Poésies (Poncy)/Vol. 1/À Toulon

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PoésiesI (p. 9-12).

À TOULON



Salut à toi, Toulon, qui grandis à chaque heure !
Salut à mon pays, qu’un vent prospère effleure !
L’or, déserteur des bords qu’oppriment les frimas,
Pleut avec tes produits sur tes terres fécondes,
Et ta mère, la mer, t’apporte sur ses ondes
Les trésors de tous les climats.

Un voile ténébreux pèse sur ta naissance,
Et l’infatigable science
N’a pu le soulever, malgré son long effort.
Lorsque sa mâle voix interroge nos rives,
Le doute répond seul. Ces vivantes archives
Sont muettes comme la mort.


C’est que nul ne connaît le destin des royaumes.
C’est que l’humble cabane, où vivent quelques hommes,
D’un opulent rivage est souvent le berceau ;
Tandis que des cités solidement bâties
Ne laissent pas, aux bords qui les ont englouties,
Assez de leurs débris pour construire un hameau.

Ton avenir n’a plus de bornes présumables.
Le beau soleil qui luit sur tes rives aimables
Fait envie au séjour des rois.
Tes quais, dont l’eau jadis occupait la surface,
Pour les mille vaisseaux qui t’y demandent place
Deviennent toujours plus étroits.

Échelonnant tes bords de solides jetées,
Tu domptes le courroux des vagues irritées.
Tu fais surgir des ports marchands
Sur de fangeux marais que les flots venaient mordre ;
Et tes mille ouvriers transforment à ton ordre
Les champs en mer, les mers en champs.

De splendides bazars naissent dans chaque rue,
Où de tes visiteurs la foule s’est accrue.
Le bruit des ateliers aux marches des tambours
Se mêle. Tu construis, tu l’embellis, tu forges.
Et dans tes environs, tous les jours, tu regorges
Des habitants qui vont agrandir tes faubourgs.


Tes vaisseaux sont chargés des enfants de l’Alsace
Que, de leur sol ingrat, la misère au loin chasse.
Pauvres oiseaux qui vont, loin de leurs nids natals ;
Demander, désormais, aux plaines africaines
Le pain que leurs sillons refusent à leurs peines,
Et, peut-être, servir de pâture aux chacals.

Oh ! que j’aime, Toulon, ta rade et tes collines !
Tes pavillons flottant au bout des brigantines
Comme autant d’arcs-en-ciel ; tes vastes arsenaux ;
Ton escadre ; et tes forts qui, sombres sentinelles,
Roulent, pour te garder, ainsi que des prunelles,
Le bronze des canons dans l’œil noir des créneaux !

J’aime quand le soleil pénètre dans les ondes,
À suivre de leurs flots les courses vagabondes.
J’aime à les voir mourir, en murmurant, au bord,
Où, parmi les rochers qui pavent les rivages,
On dirait que la lune, en perçant les nuages,
Fait pleuvoir des étoiles d’or.

Sur le groupe de toits qui dans ton sein fourmille,
J’aime à chercher celui qu’habite ma famille.
Là… j’aime à caresser un tendre souvenir :
Un poème inédit d’amour et de jeunesse,
Une fleur qu’en mon sein je cache avec ivresse
Et que rien n’y saurait ternir !


Mais je chéris surtout, ô ma cité natale !
Les parfums que ta mer exhale ;
Les ancres, les agrès entassés dans tes parcs ;
Ta tête de maisons, dans nos monts encadrée :
Ta robe de flots bleus, de navires tigrée :
Et ton écharpe de remparts.



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