la férocité, avant l’âge de la loi.

C’est ainsi que de l’ensemble et de l’enchaînement des faits accomplis Vico compose une histoire idéale qui doit se reproduire éternellement sur la terre. Chaque siècle ramène les mêmes événements dans l’histoire, comme chaque année ramène les mêmes saisons, les mêmes vicissitudes et les mêmes bienfaits dans l’univers.

Mais Vico va plus loin ; il ne se contente pas de faire tourner le genre humain dans ce cercle monotone, il soutient que, lors même que Dieu multiplierait à l’infini les mondes dans l’espace (hypothèse indubitablement fausse, ajoute-t-il), la destinée de tous ces mondes, nés et à naître, serait de suivre le cours des lois tracées dans la science nouvelle. Ainsi ce beau génie, qui tout à l’heure voulait écrire le code des lois providentielles, ose dire que la Providence n’a peuplé qu’un monde, n’a créé qu’une terre. Il ajoute même que, si d’autres mondes étaient possibles, ils ne pourraient exister que sous la direction des lois que lui faible mortel vient de découvrir. Tout à l’heure il cherchait la pensée de Dieu, à présent il lui trace des limites. Quel triste résultat d’une aussi magnifique conception ! Et cependant, lorsque Vico écrivait ces choses, Galilée avait vu le ciel ; Descartes, Pascal, Newton en avaient expliqué les lois ; et le grand géomètre Huyghens, suivant les traces de Fontenelle, nous avait légué en mourant le beau livre de la Pluralité des Mondes[11].

Tel est le système de Vico. Il s’est borné à étudier dans les modifications de l’esprit humain la marche que devaient suivre les sociétés ; en les supposant à l’état sauvage ou à l’état de barbarie. Là s’arrête la science nouvelle. On peut, si l’on veut, lui accorder quelques époques du passé, mais aucun héritage dans l’avenir. En effet, pour montrer combien sa doctrine est impuissante, il suffit de constater les progrès de l’humanité sur le globe ; et de remarquer que dans sa théorie des lois providentielles Vico n’a tenu aucun compte de la loi de perfectibilité, c’est-à-dire de l’amélioration graduelle du genre humain. Et qu’on ne croie pas que cette amélioration soit illusoire ! rien de plus facile que d’énumérer les vérités méconnues des temps anciens et qui sont acquises aux temps modernes. L’amour des hommes, l’abolition des castes, l’abolition de l’esclavage, la soumission des droits du citoyen aux droits de l’humanité, et la liberté de conscience, toutes vérités repoussées par les peuples les plus civilisés de l’antiquité et triomphantes aujourd’hui. La croyance d’un seul Dieu, qui coûta la vie à Socrate, est devenue la vie religieuse des nations ; il n’y a plus d’idolâtrie que chez les barbares ; autrefois elle couvrait la terre : tout était Dieu, dit énergiquement Bossuet, excepté Dieu même. Voilà les conquêtes morales qui ont changé la condition des sociétés, et qui rendent le retour de l’âge divin impossible. Ajoutez à cela les conquêtes de l’intelligence : l’imprimerie, les journaux, les machines à vapeur, les chemins de fer, puissant moteur de la Providence pour la diffusion des lumières, et qui promettent, si je puis m’exprimer ainsi, une naissance d’hommes aux peuples nouveaux. Ici les faits viennent à l’appui de nos espérances ! Voyez l’Amérique des États-Unis échapper à toutes les lois de la science nouvelle. Sa naissance ne date ni de l’âge divin, ni de l’âge héroïque ; elle n’a point à se dégager des chaînes des moines, des abjections des castes, des absurdités de la scolastique. Elle arrive tout droit à l’âge de la civilisation par l’industrie, le travail et la liberté. C’est un grand peuple qui vient de naître, et qui déjà se prépare à hériter du vieux monde !

Toutefois, et je le redis parce qu’on ne saurait trop le redire, ce peuple entré à pleines voiles dans la civilisation, s’y est montré avec quelques marques de barbarie ; il porte l’esclavage dans son sein comme un chancre rongeur. Sur cette terre classique de la liberté je vois deux millions d’hommes réduits à l’état de bétail ; je vois des fers, des fouets, des carcans, des supplices ; j’entends les menaces des bourreaux, j’entends les gémissements des victimes ; là on avilit l’homme ; là un peuple s’est cru le droit d’enchaîner ce corps et cette âme que Dieu avait faits libres. Eh bien ! qu’arrive-t-il ? la voix de toutes les nations civilisées s’élève pour lui reprocher son crime, et déjà commence dans l’Amérique la lutte sanglante de la justice et de la cupidité. Que la cupidité musèle ses victimes et trahisse les lois, qu’elle massacre les hommes généreux qui parlent au nom de la liberté, elle sera vaincue. Plus les crimes seront grands, plus ils seront visibles. Toutes les nobles volontés de l’homme combattent contre eux, et la mission céleste de l’Évangile est de réaliser un jour ces nobles volontés !

Ainsi la condition morale des peuples est entièrement changée ; le genre humain s’améliore et la masse civilisée est plus parfaite que dans les temps anciens : je parle des temps les plus beaux et les plus héroïques ; car dans ces temps d’héroïsme Athènes ne criait pas à Sparte : N’égorgez pas les ilotes ! Rome ne criait pas à Athènes : Ne vendez pas les esclaves ! Platon et Socrate lui-même acceptaient l’esclavage, et il y a dans la Politique du précepteur d’Alexandre une page honteuse où l’esclavage est déclaré chose juste[12]. Ne voyez-vous pas que cette page sépare à jamais les temps anciens des temps modernes.

Toutes les études historiques tendent donc à démontrer l’impossibilité du retour des âges divins et héroïques, à moins d’un cataclisme qui ne laisserait sur le globe que des grœnlandais ; d’où il résulte que la science nouvelle de Vico ne renferme pas l’avenir du globe, qu’elle n’est pas le moule éternel où les peuples doivent prendre leurs formes, que de nouvelles destinées nous sont promises, qu’une nouvelle science doit naître plus digne de l’homme, plus pleine de foi et d’espérance ; une science qui parlera à notre cœur et non à notre mémoire, et qui, loin de condamner le genre humain à tourner dans un cercle douloureux de superstition et de crimes, lui ouvrira un avenir brillant d’intelligence et de prospérité. Si donc nous dégageons de l’œuvre de Vico cette partie erronée de son système, il ne lui restera plus qu’une idée vraie, que cette magnifique idée de Bossuet qui place tous les peuples du monde, représentés par la postérité d’Abraham, sous les regards et la conduite de Dieu. Dès lors, le discours sur l’histoire universelle reste debout sur les débris du livre de Vico et par droit de génie et par droit d’ancienneté ; car le chef-d’œuvre du nouveau père de l’Église précéda de quarante-quatre ans le chef-d’œuvre du professeur italien. À présent, si l’on nous demande de formuler la loi qui dirige les peuples dans leur marche éternelle sous les regards de Dieu, nous serons obligés de convenir que la science n’est pas plus avancée aujourd’hui qu’elle ne l’était au temps de Bossuet et de Vico, seulement on peut dire que le caractère de la loi est la prévoyance et la bonté. Et qu’on ne vienne pas nous opposer les tableaux hideux de l’histoire du monde depuis six mille ans, car nous répondrions précisément par ces six mille ans d’existence et de progrès. Plus il y a de désordre dans les lois humaines, plus l’ordre des lois divines apparaît, puisque nous existons, puisque nous progressons, puisque chaque siècle en passant nous dépouille de quelque barbarie. Peu importe donc que la loi divine soit inconnue si elle se manifeste par des bienfaits et si son but visible est la conservation du genre humain. Ce qui importe, c’est que nous sachions qu’elle existe ! et voilà précisément ce qui fait la gloire de Vico : sa mission fut de nous avertir bien plus que de nous instruire ; mais son avertissement eut quelque chose de sublime, car il nous appelait au conseil de la Providence.

Passons à la seconde pensée fondamentale de sa philosophie : Vico est un de ces génies qu’il faut connaître tout entier.

CHAPITRE VI.

VICO. — MONTAIGNE. — BACON. — DESCARTES.

Rien de plus triste que la condition de l’homme. Il ne peut être heureux que par la vérité, et son sort est de vivre environné de mensonges : il n’a pas même le choix de ces mensonges ; sa nourrice, sa famille, son pays, son époque le saisissent dans son berceau pour le façonner à leur guise. Y a-t-il une opinion étrange qu’on ne trouve sur le globe et que nous n’eussions pu recevoir des temps, des lieux ou du hasard de notre naissance ? Mais ce n’est pas tout, à ces idées fatales qui sont indépendantes de notre volonté et dont si peu d’hommes songent à se dépouiller, il faut ajouter l’éducation, cette seconde naissance qui refait notre entendement et le meuble ou le démeuble au gré de nos maîtres et de nos professeurs. Là notre raison agit, mais offusquée par les habitudes de l’école, par le chaos de la théologie, par les systèmes de la science, par les théories philosophiques qu’un grand génie nous impose et qu’un plus grand génie anéantit ; car les opinions des philosophes sont aussi variées que les mœurs des peuples. Nous passons de Saint-Augustin à Bossuet, de Platon à Cicéron, d’Aristote à Descartes, de Descartes à Locke, de Locke à Kant, de Kant à Fichte, à Schelling, à Hegel sans jamais nous arrêter, forgeant notre intelligence à toutes ces fournaises, accusant nos pères de mensonges et n’écoutant pas la voix de nos enfants qui déjà se préparent à nous accuser à leur tour.

Dans ces causes incessantes de nos erreurs, je n’ai pas rappelé les passions qui nous aveuglent et les ambitions qui nous rendent serfs des passions d’autrui ; je n’ai rien dit des influences physiques et physiologiques dont Herder a fait ressortir tous les événements de l’histoire ; bien plus, je n’ai parlé ni des superstitions qui engloutissent tous les cultes ni des préjugés qui font partie intégrante de chaque classe et de chaque état de la société, ni des lois dont l’étude fausse l’esprit en plaçant la justice dans le point de droit, jamais dans la vérité. Enfin je n’ai rien dit des sciences naturelles qui varient sans cesse : vérité du jour, erreur du lendemain, et dont les plus brillantes découvertes se terminent toutes par l’incertitude, l’ignorance et l’impuissance !

Tel est cependant le gouffre de mensonges et de ténèbres dans lequel nous sommes plongés en naissant. Là nous pensons, nous raisonnons, et souvent aussi nous nous égorgeons au nom de la vérité ! À l’aspect de tant d’ignorance, qui s’étonnera de tant de crimes ? Mais ce qu’il y a de plus déplorable, c’est que cette ignorance elle-même reste inconnue à la plupart des hommes ; il faut des siècles pour nous la révéler. Lorsque Montaigne, le premier parmi nous, levant la tête hors de ces ténèbres et regardant au-dessous de lui, vit cet effroyable chaos de coutumes, d’usages, d’opinions, de religions qui se partagent le globe, son âme se troubla, son imagination s’assombrit, et il proclama en face du monde la vanité de toutes les sciences et de toutes les pensées humaines. Et cependant ce rare génie avait entrevu le remède à tant de maux, et même il l’avait consigné quelques pages plus loin dans un autre chapitre de son livre, le plus beau peut-être des Essais, puisqu’il est resté original après l’Émile, qui en est sorti tout entier. Je veux parler du chapitre XXX de l’Institution des Enfants, dédié à madame Diane de Foix ; car, pour le remarquer en passant, c’est à une mère de famille que fut adressé le premier traité raisonnable d’éducation qui ait illustré la France.

Dans ce chapitre, on lit cette pensée qui alors passa inaperçue et qui plus tard devait servir de texte à Bacon et à Descartes et faire révolution dans les écoles : « Il faut tout passer par l’estamine et ne loger rien en nostre teste par autorité et à crédit. » Qu’on juge de l’étrangeté de cette parole à une époque où l’autorité d’Aristote décidait de tout.

Bacon fut le premier qui s’en saisit. Bacon, cette intelligence universelle qui eut la gloire de donner à Locke l’idée fondamentale de ses essais et à Montesquieu les principes de son admirable ouvrage ; Bacon, dont le génie rénovateur devinait l’attraction pressentie par Kepler et que cent ans plus tard Newton devait établir par les chiffres ; car Newton n’a pas découvert le système du monde, il l’a prouvé. Bacon, disons-nous, fondant la philosophie comme il avait fondé les sciences, posait le même principe que Montaigne, mais avec plus de clarté, plus de développement. Il disait : « Il ne nous reste plus qu’une seule planche de salut, c’est de refaire en entier l’entendement humain, c’est d’abolir de fond en comble les théories et les notions reçues, afin d’appliquer ensuite un esprit vierge et devenu comme une table rase à l’étude de chaque chose prise à son commencement[13]. »

Ces six lignes publiées à Londres à l’époque où le Parlement de Paris « défendait, à peine de vie, de tenir ni enseigner aucune maxime, contre les auteurs anciens et approuvés. » Ces six lignes portaient en elles une révolution complète. Elles furent recueillies par un jeune officier qui parcourait alors l’Europe, étudiant les peuples, consultant les philosophes, cherchant partout la vérité et s’étonnant de ne rencontrer que l’erreur. Il les médita au milieu des camps et après dix-sept ans de méditation, il en fit la base d’un petit traité de cent pages, dont le but était de renouveler les écoles et dont la destinée fut de renouveler le monde. Ce jeune officier c’était Descartes ; ce petit volume, c’est la Méthode, titre modeste d’une œuvre de génie !

C’est là que, s’offrant lui-même en exemple, l’auteur raconte comment, après avoir achevé ses études dans une des écoles les plus célèbres de l’Europe, puis après avoir étudié dans le monde et dans les armées les mœurs et les usages des différents peuples il se trouva tellement embarrassé de ses doutes, qu’il prit la résolution d’effacer de sa mémoire tout ce qu’il venait d’apprendre, de faire table rase, comme le dit Bacon, de tout passer par l’étamine, comme le dit Montaigne, en un mot de ne rien recevoir dans son entendement de ce qui ne lui serait présenté que par l’exemple, la coutume ou l’autorité. « Pour atteindre la vérité, dit-il, il faut une fois dans sa vie se défaire de toutes les opinions qu’on a reçues, et reconstruire de nouveau tout le système de ces connaissances. » Mais comment le reconstruire ? Ici la difficulté est sans bornes : tant qu’il ne s’agit que d’effacer l’erreur, tout se passe dans la lumière ; mais dès qu’il s’agit de reconnaître la vérité, tout devient ténèbres. En effet, Descartes a bien trouvé le principe qui nous délivre du mensonge, mais en confiant à chaque raison le pouvoir de remeubler l’entendement, en laissant l’individu juge de toutes choses, il n’a fait que changer de désordres, il a enfanté le chaos.

C’est une chose remarquable que la réforme philosophique et la réforme religieuse se soient perdues par la même faute : Luther et Descartes n’ont fait que multiplier l’erreur, en appelant la raison individuelle sans autre autorité, l’un à l’interprétation des livres saints, l’autre au jugement des sciences morales et philosophiques !

Ici nous voyons reparaître Vico. Près de cent ans s’étaient écoulés depuis la publication de la Méthode. Descartes régnait sans contradicteur, faisant peser sur le monde savant la tyrannie de ses fortes pensées. Vico fut le premier qui l’attaqua. « Nous devons beaucoup à Descartes, dit-il, nous lui devons beaucoup pour avoir soumis la pensée à la méthode. C’était un esclavage trop avilissant que de faire tout reposer sur la parole du maître. Mais vouloir que le jugement de l’individu règne seul, c’est tomber dans l’excès opposé. » Puis il ajoute, après quelques plaintes sur l’ignorance de la jeunesse : « Descartes était très versé dans toutes les sciences, il vivait caché dans une solitude ; et ce qui fait plus que tout le reste, il était doué d’un génie tel que chaque siècle n’en produit pas toujours. Un homme doué de tels avantages peut suivre son sens propre ; mais tout autre le peut-il ? Que les jeunes gens lisent Platon, Aristote, saint Augustin, Bacon et Galilée ; qu’ils méditent autant que Descartes dans ses longues retraites, et le monde aura des philosophes comparables à Descartes. Mais avec la lecture de Descartes et le secours de leurs lumières naturelles, ils ne pourront jamais l’égaler, et encore tomberont-ils dans un abîme de mensonges. »

Ces observations avaient le double mérite de la nouveauté et de la vérité. Mais Vico ne se contente pas de combattre le système de Descartes, il veut le rectifier ou plutôt le remplacer. Au sens individuel il substitue le sens commun ; il proclame infaillible toute idée, tout principe qui se présente avec l’assentiment du genre humain ; en un mot, il fait de la voix universelle des peuples le criterium de la vérité ; système brillant que le philosophe formule ainsi : « Ce que l’universalité ou la généralité du genre humain sent être juste, doit servir de règle dans la vie sociale. La sagesse vulgaire de tous les législateurs, la sagesse profonde des plus célèbres philosophes s’étant accordée pour admettre ces principes et ce criterium, on doit y trouver les bornes de la raison humaine, et quiconque veut s’en écarter doit prendre garde de s’écarter de l’humanité tout entière. »

Ainsi Vico croit avoir marqué les bornes de la raison humaine. Voilà une haute prétention. Il plante son drapeau au milieu de la grande assemblée des peuples, et le cri général qui sort de cette foule, il le proclame la vérité, il dit : La raison humaine n’ira pas plus loin. Et cependant que d’objections contre ce système ! Pour que la pensée universelle puisse devenir le criterium de la vérité, il faut qu’elle n’ait jamais proclamé le mensonge. Ici la règle ne peut souffrir d’exceptions, l’exception serait l’erreur, et l’erreur détruit la règle. Eh quoi ! n’a-t-on pas vu des temps où l’idolâtrie couvrait le globe ? Les sacrifices humains n’ont-ils pas ensanglanté tous les cultes ? L’esclavage et la polygamie ne furent-ils pas consacrés par toutes les nations de la terre barbare ou civilisée ; et si l’assentiment du genre humain a proclamé le polythéisme ; s’il a sanctifié à la fois le massacre, le libertinage et la violation des droits de l’homme, dirons-nous avec Vico que ce sont là les bornes de la raison humaine. Tel est cependant le témoignage universel ; simple expression de l’état social, comment pourrait-il être l’expression de la vérité et de la raison ?

Ce système, mal compris du temps de Vico, devait l’être beaucoup mieux du nôtre. Les flatteurs du peuple ne pouvaient manquer cette occasion de lui jeter une nouvelle couronne. Le peuple est roi par l’élection, juge par le jury, pourquoi ne serait-il pas philosophe par la grâce de Vico, ou de son brûlant disciple, l’abbé de Lamennais ? Il est vrai qu’en faisant le peuple électeur et juré, on a eu l’heureuse idée de fonder des écoles pour l’instruire, et de fixer un cens d’éligibilité pour le trier ; mais en philosophie, rien de plus inutile que le triage et l’instruction ; c’est le nombre qui fait l’autorité. Nous avons bien à faire vraiment des livres et des docteurs, lorsqu’il nous suffit d’écouter les masses pour décider de toutes les questions morales, politiques, religieuses dont on cherche la solution depuis le commencement du monde ? Voilà comment, grâce à Vico, la démocratie déborde aujourd’hui jusque dans la philosophie.

C’est cependant là que son pouvoir expire ; c’est au moins là qu’il faut l’arrêter, sous peine de ne plus faire de progrès que dans le mensonge ; la roture, que je sache, ne donne pas plus la raison que la noblesse ne donne le génie. Et en effet, j’ai beau chercher la vérité dans les masses, je ne la rencontre, quand je la rencontre, que dans les individus. Pour que la lumière jaillisse des ténèbres, il faut que Dieu y allume un soleil ; pour que la vérité entre chez un peuple, il faut que Dieu y jette un législateur. La vérité n’est révélée qu’au génie, et le génie est toujours seul. Que voyez-vous dans l’histoire ? d’un côté Moïse, Socrate, Jésus-Christ ; de l’autre les Hébreux, les Grecs et l’univers. D’un côté les peuples qui persécutent et qui tuent, de l’autre la victime isolée qui les éclaire. Toujours un homme et un peuple ; toujours la raison individuelle travaillant à former la raison universelle. Les peuples, dit admirablement Bossuet, ne durent qu’autant qu’il y a des élus à tirer de leur multitude. Pensée profonde que Bossuet n’applique qu’aux saints, mais qui peut s’appliquer aux philosophes, aux législateurs, à tous les bienfaiteurs de l’humanité. Le privilége du génie est de tout dire dans une ligne.

Ainsi tombe naturellement en présence des faits la philosophie démocratique du témoignage universel, ce qui ne veut pas dire que la philosophie aristocratique du témoignage individuel soit beaucoup meilleure. Rien ne doit rester de ces deux systèmes, car ils donnent à l’autorité humaine une puissance qu’elle n’a pas. Mais où donc est la vérité ? Dieu aurait-il environné l’homme de tant d’erreurs, sans lui fournir un seul moyen de les reconnaître ? Lui aurait-il donné une conscience qui redoute le mensonge, une raison qui cherche la sagesse, la faculté de penser, de comparer, de vouloir, le tout pour se tromper éternellement ? Non, Dieu n’a pas manqué de justice, car alors il eût manqué de puissance. Il a placé la vérité au point de vue de l’homme, puisqu’il a placé l’homme en présence de ses ouvrages, et que l’ouvrage exprime toujours la pensée de l’ouvrier. La pensée de Dieu, c’est-à-dire la vérité, nous est donc révélée par les lois de la nature. C’est là que le Créateur a imprimé sa volonté immuable : le livre qui la renferme est écrit dans la langue universelle, et il s’ouvre sous les yeux du genre humain !

Atténuant lui-même la valeur de sa théorie du sens commun, Vico écrit « Aux mathématiciens il appartient de chercher le vrai ; les philosophes doivent se contenter du probable. »

Oui, tant que l’autorité de l’homme est invoquée !

Non, quand c’est la pensée même de Dieu, sa pensée réalisée, sa pensée devenue visible, dans les lois physiques et morales de la nature. Il y a là plus qu’une conviction mathématique ; c’est la vie qui parle, la vie sortant des mains de Dieu, et pour première loi révélant son créateur.

Les mathématiques elles-mêmes ne sont vraies que parce qu’elles représentent quelques lois physiques de l’univers. Elles sont la pensée de Dieu traduite par des lignes et par des chiffres.

Il faudra bien convenir un jour que les lois morales de l’univers sont aussi positives que les lois mathématiques, parce qu’elles ont la même origine, parce qu’elles sont l’expression de la même pensée. Dieu n’a pas failli à nous les donner, c’est nous qui avons failli à les étudier et à les comprendre.

Le livre de Vico est si riche, il remue tant d’idées, il soulève tant de questions, enfin il a si puissamment agi sur notre siècle ; qu’il devenait indispensable de le soumettre à l’examen d’une critique forte et impartiale. Cet examen d’ailleurs était commandé par notre sujet, le but de ce livre étant surtout de signaler le point de départ des conceptions originales destinées à exercer quelque influence sur l’esprit humain. Sous ce rapport il est impossible de rien imaginer de plus puissant que la philosophie de l’histoire ; et soit qu’elle s’attache à trouver dans le passé la formule de l’avenir, soit que moins ambitieuse elle se contente d’enregistrer les progrès du bien sur la terre, son étude promet la révélation des destins de l’humanité. Terminons donc comme nous avons commencé, en signalant les traits frappants qui séparent la science historique des temps anciens de la science historique des temps modernes. Avant Vico l’histoire n’était que le simple récit des faits ; sous l’influence de Vico, la transfiguration s’est opérée : l’histoire est devenue prophétique et providentielle, en sorte que, prise dans son ensemble sur le globe entier, elle nous apparaît comme une épopée sublime, où chaque peuple accomplit une pensée de Dieu dans l’intérêt du genre humain !


  1. Livre IV. Melpomènes.
  2. Voici le passage de Tacite : Nec enim unquàm atrocioribus populi romani cladibus, magisve justis indiciis approbatum est non esse curœ Deis securitatem nostram esse ultionem. » Le P. Dotteville est le premier qui soit entré dans la pensée de Tacite, si mal comprise par Brottier et par D’Alembert. (Hist. I. I.)
  3. Préface de l’Histoire ecclésiastique, t. I, p.8.
  4. Huitième discours sur l’Histoire ecclésiastique, p. 342.
  5. Préface de l’Histoire ecclésiastique, édition in-4, p. 10.
  6. Voyez la section troisième de cet ouvrage, p. 53, 54, 55, où il est parlé de l’abolition de la peine de mort.
  7. Poèmes orphiques cités par saint Clément d’Alexandrie, dans les stromates !
  8. Hippocrate, Traité des airs, des eaux, etc.
  9. Hippocrate, Traité des airs, des eaux, des lieux.
  10. Ernest Weber traduisit en allemand La Science nouvelle, en 1822 ; elle ne fut traduite en français qu’en 1827.
  11. Le Cosmetheoros d’Huyghens fut publié en 1698 ; mais plus de cent ans auparavant, un compatriote de Vico ; Giordano Bruno avait soutenu la pluralité des mondes, dans son livre Del Infinito Universo e mundi, publié en 1584. Il est vrai que le malheureux fut brûlé à Rome par l’inquisition, en 1600. Ce Giordano Bruno, dont l’Allemagne cherche aujourd’hui à réhabiliter la mémoire, fut un grand philosophe, maître de Spinosa et peut-être aussi de Descartes. Chose singulière et qui prouve la variété de son génie, il a laissé une comédie dont Molière a emprunté plusieurs traits ; elle est intitulée Candelaio.
  12. Politique d’Aristote, liv. I, ch. 2.
  13. Bacon, Novum organum.