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Poèmes et Poésies (Keats, trad. Gallimard)/La Belle Dame sans mercy

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Pour les autres éditions de ce texte, voir La Belle Dame sans merci.

Traduction par Paul Gallimard.
Poèmes et PoésiesMercure de France (p. 166-168).
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LA BELLE DAME SANS MERCY [1]




Ah ! qui peut te faire souffrir, être infortuné,
Errant pâle et solitaire !
Les joncs sont desséches au bord du lac,
Aucun oiseau n’y chante.

Ah ! qui peut te faire souffrir, être infortuné,
Si farouche et si malheureux ?
Le grenier de l’écureuil est rempli,
Et la moisson est rentrée.

Je vois un lis sur ton front
Avec la moiteur de l’agonie et la buée de la fièvre ;
Et sur la joue une rose qui se flétrit
Et se fane de même rapidement.


J’ai rencontré une dame, dans les prés,
D’une grande beauté — la fille d’une fée ; —
Ses cheveux étaient longs, ses pieds légers
Et ses yeux sauvages.

Je l’assis sur mon coursier paisible
Et ne vis rien d’autre tout le long du jour ;
Car elle se penchait de côté et chantait
Une chanson de fée.

Je tressai une guirlande pour sa tête,
Puis des bracelets et une ceinture qui embaumait ;
Elle me regardait comme si elle m’aimait
Et poussait un doux gémissement.

Elle trouva pour moi des racines d’un goût exquis,
Du miel sauvage et la manne de la rosée ;
Et sûrement en langage étrange elle me dit :
Je t’aime véritablement.

Elle m’entraîna dans sa grotte d’elfe ;
Là, me contemplant, elle poussa un profond soupir :
Là, je fermai ses yeux sauvages et tristes —
Et l’embrassai jusqu’à l’endormir.

Là nous sommeillâmes sur la mousse,
Et là, je rêvai, ah ! malheur véritable !
Le dernier rêve que j’aie jamais rêvé,
Sur le flanc de la froide colline.


Je vis des rois pâles et des princes aussi,
De pâles guerriers — tous avaient la pâleur de la mort,
Et criaient : « La belle Dame sans Mercy
Te tient en servage ! »

Je vis leurs lèvres affamées, dans les ténèbres,
Grandes ouvertes pour me donner cet horrible avertissement ;
Et je m’éveillai et me retrouvai ici,
Sur le flanc de la froide colline.

Et voilà pourquoi je reste ici
Errant pâle et solitaire :
Bien que les joncs soient desséchés au bord du lac.
Et qu’aucun oiseau ne chante.


28 avril 1819.

  1. D’après Alain Chartier.