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Poésies de Benserade/Le cy gist

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Poésies de Benserade, Texte établi par Octave UzanneLibrairie des bibliophiles (p. 181-205).



LE CY GIST

OU


Diverses Épitaphes pour toute sorte de personnes de l’un et de l’autre sexe, et pour l’Auteur même, quoique vivant.

CAPRICE.


C’est un Monstre comblé de malédictions,
Que la Mort aux humains non moins seure qu’horrible ;
Elle moissonne tout avec sa Faux terrible,
Et va se promenant par les Conditions ;
Elle en fait comme un champ désolé par la grêle,
Hommes et Femmes pêle-mêle :
Joignons-les l’un à l’autre, ainsi qu’elle les joint ;
Icy couchez ensemble, on n’en médira point.


Épitaphe d’un Médecin.

Cy gist, par qui gisent les autres,
Un Médecin des plus sçavans
En l’Art si funeste aux Vivans ;
Disons pour luy des Patenôtres :
S’il en a de tant d’Héritiers
Qu’il fit, ou seulement du tiers,
Il n’aura que faire des nôtres ;
Tels gens en disent volontiers.
À tout âge, à tout sexe, il déclara la guerre,
À force de saignée et d’infecte boisson.
Quelle foule de Morts il a trouvé sous terre,
N’y dût-il rencontrer que ceux de sa façon ?
La santé fuyoit comme un Lièvre,
Et devant luy doubloit le pas ;
Ce n’étoit que par le trépas
Qu’il venoit à bout de la Fièvre.
Plus ennemi du Quinquina
Que d’Auguste ne fut Cinna.
Vray Basilic, qui tuoit d’une œillade,
Des plus beaux jours il trancha le filet ;
Et n’auroit pas épargné son Mulet,

Si son Mulet avoit été malade,
Ou qu’il n’eût pas luy-même été pris au colet.

Épitaphe d’un Philosophe.

Cy gist un Philosophe, et qui, sans qu’on le nomme,
Soûtenoit qu’il ne faut regarder le trépas
Que comme l’on regarde un long et profond somme
Dans lequel on ne songe pas ;
Et cependant le pauvre homme
Eut peine à franchir ce pas.

Épitaphe d’un Astrologue.

Cy gist qui professoit une Science fausse,
À qui comme Astrologue estoit le Ciel ouvert,
Il observa le Ciel, et ne vid point sa fosse,
Il dédaigna la terre, et l’en voilà couvert.

Épitaphe d’une belle Femme.

Cy gist une Beauté, charmante et peu vulgaire,
Qu’injustement, hélas ! son Époux gourmandoit ;

Et le seul qui ne l’aima guère,
Fut le seul qui la possédoit.

Épitaphe d’un Vieillard.

Cy gist un bon Vieillard, qui répugnoit à suivre
Cette commune loy suivie également ;
Douce est l’habitude de vivre,
On la perd difficilement.

Épitaphe d’un Juge.

Cy gist, mais où ? peut-être en lieu plus chaud que braise,
Un juge à ses devoirs fortement obligé :
Il ne faut que sçavoir comment il a jugé,
Pour apprendre s’il est bien ou mal à son aise.

Épitaphe d’une Femme sage.

Cy gist qui de bonne heure étoit accoutumée
À se maintenir sage et sans peine, et sans art ;
Et qui comme telle à part
Méritoit d’être inhumée.

Épitaphe d’un Avocat.

Cy gist qui ne cessa d’étourdir les humains,
Et qui, dans le Barreau, n’eut relâche, ni pause :
Le meilleur droit du monde eut péri dans ses mains,
Aussi contre la Mort perdit-il pas sa cause ?

Épitaphe d’un Homme turbulent.

Cy gist de tout vacarme ou l’auteur, ou l’appuy,
À qui l’on chanta sa game ;
Et rien n’auroit été de plus grand bruit que luy,
S’il n’avoit pas eu de femme.

Épitaphe d’un Homme doux.

Cy gist qui vivoit doucement,
Sans être incommode à personne ;
À sa mort même, expressément,
Il a défendu que l’on sonne.

Épitaphe d’un Courtisan.

Cy gist un Courtisan qui d’espoir se reput ;
Jadis il sentoit bon, et maintenant il put.

Épitaphe d’une Dévote.

Cy gist une Dévote, et qui fut des plus franches,
Qui, sous de modestes atours
Alloit à Vêpres les Dimanches :
Que faisoit-elle aux autres jours ?
C’est une autre paire de manches.

Épitaphe d’un Orateur.

Cy gist, sous cette pierre lourde,
Un grand et célèbre Orateur :
Il eut beau dire, éloquent et flateur ;
Mort le frappa comme une sourde.

Épitaphe d’une jeune Fille.

Cy gist qui n’avoit que quinze ans,
Qui vouloit plaire au monde, et qu’on la trouvât belle :
Quel dommage pour luy ! quel dommage pour elle !
Que de beaux jours perdus, aimables et plaisans !

Épitaphe d’un Marchand.

Cy gist un Marchand qu’on soupçonne
D’avoir esté Marchand qui survendit.
Il ne fit crédit à personne ;
La Mort ne luy fit point crédit.

Épitaphe d’un Fourbe.

Cy gist à qui malice et fraude étoit commune :
Dieu veuille avoir son âme, au cas qu’il en eût une.

Épitaphe d’un Prédicateur.

Cy gist un beau Prêcheur étalant la vertu ;
Jeune, frais et vermeil, d’un air en apparence
Si contraire à la tempérance,
Qu’il eût mieux fait de s’être tû.

Épitaphe d’une Femme.

Cy gist indulgente et bonne,
Ayant plus d’un favory,
Et ne maltraitant personne,
Si ce n’étoit son Mary.

Épitaphe d’un Prélat.

Cy gist qui tenoit bonne table.
Doux, facile, honnête, acostable,
Enfin un Prélat merveilleux.
Qui, n’étant point trop scrupuleux,

Mais cheminant par la voye un peu large,
Fut de ses intérests saintement prévenu,
Et soigneux de son revenu,
Pour ne rien oublier des devoirs de sa charge.

Épitaphe d’un Comédien.

Cy gist un Comédien,
Qui s’en aquitta fort bien :
Il broüilla mille ménages,
Il fit mille Personnages,
Tirant beaucoup de profit
Des Personnages qu’il fit.
Il fait le mort à cette heure,
Et si bien que l’on en pleure ;
Mais, il le faut avoüer.
C’est un long rôle à joüer.

Épitaphe d’une Prude.

Cy gist qui fit semblant d’être sévère et rude,
Mais pour qui nul Amant ne soupiroit à faux,

Et qui couvrit tous ses défaux,
Du voile spécieux de Prude.

Épitaphe d’un Historien.

Cy gist un Historien
Trop bien payé de ses veilles ;
Il écrivit des merveilles,
Et personne n’en crût rien.

Épitaphe d’un Mary fâcheux.

Cy gist un de ces gens par malheur trop peu rares,
De ces maris lourds et bizares,
Que l’on ne laisse pas de souffrir tels qu’ils sont
Et qu’ils affectent de paroître,
Et qui font regretter le Cloître
Aux honnêtes femmes qu’ils ont.

Épitaphe d’un Gouverneur.

Cy gist qui fut tout plein des bons desseins qu’il eut,
Et qui n’osa jamais pouvoir ce qu’il voulut,
N’ayant d’un Gouverneur que l’ombre, que l’écorce ;
Et les égards qu’il avoit,
Firent qu’il n’eut pas la force
De vouloir ce qu’il pouvoit.

Épitaphe d’un Cagot.

Cy gist dont la conduite en mourant fut sinistre ;
Un qui faisoit le cagot,
Et qui sentoit le fagot :
On embarrasse à moins le Prêtre et le Ministre.

Épitaphe d’un Homme d’esprit.

Cy gist qui n’eut point de prix ;
Entre les plus beaux esprits,

Et poly dés sa jeunesse,
Satisfit avec éclat
À l’ignorante finesse
Du Courtisan délicat.

Épitaphe d’une Femme galante.

Cy gist une femme fort belle,
Mais qui rendit enfin ses charmes superflus,
Et de qui l’on ne vouloit plus,
Tant elle fit bon marché d’elle.

Épitaphe de Mahomet IV.

Cy gist le Grand Seigneur qui fut dépossédé :
N’est-ce pas être décédé ?
Il crut avoir bien fait des siennes
D’étrangler son premier Visir ;
De noyer ses chiens et ses chiennes,
D’avoir tant pris sur son plaisir :
Est-il cruauté qu’il n’ait faite,
Afin d’apaiser son Prophète ?

Il s’attendoit, après cela,
À vaincre tout, et le voilà.

Épitaphe d’un Commis.

Cy gist le beau Commis d’un vieil Homme d’affaire,
Possesseur d’un trésor dont il n’avoit que faire ;
À l’honneur de son Maître il attenta, dit-on.
Un petit poil folet ombrageoit son menton,
Et l’autre avoit la barbe grise ;
L’un étoit un badin, l’autre étoit un Caton.
L’Épouse, jeune et fière, en parut fort surprise ;
Avec elle il osa le prendre sur le ton
D’un Icare et d’un Phaéton,
Hormis qu’il vint à bout de sa haute entreprise.

Épitaphe d’un Homme débauché.

Cy gist qui se décria fort,
Et, toûjours ayant pris à gauche,
S’estoit long-temps avant sa mort
Enseveli dans la débauche.

Épitaphe d’une Femme sçavante.

Cy gist une Sçavante, incapable en effet
De se rendre à des gens d’une certaine étoffe,
Qui mourut en couche du fait
D’un Docteur ou d’un Philosophe,
Et qui, d’un goût au sexe assez particulier,
Eût choisi le Régent plutôt que l’Écolier.

Épitaphe d’un Homme de guerre.

Cy gist qui prétendoit s’élever par la guerre :
Pour un ambitieux il a bien peu de terre.

Épitaphe d’une Coquette.

Cy gist une Coquette à vouloir mettre en feu
Jusqu’au cœur le plus ferme et le plus intrépide :
Je croi que chez les Morts elle s’ennuye un peu,
Ne s’accommodant pas de ce Peuple insipide.

Épitaphe d’un Faux Brave.

Cy gist qui fit le brave, et n’estoit qu’un poltron,
Prenant un Cavalier pour tout un Escadron.

Épitaphe d’un Amant.

Cy gist le tendre Amant d’une jeune Maîtresse ;
Elle en seroit morte d’ennui,
N’estoit qu’elle perdit sa douleur dans la presse
Des Amans qu’elle eut aprés lui.

Épitaphe d’un Avare et d’un Gueux.

Cy gist un riche Avare, auprès d’un pauvre Hère :
L’un aima trop ses biens, et se damna pour eux ;
L’Autre est encor plus malheureux,
Qui se damna par sa misère.

Épitaphe d’une Laide.

Cy gist une laide qui plut
Au préjudice d’une belle,
Qui malgré la beauté qu’elle eut,
Ne fit pas tant de progrez qu’elle.

Épitaphe d’un Homme de néant orgueilleux.

Cy gist un homme de néant,
Vray nain qui faisoit le géant ;
Franc Roturier sous l’or et sous la soye,
Qui se piquoit de qualité,
Égal aux Nobles morts, mais il n’a pas la joye
De sentir cette égalité.

Épitaphe d’un Architecte.

Cy gist un bon Architecte,
Dont la propreté paroît

En cent lieux où l’on affecte
D’habiter, tant on s’y plaît,
Et maintenant il infecte
L’endroit où lui-même il est.

Épitaphe d’une Femme belle et vertueuse.

Cy gist, qui parut belle et très-belle, vous dis-je ;
Qui n’aima rien que son époux :
Ce n’est pas un petit prodige,
Ayant le don de plaire à tous.

Épitaphe d’un Homme abstinent et d’un dissolu.

Cy gist à qui la vie avoit été trop chère,
Qui par son abstinence à la fin s’en priva ;
Cy gist qui fit si bonne chère
Qu’il en creva.

Épitaphe d’une Femme mondaine.

Cy gist qui mit tout en usage
Pour être belle, et trait pour trait
Se retoucha comme un portrait,
Et se fit un autre visage.

Épitaphe d’un Homme à bonne fortune.

Cy gist un jeune fat qui crut se surpasser,
Allant de belle en belle, et n’en aimant aucune,
Et qui ne vouloit que passer
Pour un homme à bonne fortune.

Épitaphe d’un Chicaneur.

Cy gist un Chicaneur qu’on avoit dédaigné,
Et par qui sa partie au bissac fut réduite ;
Mais qui se ruina lui-même à la poursuite
Du Procés qu’il avoit gagné.

Épitaphe d’un Rentier et d’un Intendant.

Cy gist qui vivoit de ses rentes ;
Et, comme il est pour tous des places différentes,
Un Intendant est bien plus bas que luy,
Qui vivoit des rentes d’autruy.

Épitaphe d’une Amante.

Cy gist à son Galant une Amante fidelle,
Vrai Phénix, merveille en ce point !
Et lui, de son côté, ne s’en consola point,
Autre Phénix, aussi bien qu’elle !

Épitaphe d’un Homme paisible.

Cy gist qui goûte en paix son assoupissement :
Ayant vécu sans trouble, il mourut doucement.

Épitaphe d’un bon Mary.

Cy gist un bon Mary, dont l’exemple est à suivre,
Patient au delà du temps qu’il a vécu,
Qui, pour avoir cessé de vivre,
Ne cessa pas d’être cocu.

Épitaphe de sa Veuve.

Cy gist, non loin de lui, sa moitié peu sauvage,
Qui ne s’apperçut point qu’elle manquoit d’époux,
Et touchant ses devoirs, sinon fidelle à tous,
Au moins fidelle à son veuvage.

Épitaphe d’un Homme vain.

Cy gist qui se fût bien passé
D’être maintenant in pace.
Et luy qui crut atteindre en plus d’une manière
À la perfection dernière,

À peine étoit-il trépassé,
Qu’un autre vint dont il fut surpassé.

Prouvons encore mieux la misère où nous sommes,
En remontant [soudain] jusques aux plus grands Hommes.

Épitaphe des plus grands Héros.

Cy gist un Conquérant qui mit le feu par tout,
Et qui fut annoncé même par des Comettes ;
Que sçait-on, si là-bas, tête nue et debout,
Il n’est point au-dessous d’un Crieur d’alumettes ?
Cy gist Pompée, Alexandre, César.
Ils eurent beau triompher sur un char,
Ce fier cy gist les en fit bien descendre ;
Et quelque noble enfin que soit leur cendre,
Mal-aisément ils la démêleront ;
Il en viendra qui les égaleront,
S’il n’en est pas qui déjà les effacent ;
Mais, après tout, quoy que les Héros fassent,
Qu’en reste-t-il ? qu’un son léger et vain
Dont, tost ou tard, cy gist est le refrain ?

Épitaphe de l’Auteur.

Cy gist qui fit ces vers touchant une Morale
Aussi triste que générale,
Et qui les fit pour essayer
De radoucir, ou d’égayer,
En quelque sorte, une matière
D’Épitaphe ou de Cimetière :
Qui n’est pas défunt, mais qui dort,
Apprenant à mourir auparavant qu’il meure,
Et qui s’est enterré luy-même de bonne heure,
Pour voir ce qu’on diroit de luy, s’il estoit mort.
S’imagine-t-il qu’on le pleure,
Ou qu’on s’en soucie ? il a tort.

Que tous ceux qui peu s’en affligent
Ne lui disent mot, le négligent ;
Tel est-il pour eux aujourd’huy,
Il garde le même silence,
Et leur rend toute l’indolence
Qu’ils affectent d’avoir pour luy.
Autour de sa personne est la foule éclaircie

De ces amis de Cour, bruyans, tumultueux,
Faibles, peu chauds, mais fastueux,
Et la pierre qu’il croit avoir dans la vessie
Luy semble encor moins dure qu’eux ;
Durs, la pluspart comme gens belliqueux.
Envisageant son dernier terme,
Il n’est pas moins gay qu’il est ferme :
On diroit que la mort luy cause peu d’effroy,
À son stile, comme à sa mine ;
Et qui la sent si prés de soy,
Qui la taste, qui l’examine,
Doit bien être enjoué, du moment qu’il badine
Avec une telle voisine.


FIN.

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